Il fallait toujours regarder en avant.
Heureusement
Il y avait le présent.
Et, après le présent, le futur.
Et dans ses veines, il sentait une vie nouvelle. Enfin. Il ressentait l'énergie passer, aller et avancer. Enfin.
Il se sentait puissant. À nouveau. Enfin.
Il avait été trop entouré de malheur et de malchance. Le sort de tant de gens. Trop de faiblesse.
On pourra dire
On aurait pu dire
Qu'il avait subi le sort commun. Qui n'avait jamais été le sien. Qu'il avait tout ce qu'il fallait pour être plus sage. Compatir. Penser.
Qu'il allait les comprendre tous ces gens d'en bas.
Minuscules.
Sans signification.
Minuscules instruments à l'usage des grands.
Incapables de s'élever au-dessus de leur condition. Tous ceux qui rampaient et devaient continuer à ramper pour avancer péniblement. Mollusque. Escargot. Limaces. Larves.
Incapables de s'élever.
Tout ce malheur l'avait retenu au sol. Le ralentissait.
Il avait failli s'immobiliser.
Le sort qui l'avait fait riche, l'avait aussi séparé des gens malheureux.
Comme on coupe au sécateur les branches inutiles et trop nombreuses.
Immunisé contre eux.
Le soleil pour lui.
L'ombre pour tous.
Le sort, dans sa version maligne et malade, l'avait frôlé. Avait engouffré les siens. Ce qu'après tout, il préférait.
C'était terrible ce qui était arrivé.
C'était terrible ce qu'il pensait.
C'était terrible ce qu'il était en train de penser.
Il était un homme civilisé. Il y a des choses qu'on ne pense pas. Qui ne doivent pas être dites. Qu'on doit se cacher à soi-même. Si on peut!
Il était temps que ce passé malheureux finisse avec les gens malheureux.
Il valait mieux qu'il ne meure pas avec tous les autres.
Il fallait être clair.
Tout simplement, il valait mieux, il était préférable que ce soit eux plutôt que lui.
Parce qu'il valait mieux et plus qu'eux.
Parce qu'il y en avait tant, semblables à eux - produits manufacturés par la nature qui se copiait elle-même sans imagination - indéfiniment - se contentant de faire du nombre, des nombreux et des multitudes alors qu'il était unique. Seul de son espèce. Au sommet.
Il était assis dans le noir, devant le mur de verre qui le séparait de la ville colorée tout en bas.
Et laissait son cerveau se saouler dans sa propre chimie. Ces liquides variés circulant dans son sang produisant des émotions.
Il avait eu peur. Il avait eu du chagrin. Il avait été maître du monde. Ou de la ville. Avait cessé de l'être. L'était redevenu.
On ne peut devenir maître du monde et, ensuite, rester maître du monde qu'en pensant comme un maître du monde.
Et à cause des petites gens qui l'entouraient, il avait failli être engouffré dans leur univers minuscule d'étroitesse et d'impossibilité.
Ceci n'arriverait plus.
Désormais.
Non qu'il soit si méchant mais comme il disait enfin, se l'avouant enfin clairement à lui-même: vaut mieux eux que nous!
N'y avait-il pas eu suffisamment de victimes ?
Baal Moloch devait être content et repus.
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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