Monsieur Adolf Hitler, monsieur Franz Kafka et la secrétaire se regardèrent.
Si c'était le patron de cette dernière qui revenait inopinément, ils seraient en fâcheuse posture.
Surtout elle, qui était à son emploi. Comment expliquer tout en restant convainquant la présence de ces jeunes hommes dans son bureau?
D'autant plus que monsieur Hitler occupait son fauteuil qu'il trouvait particulièrement confortable - étant celui qui devait abattre le plus de boulot, il avait trouvé naturel de s'installer dans le meilleur perchoir. La secrétaire restait à sa place. Tandis que monsieur Kafka logeait sur le fauteuil des invités/clients, un livre sur les genoux, qui lui servait d'écritoire, afin de poursuivre les palpitantes aventures de monsieur Henry Dickson, chevalier de la vraie foi, issue d'une lignée de notaires et dont le sort du monde dépendait. Il était à la page 3.
Monsieur Hitler à son bureau commençait à trouver ses aises. Non seulement comme dessinateur mais aussi comme chef. Il avait soudainement et brutalement envie de diriger quelque chose. N'ayant, jusqu'à présent, jamais dirigé quoi que ce soit, y compris sa vie. Il est surprenant comment un morceau de mobilier de qualité peut influer sur la personnalité.
Mais il était trop tard pour modifier leurs positions respectives et tout autant pour trouver une explications plausibles - ce qui serait difficile même si on avait eu plus de temps. La porte s'ouvrait.
Une femme entrait.
Encore une autre.
Mais c'était tout de même mieux que le patron de la secrétaire qui les hébergeait. À juger par les photos qui décoraient l'établissement, c'était un homme costaud. Probablement colérique. le genre qui n'aime pas qu'on couche avec sa femme, s'installe dans son lit quand il n'y est pas. Ou dans son fauteuil préféré.
Mais ce n'était pas lui. C'était un autre. On vient de le dire: une femme. Un oiseau de malheur comme toutes celles de son espèce - après tout, si le premier homme a été chassé du Paradis Terrestre et du Jardin d'Éden, c'est à cause d'elle. Du premier Serpent, bien sûr. Mais son esprit inférieur et malléable et sa nature influençable a eu de terribles conséquences pour l'avenir de l'humanité.
Monsieur Hitler se souvenait d'un des sermons qu'il était obligé d'entendre ou de faire convenablement semblant, lorsqu'il était dans un foyer pour indigents tenu par une communauté religieuse se spécialisant dans les bonnes oeuvres. On insistait pour qu'il aille à la messe tous les matins, au sous-sol du foyer. Avant de déjeuner. Ensuite, on les mettait dehors. Quiconque refusait passait sous la table.
Ce genre d'installation est toujours bizarre. Il y a des dortoirs pour les pauvres. Mais aucun de ces établissements bienfaisants ne semble s'être concerté sur la façon la plus adéquate de remplir ce qu'ils voient comme leur devoir. Ce qui est particulièrement contre productif, si leur but est véritablement celui qu'ils proclament: aider les indigents.
Vous réussissez enfin à vous trouver une place et un lit - il n'y en a pas pour tout le monde et il faut faire la file. Premier arrivé, premier servi. Ensuite, au matin, on vous met dehors et il faut que vous marchiez jusqu'à l'heure du dîner qui se donne dans un autre établissement. Là, encore on fit la file. Premier arrivé, premier attablé. Quitte à geler dehors ou être mouillé un bon moment. À table, tous ces gens gelés ou mouillés, dégèlent ou sèchent et l'odeur vous coupe l'appétit ou vous la couperait si vous n'aviez pas vraiment faim.
Ceci fait, il faut encore partir. Jusqu'au souper. Qui aura lieu ailleurs, encore. Une autre filée de pauvres attendront la lumière et la chaleur bienfaisante. Chaque maison de charité se spécialisant dans une oeuvre: déjeuner, dîner, souper, dodo.
Et, encore une fois, on vous sort. Il faut que tout soit vite et qu'il ne reste personne. Probablement pour faciliter le ménage et l'absorption du sentiment du devoir accompli pour les bénévoles ou professionnels de la mandicité.
Et vous marchez ou mandiez jusqu'au couvre-feu, lorsqu'on ouvre les dortoirs. D'une autre maison. Ou vous retrouvez la file du matin ou du midi ou du souper. Il serait plus simple de faire un milieu de vie et que les pauvres n'aient pas à déambuler sans fin comme des âmes perdues dans les Limbes entre 2 refuges. Mais on se dit sans doute que c'est plus moral. Il faut qu'ils souffrent. Sans oser s'avouer qu'ils méritent leur sort. Mais, au moins, il faut qu'ils méritent leur repas. Donc les pauvre méritants auront à manger tandis que les pauvres insolents et qui pensent que tout leur est du ou que leur sort a été causé par la Providence distraite ou la société cruelle, seront refusés aux portes du Jugement dernier et toutes les autres portes, avant celle-là, où il y aura autant de jugement, bref et définitif. Trop de confort leur enlèverait définitivement toute envie de redevenir un citoyen productif, s'ils l'avaient déjà été. Après tout, les autres travaillent et produisent pour avoir le droit de manger et de se loger, en échange de sueur et d'$. Eux, se contentent d'avoir des besoins, d'être dans la misère et de marcher. Donc, marcher sans fin, ou chercher un bout de toit, s'il pleut. Un abris chauffé, l'hiver. Marcher sans cesse pour se tenir chaud avec des journaux dans les souliers. Ce qui, contrairement à ce que tout le monde pense, ne réchauffe pas du tout.
Par contre, on l'expérimentera par la suite, les Chinois, lors de leur grande (les Chinois sont orgueilleux et excessifs en tout) guerre patriotique, se recouvriront le corps de journaux, sous leurs vêtements, pensant ainsi - on a vu que c'était une croyance fausse et néfaste- se protéger du froid. Contrairement à ce qu'on pense, la Chine est un pays vaste et il n'y fait pas trop chaud partout .Mais l'effet inattendu sera que suffisamment d'épaisseur de journaux les protéger du choc d'une balle de petit calibre. Mais non d'une balle de calibre adéquat comme le 7.65. Mais ceci est, comme on dit, une autre histoire.
Considérations qui nous éloignent de notre histoire.
Une femme entra dans le bureau, en fit rapidement le tour (les femmes ne peuvent s'empêcher de tout inspecter et juger, ce qui fait qu'on les déteste tant), comme le genre d'ordre qui y régnait semblait lui plaire, elle s'adressa à monsieur Hitler qui était probablement la personne la plus importante du lieu - on a dit qu'il en avait l'allure- dédaignant tous les autres, fourmis besogneuses utiles à la bonne marche du commerce mais sans intérêt.
Monsieur Hitler poursuivant son rôle dans la supercherie, la fit asseoir sur le fauteuil libre à côté de celui de son associé, monsieur Kafka qui, lui, avait toujours autant de difficulté avec la présence féminine qui le mettait mal à l'aise, il fit donc semblant de ne pas la voir. Et de plonger profondément dans ses pensées.
Ce qui suivit fut bizarre mais on finit par comprendre que la nouvelle venue était une cliente du détective, connaissait le bureau, étant déjà venu ici, en l'absence de la secrétaire, ce qui expliquait qu'elles ne se connaissaient pas encore mutuellement. Le détective avait ses petits secrets et il y avait des affaires qui concernait sa vie professionnelle, sa vie privée et une sorte de vie secrète qu'on allait découvrir sous peu.
La cliente ne fut pas surprise de l'absence du détecte qui, selon elle, travaillait sur son affaire. Pas plus qu'elle ne fut surprise de la présence de monsieur Hitler - qu'elle ne connaissait pas - mais de la présence d'un homme au bureau. Car le détective lui avait parlé de ses associés et employés, d'autres détectives qui l'aidaient dans les affaires sérieuses. Tout ceci était bien nouveau pour la secrétaire qui faisait aussi la comptabilité de la société et qui en connaissait bien les profits. Il n'y avait pas de déficit ou de perte mais le chiffre d'affaires rendait impossible toute adjonction de personnel rémunéré. À moins, qu'encore une fois, le détective ait d'autres sources de revenus comme il avait des affaires qu'il ne tenait pas à déclarer.
Donc la cliente prenait monsieur Hitler pour un associé de l'entreprise. Un autre des mystérieux détective. Et elle lui demanda où en était son affaire. Ce dont aucune des personnes présentes n'avait la moindre idée.
Comme monsieur Hitler mentait tout naturellement avec la plus grande apparence de sincérité, qualité tout à fait indispensable pour une carrière politique si jamais l'idée lui venait par la suite d'être utile à la société.
Mais le cadre aidait. Les vêtements neufs, le bureau, les employés (ou ce qu'on croyait tel) affairés et dévots. Tandis que mentir lorsqu'on est en haillon est peu convainquant. L'habit fait malheureusement le moine comme il l'avait découvert souvent dans son autre vie.
Bref, la cliente était tout à fait prête à lui faire confiance et lui confier sa vie. Ce qui semblerait une figure de style se révélera au combien réaliste, comme on le verra plus tard. Mais pas tant que ça.
Poursuivant dans le mensonge qui lui avait si bien servi, monsieur Hitler lui dit qu'il était en effet un partenaire de l'agence qui revenait de mission. L'associé principal, le patron de l'agence n'avait pas eu le temps de l'informer de son affaire mais si elle le jugeait bon, elle pouvait le faire et il verrait s'il pouvait lui être utile. Ou ils pouvaient, tous ensemble, attendre le retour du grand patron. Ce qu'ils craignaient par dessus tout. Comme on dit, c'était un homme colérique. Comme on pouvait le deviner par les photos où on montrait un gros homme sanguin et content. Mais, on pouvait parfaitement concevoir si on regardait le regard bovin, qu'il pouvait se mettre facilement en colère si on le poussait à bout et même avant. Mais il n'était pas là. Et toute autre attitude n'aurait fait que rendre perplexe la pauvre femme qui, visiblement, avait bien des soucis. Ou des ennuis. Ou un seul. Mais de bonne taille.
Et, en effet, elle résuma l'affaire qui l'amenait. Elle avait perdu sa fille. Et le gros détective la cherchait. Et elle revenait ce jour pour qu'on lui résume l'état des recherches à ce jour.
La secrétaire qui écoutait aussi se demandait pourquoi son patron avait jugé bon de ne pas l'informer. Cette affaire, certes tragique, cachait peut-être des aspects sombres et, peut-être, sinistre.
Il y avait donc des affaires tout à fait légitimes ou plus simples qu'il tenait à gérer en sa présence. Et d'autres affaires qu'il gardait par devers soi. Trouverait-elle le dossier de cette femme dans son classeur, elle qui tenait à jour le train train du commerce. Peut-être sous un nom d'emprunt - mais pourquoi ? À moins que son patron ne tienne pas à laisser de trace écrite, gardant toutes ces informations dans sa tête.
Et qu'en était-il de ces mystérieux adjoints? Assistants invisibles dont elle avait cru que monsieur Hitler en faisait parti. Mensonge bienfaisant et si utile. Que l'on peut se partager et s'échanger. Probablement comme bien des hommes d'affaires, il avait compris que le mensonge ou, comme on dit, petter de la broue, fait parti du commerce. Il faut en mettre plein la vue. Exagérer l'état de sa santé corporative, celui de son succès, le nombre de ses employés, son affairement. Le tout rassurer la clientèle qui aime confier son sort à une entreprise efficace, chanceuse et qui a du succès. Qui sera, on l'espère, communicatif.
Comme un petit commerçant qui tire la diable par la queue, il avait tout simplement fait croire à des associés invisibles, des détectives compétents et nombreux - autre signe de son succès et qui ne coûte rien puisqu'imaginaires se transmettant d'un esprit à un autre - qui n'existaient que dans sa tête enfiévrée. L'image valant plusieurs fois la réalité peut-être pas sinistre - l'agence avait du succès et était rentable, payait son salaire d'employée unique et dévouée et le loyer mais pas davantage - mais terne et ennuyante.
Donc, c'était une femme éprouvée par le sort qui venait de perdre sa fille.
Heureusement, elle avait d'autres enfants qui pourraient la remplacer si jamais on envisageait le pire et que le sort s'acharnait sur elle comme on a vu tant et tant de cas semblables.
Et même une autre fille.
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27 oct. 2013. État 1
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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