Henry Dickson et la petite blonde regardèrent le spectacle.
L'explosion l'avait surprise. Elle avait arrêté son véhicule pour mieux regarder. Et il y avait des choses à voir. L'édifice était maintenant en flamme.
C'était le soir de la réunion préparatoire du Conseil. Tous les conseillers devaient être présent. Ce qui faisait que le maire et tous les conseillers présents devaient être morts. Sauf ceux qui étaient malades. Ce qu'on ne saura que le lendemain.
_ C'est toi qui a fait ça?
Monsieur Dickson regarda la petite blonde en l'observant. Il savait qu'il y avait quelques différents entre elle et un certain nombre de conseillers. Et le maire. Le nouveau maire. Puisque l'ancien était décédé dans des circonstances inhabituelles et suspectes. Mais le nouveau était aussi pire que l'ancien.
_ Moi ?
Main. Petite main. Sur le coeur. Ou la poitrine qui est sur le coeur.
En effet, comment une aussi jolie femme pourrait faire le moindre mal à personne? Précisément, monsieur Dickson savait très bien comment. Mais il était rare qu'elle haïsse en groupe. Phénomène administratif relevant de l'Église ou d'une structure politique. Elle haïssait donc individuellement. Et lorsqu'elle en avait assez, il y avait, disons, un accident malheureux.
Et toujours incompréhensible.
Parce que, compendre, aurait été... disons... trop, très.
_ J'imagine que quelqu'un a voulu démontrer son mécontement.
Peut-être. Si c'était le cas, il démontrait très bien.
Peut-être était-ce la vague, le courant, la fin de la déferlante de la commission d'enquête s'occupant de yeuxter les péchés de Montréal. Il y en avait tant qu'elle avait dû se spécialiser, ne s'occupant que de l'industrie de la construction et des contributions illégales aux partis politiques.
Comme si ce genre de chose ne se passait qu'à Montréal. 1112 municipalités dans la province. 50 % des travaux donnés par tous les gouvernements. Provincial. Et fédéral. Un puit sans fond de finance.
Ici, il y avait eu des contrats bien gonflés - pour un si petit village- à une compagnie d'ingénérie pour le système d'aqueduc. Qui avait duré 10 ans, avant qu'on manque à nouveau d'eau. Et ça avait coûté autant sans qu'on pose un seul tuyau comme lors de la première fois. Pour trouver un seul nouveau puit. À la même compagnie. Comme s'il n'y en avait qu'une et pas d'autres.
Il y avait donc des concurrents évincés.
Pas seulement dans les grandes villes qu'on élit les maire en truquant les éclections. Plus ou moins légalement. Élection clé en main avec toutes les options. On ne truque plus les boites de cartons. On ne se sert plus des pierres tombales et des défunts pour voter mais une compagnie se charge de faire la pub. Bénévolement. Avec une compagnie spécialisée dans l'organisation des élections. Et les meilleures coûtent cher. Mais le tout est gratis. Il suffira de donner les contrats aux amis. Ramassage de la neige, des ordures, asphaltage, béton des trottoirs. Dézonage quand il le faudra.
Comme si les compagnies d'ingénieurs étaient les seules à avoir les mains jusqu'aux coudes dans les bols à soupe de tout le monde. Quand on vit dans un système capitaliste dont l'unique motivation est le profit par tous les moyens possibles et imaginables. La cupidité étant son unique moteur. Parfait. Le fait de ne pas voler est presque une forme de bêtise. Quand tous les gouvernements ne demandent pas mieux qu'on les vole.
Pas les petits citoyens qu'on traitera comme des caniches. Mais on invitera tout ce qui a nom de compagnie à passer à la caisse.
Parce que dans ce monde, la nouvelle religion est le commerce et les affaires. Et les saints qui dirigent ces monastères ne peuvent qu'avoir raison. Et ils ont la plupart des médias: revues, journaux, radios, TV pour les encenser continuellement.
Mais on ne peut pas enquêter sur tout le monde. Parce qu'on ne veut pas que les citoyens de base deviennent aussi cyniques envers la classe d'affaires qu'ils le sont déjà envers les politiciens. Ce qui n'empêchera personne de voter en toute bonne conscience pour un voleur ou une voleuse.
L'enquête provinciale durerera 2 ans de plus. Certains prédisent qu'elle sera là encore 10 ans.
Où sont les voleurs?
Il suffirait de faire le tour des grosses baraques et de demander aux habitants comment ils l'ont payée.
Mais l'État participe à son propre vol - par l'intermédiaire des partis politiques qui en prennent alternativement le contrôle pour faire du pareil au même. On permet aux banques et aux riches de cacher de l'$ dans les paradis fiscaux. Ou la salle de bain de son condo. Ou un des plafonds.
Il y en avait même un qu'on avait prévenu de l'arrivée des flics venus perquisitionner qui essaya de couler des paquets de billets dans la toilette. Si au moins il l'avait passé à la déchiqueteuse avant.
Enrichissement sans cause. Comment justifier - mais on ne demande jamais- tout cet $ en cash lorsque vous avez été fonctionaire ou maire? Que votre salaire fait parti d'un décret gouvernemental. Avec les primes pour le déplacement. Les remboursements de dépense. Qu'il est proportionnel au nombre de têtes de citoyens et citoyennes. Un héritage. La loterie. La Bourse. Dieu qui vous aime. Le placer à la banque vous vaudra un reçu pour l'impôt. Qu'il faudra expliquer.
Alors on le met dans le plafond. Ou le mur. Ou le plancher. Dans de grosses enveloppes rembourrées. Confortables. Comme des coussins dodus. Et on empile les enveloppes. Que du confort.
Mais chez les riches voleurs, on a la collaboration des comptables et de l'État. On vous dit que vous pouvez blanchir votre $. Que c'est bien. Et où on peut le faire. Il y a des États dont c'est la principale industrie. Et des banques dont c'est le monopole. On blanchit l'$ comme si on avait le monopole de l'eau de Javel. Et l'$ devient propre. Pas qu'il était sale. Mais c'était de l'$ compliqué à expliquer. Une fois purifié, plus besoin d'explication ni de commentaire.
Et quand on enquête, on trouvera bien quelques brebis tâchées à sacrifier.
En voyant les flammes et quelques personnes sortir de l'immeuble, noircis et tomber dans la neige: il y a aussi quelques innocents qui paieront.
Celui ou ceux qui avaient organisés le coup savait ce qu'il/elle/ils faisai(en)t. Toute la bâtisse allait y passer.
La petite blonde était philosophe:
_ La terre rongera tout. Le maire du temps avait escroqué un de mes parents qui aimait trop boire. Il y avait une ferme et des champs ici. Avant. Il n'en reste même pas une seule photo.
On lui a fait signer des papiers. Il savait pas lire. Et même s'il avait su, il n'était pas en état pour faire de la lecture.
Il a donné ou quasiment, ses terres.
Et a signé tous les papiers qu'on lui frottait dans la face.
On ne sait pas si on lui a donné ou s'il a reçu de l'$. Le lendemain, il n'en avait plus. Ou n'en avait jamais eu. Mais parmi les papiers signés, il y avait les reçus pour les paiement. Il les a signé aussi.
Le lendemain, il a la gueule de bois. A l'impression qu'il a fait une connerie. Mais il n'arrive pas à se souvenir. Ce n'est que lorsqu'on est venu le jeter hors de sa maison, lui, sa femme et ses enfants, et les meubles, qu'on lui apprend ce qu'il a fait.
Il boit encore pour se donner du courage et va voir le maire. Lui et ses conseillers lui donnent une volée et il revient chez lui panser ses plaies.
Il a tout contre lui. Y compris maintenant la police. Car ses voleurs ont porté plainte. Il les aurait menacé.
Et comme il boit, il a fait des niaiseries. Et a des dossiers.
Les autres.
C'est des gens bien. Pensez! Le maire. Et d'autres gens bien. Il y a tellement de gens bien.
Et bien habillés.
Et pas lui.
Il se ramasse en prison.
On brûle sa grange et sa maison. On vend ses vaches.
Et comme il n'a plus de nouvelle de sa famille, à sa sortie, il s'informe. Sa femme est morte. Ses enfants donnés en adoption.
Le curé est dans le coup comme d'habitude.
Le notaire, l'avocat, le gérant de la Caisse Populaire.
Tout le monde a oublié cette histoire. Ou ne l'a jamais su. Ou a fait de grands efforts, méritoires, pour ne rien entendre, ne pas savoir, ne plus se souvenir.
Comme il ne pouvait rien faire contre tous ces gens bien. Et que la moitié du village ignorait tout de l'affaire, préférant le voir comme un énergumène. Pour que leur vision du monde ne s'effrite pas trop devant un excès de réalité. Comme il était un vieux rat dans sa boite de carton secoué par des enfants.
Il a bu encore plus que d'habitude. Longtemps. Ou juste assez. Jusqu'à ce que l'alcool lui perce l'estomac.
Quand il mourut, on avait fait une bâtisse moche sur ses terres. Une grosse salle. Et le maire régnait sur son fief.
Le monde n'aime pas les perdants.
L'univers n'aime pas les perdants.
Même l'herbe n'aime pas les perdants.
On l'a enterré. Comme il n'avait pas de famille. Sauf ses enfants trop jeunes pour comprendre - si on les avait informés dans les orphelinats où ils étaient. On ne sait même pas combien il en avait. Aucun n'est revenu ici. Ou on ne le sait pas. On dit qu'ils ont été adoptés. Ont pris le nom et l'histoire de leurs nouveaux parents. Meilleure que la leur.
On l'avait enterré au cimetière. Comme il n'avait pas de famille. Personne pour payer son lot. On a patienté un moment. Puis on a perdu sa patience. On l'a déterré et jeté quelque part. Et enterré un mort solvable dans son ancien trou.
Et on l'a oublié. Le maire d'alors est mort aussi. Riche. Bien sûr. Avec des héritiers riches.
Entouré de l'affection des siens. Comme on dit. Et de l'admiration de ses administrés. Car il administrait bien. Tant qu'on n'était pas trop curieux de la manière.
Heureusement, des tas de papiers son disparus des voûtes de la municipalité lorsqu'il a prit sa retraite. Les procès-verbaux des réunions du conseil qu'il présidait.
Comme ça pas de preuve, pas de papier, aucun chiffre.
Rien que des rumeurs.
Et des souvenirs.
Il aurait dirigé encore plus. Davantage. Il aimait diriger. Il trouvait injuste de mourir si jeune et si riche.
Il n'était pas jeune. Un vieux rat. Plissé aux dents jaunes.
Mais il était riche. Du moins pour l'époque. Et l'époque d'ici. Ou d'alors.
Trouvait ça injuste. Il en aurait voulu à Dieu. Mais à cette époque ça ne se faisait pas.
On aurait voté encore pour lui. Parce qu'on en avait encore plus peur que la haine qu'on en avait.
Et qu'on admire toujours celui qui peut vous nuire.
Mais plus d'élection pour lui.
Parce que c'était la circulation du sang dans le coeur. Quelque chose qui n'allait pas. Dans le temps, ça ne se réparait pas. De nos jours, non plus.
On parle du coeur comme organe. Machine. Pompe. Qui pousse du sang. Et non des sentiments.
Aujourd'hui, les mêmes gens bien parleraient de l'éthique en s'en mettant plein les poches et les bas. L'éthique c'est vague mais ça parait bien. C'est mieux que la morale. La morale amène tout de suite les mots comme bien ou mal. Pourquoi pas Satan.
Mais c'est la même chose que la morale. Mais la morale, c'est démodé. À l'époque, on s'adaptait comme de nos jours. On parlait tout le temps de la morale. En s'en mettant plein les poches.
On peut aussi parler de déontologie. De questionnement.
Il y a même des codes d'éthique. Si. Si.
Si on laisse son esprit délirer, on a presque l'impression d'être à un congrès de pédophiles en train de tâter des fillettes et des petits garçons.
Des gens bien.
Avec tous les mots qu'il faut.
Gras et content.
Il y a toujours quelque chose de troublant lorsque des gens trop gras parlent de morale.
Il ne reste rien de cette histoire. Sauf dans la tête de ceux qui savaient.
Alors que cette abomination brûle avec tous ses complices. Aucun n'était né à ce moment. Mais il n'y a personne d'innocent. En utilisant la bâtisse, ils dansaient sur sa tombe. Et ils dansent maintenant en Enfer.
Des histoires comme ça, il doit y en avoir 1112 dans la province. Des petits scandales. Et des gros scandales dans les gros organismes. Et des moyens, dans.
Quelle importance.
C'était la nuit. Noire. Sans lune.
Et un bref soleil lorsque les bonbonnes de gaz de la cuisine explosèrent bien haut. Comme un arbre blanc. En hiver.
L'incendie avait provoqué une panne de courant dans le village. Et tous les lampadaires des rues. Et toutes les lumières de toutes les maisons s'étaient éteintes.
Il n'y avait que le CHSLD, le mouroir à vieux - industrie florissante - qui était encore éclairé. Ayant une grosse dynamo au gaz.
Il faisait noir.
Et seule l'incendie éclairait ce qu'il y avait à voir.
La bâtisse était longue et il y avait de quoi brûler. Longtemps. Et elle brûlera d'une extrémité à l'autre. Du plancher de béton au plafond.
Qui était mort?
Des coupables ou descendants de coupables. Des innocents et descendants d'innocents.
Aucune importance.
Il y a 7 milliards d'habitants sur cette Terre.
Et tous sont condamnés à mort.
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26. 27. État 2
Morts. 7. Au moins.
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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