HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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8.10.13

359.55

Avant son arrivée, lors de son second appel, monsieur Dickson avait résumé la situation.

Et essayé ensuite de trouver les mots, d’autres mots que la fois précédente, qui pouvaient rendre intéressant les efforts qu’on attendait ou espérait de lui.

Une fois là, il leur avait dit de recommencer. Fit signe à la mère de commencer la première.

Avant leur arrivée, il avait espéré que cette affaire le sortirait peut-être de son ennui.

Il était encore en phase dépressive.

Ce qui lui arrivait régulièrement.

Il se connaissait assez pour savoir jusqu’où ça pouvait aller. Il avait ses moments de répit. Puis ses plongées dans l’abîme noir. Il savait qu’un jour, il en aurait assez et se ferait sauter la tête.

Aussi absurde que ça paraisse, il avait remarqué que si on l’insultait, si on le plaçait dans une situation embarrassante, s’il avait peur : ceci suffisait à le sortir de sa torpeur. Il allait soudainement mieux ou assez bien pour se remettre à penser au lieu de souffrir inutilement.

Il avait espéré que peut-être cette femme. Ou le retour d’un ancien… comment dire?

Complice ?

Mais il ne ressentait rien.

Sauf l’ennui de tout.

Wikidictionnaire en disait assez.

Puis, ayant écouté l’une et l’autre, il résuma à son tour la situation. Il avait refusé de lire la copie du dossier qu’elle avait amené.

On avait enlevé sa fille. Elle voulait qu’on la retrouve. La police travaillait encore sur le dossier. Rien de nouveau. Il comprenait tout ça.

Elle n’était pas la seule qui avait perdu quelqu’un. Des tas de gens essayaient de se mettre en contact avec lui même s’il essayait de rester discret. Il avait acquis une certaine réputation miraculeuse dans certains milieux.

Tout ce qu’on attendait de lui demandait des efforts. Physiques et mentaux. Et pourquoi les feraient-ils?

Il la connaissait, elle, pour l’avoir vu dans des journaux, à la TV, dans des magazines, sur internet. Il avait fait quelques recherches en attendant leur visite. Il s’était fait une autre idée de son mari. Des gens riches. Intéressants.

L’élite.

Supposons qu’il retrouve sa fille.

Supposons.

Que se passerait-il? Elle serait contente. Pas longtemps. Et l’oublierait. Il ne lui serait plus utile. Tout simplement. C’était de cette façon que les gens de son milieu se comportaient.

Elle serait reconnaissante. Payerait bien. Ou son mari paierait beaucoup. Il n’avait pas besoin d’$.

Il continua dans son idée. S’il retrouvait sa fille. Difficile de dire dans quel état. Supposons qu’elle soit vivante. Ensuite, elle grandirait. Deviendrait une femme. Aurait des enfants comme les êtres de son espèce. Comme les femelles de sa classe sociale, elle s’accouplerait avec un patron. Aurait des fils de patrons.
Avait-il envie que cette chose se produise.

7 milliards d’humains sur terre. Et quelques-uns de plus. Tous aussi inutiles.

La mère ne s’attendant pas à cet accueil s’était remise à pleurer.

_ Mais elle va mourir.

_ Tout le monde meurt. Si on est vivant, c’est une obligation. Si on meurt jeune, on ne fait que s’épargner des années de souffrance.

Monsieur Dickson comprenait très bien cette logique. Dans ce monde, il vaut mieux ne pas naître. Mais on ne vous demande jamais votre avis. Certains diront qu'il y aurait des problèmes logiques. On pourrait croire qu'il n'y a que les gens heureux qui ont envie de se propager. Au contraire, les gens malheureux ont tout autant ce désir intense. Ou la nature les piège aussi facilement que tous les autres. Il faut des lièvres aux renards. Même les gens qui vivent dans la merde, se reproduisent dans la merde et font des enfants. Esclaves. Fils et filles d'esclaves. Et, un jour, ce jeu cesse. Mais la partie continue avec d'autres. Ce qui n'a pas la moindre importance. Mais il avait jugé prudent de ne jamais aborder ce sujet avec une femme. Même avec la petite blonde. Essayant au début d'éviter les trop grands épanchements.

Heureusement, il existe des condoms de toutes les textures. Et le village avait sa pharmacie bien fournie. Il fut rassuré de la voir prendre religieusement ses pilules anticonceptionnelles. Et, davantage encore, lorsqu'elle lui avoua qu'elle avait un stérilet en s'informant si cela faisait mal. Et sans qu'il ait à expliquer ses raisons, elle lui expliqua les siennes.

Elle aussi, ne voulait pas se multiplier pour d'autres bonnes raisons. On avait coutûme de brûler les gens de son espèce. Parfois, on leur ocupait la tête. Ou leur enfonçait un pieu dans le coeur. Ou pendait leurs corps dans une cage au haut d'un arbre jusqu'à ce qu'il se décompose et que les os se détachent les uns après les autres. Ce qui rassurait les bonnes gens.

Et sa mêre avait été assassinée. Et sa grand mêre avait fini crucifiée sur la grande porte de l'église. Ce qui démotive.

Et comme elle devait mourir à 20 ans. Et qu'elle avait 20 ans.

Il était hors de question de laisser une fillettes dans ce monde. Même si les cousines qui l'avaient recueillies ne demandaient pas mieux que d'être maternelle autant de fois que possible.

_ Mais c’est injuste.

L'amie de monsieur Dickson ressentait de fortes émotions. Était indignée.

_ Vous avez vécu une vie agréable. Jusqu’à ce moment. Elle a vécu une vie idéale jusqu’à ce moment. Rien ne vous garantissait ce genre de vie. Rien ne disait que ça llait durer indéfiniment. Comptez-vous chanceuse!

_ Chanceuse !

Cette fois, elle était firieuse.

= Chanceuse!

Comme si elle n'était pas là, il continuait à parler doucement dans sa direction ou celle de son fauteuil.

_ Sauf la chance et un bon mariage. Rien ne garantissait que cette vie allait durer toujours. Et, effectivement, ça c’est arrêté un jour. Je n’y suis pour rien. Prenez-vous en à votre dieu si vous en avez un. Ou au maniaque… si c’est le cas.

Il n’avait plus rien à dire. Leur fit signe de partir. Ils l’ennuyaient maintenant.

Il avait malheureusement cru que leur présence allait peut-être le sortir malgré lui de sa léthargie, ce n’était pas le cas.

- C’est tout !?

- Vous n’allez rien faire ? Parce que vous n’avez envie de rien faire ?

Elle essaya de l'insulter.

_ Pare que vous ne pouvez rien faire. Parce que vous êtes impuissant!

Elle tourna son regard vers monsieur Dickson pour qu’il fasse quelque chose. Quoi? Comme un idiot du KKK qu’il se mette à menacer.

- Et ma fille? Elle peut mourir ?

- Tout le monde meurt.

Monsieur Dickson qui ne disait rien parce que c’était inutile connaissait bien le proverbe : lorsque vous naissez, vous devez une mort. Et, tôt ou tard, on viendra vous la réclamer. Jamais personne, aucun débiteur, n’avait pu résister à un tel créancier. En quoi il se trompait. Mais c’est une autre histoire. Ou un autre chapitre. Mais pas celui-là.

L’entretien était terminé. L’homme n’avait plus rien à dire. Comme un oracle qui a terminé sa prédiction un peu trop claire et évidente pour des êtres sensibles. Ce pourquoi dans d’autres époques, on préférait l’ambiguïté à haute dose.

- Je vous en prie...

Elle était prête à le supplier. Et elle suppliait avec conviction. Et elle semblait prête à supplier longtemps.

Elle passait avec habileté d'un sentiment à l'autre. Stanley Kubrick disait que les comédiens étaient des instruments destinés à produire des émotions. Comme les instruments de musique font des sons. Les femmes sont ainsi. Beaucoup sont comédiennes naturelles, difficile de dire si elles sont sincères ou non. Orgasme, larmes, colère, tout est très ressemblant et peut au besoin être imité et reproduit à volonté avec perfection. Au bout de 3 mariages, certains préfèrent les chats.

Elle n’allait pas se mettre à chialer sur le tapis de la porte d’entrée!

Il n’était pas de force pour mettre monsieur Dickson dehors s’il ne voulait pas partir.

_ D’accord.

Elle cessa de supplier. Croyant qu’elle avait réussi à le faire changer d’idée. Ses larmes étaient sincères. Mais en même temps une forme éprouvée, perfectionnées sur des millénaires de chantage psychologique.

_ Vous voulez jouer avec moi?

Qu'est-ce qu'il voulait. Monsieur Dickson observait son nouveau visage amusé.

_ Pas à la roulette Russe. Elle ne voudra pas.

On apprenait donc que monsieur Dickson avait déjà joué à la roulette Russe avec lui. Et l’un et l’autre avaient gagné successivement.

_ Vous avez été chanceuse toute votre vie. Contrairement à des millions de gens ici. Et des milliards sur cette terre.

_ Bous l'avez déjà dit!

_ Pas assez! Vous ne le savez pas encore! Je ne vous le répéterai jamais assez.

_ Je ne veux plus que vous disiez que je suis chanceuse...

Elle était vraiment fâché. Ou c'était très bien imité.

Le serez-vous encore?

Elle n’était pas d’accord mais n’allait pas se mettre à discutailler ici maintenant. Elle avait eu sa part de malheur. Sa fille avait été malade, avait été opéré, avait failli mourir. Tout le monde a sa part de malheur.

Elle le regarda comme un insecte ou un pauvre et le méprisa.

Mais elle avait trop besoin de lui pour extérioriser avec satisfaction ce sentiment déplacé à ce moment. Ici, dans ce lieu, dans son domaine.

_ Jouez-vous au dé ?

On n’allait pas jouer au dé le sort de sa fille ?

Oui. On allait jouer au dé la survie de son enfant. Cet homme que lui avait présenté monsieur Dickson était un monstre.

_ Je veux savoir si la chance vous a quittée. Vous ne savez pas à quel point ce genre d’aventure que vous me proposer est aléatoire et dangereuse. Vous vous en allez maintenant. Ou vous jouez maintenant. Si vous avez de la chance, je pourrais penser qu’elle me sera profitable.

Il lui tendit 1 dé.

_ Comment je saurais si je gagne?

_ Vous n'avez jamais joué ?

Il était désolé pour elle.

Quelle question étrange. Comment saurait-elle ? Elle n'aurait qu'à regarder.

Le petit cube de pierre blanche avec des points noirs bien rond lui brûlait la main.

_ J’accepte le 1 et le 6. Vous avez 2 chances sur 8.

Elle lança rageusement le petit cube qui tomba sur le parquet roula fit du bruit pour rien. Elle avait perdu.

Monsieur Dickson lui jeta un regard sombre. S’il avait été jusque là, il pouvait aller plus loin.

L'homme le remarqua et pour s'éviter des problèmes - il ne savait quels liens tenaient ensemble ces 2 personnes - il fit un geste magnanime. Laissa le dé par terre. Sortit une pièce de monnaie de sa poche.

_ On essaie encore. Cette fois, une pièce de 2 $. La reine.

Elle perdit.

Elle resta là figée entre 2 actions. Se précipiter sur ce petit homme et le frapper tant qu’elle pouvait ou s’enfuir.

Monsieur Dickson décida pour tous les 2 et la fit sortir de force. Il ne dit pas bonjour en partant. L’homme ne lui dit pas non plus au revoir en les voyant fermer la porte.

Il jeta une nouvelle fois la pièce.

Elle aurait perdu encore. Elle n’avait vraiment pas de chance. Ou si elle en avait eu, c’était terminé.

Ce sont des choses qui arrivent.