Un moment donné la photo de la disparue circulerait dans le corridor des comateuses et une infirmière ferait le rapprochement.
Mais si la liste n'était pas interminable - un certain nombre de choses peut arriver à une petite fille - parce qu'il y avait des impossibilités physiques. Mais la liste, si on en faisait une, pouvait avoir un certain nombre de lignes. On pouvait aussi les numéroter pour plus de clarté. Ajouter à chaque situation, un pourcentage ou un rang pour 100 000 petites filles. Ou 100 000 adultes.
Car de nombreuses choses arrivaient aux petites filles.
Comme si c'était une malédiction d'être une fillette.
Quoique ce terme manquait de rationalité. Et faisant antique.
Dans le passé des tas de choses déplorables arrivaient aux petites filles. Parfois, tout à fait répréhensbiles et répugnantes.
Mais, même dans une époque moderne, technique, hygiénique, lisse, des tas de choses arrivaient aux petites filles.
Comme si quelqu'un les détestait.
Mais encore une fois, on obscurcit son esprit avec des émotions ou des sensations inutiles.
On choisit mal ses mots.
Les mots entraînent, provoquent, causent des images. Et on n'aime pas ces images.
Ou
Il y avait eu ces reportages.
Belgique. Allemagne. États-Unis.
Des fillettes ou des adolescentes enlevées et gardées prisonnières pendant une décennie.
Combien de fois une telle chose se produisait-elle ?
Et, ici?
Ici, aussi.
Un homme qui avait fait soudain un geste absurde. Probablement que ça faisait des années ou des mois, certainement longtemps, qu’il fantasmait. Calculait le plan. Faisait des projets. Mais il avait été débordé par son propre esprit. Et, en plein jour, s’était emparé d’un petit garçon. Qu’il avait mis dans le coffre de son auto. L’enfant jouait sur la pelouse d’une maison à quelques maisons de la sienne. Il l’avait sans doute surveillé longtemps. Il aurait dû attendre que l’enfant soit seul. À une autre époque, on aurait parlé de possession. Plus tard, de coup de folie. De crime passionnel. Quoique l’expression soit réservée aux domaines des relations interpersonnelles entre hommes et femmes. Ou crime rituel. Malgré que ce terme concerne l’ethnologie spécialisée dans les peuplades lointaines. Ce terme ne pouvant servir dans une nation moderne et civilisées.
Et pourtant, en creusant près du gros chêne. Près du pommier centenaire. Il en avait vu des choses. Et des preuves.
Et il avait enterré le tout.
Mais là où il restait l’Histoire petite, minuscule et grande se mélangeait.
Les premiers pionniers ignorant tout du continent où ils abordaient moururent de maladie et de famine ou de froid. Dépendant du moment de l’année où ils agonisaient. La maladie faisait des ravages sur le bateau. Et les malades survivants qu’on n’avait pas jeté par-dessus bord se consumaient ensuite sur le sol. Incapable de subvenir à leurs besoins. Un poids pour les autres. Qui les abandonnaient. Une malédiction.
Preuve que la malchance les poursuivaient et qu’ils pouvaient devenir contagieux.
Au cours du trajet, il était arrivé qu’une esclave noire enceinte n’arrive pas à mettre bas. Le travail devenant interminable et nuisant à l’harmonie de la croisière, on l’avait jetée par-dessus-bord, elle et son fœtus à moitié sorti d’entre les jambes.
Et voilà les survivants à bon port. Des serviteurs ayant emprunté et troqué le prix de leur billet contre des années de service. Des maîtres qui savaient se faire rembourser.
Et la famine.
Pas assez pour tout le monde une fois que les riches aient mis de côté les provisions nécessaires.
Les pauvres chassés du village et errant dans les bois.
Se nourrissant des petits fruits quand il y en avait.
Ensuite des feuilles, de l’herbe et des racines.
Pendant que les indiens regardaient. Pourquoi auraient-ils eu pitié d’eux ? Il savait très bien ce qu’on leur faisait dans les colonies américaines et espagnoles.
Puis mangeant les morts.
Puis allant déterrer les morts du cimetière pour les bouffer.
Et le fou kidnappait le petit garçon. Hop! Dans le coffre de l’auto.
La mère de l’enfant qui crie. Appelle à l’aide
Un autre automobiliste qui passe dans la même rue de la même banlieue. Qui voit tout. Voit la mère qui fait signe, pointant l’auto. Et il suit l’auto. L’auto qui se sait suivie, presque vivante, qui zigzague. Essaie de déjouer le jeu de piste. N’y parvient pas. Et c’est là qu’on retourne dans le jeu de la folie. L’auto suit une ligne droite. Un parking. Une porte. L’arrière de l’immeuble. Va dans la cachette prévue depuis longtemps . Le sous-sol de l’immeuble où l’homme travaille comme concierge. La police suit les 2 voitures. Et le premier poursuivant qui n’a pas peur. Il est seul. Le kidnappeur est petit. Il n’a pas l’air armé. Et il est pris à son jeu lui-aussi. Chacun son rôle. Il ouvre la même porte de fer. Suit les sons. Découvre l’escalier. Puis un autre. Puis une porte. Ensuite une autre. Il arrive juste au moment où le fou (on a utilisé des termes plus polis et médicaux au procès) est en train d’entrer de force le garçon dans un réservoir d’huile à fournaise. Un vieux réservoir dont il a coupé/sciée/brûlé à la torche à acétylène une porte sur le dessus. La cachette parfaite.
Sauf que c’est en plein jour.
Et qu’il n’a pas pu attendre.
Quelque chose s’est déréglé en lui. Un circuit défectueux. Au procès, il dira avoir eu une faille psychologique. Ce qui arrive.
Finalement, ça s’était bien passé.
Le petit garçon aura probablement peur des endroits sombres et étroits pour le reste de ses jours.
Mais il est arrivé que ça ne se passe pas si bien.
Il est arrivé que des fillettes enlevées deviennent les épouses de leurs kidnappeurs. Et qu’on ne le sache que parce que quelques-unes, presque au même moment, sur différents continents réussissent à s’échapper.
Un des kidnappeurs des environs condamnés à 1000 ans de prison venait de se pendre avec ses draps. Il s’était décrit comme un grand malade.
Ou qu’on les vende.
Le prix de la fillette blanche vierge augmente sans cesse.
Il préféra donc ne pas parler de ses théories.
Si la police n’avait rien trouvé avec ses équipements et son personnel.
Mais il y avait tant de problèmes à résoudre. Et si on ne faisait pas parti de l’élite pour qui on réserve une justice de qualité, comme il y a une médecine excellente et des restaurants où on ressentira de grandes émotions culinaires.
Il connaissait quelqu’un qui.
Mais il n’était pas sûr que cet homme voudrait aider son prochain. Après tout, il y avait suffisamment de population sur terre. Et si elle était morte, elle n’avait fait que devancer son sort. Il était bien imprudent de mettre au monde des enfants sans défense. Surtout dans ce monde. Une fois que l’on sait ce qui s’y trouve.
Il fallait utiliser l’espoir de manière mesurée.
Son amie l’avait appelée pensant avoir plus que des conseils ou du réconfort. Une aide véritable.
Il fallait un spécialiste. Il en connaissait un.
Mais pourquoi aiderait-il cette femme?
Tant de gens ont besoin d’aide. Sont incapables de s’aider eux-mêmes.
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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