Monsieur Adolf Hitler et monsieur Franz Kafka s'étaient donné rendez-vous à la brasserie où ils s'étaient rencontrés la semaine précédente.
Tous 2 vivants dans un appartement minuscule (chambre de bonnes ou de couturières) et y menant une vie de célibataires débutants, leur logis laissaient à désirer. N'ayant pas de mère, de tante, de soeur, de compagne, d'épouse, de cousine, de nièce ou de filleule pour faire leur ménage. Ces petits êtres attachants mais si complexes. Et qui peuvent vous rendre fous dès qu'ils (elles) entrent dans votre vie.
Ils devaient donc voir à leur propre entretien et à celui de leur environnement immédiat ce qui les ennuyait fort, ce qui expliquait que le résultat final laissait à désirer. Il était donc tout à fait impossible d'y admettre quiconque. Qui y aurait été, comme on vient d'essayer de le faire comprendre, fort à l'étroit. Ou qui aurait pu faire des leçons de morale et d'hygiène, le genre de chose que se permettent les membres de la famille sous prétexte que l'on pourrait partager une mère ou un père.
Et comme ils n'étaient pas les seuls, on avait inventé les bars, tavernes, brasseries, restaurants, clubs pour satisfaire cette clientèle, leur permettant ainsi de rencontrer des amis, collègues de travail, compagnon d'étude, partenaire d'affaires ou associés, complices et autres criminels d'habitude dans un cadre agréable. On pouvait manger, boire, rester assis, lire les journaux, être au chaud, selon ce qu'ils étaient prêt à débourser pour leur environnement. Il y en avait donc pour tous les revenus. Du plus chic au plus simple coupe gorge.
Quand monsieur Hitler se présenta pour revoir son nouvel ami, le patron qui était toujours à son comptoir, le reconnut et lui transmit un petit papier plié en clignant d'un oeil.
_ Votre ami vous a fait transmettre ceci.
Monsieur Hitler qui ne connaissait rien à la vie ayant été trop couvé par sa mère découvrit que l'endroit où il faisait si bon vivre avait des activités nocturnes coupables. Dans le jour, c'était un établissement tout ce qu'il y a des respectable, où les travailleurs venaient déjeuner avant de se rendre à leur atelier. Plus tard, venaient les rentiers et les artistes et écrivains et autres chômeurs pour lire interminablement leurs journaux devant la même tasse de café. On servait le souper à ceux qui revenaient du travail. Mais le soir était réservé à une autre clientèle. De moeurs douteuses. Et le patron, naïvement, croyait que lui et son nouvel ami était une sorte de couple.
Il avait déjà de la difficulté à envisager de s'accoupler avec une femme. L'idée de le faire avec un homme lui plaisait encore moins.
Et tout ceci ne le concernait pas.
En ce qui concerne la partie féminine de l'échange physique de matériel physiologique, il devrait bien un jour s'y résoudre s'il voulait se marier et faire des enfants ce qui ferait tant plaisir à sa mère. Quoique l'idée ne lui plaise pas du tout, à lui.
Tout le monde s'attendait à ce qu'il fasse comme tout le monde. Et tout le monde ne cessait de s'accoupler. Souvent inconsidérément. Même les gens les plus mal mariés, les plus parfaits exemples des choses à ne pas faire, faisaient sans cesse des blagues de mauvais goût au sujet des plaisirs intenses qu'il y avait à faire ce genre de chose. Quoique tout leur air soit une publicité - et il commençait à s'y connaître dans le domaine de la réclame - de la catastrophe personnelle qu'était leur vie privée. Ce n'était pas pour rien qu'ils buvaient tant. Et qu'il y avait tant d'établissements réservés à cet usage. Mais c'est ce que voulait la Nature pour qui tout ce qui vit dans ce monde est esclave.
Ensuite, il pensa qu'il n'y avait aucune importance que cette sorte d'individus se méprennent sur ses intentions. Il était pour le moment inoffensif. Utile. Il avait vu tant de gens inutiles et nuisibles qu'il commençait à limiter ses expectatives. Il conservait en toute chose ou commençait à apprendre à le faire, l'attitude prudente de quelqu'un qui s'abstient de prendre parti. Philosophe en toute chose. La vie étant trop complexe pour se décider trop vite.
Et qui demande à ce que vous vous décidiez pour quoi que ce soit ?
Ils étaient bien accueilli ici. On y mangeait bien. Et, plus important encore, pour un prix raisonnable. Il avait essayé de se faire lui-même à manger, ce qu'il avait vu faire autrefois par sa mère et sa soeur, et avait failli faire brûler le peu de bien qu'il avait. En plus de gaspiller de la bonne nourriture désormais immangeable.
Sur le papier dans l'enveloppe qu'il attendit d'ouvrir à sa table, il y avait un bref message de monsieur Kafka qui lui disait de ne pas l'attendre car il était de nouveau malade.
Il avait brièvement parlé de cette maladie du sang ou du cerveau des artistes. Ou des Juifs. Cette langueur. Qu'un médecin neurologue autrichien, fondateur de la psychanalyse, le docteur Freud, appelait dépression. Maladie professionnelle des gens qui travaillent avec leur esprit. Les artistes. Écrivains. Les femmes. Et qui en conduit beaucoup au suicide.
Monsieur Kafka était incapable de quitter le lit et donnerait signe de vie quand il aurait de nouveau un peu de vie. L'idée de recouvrer la santé pour un être de son espèce étant une vue de l'esprit.
La semaine suivante quand monsieur Kafka alla mieux, Ou à peu près mieux. C'était monsieur Hitler qui broyait du noir ou du gris. Et toutes les nuances des terres du cimetière. Sentant le pire arriver, il avait laissé lui-aussi une note au propriétaire de l'endroit louche où ils se rencontraient.
Cet échange de note fatal, confirma dans l'esprit de ce dégénéré que lui et son ami était définitivement amants.
Monsieur Hitler était souvent et régulièrement sujet à ce genre de bouleversement intérieur. Et n'en avait jamais parlé avant. Du moins avant de rencontrer quelqu'un qui vivait les mêmes drames.
Comme chacun comprenait ce que vivait l'autre, on préféra ne pas en parler. Ils n'étaient pas des femmes pour s'épancher ainsi inconsidérément sur leur drame intérieur.
On se donnerait des signes quand il serait temps de revenir dans le monde des vivants. Il se pouvait que lors d'une crise plus forte que les précédentes l'un des deux en finisse définitivement avec la vie, mais ce serait son affaire. Ce n'était pas eux de se mêler des problèmes personnels des autres.
De toute façon, tout le monde meurt. Tôt ou tard.
La semaine suivante, ils allaient mieux.
Mais ce serait probablement pire, le moins prochain.
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État 1. 25 oct. 2013.
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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