Il chassait
Il chassait sans savoir qu'il était, lui aussi, une proie délectable et savoureuse depuis un moment. Premier prix pour celle qui l'attrapperait.
La sécurité.
Enfin.
Les femmes, généralement inquiètes, insécures, avaient la possibilité de ne plus se soucier de rien jusqu'à la fin de leurs jours. Ainsi que leurs enfants. Jamais aucun d'eux ne manquerait de rien.
Il y aurait bien sûr des enfants. Les enfants du futur. Elles n'en parleraient pas jusqu'à ce que la hasard, la nature.
Certaines avaient déjà un appartement payé par lui ou son entreprise. Frais généraux. Déductible. Mais il pouvait changer d'idée. Il l'avait déjà fait.
Avoir été choisie entre toutes les femmes et avoir un appartement au-dessus de ses moyens, payé par lui ou son entreprise. Une manière de réussir dans la vie.
Insuffisante.
Car tout pouvait être remis en question. Si l'heureuse élue faisait une erreur. Ne manifestait pas suffisamment d'enthousiasme lorsqu'il était en elle. Ne lui procurait pas de bonheur ni de chance.
Si elle ne lui permettait pas d'extérioriser son agressivité accumulée après une journée de guerre commerciale sans pitié. Parce qu'elle devait le laisser s'abattre sur elle comme un oiseau de proie. Elle se devait de tout supporter de lui. Et lui permettre de la prendre férocement puis se répandre en elle. De la manière et autant de fois qu'il lui plairait. Pendant qu'avec les mots et les sons uniques à ce moment, elles chanteraient ses louanges et sa puisance. Elles devaient crier et hurler. Comme une bête dévorée et vivante. Déchirée. Mise en pièces. Ensuite, elle devait longuement et lentement le calmer, le pacifier jusqu'à ce qu'il s'endorme. Paisiblement. Et, au réveil, elle devait redonner au monde des affaires, un homme nouveau et vigoureux. Un terrible guerrier. C'était sa responsabilité.
Malheur à celles qui échouaient.
Toutes savaient qu'il n'aimait pas les gens malheureux. Encore moins les femmes malheureuses. Le malheur et les souçis faisait vieillir les femmes de 20 ans.
Et les femmes vieillies portaient malheur.
Les plus subtiles savaient tout de ces cérémonies et de ses mystères.
Il fallait être choisie. Et être suffisamment habile pour ajouter au couple, le notaire et le curé.
Aucune, sauf sa malheureuse épouse n'avait réussi avant.
Sauf les ignorantes, trop jeunes pour comprendre, la plupart essayaient sans se décourager.
Et toutes échouaient.
C'était alors au tour de la suivante. Lui seul savait quel numéro sur sa liste. Qui, avec les mêmes armes de toutes les autres, devait réussir l'impossible.
Qu'une autre, avant elle, avait gagné. Signe que ce n'était pas impossible.
C'était, ce serait la sécurité.
Une promotion sociale.
Se retrouver d'un coup - en fait, après de multiples coups de bassin - projetée tout en haut de la pyramide sociale.
Réussir dans la vie.
Gagner.
Mais comme dans un jeu de Parchési, alors que les prudentes passaient lentement si lentement d'une case numérotée à une autre, il y avait les chanceuses qui avaient grimpé avec beaucoup d'enthousiasme et de vigueur l'échelle des raccourcis entre les étages (et son pénis) mais qui pouvaient tomber dans une trappe, glisser sur un serpent, et retomber dans leur situation précédente. Ou plus bas.
Situation bien incertaine.
Impossible de rester immobile dans ce jeu. De jour en jour, les 2 joueurs, elle et lui, et toutes les autres «elles», se déplaçaient sur les cases du plateau de jeu. L'effet de nouveauté dimunuait. Se déplaçant sans cesse, allant de l'une vers l'autre, le joueur pouvait faire d'autres rencontres.
Bouleverser tout le plateau du jeu en introduisant d'autres joueuses parce que cela lui plaisait. Qu'il avait le goût de voir - et plus que celà - du sang neuf.
Il pouvait tout.
Et elles ne pourraient rien sans lui. Car les femmes ne sont rien sans les hommes qui les font. Ou les défont. Jusqu'à ce qu'il n'en reste rien.
Il pouvait tout à coup moins apprécier la ferveur et les yeux adorateur avec lesquels elle dégustait d'avance son pénis en érection. L'appétit avec lequel elle l'engouffrerait dans sa bouche adorable. Toute sa dévotion. Il le lui avait dit.
Mais tout à coup, ceci changeait subitement.
Il cherchait encore du neuf et du nouveau. Un petit être innocent. Une autre voix. Des cris inattendus. Un sexe étroit.
L'espérance attentive que cette nouvelle femme, les jambes ouvertes, avait d'être enfilée par lui. Qu'il aille vaillamment, durement au plus profond d'elle.
Ces questions.
Aimait-il les femmes rasées? Le sexe luisant et nu? Ou la ligne de poils fins? Jusqu'où devait aller cette ligne ? Sa longueur et sa largeur. Révéler les premiers indices d'une fente lorsqu'elle lui ferait face. Ou rester presque pudique. Car à ce moment, on aurait dépassé les bonnes manières. Ou le triangle tond en brosse. Qui ne disait rien mais promettait. Tout en prouvant qu'il était bien élevé. Qu'on prenait soin de lui. Ou. La toison folle et frisée et drue des sauvagesses.
C'aurait pu être celle-là.
Ou cette autre, agenouillée sur le saufa, les bras et les seins sur le dossier, attendant qu'il cesse d'observer ses fesses, son anus et son vagin rutilant. Violet. Mauve.
Qu'il se décide.
Devait-elle l'encourager en mouvant ses fesses, remuant son bassin.
Et si son sexe humide coulait un peu. Trouverait-il ce phénomène inconvenant. Trop féminin. Trop ou exagérément physique.
Alors, elle attendrait.
Qu'il la saille comme un étalon. Un boeuf. Un taureau.
S'il était content, il pouvait promettre. Il lui arrivait de promettre. Et sembler faire des projets.
Et malgré toutes les prouesses de l'acrobate du cirque matrimonial dans le grand jeu du mariage.
Même si elle était particulièrement motivée.
C'était trop tard.
Une femme qu'il connaissait trop. Qui était devenue imprudente. Qui commençait à reprocher, à se souvenir, à faire des projets.
Une femme encombrante.
Il fallait choisir le moment.
Il fallait la bague.
Comme une syndicaliste, sécuriser les acquis sociaux.
Convaincre.
La société avait tout ce qu'il fallait pour emmurer définitivement le mari. Mais il fallait réussir à le persuader de renoncer à sa liberté.
S'y consacrer corps et âme.
Bien des femmes y parvenaient tant leur imagination et leur peur est fertile.
Pourtant, il était encore seul.
Il était seul.
Les chattes nécessiteuses rôdaient dans tous les couloirs des bureaux. Frôlant les murs et les cadres de portes, rampant et s'étirant lascivement sur les tuiles des planchers.
Tandis que lui, ignorant tous les rêves, les projets, les idéaux financiers qu'il avait éveillé, pensait être le mâle dominant à la chasse.
Il était seul entre toutes.
Mais il était seul.
Seul. Était le mot important.
Il pensait mener le jeu.
Il croyait choisir.
Et il choisissait.
Tout ce qu'il faisait démontrait qu'il choisissait.
Mais il était autant de fois choisi.
Il s'agissait bien sûr, de femmes neuves et d'enfants nouveaux. Plus tard. Ne jamais parler d'enfant.
Il s'agissait de femmes neuves. Il aimait le nouveau. Il lui fallait du neuf.
Et chacune avait son enfant imaginaire.
Ses rêves.
Pas des femmes vierges. Comme chez les primitifs.
Mais des femmes sans passé. Ou assez jeunes pour ne pas avoir trop vécu. Pas de divorcée. C'était trop de passé. Trop de promesses imprudentes. Trop de souvenirs. Des bagues. Des comparaisons.
Des femmes sans enfants. Autrement, c'était vraiment trop de passé. Et il n'était pas trop porté sur la charité chrétienne.
S'il y avait des enfants et les femmes peuvent difficilement vivre sans enfants, ce seraient des enfants du futur.
Des enfants qu'il ne pouvait même pas imaginer.
Mais qu'on imaginait très bien pour lui.
L'amour. Le bonheur. La sécurité. L'$.
Il pensait qu'il chassait dans l'oasis aux eaux calmes et claires mais il était pourchassé depuis un bon moment.
Il y avait eu aussi la femme qui l'attendait à son appartement pendant que son épouse l'attendait sur un autre continent.
Les femmes sont faites pour attendre.
La Bible disait qu'il n'était pas bon qu'un homme soit seul.
Mais cette femme faisait aussi parti du passé. Maintenant, quand il la voyait, il pensait aussitôt à sa femme. Au passé. S'il pensait à sa femme, il pensait à sa fille.
Tout ce passé.
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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