HISTOIRES DE FANTÔMES

__________________________________________________________________________________________________

HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

___________________________________________________________________________________________________

12.5.12

79. UN TÉLÉPHONE EST-IL SUFFISANT POUR LA FEMME MODERNE ?

Henry Dickson

Regarda arriver la camionnette de Télus, la compagnie de téléphone. Suite à l'orage, la ligne téléphonique souffrait de problèmes intermittents ou d'une maladie chronique peut-être inguérissable mais non en phase terminale.

Le vieux téléphone noir accroché depuis toujours (on aurait dit qu'il avait été installé il y a des centaines d'années au moment de la construction probable de la maison. Évaluation probable de plus ou moins 100 ans) fonctionnait bien et il n'avait jamais rien eu à lui reprocher jusqu'à ce qu'il cesse de fonctionner aussi bien. Il fonctionnait encore mais moins bien.

Monsieur Dickson était un homme d'habitude et n'aimait ni le changement ni le progrès. Si quelque chose fonctionne pourquoi le réparer ou le changer.

Il aimait que les choses fonctionnent que ce soit les maisons, les objets dans les maisons, les chiens ou les chats ou les femmes. Les problèmes féminins l'ennuyaient. Et il avait résolu cette forme d'algèbre en ne vivant jamais avec elles. Lui était parfaitement satisfait de cette situation. Quant à elles, il faudrait le leur demander.

Elles étaient libres d'aller où elles voulaient. Aucune ne lui appartenant. Lui-même n'appartenant à personne s'accordait la même liberté. Elles pouvaient voir qui elles voulaient et lui aussi. Le monde était plus simple. Les gens ont l'habitude de se compliquer la vie pour s'occuper sinon ils s'ennuient.

Et il arrive que toute cette agitation physique et mentale conduise au meurtre. Les gens sont comme ils sont, on ne va pas les changer. Le modèle original avait du poil et une queue et vivait pendu à un arbre. On n'avait fait que le relooquer en le tondant. Le singe intérieur sortait rapidement dès qu'on était inattentif ou stressé.

Comme l'avait expliqué la téléphoniste à qui il avait exprimé sa souffrance, si on découvrait que le problème était interne, c'était sa responsabilité. Si c'était la ligne, le réseau, la centrale, cela concernait sa compagnie ou celle de ses patrons.

L'appareil téléphonique lui a appartenait-il?

Il n'en avait aucune idée. Presque toujours ou depuis l'invention du téléphone au pays, les appareils étaient fournis par la compagnie qui vous encourageait à les changer périodiquement pour des modèles plus modernes, améliorés, scientifiques, comprenant toutes sortes de nouvelles fonctions dont la ménagère moderne aussi bavarde que l'ancienne ne pourra plus se passer. On l'espère. Et un certain nombre de ces améliorations étaient des options facturables au mois. Ce qui faisait graduellement monter la facture mensuelle. Un petit .25 cenne par ci, un petit dollar par là.

Appel en attente, conférence, signal spécialisé (vos amis auront chacun une sonnerie particulière vous saurez donc de votre fauteuil qui appelle sans qu'eux-mêmes le sache puisque c'est vous qui leur donner ce code. Si vous ne voulez pas parler à quelqu'un vous ne répondez pas. Vous pouvez même pour des frais supplémentaires l'expulser de vos correspondants comme on fait pour les courriels. Il ne pourra plus vous importuner ou vous donner des conseils financiers ou féminins.), afficheur.

Il fallait alors changer d'appareil pour en prendre un meilleur et plus cher car contrairement aux autres fonctions qui pouvaient fonctionner avec l'ancien modèle, celles-ci et combien d'autres exigeaient un modèle encore plus amélioré avec un écran ou le numéro, le nom, l'adresse de celui qui appelait s'affichait.

Et la course au progrès s'acharna sur ce pauvre appareil le transformant en mini-centrale téléphonique domiciliaire. Pour quelques $ de plus à chaque mois.

Si à l'époque de la guerre, les ingénieurs étaient fiers de présenter leur téléphone en bakélite (comme le Ford T, vous aviez le choix de toutes les couleurs possibles pourvu que ce soit le noir) en affirmant qu'ils devaient durer 25 ans mais étaient conçus pour durer 45. On sortait de la guerre et on faisait du solide.

Aujourd'hui, alors que les téléphones tombent à l'automne comme des feuilles lorsque le nouveau modèle arrive (désolé, l'ancien n'a plus de pièces de rechange et il ne se répare pas, non, les batteries rechargeables déchargées qui ne se rechargent plus ne se font plus dans le code que vous décrivez, faut le jeter ou on accepte de le reprendre lors de l'achat ou la location du nouveau modèle. On le mettra en pièces pour les faire fondre et récupérer les métaux.) l'idée de quelque chose qui dure une vie, pire, qu'on peut le laisser en héritage à ses enfants est une aberration financière. Les administrateurs et comptables des compagnies feraient des jaunisses.

Après des recherches sur son ordinateur, elle l'informa que l'appareil en sa possession appartenait à sa compagnie ou celle du superviseur du centre d'appel (qui surveillait les conversations des téléphonistes pour s'assurer de leur efficacité dans la bonne humeur) et datait du temps de la guerre. Pour une raison qu'elle ne parvenait pas à comprendre on n'avait jamais remplacé cet immonde téléphone à roulette noir par le modèle suivant brun crème brûlé ou beige pale avec des boutons. Et tous les autres suivants.

Elle avait inscrit un  numéro pour son dossier et transmis le tout aux ingénieurs qui feraient à distance une vérification de la ligne. Ils pourraient peut-être réparer de la centrale, sinon il faudrait envoyer un jeune technicien avec son échelle pour grimper dans sa ligne.

Avait-il une ligne moderne et souterraine ou enterrée ? Non, seulement les anciens fils suspendus aux anciens poteaux de bois qui supportaient aussi les fils électriques de haute tension et les fils secondaires qui allaient aux maisons et le câble de la télévision. Qu'il n'avait pas puisqu'il trouvait la tv trop insignifiantes de même que les personnages hystériques comme des politiciens qui l'habitait en permanence.

Ce serait pourtant lui expliqua t-elle la seule façon de pouvoir vous connecter à Internet haute vitesse (ou basse) (si vous payez moins cher mais elle ne le conseillait pas) puisque les ondes ne se rendaient pas chez lui. Sans doute  l'antenne était-elle mal placée ou c'était sa maison qui était mal placée par rapport à l'antenne?

Il y avait justement à ce moment un forfait Internet/téléphone standard/téléphone mobile pour appeler depuis son jardin/téléphone cellulaire intelligent (ou non) (moins cher) toujours indispensable, son petit format permettant de l'avoir constamment sur soi (comme un ami ou un compagnon de vie)/tv/enregistreur numérique pour la tv permettant d'enregistrer 4 émissions à la fois/poste de régie domiciliaire sans fil permettant d'avoir 10 tv, une par chambre, cuisine, salle de bain, garage, patio, si on veut, sans besoin de les connecter et de s'encombrer de fils inélégants/bouquet de stations: option de base 10 stations mais on pouvait aller par palier jusqu'à 500. Bouquet de fleurs pour la mariée, elle n'aura plus jamais le temps de passer l'aspirateur.

Il y avait encore une série de poteaux qui partaient de la route pour suivre le long chemin de terre jusqu'au dernier à côté de la maison qui envoyait danser les fils flottant au vent vers son mur.

Ou c'était le vent. Il avait tellement venté et la ligne s'était tellement baladée (avec le fil électrique) que quelque chose s'était peut-être trop usé?

Ou un écureuil.

Il en avait surpris plus d'un qui se servaient des fils comme chemin privé pour gambader d'un poteau à l'autre ce qui leur permettait d'éviter les chats et les renards. Les chats pouvaient grimper sur les poteaux mais pas sur les fils.

Un raton laveur avait élu domicile tout au haut de son poteau comme les anciens stylites, ces ermites ou anachorètes vivant toute leur vie au sommet d'une colonne.

On l'appellerait dans un délai de 3 heures à 48 heures. Au plus tard, demain ou dans les 48 heures sinon il pourrait déposer une plainte.

Il avait diverses choses à faire au village, aussi bien en profiter puisqu'il n'avait aucune idée du quand ils décideraient de l'appeler.

Il ne s'informa pas du nombre de fois où on avait essayé de l'appeler mais ce fut le lendemain matin qu'il reçut leur appel. Les vérifications avaient été faites. Le trouble ne venait pas de la centrale. Il provenait de sa ligne extérieure ou de son téléphone. Cette fois, on lui dit que puisque le téléphone appartenait à la compagnie, on s'assurerait qu'il fonctionne aussi si jamais le problème n'était pas intérieur. On lui conseilla d'en acheter un neuf. Le technicien apporterait le modèle le plus récent qui va très bien dans un boudoir ou une petite table. Ce ne sera qu'une affaire d'une minute pour remplacer l'un par l'autre. Avait-il une couleur préférée?

Il n'avait aucune couleur préférée mais aimait bien le noir.

On était désolé mais s'il y avait de nombreuses couleurs subtiles et délicates, on n'avait plus le noir. Le blanc serait parfait. Classique et de bon goût qui va avec tous les décors. Votre  épouse appréciera.

C'est justement pour éviter qu'une épouse apprécie qu'il ne s'était jamais marié. Car si elle se met à apprécier ceci et cela, elle pourrait ne pas apprécier. Et on en a pour 100 ans à se justifier. Le Concile.

Comme on vient de dire, la camionnette Télus venait d'arriver. Un jeune technicien avec une tuque sur la tête même par beau temps fit glisser l'échelle qui décorait le côté de sa camionnette Ford blanche. L'arrima au poteau et monta.

Il cessa de le regarder pour aller lire quelque chose.

On cogna à la porte.

_ J'ai fait les vérifications d'usage. Si le trouble ne vient pas de la centrale, ni de votre ligne externe, ça ne peut venir que de la connection interne ou de votre appareil. Où est votre branchement?

Bonne question où était le bidule, machin, truc qui comme une prise de courant mais téléphonique reliait la ligne extérieure qui partait du poteau pour traverser le mur et le bidule, machin, truc intérieur par où on branchait le fil menant au téléphone. Peut-être à côté de la boite électrique dans la cave?

En effet, c'était à côté de la boite de 400 volts. Il l'ausculta avec un des appareils pendus à sa ceinture et un autre qu'il sortit de sa mallette, rien.

En descendant, il avait apprécié les dimensions des lieux.

_ Vous pourriez en faire une salle de sport ou de jeu, vous avez la hauteur, avec un cinéma maison et une cave à vin. Si vous agrandissiez l'espace des portes mettiez des portes mobiles vous auriez un garage. J'ai été réparé l'installation téléphonique d'un homme qui a une salle de quilles dans son sous-sol. Une seule allée, mais ça impressionne. Avec le dalleau, le repositionneur de quilles automatique, étonnant! Et un bar Mexicain. Ou un jacuzzi. Avec toute cette eau, c'est pesant si on le place à l'étage, mais ici.

Il voyait toutes sortes d'autres choses que monsieur Dickson ne voyait pas. En quelque sorte c'était un visionnaire. Il nota aussi qu'il faudrait plus de lumière parce que, actuellement, c'est un peu lugubre. On ne voyait pas grand chose. Heureusement, il avait toujours sa lampe de poche.

_ Vous ne pouvez imaginer le genre d'endroit où on est obligé d'aller. Ce n'est pas aussi pire que les plombiers mais.

Il avait raison, il n'y avait qu'une ampoule classique de 100 watts au milieu et au plafond. Et une autre à côté de l'escalier. Et comme le gouvernement allait interdire les ampoules à incandescence, il en avait acheté plusieurs caisses à la COOP de la quincaillerie du village. De toute façon, ce n'est pas comme des légumes, ça ne se perd pas.

_ Je n'ai pas encore réfléchi sur ce que je vais en faire.

Lui, était tout prêt à réfléchir pour lui. Et sa femme aussi qui, comme par hasard, était décoratrice. Il lui donna sa carte. Comme par hasard car le hasard fait bien les choses, il en avait une pile dans sa mallette.


Ils montèrent l'escalier de bois jusqu'à la cuisine puis allèrent dans la grande salle où se trouvait le téléphone mural noir.


_ Voilà donc la bête!


_ Pourquoi dites-vous ça?


_ Je n'en ai jamais vu en vrai. Sauf en photo lors de mes cours. Je peux le réparer, ça se répare encore mais je ne garantis pas les délais pour les pièces. Vous comprenez qu'on ne les fait plus. Tout ce qu'on fait, c'est qu'on dépiaute les vieux appareils que l'on récupère aux marchés aux puces. Comme pour les autos usagées.  Ce n'est pas Télus qui s'occupe de ça mais il y a encore quelques réparateurs qui savent tout faire. J'ai vu que vous aviez une tv en noir et blanc. Ils en ont aussi. Ils en achètent aussi. Il ne reste plus beaucoup de boutiques. Et les propriétaires sont très âgés. Le frère de mon père en a une.


On vous a fait de la pub pour le nouveau téléphone, j'imagine.


Il imaginait très bien. Et pour que monsieur Dickson imagine aussi et encore mieux, il prit la boite de carton qu'il avait sous le bras en entrant et défit le couvercle. Il y avait dedans un beau téléphone blanc.


_ Si vous le voulez, je vous l'installe en un instant. Je remplace la vieille connection de votre vieux téléphone par le modèle récent et je branche le neuf. Il peut s'installer au mur si vous ne voulez pas encombrer. Ou sur une table. J'ai différentes longueurs de fils.


Monsieur Dickson ne voulait pas.


_ C'est vous le boss!


En effet.


_ Bon, puisqu'il faut opérer le malade, nous allons l'ouvrir.


Il débrancha le fil d'arrivée du son puis le combiné, enleva le boitier noir qui n'avait pas été ouvert depuis, depuis...


_ Tout à l'air en parfait état. On travaillait bien dans le temps. Je suis content d'avoir vu ça. Pièces en parfait état. Mais ça ne veut pas dire qu'il y a un défaut qui ne se voit pas. Ce n'est pas tous les jours que l'on répare quelque chose de l'âge de son père. Où est le bobo?


Il sortit de sa mallette l'appareil de mesure qu'il avait utilisé en bas.


_ Les aiguilles sont dans les normes. Selon mon appareil tout devrait bien marcher. Redites-moi donc ce qui ne va pas.

Il remet le boitier noir et rebranche tout.


Juste à ce moment, comme par hasard, le téléphone sonne. Comme il était à côté, le téléphone n'a le temps que de faire entendre une sonnerie. Il décroche. Et le tend au technicien qui avait conservé sa tuque aux armes de Télus dans la maison.


_ C'est pour vous!


_ Oui, je suis encore là. J'ai noté l'heure d'arrivée et je noterai l'heure de départ. Et je ferai signer la feuille par le client en lui demandant ses commentaires d'appréciation. Je n'oublierai pas cette fois. J'ai aussi ma liste de clients à faire sur ma route. Ok boss!


_ On vous tient la laisse courte.


_ Bonne compagnie, bon salaire mais paternaliste. Mon frère est à son compte, je n'ai jamais osé.

Monsieur Dickson n'avait pas envie de voir sur son mur un téléphone rose. Le nouvel appareil qu'on devait amener pour le tenter devait être blanc oeucuménique, satisfaire toutes les tendances religieuses

_ Probablement qu'à l'entrepôt, on a mal lu le code ou comme c'était à la mode, c'était backorder. On allait renouveler le stock bientôt. Mais pour ne pas risquer de perdre une  vente on avait dit, ben.. Et j'en ai probablement tout le camion plein. Car s'ils se sont trompés pour un, ils se sont trompé en grand, pour tous. Bon, qu'est-ce qu'on fait?

Il regarde monsieur Dickson et sa montre.

Bon, on a un petit problème. Le problème est que je ne trouve pas de problème. Et qu'il va falloir que je vous quitte pour le second problème, pas loin dans le village. Le son est bon. Il comprends très bien ce que je dis et il est à 100 milles d'ici. Et je comprend très bien. Le son n'est pas aussi bon que sur celui que je vous ai amené. Il désigna la boite tentatrice encore ouverte.

Comme par hasard, même si monsieur Dickson ne croyait pas au hasard, le téléphone sonne encore.

_ Cette fois, on laisse sonner. Si c'est la boite, je les rappellerai du camion. Vous n'attendiez pas d'appel urgent?

_ Pour mon allée de quilles? Non.

Et le téléphone sonne.

_ Beau son. Ça fera ma journée. Je vais demander le même en option pour mon Blackberry.

Il montra son beau jouet noir. Le chéri des hommes d'affaires et politiciens respectables.

_ J'ai aussi un téléavertisseur. Au cas où...

Il montra le bidule de l'ancienne technologie pré-téléphone mobile. Il en avait 3. Pour faire dieux sait quoi?

En même temps quelque chose attira leur attention.

_ Voilà!

Ils regardèrent ensemble comme un jeune couple dans la même direction. Le plafond.

_ Ça sonne en haut.

_ J'ai remarqué. Ce n'est pas la première fois.

_ C'est ça votre trouble?

Il le regarda comme un pompier en costume de survie qui débarque de son gros camion rouge regarde une vieille femme qui lui dit qu'elle a appelé le 911 sans préciser mais disant que c'est terrible et c'est urgent, pour qu'on aille chercher son chat grimpé sur son arbre et qui est trop jeune ou trop niaiseux pour descendre tout seul. Mais il était trop poli pour dire un mot à ce sujet. Et il faudrait à son départ que le client signe la feuille de temps et évalue son comportement professionnel et social. Bon technicien et bien note, il avait tendance à négliger le comportement social.

_ Il n'y a pas de téléphone en haut.

_ Bon, bon, bon...

_ Et c'était comme ça depuis que vous avez emménagé?

_ Non, seulement depuis l'orage. Avant l'orage, il n'y avait que ce téléphone qui sonnait. Maintenant, il y a l'autre. Ou les autres...

Il n'osait pas trop insister sur ce détail.

Le technicien regardait la vieille prise murale du téléphone, aucun fil n'en sortait pour se diriger à l'étage. Et, lorsqu'il était en bas, il n'avait pas vu de fils supplémentaires laissant croire qu'il y a plusieurs téléphones. Mais l'installation était rivé sur un vieux panneau de bois, il se pouvait qu'il y ait des fils derrière qu'il n'avait pas vu. Il n'avait pas envie de redescendre dans le grand trou en bas et de tout démonter.

La sonnerie du téléphone noir cessa de même que l'autre sonnerie en haut ou quelque part.

_ Je vais essayer un truc. Plus personne ne l'utilise mais c'est le chef d'équipe, une vieux de la vieille, qui me l'a montré. Ça date du temps où les téléphones étaient loués par la compagnie, Bell et autres, et où il était interdit d'en acheter même si on en vendait un peu. C'est le gouvernement qui a brisé le monopole de Bell sur les lignes et les ventes d'appareils. Et il était aussi interdit de brancher plusieurs lignes sur la ligne principale appartenant à la c compagnie pour installer dans les chambres, par exemple, les appareils illégaux achetés légalement. Bell voulait que vous louiez tout de lui, appareils, ligne. Et on avait prévu un truc pour dénicher les petits malins et leur faire payer quand même. C'était du cas par cas et il fallait être chez le suspect. Il appelait pour un problème et, une fois là, mon patron en profitait pour vérifier s'il trichait. Si c'était le cas, il devait tout démonter ou tout faire remonter par un des techniciens autorisés. On ne le ne fait plus. Mais je sais comment.

Il décrocha le combiné du vieux téléphone et signala sur la roulette un numéro.

_ C'est tout ce qu'il y a de simple mais il faut le savoir.

_ Et ça fait quoi et à qui?

Il fit signe du doigt de se taire puis tendit son doigt dans l'air dans l'attente de quelque chose.

Un dring par exemple!

En effet, un autre téléphone venait de sonner quelque part.

_ Avec ce truc on pouvait savoir s'il y avait des téléphones cachés puisqu'ils se mettaient tous à sonner.

Et, en effet, ça sonnait longtemps.

_ Vous dites qu'il n'y a pas d'autre téléphone, je vous dis qu'il y a un second téléphone. Quant à savoir où? Vous voulez qu'on monte ensemble à l'étage. Ça a l'air de venir de là. On laisse sonner et on se guide au son. 

Ils montèrent tous les 2 à l'étage. Cherchant d'où provenait le son. Un son de plus en plus clair et audible au fur et à mesure qu'il montait les marches. Mais, pour le moment, impossible de savoir où. Il ouvrit la porte a au bout de l'escalier qui condamnait l'accès à l'étage. Porte très mal installée, contraire à toutes les normes, car au sommet d'une marche, sans palier. Il fallait se tenir sur un des marches plus bas pour l'ouvrir et descendre quelques marches pour laisser passer la porte tout en tenant la poignée. Et l'escalier n'avait ni rampe ni main courante. Que la femme de l'ancien proprio se soit cassée la jambe ici n'avait rien de surprenant.

_ Je ne viens pas ici souvent, c'est un dédale inextricable de pièces et de corridors. Tout l'étage est comme ça. Des corridors juste assez larges pour laisser passer un homme. Et il faut souvent se faufiler de côté. 2 pieds. On dirait qu'on a été avalé vivant par un serpent et qu'on est dans son tube digestif en train d'étre dévoré et digéré vivant. Vous avez déjà vu des documentaires sur National Geographic tv. L'impression est curieuse.

Et pas un de droit, ça a des angles et tourne tout le temps. Et vous avez vu le plafond, il descend et monte. Heureusement, le plancher est plat et droit. Et on à peine à retrouver les fenêtres. On en trouve une moitié dans une pièce et la moitié suivante dans l'autre ou un corridor ou un garde-robes ou une armoire.

_ Et les portes. Vous avez vu les portes.

_ Je ne sais pas combien il y a de portes et je n'ai pas encore commencé à les compter. Et pas une de pareille. Oh! Il doit bien y en avoir 2 de semblables, je ne peux pas croire. Et la hauteur varie. On passe du format adulte à enfant ou poupée. Des portes qui ne mènent nulle part. Sur un mur. Ou qui ne s'ouvrent pas. Ou qui, ouverte, donne sur un grand miroir. Des miroirs, parlons en des miroirs. Et il y a des miroirs au bout des corridors qui font la largeur et hauteur. Ce n'est pas grand mais ça suffit à augmenter de façon délirante le nombre de corridors, de portes ou la longueur des corridors.

_ C'est fou.

_ On dirait qu'un charpentier/menuisier/ébéniste fou avec trop de temps et trop de bois s'est amusé à construire pour construire. Il ne pouvait plus s'arrêter.

_ Encore une escalier!

_ Oui, les escaliers. Il y en a ici et là. Qui mènent au plafond. Mais pas d'ouverture.

_ On a construit des escaliers qui vont du plancher à... rien.

Et, en effet, où qu'on regarde au sol ou au plafond, il n'y avait rien ou que des planches d'un plafond ou d'un plancher normal. Comme si l'escalier était un meuble que l'on avait placé là mais qu'on aurait pu placer ailleurs. Là, en attendant, parce qu'on pouvait changer d'idée et avoir besoin de cet escalier plus loin.

_ Je ne sais pas ce qui a pris à l'ancien proprio mais tout d'un coup, il semble s'être mis dans la restauration sans avoir de boussole ni GPS. Ni plan. Sur l'inspiration du moment. Il y en a qui font de la cuisne comme ça ou de l'art abstrait mais en architecture, ce n'est pas à conseiller.

Le technicien tape sur les murs de son poing et du bout de sa botte. Rien ne bouge.

_ Ce n'est pas que ce n'est pas bien fait, c'est bien fait, trop bien fait. Et ce sera coûteux à défaire.

_ Mais ça n'a aucun sens.

_ Ce n'est pas habitable et c'est un nid à feu, quand on pense qu'il y a des fils électrique là-dedans. Puisque c'est éclairé. Je ne sais pas si c'est le même maniaque qui a fait le filage et la plomberie mais ça vous donne des frissons dans le dos.

_ Quand on pense qu'on est au milieu de tout ça!

_ Je vais faire tout déconstruire dès que je le pourrais. C'est du bon bois, pas jetable. Du cerisier. On aurait dit qu'il voualit construire un bateau. L'intérieur d'un bateau.

_ Ou l'intérieur de sa tête. C'est l'image de l'intérieur de sa tête.

_ Je vais faire ranger les planches dans la hangar. Oui, je vais faire tout défaire mur par mur, cloison par cloison.

_ Heureusement que vous êtes avec moi sinon je ne m'y serais pas risqué tout seul. Et je n'irais pas la nuit. Vous avez vu ces miroirs. Placés à chaque bout d'un corridor, ils se renvoient leur image et se démultiplient. On a l'impression de l'infini ou d'un piège à rats, à souris ou à mouche. Et on est en plein jour et on se croirait de nuit. J'ai le frisson juste à penser qu'il pourrait y avoir une panne de courant. Heureusement, je ne me sépare jamais de mes lampes de poches. Si les batteries flanchent dans l'une, il restera l'autre. Il est impossible statistiquement que les 2 lampes aient des pannes en même temps.

_ Impossible? Statistiquement? Ici ?

_ C'est vrai qu'une fois qu'on est ici, on a l'impression que tout est possible et on n'a pas vraiment envie de savoir ce que ce possible vous réserve. Je ne sais pas ce qu'il en est de vous, après tout, c'est votre maison. Mais moi, j'ai la chienne et je ne veux pas rester une minute de plus ici. En bas, ça va. Même dans la cave, ça va. Quel maudit malade a pu inventer ça?

_ Et le pire, c'est lorsqu'on se met à se demander pourquoi?

_ Si j'étais une fille et qu'un gars me demandait d'aller chez lui et que je découvrais que son chez-lui c'est ça, je me mettrais à hurler.

_ Les filles de l'ancien proprio refusaient de monter à l'étage. Il y en a même une qui a dit que quelque chose, là, l'avait attaquée, avait essayé de l'attraper, de la saisir...

_ Pauvre filles, je les comprends.

_ On tourne en rond depuis un moment, on entend toujours la sonnerie mais on ne trouve rien.

_ Vous avez devant vous l'homme gadget, l'homme au miracle. J'ai un petit décibel mètre, suffit de pointer et de suivre l'aiguille.

Là où le son diminuait d'intensité, l'aiguille tombait dans la zone verte. Là où le son augmentait, on s'approchait du rouge. Jusqu'à ce qu'on arrive à un mur. Un mur. L'aiguille était dans la zone rouge et frétillait.

_ C'est derrière le mur qu'il y a le téléphone.

Monsieur Dickson tapa sur le bois brun. Solide. Rien ne branla. Aucune fente en haut ou en bas. Un mur. Droit. Plinthe décorative de bois en haut et en bas.

_ J'ai fait ce que j'ai pu et je ne peux pas faire  plus, je ne reste pas une seconde de plus et je ne veux pas savoir plus. Désolé, c'est votre problème.

Il dépassa monsieur Dickson et courut devant lui puis disparut et revint.

_ Je ne sais pas où je suis. J'ai complètement perdu le sens de l'orientation.

_ C'est probablement le but...

_ Je vous suis, vous avez l'air de savoir où vous allez.

_ C'est chez-moi maintenant. Ce n'est pas la première fois que je viens ici. Juste pour voir l'ampleur du désastre et ce que ça va coûter pour nettoyer les dégats. J'attends un technicien en architecture pour prendre les mesures.

_ Des mesures? Prenez une masse et une barre de démolition...

_ Je me dis que celui qui a fait ça avait ses raisons. Des raisons qui ne concernent que lui ou bien des raisons qui peuvent servir à d'autres. On va donc tout mesurer, photographier et faire les plans. Ensuite, on ouvre. Mais on va commencer par là.

Le téléphone continuait à sonner interminablement.

Lorsqu'ils eurent retrouvé leur chemin et redescendu l'escalier, le technicien soupira de joie. Enfin!

Il courut presque vers le vieux téléphone noir pour raccrocher. Enfin!

Et les 2 hommes tendirent l'oreille vers le plafond, vers là-haut, en haut.

La sonnerie s'était éteinte.

Tout était redevenu normal.


*

MORT: 1

Cause de la mort: Indéterminée.

Note: Le cadavre du mort n'a pas encore été trouvé lors du chapitre 79 mais de forts indices laissent présupposer (supposer préalablement) sa présence. Sans doute en saurons-nous davantage dans les semainse à venir.

Note:

Au chapitre 90, on n'en avait pas encore parlé.

*
12.13 mai 2012. État 2