Il y avait la photo de cette femme.
La madame.
Probablement la parente inconnue (pas de nom) d'un parent qui avait habité la maison. Une photo d'elle, seule. Et une photo d'elle avec ce qui était probablement SA famille. Photo de circonstance. Pose habituelle. Intemporelle.
Généralement, c'est l'homme qui est à l'avant plan, tout fier de présenter son épouse et sa progéniture. Et, peut-être, son chien. Dans ses bras.
Généralement, c'est l'homme qui est à l'avant plan, tout fier de présenter son épouse et sa progéniture. Et, peut-être, son chien. Dans ses bras.
Il y avait aussi un homme sur la photo, trop vieux pour être l'un des fils. Et s'il était un employé, il n'aurait évidamment pas figuré sur la photo de famille. S'il était le père de la madame, aurait-il été relégué en arrière-plan derrière les enfants? Mais s'il était le mari, sa position était encore plus inhabituelle. Au niveau des enfants. Derrière.
La madame en avant de l'image présentant sa production. Comme si on était au marché. Voyez mes beaux légumes. Ils sont beaux mes légumes!
Mais il n'y avait pas de chien ni de chat.
Une histoire en image.
2 images.
Bien sûr, on peut inventer d'autres variantes mais, pour le moment, c'était la seule qui lui venait à l'esprit. Car il l'avait rencontré souvent.
Pas elle.
Toutes les personnes sur la photo, y compris les enfants, étaient probablement morts depuis longtemps.
Mais quelque chose qui y ressemblait.
Comme le script d'une comédie musicale ou un sketch de Gilles Latulippe.
C'était presque un conte traditionnel. Conte destiné à donner des leçons et des morales à ceux qui les écoutent et savent lire entre les lignes. Voilà quelle sera votre vie et quels seront les gens que vous risquez de rencontrez. Prenez un fusil.
Lui, avait très bien compris le conte et ses multiples variantes: ne laisse jamais une femme s'installer chez-toi. Qu'elle entre et sorte comme tu entres et sort de son corps, très bien. Une situation pouvant très bien s'accorder avec l'autre. Mais jamais, jamais, à demeure. Quoique tu fasses, même si tu es prévénu, elle finira par te bouffer les couilles et s'en faire un collier comme les anciens guerrier Somaliens. Des petites boules séchées et ridées d'anciennes choses vivantes. Mais les guerriers faisaient ça lorsque leurs victimes étaient en vie. C'était plus amusant. Avec les hurlements. Avant de leur crever les yeux. Et de les laisser cuire au soleil. En leur coupant les paupières. Pour brûler les yeux. Ou mangé par les fourmis.
Elles aussi feront ça lorsque leurs victimes seront vivantes ce qui est très cruel mais sans les attacher et avec leur consentement. Lentement. Inexorablement. Vicieusement mais avec une profonde conscience morale. En y prenant le temps. Des années s'il le faut. Tout en parlant d'autres chose. Hop! Un coup de couteau. Une couille.
Bling. Dans la chaudière à couilles.
Elles ont le don de transformer tout le monde en esclave. Ce n'est pas qu'elles sont méchantes même si elles le sont souvent, ce n'est pas que l'homme est idiot même s'il l'est souvent, c'est comme ça. Succube et sirène et Méduse et Circé d'Ulysse. Un homme prévenu en vaut... combien?
La madame était heureuse.
Elle finissait d'épousseter sa maison. Les cadres contenant les photos de ses enfants et de. De. Son mari. Elle n'aimait pas y penser.
Elle aimait épousseter dans toutes les pièces, mêmes les armoires, les portes d'armoire et dans les armoires, les étagères. Sur l'étagère et sous l'étagère. Que pas une petite place, un minuscule endroit, un rien d'espace ne soit pas à elle. Qu'il n'existe pas un endroit où elle ne soit allé. Elle y plantait sa guenille ou son plumeau comme d'autres découvreurs plantaient des croix sur des terres nouvelles évangélisant les indigènes ou les tuant ou faisant l'un et l'autre.
C'était sa maison.
C'était ses enfants.
Et il y avait.
Lui.
Son mari.
Elle n'était pas jolie. Comme la plupart des femmes, elle avait grossie et s'était enlaidie dès qu'elle avait eu ses enfants. Sa fonction reproductive et maternelle avait remplacée sa fonction illustrative. Et elle y avait perdu sa jeunesse et sa beauté.
Ou elle y aurait perdu sa beauté.
Quoiqu'elle n'en ai jamais eu. Elle avait simplement perdu sa jeunesse et s'était enlaidie davantage.
La Nature ayant pourvu les femmes de différentes images. Jeune. Jolie. Très jolie. Extrêmement jolie. Admirablement jolie. Qui font faire des poèmes à tout poètes, conteurs, chanteurs, illustrateurs à des milles à la ronde. Et bander tous les autres hommes.
Jeune. Jolie. Fertile. Tel était le code.
Comme la nature a créé le merveilleux papillon. Qui pond et pond. Ses oeufs se transformant en hideuses chenilles qui se transformeront en papillons aux ailes de vitraux.
Cycle éternel
Mais.
Mais.
Elle n'avait jamais été jolie.
S'il lui avait fallu compter sur sa beauté comme font la plupart des jolies filles qui ont ce don, elle ne serait jamais allé bien loin. La fille de trop. Celle qui doit attendre que l'aînée se marie. Fille de ferme, servante, soeur auxilliaire secondaire ménagère portière qui ne va même pas aux offices avec les soeurs régulières de premier choix qui ont le droit d'approcher du Seigneur tandis que les autres attendent discrètement dans le fond. Faisant de petites prières silencieuses et discrètes. En haut. Loin. Le rôle des filles de trop. Que les parents ne peuvent caser.
Mais les jolies filles sont si contentes d'être ce qu'elles sont. Qu'elles gaspillent leurs meilleures années pensant qu'elles dureront toujours., Inconscientes du piège que leur a réservé la Nature. Leur beauté ne sert qu'à attirer le mâle. Ceci fait, elle n'en ont plus besoin et voient dans le miroir qu'elles ont tant aimé s'écouler sur leurs chairs flasques ce qui n'était qu'une apparence. Il leur reste ce que les moralistes polis et bien élevé appellent beauté intérieure. Comme ils sont polis et bien élevés, ils n'ajoutent pas que ceci, encore, est un don. Et qu'on peut être aussi moche en dedans qu'en dehors. Le dehors n'était qu'une illustration morale du dedans. La grimace sur la bouche naturellement tordue. Le rire de démente ou de possédées.
Un gros insecte mou, encombrant et hideux, une larve malade terne et grise. Et poilue.
Les artistes se spécialisaient dans un genre particulier: le mémento mori. Ou vanité. Destiné à rappeler aux humains que leur passage sur terre sera bref et que tout n'y est qu'apparence et tentation. Et qu'il n'y aura que l'inévitable déception. Et qu'aucun ne s'en sortira vivant. Même si ces tableaux ne se font plus et ne se retrouvent que dans les musées ou chez les antiquaires, rien n'a changé.
Sur ces tableaux, on retrouvait ce qui faisait tant plaisir: coupe de vin, livres, fleurs, cartes de jeu, instrument de musique, miroir et souvent une montre ou un sablier pour rappeler le temps qui est passé et passe encore, le peu qui reste, et toujours un crâne. Servant d'appui-livre.
Sur ces tableaux, on retrouvait ce qui faisait tant plaisir: coupe de vin, livres, fleurs, cartes de jeu, instrument de musique, miroir et souvent une montre ou un sablier pour rappeler le temps qui est passé et passe encore, le peu qui reste, et toujours un crâne. Servant d'appui-livre.
Les femmes sont les mémento mori des humains. Si jolies jeunes et si rapidement déformées, courbées, tordues et ridées et bouffies. Signe que la mort approche.
Anciennement, il leur restait la prière.
Il y avait aussi des momento mori d'une autre forme fait par des sculpteurs. D'un côté, une jolie jeune femme qu'on imagine frivole, bien peignée et habillée. Amoureusement polie dans tous ses détails. Et lorsqu'on retournait la statue, comme si le corps était coupé en moitié, le squelette indifférencié, médical et chirurgical de ce qui avait été cette femme. Voilà ce que vous réserve l'avenir. Repentez-vous!
Maintenant, la science a remplacé la prédication du carême, du mercredi des cendres et de la Toussaint. Crèmes lissantes et protectrices. Injections, implants, décollements et recollements de la peau. Pour faire illusion. Mais le temps file.
Et déjà il ne reste plus de temps.
Le jeu est terminé. Vous avez joué. Vous ne saviez pas qu'il s'agissait d'un jeu et n'avez pas joué. Le jeu est tout de même terminé. Il faut faire de la place à d'autres. Il n'y a pas assez d'espace pour que vous restiez.
Sous terre comme tous les autres. Ou en vapeur d'eau et de graisse par la cheminée.
Ce n'est pas injuste, il n'y a pas assez d'air et de sol pour que tout le monde reste.
Désolé.
Vous laissez tout derrière vous: souvenirs, $, maisons, photos de vos biens. Votre vie.
Votre corps.
Il restera peut-être des photos de vous si personne ne les jette. Car même sous la forme de petites images de papier, il y aura des gens qui trouveront que ça encombre. Et tous ces gens on ne les connaît pas. Pourquoi? Il n'y a aucune raison.
Un jour, ils subiront le même sort. Mais il est trop tôt.
Quoi?
Trop tôt?
Mais personne ne nous a dit que nous allions mourir. Personne ne nous a dit que nous disposions de 18 250 jours. Ou de 29 200.
80 battements de coeur par minute.
4 milliards.
20 respirations par minute.
Et un jour vous cessez de respirer.
Pour quelques-uns, c'est un soulagement. Pour la majorité, une tragédie.
Pourquoi moi?
Parce que.
Pour les jolies filles le miroir est un ami. Pendant des années, elles ont appris à l'aimer, à lui parler. Et leur miroir les aime. Tous les jours, il est plongé dans leur ravissement commun. Comme les photographes et cameramen disent que leur Nikon ou leur Arriflex ou que l'écran aime telle actrice alors qu'ils sont indifférents à telle autre qui à l'écran aura l'air d'une grosse pute. Conne en plus. Mystère de l'art et de la technologie. Et comme bien des cinéastes qui sont arrivés là par on ne sait quel mystère n'ont aucun sens visuel, on se retrouve avec des films ou des reportage de mode qui. Heureusement, bien des spectateurs et des lectrices de revues de madame n'ont aucun sens visuel. Bénédiction des incompétents.
Pour les filles pas jolies, le miroir est un accusateur, comme le procureur de la Couronne dans un procès. Il présente les preuves. Voilà à quoi tu ressembles. Et si tu penses te plaindre dis-toi que demain sera pire. Et après-demain. Et il n'y aura pas un jour, ou disons, charitablement, une année ou.
Malédiction des moches qui comme toutes les autres femmes doivent faire leur chemin dans la vie.
Mais le pire, c'est que, contrairement aux hommes, elles ne peuvent le faire seule. Il leur faut au moins être 2. Elles ne se sentent entière qu'à 2.
Heureusement, les monastères et les bordels étaient accueillants.
Quoi faire quand on a ce visage?
Et pendant qu'elles se désolent, elles voient les jolies filles, comme les papillons, qui volettent ici et là. Attirant tous les mâles quelque soit leur âge comme des voyageurs perdus assoiffés dans le désert.
Les filles qui ne sont pas jolies bénéficient tout de même provisoirement de l'attrait de la jeunesse. On dit qu'elles ont un genre. Un petit quelque chose. Un style. Comme les jolies, elles ont une peau parfaite. Bien sûr, il y a les cas désespérés, proche de l'infirmité esthétique et qu'il faudrait confier à des cloîtres ou convertir à l'Islam qui a définitivement réglé ce problème. Aucune femme n'est visible à un homme étranger. Surprise! Sauf après son mariage. Surprise! Après il est trop tard. Comme ce serait une tragédie qui pourrait conduire certains hommes au sang vif au carnage, on leur accorde en dédommagement, la permission de tenter leur chance de nouveau. Ce qui fait le bonheur de bien des filles handicapées qui seraient restées seules et privées d'enfants. Et de bien des pères délivrés de ce fardeau. Encore mieux, s'il en récolte une dot. Qui dans certains pays vont de la famille du futur époux vers celle de la future épouse. Qui y repense à 2 fois avant de retourner les chèvres et les chamaux avec sa femme. Tandis que dans d'autres, c'est la famille de la fille qui doit payer pour s'en débarrasser. Ce qui conduit à l'élimination des filles si coûteuses et si encombrantes.
Et les jolies filles se pavanent attirant untel ou l'autre, jouant au jeu de la vie qui selon elle durera toujours.
Pendant que les filles moches qui peuvent penser pensent.
C'est ainsi qu'elle avait mis dans sa mire le plus vieux des fils du plus riche fermier des environs. Il n'était pas beau donc n'attirait pas les jolies filles toute admiratives devant les jolis garçons pauvres. Ou riches. Indifférentes et étourdies comme elles étaient.
Il n'était pas beau. Pire. Il bégayait et avait l'air idiot et l'était peut-être vraiment? Ce qui faisait que les gens pour lui rendre service continuait sa phrase qu'il ânonnait péniblement, la terminant bien avant lui. Comme on fait l'aumône aux nécessiteux.
Il n'était pas beau. Pire. Il bégayait et avait l'air idiot et l'était peut-être vraiment? Ce qui faisait que les gens pour lui rendre service continuait sa phrase qu'il ânonnait péniblement, la terminant bien avant lui. Comme on fait l'aumône aux nécessiteux.
Il était une gêne pour son père qui se demandait ce qu'il allait en faire. Heureusement, il avait des qualités: c'était comme on disait dans le temps un gros travaillant. Il n'avait pas peur de l'ouvrage. Toute sa vie, tout son jour, du lever du soleil au coucher était pour le travail. Ce qui adonnait bien car dans une ferme il n'y a que ça. 365 jours par an. 366 avec l'année bissextile. Dès le lever du soleil, les coqs chantent et les vaches exigent d'être traites. Et les champs demandent. Et le matin frais permet de travailler la terre avant le dur soleil de midi. Et en juillet, les journées sont interminables, tant le soleil se lève tôt et se couche tard. Tant mieux. Encore plus de travail à faire et qui sera fait. Car rien ne le décourageait ni ne l'arrêtait.
Il aurait fait un bon mari et un bon père si une fille avait voulu de lui. Mais toutes le prenaient pour un idiot. Ce qui n'est pas pour décourager une fille. Mais il était laid. Elles avaient peur de la contagion.
Son père était ainsi. Et son grand père. Laids. Et dur au travail. Comme on n'a rien sans rien, sa terre avait prospéré. Leur bétail s'était multiplié, leurs enfants aussi. Ils avaient acheté au cours des ans et des générations, toutes les fermes et les bois et les forêts et les cours d'eau jouxtant leur propriété.
Et chaque matin, en se levant, il regardait de sa fenêtre. Regardant les paysages à perte de vue, se disant que tout ceci était à lui. De la fenêtre à la colline au loin. Qu'il l'avait bien mérité et que personne ne le lui prendrait. Comme ce pauvre ivrogne et joueur qui avait perdu sa maison et sa ferme qu'il venait de racheter et qui partirait pour la ville chercher un travail de bête de somme parce qu'il n'avait pas su compter. Lui et tous ceux qui dépendait de lui, femme et enfant et bébé. La misère attirant la misère.
Les jolies filles jouant à qui serait la plus belle et les jolis garçons tournant sans cesse autour comme des essaims d'abeilles ne demandant qu'à butiner leurs fleurs. C'était le printemps et le début de l'été.
Elle, par contre, pensait sans cesse.
Toute sa jeunesse, dans sa maison, il n'y avait eu qu'un sujet de conversation: l'$. Le maudit $. Celui qu'on a, celui qui manque, celui qu'il faudrait, celui qu'on soustrait et qu'on additionne rarement. Celui qui est encore plus rarement en surplus car sitôt qu'un tel bonheur arrive, voilà qu'arrive aussitôt la dépense. Un appareil de la ferme à réparer. Une vache malade. Sa mère enceinte. Pour ce qui est d'être fertile, la terre, les vaches, les truies, les poules et les femmes de la famille l'étaient. Comme si elles ne pouvaient se retenir. Ce qui était tout bénéfice pour le bétail était presque catastrophique pour la famille. Même si la mère continuerait à travailler jusqu'aux premières douleurs, elle ne travaillerait pas aussi bien. Il y a des tâches qu'elle ne ferait plus. Justement à cause de son poids, de sa taille, de sa condition. Ce qui obligerait à employer un engagé. Des frais de plus. De l'$ en moins. Une soustraction de plus. Pourtant avec une ferme de ce genre, tout ce travail devrait rapporter plus. Il y avait des exemples de fermes qui donnaient moins, de sols plus réticents et pourtant le fermier, la fermière et les petits fermiers et petites fermières se promenaient endimanchés toute la semaine. Et comme à Pâques ou Noël le dimanche. On n'y comprenait rien. Qu'est-ce qui allait si mal dans cette façon de compter?
Ce qui la porta, au contraire des jolies filles qui n'écoutaient pas à l'école, confiante que leur prince viendra et les délivrera à jamais de toutes ces choses à savoir. Elle, écoutait, apprenait, durement, car son cerveau était lent. Surtout l'arithmétique. Le calcul. Les additions. Les maudites soustractions. Les si utiles multiplications. Les terribles divisions.
Après tous ces efforts, elle finit par avoir la meilleure note de l'école du rang. Pas dans les autres matières qui ne l'intéressaient pas. Sauf le français, car elle tenait à comprendre les mystérieux caractères écrits qui peuvent présenter tant de pièges. Gouffre ou racines tordues qui remplissaient de crainte son père lorsqu'il y avait un papier à signer.
Elle avait peu de temps pour apprendre. L'école de rang finissait en cinquième année. On considérait que c'était bien suffisant pour un bon départ dans la vie. Les jeunes garçons travailleraient à la ferme. Et les filles aussi. En attendant de se marier. Et d'être enceinte. Et de donner du lait comme la vache.
Une fille n'a pas besoin d'en savoir plus. Il y avait des filles, racontait-on, qui avaient voulu en savoir plus, poussées par on ne sait quel orgueil ou quelque terrible tentation, et qui étaient devenues folles. Sa propre mère qui n'était pas devenue folle la prévenait souvent lorsqu'elle la surprenait avec un livre: lire rend fou. Aussi, selon les conseils sages de sa mère, elle lisait méticuleusement et suffisamment, les livres d'école et la Bible. Ne voulant pas devenir folle comme les filles du voisin.
On ne savait pas si c'était par abus de lecture ou si c'était de naissance. Mais elles étaient la terrible malédiction de toutes les filles qui voulaient sortir de leur condition. Comme Icare s'étant trop approché du soleil avait vu ses ailes brûlées ce qui l'avait fait tomber à la mer. Bien sûr, on ne savait rien de Minos, Dédale ou d'Icare mais on connaissant d'instinct ce principe des pauvres: celui qui cherche à s'élever, à fuir son état, sera puni. Surtout les filles.
Et la Nature avait tant de manière de punir les filles. Les terribles mois. Les crampes et le sang. Terrible avertissement que l'enfance était désormais et à jamais terminé et que toute tentation de la chair - comme disait le curé- pouvait avoir d'abominable conséquence pour la jeune fille qui avait à jamais perdu son innocence.
Régulièrement, on pouvait observer ces terribles conséquences, en les voyant partir pour la ville. Repentantes et soumises. Sous le poids de la malédiction du péché. Elles avaient fauté. Tenté un homme qui n'avait pu se retenir tant son sang étant vif.
Mais pour la majorité, c'était pour leur future vie de bonne ou le travail de la manufacture.
Mais pour les autres, c'était pour cacher leur péché.
Sa mère l'avait prévenu en terme vague mais ferme qu'une fille sage ne se laisse approcher d'un homme qu'après le mariage. Approcher était suffisamment vague mais assez précis pour la prémunir contre tout.
Après, ce cochon fera bien ce qu'il voudra, c'était le lot des femmes. Que les hommes fassent ce qu'ils voulaient et que les femmes soient dociles, acceptent, endurent, se soumettent.
Les hommes sont des cochons. Ils l'ont toujours été et le seront toujours. Ils font ce qu'ils veulent. Les femmes n'y peuvent rien. Puisqu'elles ne sont rien sans un homme.
Mais en échange de sa candeur, elle aura une maison, un foyer, un mari, des enfants, des vaches en abondance.
Alors que si elle avait l'imprudence de se donner à lui avant, quelque soient les promesses de ces menteurs invétérés, il l'abandonnerait à son malheur. Bien fait pour elle. Et la mépriserait. Tant pis pour elle. Comme tous les gens du village. On aurait pu plaindre ou défendre une fille naïve et ignorante trompée et déçue, abusée. Mais non. Elle s'était laissée approcher par un homme, avait désobéi à son curé, son père, sa mère. L'avait probablement attiré, il n'avait pu se retenir. Elle serait chassée du village et ne pourrait plus jamais y remettre les pieds.
Comme les boeufs, les hommes imploraient qu'on les soulage. Les taureaux ou les matous, on pouvait les entendre à des milles. Les hommes étaient un peu plus silencieux. Grâce aux sages conseils du curé. Ils priaient quand ils étaient soumis à la tentation des filles inconscientes.
Ils faisaient peine à voir avec leurs yeux fous de chien battus. Dans ces moments, ils étaient prêts à tout promettre mais, malheureusement, sans jamais avoir de notaire et d'encre et de papier pour signer.
Il y a des filles que les mots enflamment. Hallucinées et perdues si elles les écoutaient. Elles seraient chassées du village.
Mais elle, elle ne serait jamais chassée.
*Mais elle, elle ne serait jamais chassée.
8. 11 août 2012. État 3