Monsieur Dickson l’avait écoutée raconter plusieurs fois.
Parce qu'elle avait besoin de parler.
Parce qu'elle avait besoin d'être écoutée.
Ce que son mari qui n'était jamais là ne pouvait faire. Et n'avait aucune envie de faire. comme bien des maris qui étaient là, avec d'autres femmes, ailleurs. Ce pour quoi, les femmes ont toutes un lot d'amies écouteuses. Qui conseillent. Se taisent. Pensent en commun. Son chaudes. Acceuillantes. Rassurantes. Dans ce monde si froit. Aux contours si durs pour les chairs fragiles et tendres et les petits bras.
Il l'avait donc écouté. Espérant.
Espérant toujours.
Comme elle espérait en contant.
Lui, attendait qu'elle ait une idée. Elle seule connaissait si bien son petit monde. Il était un étranger dans cette famille.
Peut-être qu'au fil du récit - de ses versions - car ce n'était jamais les mêmes mots.
Mais il n’avait eu aucune idée de plus. Ce qui la déçut visiblement. Il vit cette expression sur son visage. Ne la trouva pas très inspirante.
Elle s’attendait à quoi : qu’il agite devant elle ses petites cellules grises. Joue du violon en pensant. Euréka. Joie, Joie, Joie, pleurs de joie.
À la table du café, elle attendait qu’il lise et termine le dossier en quelques secondes. Lui donne son opinion. Et la clé de l’énigme.
Mais il y avait des pages et des pages. Certaines transcrites ou traduites en traitement de texte. Malheureusement pas les plus nombreses. D’autres, écrites à la main au stylo. La majorité. Parfois, difficilement déchiffrables. Et il fallait les lire, les traduire en phrases utiles.
Il s’était toujours demandé ce qui empêchait d’engager une secrétaire pour faire ce travail. Ou d’apprendre la dactylo aux apprentis nouveaux flics. Vu qu’ils auraient à faire des rapports toute leur carrière. Ce qui prenait à certains plus de temps de bureau que de temps de terrain.
Temps gagné qui aurait pu être utilisé pour l’enquête et les patrouilles. Et combien de temps perdu à déchiffrer les pataraffes d’un collègue introuvable (changé de quartier, en vacance, malade, retraité ou mort) pour se déchiffrer lui-même.
Mais ce genre de détails ne parvenait pas à entrer dans les petites et minuscules cellules grises de l’administration. Pas de poste budgétaire.
Une arme nouvelle. Aussi bonne que l’ancienne. Yééé ! Il y a du budget.
Mais une secrétaire? Ou s’abaisser à faire la femme en apprenant qwerty ? Ensuite, comme le mari modèle, on vous demandera de pisser assis.
Il la déçu encore.
Comme pour faire exprès, à chaque fois qu’il la voyait, il la décevait et baissait graduellement – façon thermomètre au froid – dans son estime.
Il y avait toujours quelque chose qu’il disait ou ne disait pas (mais quoi ?). Il y avait quelque chose qu’il aurait dû dire, il le sentait, mais quoi ?
Et, bien sûr, il y avait tout ce qu’il ne faisait pas parce qu’il était incapable de le faire.
Comme marcher sur les eaux. Changer l'eau en vin. Multiplier les pains et les poissons.
Comme avoir une illumination soudaine à la Blaise Pascal ou Saint Jean de la Croix.
Expérience mystique.
Droit devant elle.
Une sorte d'érection spitituelle. Une éjaculation mystique. Ce pourquoi certains pélerins vont à Compostelle ou escaladent l'Éverest.
Mais sans rapport à la divinité. Simplement sociale.
Une main qui écrirait sur le mur du café une carte de la ville avec l’endroit où était retenue prisonnière – si c’était le cas – la petite fille.
Ou le fossé où le ravisseur l’avait jeté.
Ou le terril où elle serait tombée.
Mais il n’y avait pas de mine dans les environs. Aucune importance.
Et la main divine pointerait vers cet endroit. En tapotant le mur. C’est là! Là! Vous voyez que c’est là!
Ben non. Il n’y avait qu’à la petite blonde que ce genre de chose bizarre pouvait arriver. Pas exactement ça mais quelque chose du genre. Difficile à expliquer. Trop compIiqué.
Ou il regarderait ces écritures. Manuscrites ou typographiques. Ces mots. Ces noms. Ces dates et ces heures. Et comme le mathématicien verrait des rapports inattendus se faire entre des éléments disparates. Il en tracerait un nouveau théorème.
Lui ne pourrait pas. Ne pourrait jamais.
Mais une idée nouvelle lui vint à l’esprit. Pas suffisante pour résoudre l’énigme. Mais quelque chose de plus et de mieux.
Il pensa à quelqu’un qu’il avait oublié. Pour de bonnes raisons. Quelqu’un qui lui revenait à l’esprit pour d’aussi bonnes raisons. Mais différentes. Quelqu’un. Qui. Peut-être. Pourrait.
En lisant, il avait oublié la présence de son ex-amie qui l’observait toujours. En pensant, il avait été distrait de sa lecture. Et oublié davantage la présence de cette femme. Qui avait très bien remarqué qu’il s’était mis à rêver. Été distrait.
Insuffisamment consciencieux.
Décidément, il ne faisait que la décevoir ce jour-là.
Il revint de sa rêverie. Essaya de se replonger dans sa lecture et n’y parvint pas.
Ces yeux qui le scrutaient étaient vraiment envahissants et encombrants. Il avait déjà trouvé stupide que son mari voyage si souvent et délaissait une si belle femme.
Il pensait comprendre maintenant pourquoi il voyageait tant et trouvait toujours si peu de temps pour revenir à la maison.
Il y avait aussi la musique dans le commerce.
Il détestait qu’on essaie de couvrir le son des conversations avec de la radio – encore des animateurs enthousiastes pour dénoncer les assistés sociaux comme ils auraient dénoncé les juifs à une autre époque dans un autre pays. Ou de la musique à la mode de la semaine. Jamais celle qu’il aimait. Difficile de se concentrer.
Et il y avait surtout elle toujours elle qui l’épiait. Encore plus encombrante qu’un voyageur qui s’entêterait à lire par-dessus votre épaule votre journal dans le métro.
Elle continuait à espérer. Mais son espérance était encombrante.
Il ne servait à rien de rester plus longtemps ici. La musique détestable. Le café froid. La compagnie glaciale.
Il lui dit qu’il devait partir pour lire tout ça à son aise.
Elle aurait aimé qu’il reste pour lui tenir compagnie. On dit que dans les épreuves, on découvre à quel point on est seul et le peu d’amis qui nous reste. Compréhensible. Un moment donné, ils ne savent plus quoi dire. Comment encourager. Comment ne pas donner trop d’espoir irréaliste.
Et comment s'y prendre pour ne pas désespérer.
Davantage.
L’angoisse devient contagieuse. C’est comme une cancéreuse qui vous parle de sa chimiothérapie. Sauf les très bons amis, les autres finissent par avoir peur que vous soyez contagieuse.
Elle resta donc seule à la petite table pour 2 avec son café froid.
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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