Monsieur Dickson repartit donc à son hôtel avec le dossier.
Elle lui fit promettre de le lire.
Comme si c’était nécessaire.
Plusieurs fois.
Comme une institutrice pousse un élève d’une classe allégée pas très motivé. Comme si ses efforts futiles allaient y changer quelque chose. Comme si plus d’efforts inutiles de la part du professeur, plus d'efforts encore étaient nécessaire. L’agitation de la prof se transmettant dans les airs comme les humeurs des médecins de Molière. Et la souris naîtrait de la ouate dans un bocal fermée. Et la cruche serait remplie.
Il n’est pas impossible que ça arrive. Mais l’exception confirme la règle qui veut dans la majorité des cas, ceci n’arrivera pas. Ce qui en fera une règle. Les quelques exceptions sont là pour permettre de conjuguer à tous les temps le verbe espérer.
Il fut surpris qu’elle le connaisse si mal. Et se demanda comment elle le voyait. Mais préféra ne pas penser plus longtemps.
Il venait déjà de découvrir qu’elle était stupide.
Vivant dans un cocon prophylactique depuis si longtemps, elle n’avait jamais eu vraiment à comprendre les gens.
Ce n’était pas vital. Ni nécessaire.
L’usage de son cerveau s’était limité graduellement parce qu’elle n’en avait pas besoin pour sa survie.
Sa tête était devenue un objet décoratif qu’elle peignait, lavait, shampouinait, revitalisait et teignait régulièrement, servant d’aquarium à sa mémoire. Elle la déposait à la fin de la journée sur son oreriller de duvet et la retrouvait intacte le lendemain sur le même oreiller. La vie était bien faite.
Ou c’était la peine d’une mère qui influait sur ses neurones.
Explication plus humaniste.
Monsieur Dickson avait finalement lu le dossier.
Et relu.
Et n’avait pu faire mieux que tous les flics impliqués.
Il était intelligent. Malheureusement pas assez.
Probablement que dans tous ces mots, il y avait quelque chose qu’il fallait voir d’un œil différent.
Une information qu’une puissante mémoire, qu’un esprit supérieur synthétiserait pour bondir vers un fait inattendu.
Malheureusement, malgré toutes ses qualités, monsieur Dickson n’était pas l’homme qu’il fallait.
Pour lui, dans ce cas, la réalité était opaque. Les faits trop nombreux ou insuffisants.
C’était le cas de tous les autres qui étaient passés sur ce dossier avant lui.
Le nombre n’avait pas suffi. Ni l’expérience. Ni la méthode.
Manque de théorie.
D’hypothèse.
Il manquait trop de choses.
Les policiers continuaient à défricher le terrain. Le découragement ne faisant pas parti d’un esprit administratif ou scientifique. Ou de l’organe olfactif d’un chien de chasse.
On recommençait à parler de chance.
Ce qui était mauvais signe.
Il fallait un autre esprit.
Un esprit supérieur.
Quelqu’un qui comme dieu verrait de haut.
Et, il avait un de ces dieux parmi ses connaissances.
Ami aurait été un terme exagéré.
Les dieux ne vivant qu’entre eux. Et ne s’abaissant pas à avoir des amis parmi les espèces inférieures tout juste tolérées.
Il avait remis le dossier à son amie en secouant la tête.
Dans un autre café. Il n'avait pas aimé celui qu'on avait concocté dans l'autre.
Il la décevait encore.
Il vit qu'elle était presque gênée de le revoir, de se retrouver en sa présence. D'êre vue en public avec lui.
Elle ne pouvait s’empêcher de le montrer malgré elle. Elle était tellement habituée à avoir ce qu’elle voulait, qu’on l’obéisse, la serve, qu’elle.
Il commençait à noter le nombre de fois où il la décevait.
Et n’aimait pas qu’elle pense ce genre de chose de lui.
Après tout, il ne lui devait rien.
C’était sa fille.
La fille de cette femme.
Elle avait été agréable avec lui dans les bons moments.
Et n’avait jamais eu l’occasion, jusqu’à présent, de découvrir comment elle se comportait dans les moins bons.
Ou dans la vie de tous les jours.
Il n'avait eu que de bons moments avec elle. Sinon, il y aurait eu longtemps qu'il.
Mais la quitter dans cette situation. Même avec les meilleures raisons.
Il commençait à faire du sentiment.
Lui qui était si indifférent.
Les gens que l'on rencontre ne sont que des vivants provisoires, des mourants. Le moment où ils seraient effectivement morts étant plus ou moins proche. Il ne servait donc à rien de trop s'attacher. Il ne sert à rien d'être ami avec des papillons. Ou des reflets.
Et lorsqu'on commence à connaître réellement quelqu'un, on découvre généralement, à quel point il est défectueux. Ce qu'on ne remarquait pas, n'avait pas remarqué avant parce qu'on n'avait pas fait attention. N'avait pas commencé à s'attacher. Était indifférent.
Les gens étaient des ombres provisoires, fragiles, éphémères entre lesquelles ont se faufilait sur un trottoir, un escalier, un corridor.
Toute cette histoire ne le concernait pas.
Et cette histoire allait mal finir.
C'est ce que ne cessait de dire - avec des mots prudents - el dossier de police.
Il était vraiment trop tard pour que ça finisse bien.
Mais il y avait la chance. L'espoir.
Chez les humains, tout est si salissant.
La situation aurait pu être simple: une amie en détresse qui demande votre aide. En souvenir des bons moments passés - et il n'y avait jamais eu de mauvais - on l'aidera. Elle espérera. On espérera avec elle. Elle écoutera vos conseils. On fera ce qu'on pourra. Et si tout finit mal, on la consolera. On aura fait ce qu'on aura ce qu'on aura pu. Et elle comprendra que vous avez fait ce que vous avez pu.
Situation triste. Mais idéalement triste.
Bien sûr, la réalité humaine était toujours plus grinçante.
Une amie en détresse qui supplie. Vous allez à son secours. Mais le bon ne gagne pas toujours. Ni les méritants. Et elle s'attendait à des résulats. Elle vous reproche votre lenteur. Elle vous en voudra pour votre échec. À ses yeux, vous serez à la fin presque au même rang que l'agresseur. Si agresseur il y a.
Voilà la situation.
Réelle. Désagréable. Quoique vous fassiez.
Mais elle l’avait appelée à l’aide.
C'était presque le moment le plus agréable ou le plus satisfaisant de leur rencontre.
Malgré tout le tragique de la situation. Tragique qui ne concernait qu'elle.
Parce que c'était sa fille.
Qu'il n'avait jamais vu cet enfant, sauf en photo.
C'était donc une sorte de jeu. Et il avait perdu.
Ensuite.
Il repensait au dernier appel. Ou l'avant dernier.
En souvenir des bons jours, il était venu la voir. Et ne la reverrait plus ensuite.
La situation était revenue là où elle était il y a quelques jours.
Elle avait espéré que son ancien ami fasse quelque chose. Il n’avait rien fait. Rien pu faire.
Il fallait donc.
Il faudrait attendre que la police.
Elle le regardait maintenant comme un étranger.
Inutile.
Monsieur Dickson se sentit soudainement
Il détesta ce sentiment.
Et il détesta qu’elle provoque en lui ce sentiment.
Il se sentit comme ce pauvre type dans un wagon de métro qui tendait la main aux passagers avant qu’on le foute dehors à la station suivante. On faisait semblant de ne pas le voir. Regardaient ses souliers et les siens.
Et l’homme pauvre finit par leur crier de le regarder, qu’il était un homme ou l’avait été. Qu’il était comme eux.
Il était invisible comme des morts qui essaient de se manifester aux vivants mais ne peuvent que déplacer des fourchettes.
Il en avait assez d'être mort.
Elle avait été bien gentille d’être gentille et aimable avec lui dans le passé. C’était le passé. Elle n’avait plus besoin de lui.
Il ne lui servait plus à rien.
Il se dit une dernière fois qu’elle souffrait et ne savait plus ce qu’elle disait.
Lui dit aussi qu’il connaissait quelqu’un.
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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