Ils décidèrent de fouiller la maison pour trouver des indices ou des indications permettant de savoir ce que le détective faisait ici. Il n'y avait rien dans la pièce où ils étaient, sauf le corps, la chaise sur laquelle il était attaché.
En quittant la pièce sombre - il n'y avait pas d'électricité ni de gaz et, même si on était en plein jour, tout était sombre dès qu'on s'éloignait d'une des fenêtres aux verres sales - la secrétaire heurta un objet et se plaignit. Les femmes sont généralement exagérément sensibles et bruyantes.
Quelque chose de lourd ou de moyennement lourd, d'un peu bruyant avait glissé sur le plancher après avoir été heurté par son pied. Quelque chose de métallique à juger par le son. Un indice ou une preuve de quelque chose ? On chercha.
Ce fut monsieur Kafka qui trouva le premier et désigna ensuite l'objet du doigt. C'était un pistolet.
La secrétaire s'approcha sans oser le toucher. Elle connaissait l'arme que portait son patron. ne savait s'il s'en était déjà servi. Mais elle l'avait vu souvent nettoyer et huiler cette arme sur son bureau. Elle ne connaissait pas les armes, ne s'était jamais intéressée à ce genre de chose mais pouvait tout de même dire que l'arme au sol était d'un modèle différent. Et qu'elle avait mal aux orteils.
Qu'est-ce que cette arme faisait là?
Son patron avait-il une seconde arme ? Car il n'avait rien sur lui. On ne l'avait pas fouillé parce qu'il était mort et puait mais monsieur Hitler l'avait tâté dédaigneusement puisqu'il le fallait avec son crayon - un artiste ne sort jamais sans son carnet de croquis et un crayon et, depuis qu'il avait un peu d'$, il avait adopté cette habitude ancestrale de la corporation.
Non. Il n'y avait rien dans les poches et les doublures du veston. Que de la chair molle et enflé sous le tissus.
Un revolver est suffisant. Pourquoi en amener 2 ? Et c'est encombrant. Il avait encore autour de sa poitrine le baudrier de cuir et l'étui - vide - qui avait contenu son arme. Il y avait aussi, cousu à l'attelage, un petit sac de cuir, lui-aussi, contenant quelques cartouches. Pas de place pour une seconde arme. Et une devait lui suffire, comme on vient de dire.
Donc cette arme avait été apporté par quelqu'un d'autre ? Probablement.
Dans quel but ? Aucune idée. Mais tous conclurent par des regards ou des plissements de lèvres que ce n'était probablement pas dans un but culturel, philosophique, humaniste ou amical.
Une arme coûte cher. Difficile à se procurer si on n'a pas les bons papiers. Donc la personne qui l'avait perdue devait la chercher. Il était probable qu'il fasse le tour de tous les endroits où il se souvenait être passé comme font tous les gens qui ont perdu ou égaré quelque chose. Ne la trouvant nulle part ailleurs, cette personne reviendrait ici. À moins qu'il ait oublié y être allé, ce qui était improbable mais tout de même possible.
Combien de temps durerait ses recherches ?
Dans combien de temps reviendrait-il ici?
La mort du cadavre de son patron remontait à quelque jours. Peut-être une semaine, s'il était mort juste après sa dernière rencontre avec sa cliente? Il était entré dans cette maison et le piège s'était refermé sur lui.
Donc, depuis une semaine (?), un de ses assaillants cherchaient vainement son instrument de travail. Il ne voulait probablement pas revenir ici, c'était compromettant, avec sa victime encore présente, et sa sale besogne étant faite, il n'avait pas à retourner sur les lieux de son crime, mais il n'avait sans doute pas le choix. À moins qu'il n'ait une autre arme et que la perte de celle-ci lui soit indifférente ? Ou qu'il ait oublié jusqu'au souvenir de sa présence ici, peut-être un mauvais souvenir ? Mais moins que celui du patron de la secrétaire si jamais les cadavres décédés de mort violente peuvent avoir des souvenirs ? Donc, dans ce cas, il ne reviendrait pas, préférant occuper son temps à se procurer une arme. Espérant qu'elle soit plus neuve que celle qui était à terre qui datait un peu. Même pour des non connaisseurs comme eux-tous, ce mécanisme mortel avait un air antique et défectueux qui l'aurait fait envoyer dans un musée. Le fait d'être tombé par terre n'avait certainement pas amélioré ses organes internes.
Peut-être était-il déjà en route?
La plupart préférait donc partir le plus rapidement possible de ce lieu devenu dangereux depuis leur macabre découverte. Mais monsieur Hitler qui était le plus convainquant des 3 affirmait qu'il fallait au contraire fouiller la demeure en espérant trouver quelque chose car leur piste s'arrêtait ici. Ou aller ensuite ?
Les 2 autres s'effrayèrent de penser qu'il avait envie de continuer l'enquête. La cliente de son patron lui avait confié le mandat de découvrir sa fille disparue. Ils avaient découvert celui qui enquêtait sur cette disparition. Celui qui était le plus à même et le seul à pouvoir trouver quelque chose. Des décennies d'expérience ne se remplacent pas en une seconde par de la bonne volonté ou de l'enthousiasme. Et aucun d'entre eux n'éprouvait cet excès émotionnel qui aurait détoné en ces lieux, près du cadavre supplicié. C'était donc la curiosité qui poussait en avant monsieur Hitler tandis que la saine prudence et le raisonnable désir de vivre aurait plutôt fait s'enfuir les 2 autres. Mais comme monsieur Hitler était déjà parti en avant dans l'escalier menant aux étages supérieur, n'ayant pas demandé leur permission pour entreprendre cette démarche audacieuse, ne leur ayant pas davantage demandé de le suivre et encore moins plaidé pour son idée peut-être stupide afin de les convaincre; il faisait plutôt comme s'ils n'étaient pas là ou comme s'il était normal qu'on le suive. Agissant en chef.
Et, eux qui n'avait pas cette âme d'élite comme en ont les chefs naturels, suivaient, comme font tous ceux qui suivront toute leur vie.
Il était déjà en haut, avait déjà ouvert la première porte qu'ils en étaient encore à monter marche par marche en essayant de faire le moins de bruit possible comme s'il y avait quelqu'un dans la maison. Mais cette maison humide et sans chauffage ni lumière était vide. Mais comme aurait dit monsieur Kafka si on lui avait demandé son avis: on ne sait jamais.
Monsieur Hitler entré vaillamment dans la pièce du haut les appela. Il avait découvert quelque chose.
Ils regardèrent derrière eux, comme s'ils craignaient que le son de sa voix - il n'avait pas chuchoté alors qu'il aurait dû - attire des locataires ou les réveille. Aucun son. Sauf la voix de monsieur Hitler qui les appelait encore. Ils étaient seuls.
Ils montèrent rapidement les dernières marches de l'escalier. Car s'ils étaient seuls, pour le moment, il se pouvait fort bien que l'homme de main qui avait perdu son arme soit sur le point d'arriver. Il fallait donc voir ce qu'avait découvert monsieur Hitler mais le plus rapidement possible. Et sacrer son camp.
Monsieur Hitler leur avait ouvert la porte et leur montrait de l'autre main sa découverte.
Une chaise.
Ils le regardèrent perplexes. Une autre chaise.
À côté de cette chaise, il y avait une paire de jumelle. Tombée à terre ? Et un peu plus loin, un carnet de note et un crayon. Monsieur Kafka prit le carnet et déplaça du doigt le reste des feuilles déchirées qui tenaient encore à la colle de la reliure. Celui qui était ici avait écrit quelque chose. Ceux qui étaient venu à sa suite - et l'avaient surpris ? - avaient vu le carnet et enlevé les pages écrites. Qu'y avait-il sur ces pages ?
Que faisait cet homme sur sa chaise ?
Tout probablement, il s'agissait du gros détecte. Mort, en bas. Et ce qu'il faisait était son travail de détective. La chaise était tourné vers la fenêtre donnant sur la rue. Et sur un autre immeuble en face. Il se tenait loin de la fenêtre, dans la pénombre afin que personne de la rue ou des immeubles en face ne le remarque. Et il observait. Attendait. Prenait des notes. Comme font les amateurs d'oiseaux qui recensent les espèces et leurs horaires.
Il y avait des restes de repas. Plusieurs jours de provision entamée. Une semaine ? Ce qui coïnciderait avec la date de sa dernière rencontre avec sa dernière cliente. Et confirmerait son affirmation. Date pour date. Il lui avait dit qu'il poursuivait ses recherches. Qu'il était sur une piste. Il lui avait ensuite donné rendez-vous dans une semaine, la semaine suivante, pour un compte rendu de l'état de ses recherches. Selon elle, à ce moment, il avait l'air optimisite. Non songeur. Et, encore moins inquiet. Donc il ne se méfiait nullement ce qui fut une erreur fatale ayant entraîné sa perte. Erreur qu'ils n'avaient aucune envie de répéter. Quoique l'insistance avec laquelle monsieur Hitler les avait commandé (?) (était-ce le mot qui convenait ?) les mettait en danger. Toute minute de trop passé dans cette maison qui était devenue un piège les mettait probablement eux-aussi en danger. Et si le gros détective avec toute son expérience et toute sa force - sa secrétaire le disait particulièrement costaud - ne lui avait servi à rien, ce ne serait pas l'inexpérience de 2 jeunes hommes et la présence tout à fait inutile d'une femme qui les préserverait de quoique ce soit. Comme ils regrettaient de l'avoir écouté. De s'être écouté eux-même. D'avoir écouté cette femme éplorée au chagrin si communicatif. Leur bonne volonté les ayant ensuite poussé à se mettre avec enthousiasme la tête sur le billot. Déjà une tête était tombée (pas vraiment mais tout comme), quelle serait la suivante?
Et, tout de suite après (?), il était venu ici et avait commencé à observer l'immeuble d'en face.
Qu'y avait-il de si intéressant dans ce vieil immeuble décrépit comme tous les autres. Peut-être mieux que celui dans lequel ils étaient actuellement. Abandonné. Qui craquait de partout. Et était peut-être sur le point de s'effondrer avec eux dans son ventre? L'image du gros monstre immobilier déplut à monsieur Kafka lui rappelant Pantagruel ou Jonas dans la baleine.
Ils s'installèrent de chaque côté de la fenêtre pour observer. Cela ne prit pas longtemps pour remarquer qu'il y avait tout un remue-ménage en face. L'immeuble paraissait abandonné et sans lumière mais depuis qu'il s'était adonné à une curiosité coupable, ils ne cessaient de voir des gens entrer et sortir. Plus précisément des individus louches. Et ils amenaient des choses. Petites et grandes. Et ils repartaient les mains vides.
Si on voulait décrire brièvement l'immeuble, on aurait pu parler du repaire d'une bande de criminels. Ce qui leur fit penser que le jour baissait et qu'ils étaient dans un quartier à la mauvaise réputation bien méritée et qu'il valait mieux ne pas s'y trouver encore à la nuit tombée. Quant aux taxis, il ne fallait pas y compter. Le chauffeur de taxi qui les avait amené ici les avait bien averti. Il connaissait cet endroit. Avait essayé de les décourager de descendre de son véhicule et était même prêt à les reconduire d'où ils étaient partis, au bureau du détecte - contre rémunération - celle qu'il venait de recevoir ne comptait que pour l'allée et non le retour - . Il leur avait donné un dernier conseil gratuit avant de repartir: ne restez pas ici. Surtout pas la nuit. Et regardant la secrétaire: surtout si vous êtes une femmes. Ce fut elle qu'il regarda en dernier: si j'étais vous, je...
Comme il fallait penser rapidement, ils arrivèrent mutuellement au même raisonnement.
Le détective suivait une piste. Il s'était installé pour espionner. Il était là depuis un moment et pensait y rester aussi longtemps que nécessaire. Il avait pris ses aises. En homme qui avait fait son service militaire et habitué à se contenter de peu. Il y avait des restes de repas partout. Mais plus de souris encore. Des bouteilles de bière. Un lit de camp dans le coin de la pièce. Un petit réchaud pour le café.
Mais aussi prudent qu'on peut l'être, on ne l'est jamais assez. Les gens d'en face étaient méfiants - ce qui fait parti de leur métier, de leur occupation, sans qu'on sache vraiment ce que ça peut être. Ils évitaient autant que possible d'être suivi. Il y avait probablement des gardes qui surveillaient leur cachette. Et l'un d'eux avait découvert au bout d'un certain temps qu'on les espionnait. De la maison d'en face. Aussi prudent qu'était le détective, il avait fait une erreur. On ne saura jamais laquelle ?
Il avait amené des provisions. Il était gourmand. Il en avait peut-être manqué. Il buvait. Il était peut-être sorti pour se réapprovisionner. En étant aussi prudent qu'il était possible. Ce qui n'avait pas été suffisant.
Une fois de retour dans la maison, on l'attendait.
Ou, il venait de se réinstaller avec ses jumelles et un lunch sur ses genoux et avait entendu du bruit. On pénétrait dans la maison. Montait les marches. On était plusieurs. C'étaient des pas d'hommes.
Il avait essayé de s'enfuir.
Il n'y avait qu'un chemin pour s'enfuir de la maison. L'escalier.
Il n'avait pas pensé comme tout bon espion de se ménager une autre issue. Si la situation devenait désespérée. Elle le devint.
Inutile de prévoir autant. Il ferait attention. Peut-être avait-il déjà vécu des situations semblables où il avait fait attention. Cela avait suffi. Et il s'en était sorti sans trop de casse. Quoique la secrétaire leur ait dit qu'il marchait avec difficulté suite à quelques incidents physiques dont il ne voulait pas discuter.
On peut supposer qu'il avait couru dans l'escalier. Difficilement avec ses jambes amochées. Il s'était jeté dans la gueule du loup. Tombant directement dans les pattes de ses ennemis qui gravissaient l'escalier au même moment qu'il le descendait.
Ils étaient plus nombreux que lui ?
Probablement !
Ils étaient armés ? Sans doute. Lui aussi. Mais il n'avait pas eu le temps de se servir de son arme. Ou si c'était le cas, il n'en restait aucune trace. Pas de sang. Peut-être qu'il y en avait et qu'un des agresseurs avait été blessé, sérieusement ? Mais ils n'avaient pas pensé à chercher davantage. Ou même pas cherché du tout. Car ce n'est qu'en ce moment que cette idée leur venait dans la tête. Ils n'avaient pas eu le temps d'y penser avant. Si un ennemi avait été blessé ou tué, il n'en restait rien. Sauf l'idée de la chose. Mais ils étaient encore assez nombreux pour le surpasser en nombre. Et ils se jetèrent sur lui. Le bousculèrent. L'assommèrent ? On ne sait pas. Le firent prisonnier. Certainement.
Ensuite, on l'attacha sur une chaise pour l'interroger.
On voulait savoir ce qu'il faisait ici. Ce qu'il avait découvert. Depuis combien de temps, il était là ? Qui lui avait ordonné de faire cette chose stupide ?
Il répondit ou ne répondit rien.
Peu importe.
On le battit jusqu'à ce qu'il parle. Et si on ne réussit pas, on l'abattit ensuite pour qu'il ne parle plus.
À ce moment, on savait tout ce qu'on pouvait savoir.
Combien de secrets restaient-ils encore à découvrir?
La clé se trouvait dans la maison d'en face.
Maison pleine de crapules en bonne santé.
Leur enquête maladroite s'arrêtait donc ici. Il ne leur restait plus qu'à revoir la pauvre mère éplorée pour lui apprendre qu'il leur avait été impossible de sauver sa fille. La police n'y ayant pas réussi non plus. Il ne lui restait plus qu'à en faire son deuil. Image qui prenait alors tout son sens. Mais il fallait dire ceci dans les formes convenables qui convenaient à la circonstance.
Que pouvait-il découvrir de plus?
*
État 1. 29 oct. 2013
