Monsieur Adolf Hitler et monsieur Franz Kafka avait commencé à travailler dans le bureau du détective privé - provisoirement et providentiellement absent - sous la supervision de sa secrétaire. Ce n'était pas son rôle mais elle semblait le voir ainsi.
Elle avait peur que monsieur Hitler qui maniait l'encre ne fasse des taches sur le sous-main vert de papier buvard dont on aurait cru que c'était le rôle mais elle ne le voyait pas ainsi.
On voit déjà qu'avec une femme, c'est déjà plus compliqué. Moins simple.
Comme il arrive souvent avec la gent féminine, sans qu'on lui demande son opinion, elle en avait déjà au moins une sur tout. Et quand elle n'en avait pas, elle intervenait inconsidérément pour demander des explications.
_ Votre héros, vous avez trouvé son nom où ?
_ On est arrivé ensemble à la même idée, ce qui est probablement bon signe. D'abord, le nom à 2 syllabes, signe de dynamisme. Et il se retiendra probablement facilement. Un mauvais nom peut vous ruiner une oeuvre.
_ Il était sur une plaque rivée sur le mur de la brasserie où nous étions. C'était un héros qui était mort précisément à cet endroit lors d'une attaque des troupes de Napoléon. Personne ne sait plus qui c'est mais il en est resté une plaque déjà ancienne.
Ces explications censées semblait satisfaire la secrétaire.
Mais comme elle était femme, elle ne pouvait se taire. Un tel défaut entraînant la chute de bien des mariages et le malheur de tant d'époux.
_ Est-ce qu'il y aura des femmes ?
Les 2 artistes furent surpris de la question.
_ Des femmes, pourquoi faire ?
_ Les femmes c'est compliqué.
Dit monsieur Kafka qui faisait les textes.
_ Et il faut les dessiner. Avec toutes leurs jupes. Tout ce tissus.
Dit monsieur Hitler le dessinateur.
_ Votre héros parlera donc tout seul ?
Les 2 partenaires se regardèrent.
_ S'il y a une explication à donner, le héros se fera les questions et les réponses.
Monsieur Kafka qui lisait beaucoup de romans avait une réponse.
_ Dans Sherlock Holmes, il a un assistant qui est médecin qui raconte ses aventures dont il a été témoin, ce qui lui évite de parler sans cesse orgueilleusement de soi. Ou, encore pire, de rester silencieux. Ou de recourir au IL du narrateur omniscient.
_ Heu! Qu'est-ce que c'est ?
_ Il y a 2 façons de raconter une histoire: Au JE. Le héros parle de ce qu'il voit ou pense comme à voix haute. Le lecteur lit ce qu'il pense. Et pour éviter ça, on utilise le IL. Une sorte de conteur invisible qui sait tout. Presqu'un dieu. Et peut voir ce que le héros ne peut voir. Ce qui est le défaut de l'histoire au JE. Qui a l'avantage d'être plus intime, comme une sorte d'autobiographie. Chaque choix a ses avantages et ses inconvénients.
Il fallait probablement un homme ou un jeune garçon.
_ Pourquoi pas une femme?
_ Il y en aura certainement une.
Elle était ravie
_ Comme victime.
Elle le fut moins.
_ Ce sera une histoire à suspense. Un drame arrive.
_ À une femme.
_ Sans importance. Détail. Et le héros doit résoudre l'affaire.
_ Pourquoi une femme?
_ Parce qu'elles font plus pitié. Un homme qui meurt - on ne parle pas ici d'une vraie mort mais d'un texte - attire moins l'attention. Mais une femme...
_ Ou un enfant...
_ Ou une enfant...
_ Une fillette, c'est bien.
_ Pourquoi le docteur Watson puisque vous copiez cette histoire ne serait pas une femme ?
Une femme médecin, quelle idée. Ce n'est pas crédible. Personne n'y croira.
_ Et pourquoi ?
_ Le cerveau. Une femme a biologiquement un petit cerveau qui va dans sa petite tête. Qu'elle a charmante.
En fait pas tout le temps, à voir le regard qu'elle leur lançait.
_ Elle pourrait être son épouse ?
_ Mais il ne pourrait plus aller nulle part sans l'en informer avant. S'il ne le fait pas, elle lui ferait une crise à son retour. Comment pourrait-il prendre l'Orient Express pour aller en Turquie pendant des mois et la laisser seule à la maison, avec toutes les tentations. Les femmes ont l'esprit faible de leur sexe. Il faut vous informer.
_ Vous aussi. Et pourquoi ne le faites-vous pas avec moi ?
En effet, leurs connaissances en matière féminine leur parurent insuffisante mais ils n'allait pas la laisser gagner son point. La vanité féminine est bien connue. On ne sait où une femme orgueilleuse peut aller ?
_ J'y pense, si on lui donnait un chien ?
_ Bonne idée.
_ Quel sera son nom ?
_ Wolf!
_ Un chien au lieu d'une femme ?
_ Oui, le chien l'accompagnera et quand il se sentira seul, il lui parlera. Le chien, évidamment, ne répondra rien. Mais ça sera plus amusant. Et les enfants lecteurs apprécieront. On ne sait pas encore si le livre qui n'est pas fait ni commencé visera quel public.
_ Et le public féminin. Les femmes lisent beaucoup. Et achètent beaucoup de livres.
Pour le moment, on décida que le livre commencerait par la découverte d'une femme étranglée.
Mais ce n'était pas assez, elle voulait aussi une femme vivante qui parle.
Les 2 artistes lisaient les fascicules de textes et les bandes dessinées et se les passaient pour attirer l'attention de l'un et de l'autre un détail intéressant à copier. Ou s'inspirer.
_ On commencera par la fin. Le héros trouvera la solution de l'énigme. Et mettra un terme aux agissements du méchant. Nous voulons que ce soit moral. Le Bien triomphe et le Mal est vaincu et le héros sera heureux.
Monsieur Hitler était extrêmement scrupuleux sur la morale et les bonnes moeurs. Son oeuvre en serait une illustrant le combat incessant de l'honnêteté contre le vice.
_ Il faut qu'il survive pour l'épisode suivant.
_ Et il se maria à la fin ?
_ Non.
_ Non.
_ Une fois la fin trouvée, on commence par le début. Il faut une surprise qui attire et retienne l'attention du lecteur.
_ Ou de la lectrice.
_ Si vous voulez.
_ C'est alors qu'on trouve le corps inanimée d'une malheureuse jeune femme...
_ Encore.
_ Une secrétaire...
Elle se leva pour aller bouder.
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État 1. 26 oct. 2013
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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