HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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13.10.13

384.80

Un autre journal, cette fois un neuf, mais encore une fois introuvable ici, qui arriva la semaine suivante.

Sans qu'encore une fois personne ne sache qui ou quoi?

Décrivait le procès du tueur.

Qui proclamait son innocence.

Selon lui, il était malade.

Et c'était les films pornos et la musique violente qui l'avait réduit à cet état.

Son psychiâtre l'approuvait et demandait sa libération. À quoi bon mettre en prison un homme qui ne se souvient plus de ce qu'il avait fait? Il ne pouvait qu'ètre non criminellement responsable. C'est comme emprisonner un enfant.

L'image était forte et avait frappé les lecteurs qui répondaient dans le courrier du journal ou sur le site internet du journal, commentant de diverse façons. La plupart des gens manifestaient de la haine. Quelques-uns comprenaient sa souffrance et sa détresse.

Il apprit par internet - il ne voulait plus s'intéresser au passé mais en cherchant quelque chose, comme ceci arrive souvent sur Internet, une information en amène une autre, on se retrouve dans un index d'articles récents.

Et il vit le nom.

Comme ça arrive souvent sur Internet et pas par hasard, une fois que vous avez fait une recherche sur un thème ou cliqué le titre d'un article, le système comprenant dans son cerveau électronique que ce thème en particulier vous a intéressé, vous intéressera toujours, désormais, l'ajoutera à toutes vos autres recherches.

La prochaine fois et toutes les autres fois où vous chercherez quelque chose.

C'est très bien fait.

Comme on disait sur Amazon: Vous avez aimé ceci, vous aimerez probablement cela. Ou. Les gens qui ont aimé ceci (ou choisi) (comme vous) on aussi choisi cela. Ça fonctionne très bien pour les romans, disques, films. Ce titre a été écrit/filmé/chanté par. Le même a aussi écrit/filmé/chanté tous ces autres titres. Et le titre que vous avez choisi appartient à un genre. Des tas de gens aiment par exemple, la littérature fantastique. Et on a leurs noms et ce qu'ils ont commandé ou cherché. Vous êtes content!

Les algorithmes des sites Internet faisant la suggestion d’un drame, d’une tragédie, d’une abomination à la place d’une autre ou, l’une après l’autre, sur la liste de suggestion de lecture instructive et dynamique. Toutes ces questions qui exigent rapidement une profonde réflexion. Ou 2.  

Et si vous avez cliqué sur un article décrivant un fait divers. Par exemple, par curiosité. Une fillette tuée par un pervers. Parce que vous faites des recherches sur ce sujet. Ou. Aviez une fille. Qui.

Vous aurez maintenant, peut-être pas toutes les fillettes du monde qui. Mais beaucoup de fillettes. Une sorte de cimetière virtuel. Un cimetière de fillettes. Et vous habiterez au milieu.

Désormais.

Le cerveau électronique comprenait mal les notions trop humaines telles que: trop d'information. Quand s'arrêter? À quel moment ?

Un autre journal arriva sur son bureau.

On voulait qu'il suive le procès. Que même s'il était un homme du futur, le passé s'accrochait à lui et ne le lâcherait pas facilement.

Il proclamait son innocence.

Il était en prison en attendant la reprise de son procès lorsqu'il se pendit.

Dans un autre journal.

On allait faire enquête sur cette négligence des gardiens. Mais certains propageaient des rumeurs selon lesquelles, ce n'était pas la première fois qu'il y avait des pendus à cet endroit. Malgré les fouilles répétées. Et on parlait de violence envers les détenus. De la part des gardiens. Et de la part d'autres prisonniers.

C'était le passé.

Le présent était tout autour de lui.

Et un autre journal arriva résumant l'affaire.

Et un autre journal, autre titre, résuma encore.

Avec la photo du visage de sa fillette.

Il y avait 1 an

À peu près.

Non, jour pour jour, car c'aurait tombé un dimanche et le journal ne publiait pas le dimanche.

L'anniversaire de l'événement. On fêtait l'événement.

Le choix du mot peut être délicat.

Les journaux ont l'habitude de se remémorer - mot excellent -  un événement spectaculaire. Quoique le mot «fêter» puisse être mal interprété. Et «spectaculaire» aussi.

On parlait de fêter lorsqu'il s'agissait de quelque chose de positif. On pouvait parler d'anniversaire lors de la naissance d'Einstein ou de Britney Spears.

On se rappelait avec gravité le jour où un jeune idiot avait mit le feu au plafond de la salle de fête du village où se réunissait les gens de l'époque pour fêter le Nouvel An. Il y avait des guirlandes. En papier et en sapin. Sapin en branches tressées et cocottes d'épinettes. Le tout particulièrement inflammable. Et interdit depuis dans un lieu public. Qui grimpaient sur tous les murs et les plafonds. Les témoins survivants - il n'y a pas de photo - parlent d'une sorte de grotte ou de tanière de sapin qui sentait bon. Pour faire le finfin, l'idiot du jour prit un feu de bengale - une fine tige de fer entourée de poudre à fusil ou tout comme - qu'on avait remis à chaque invité (erreur stupide) pour faire des étincelles. À minuit moins une, on avait fermé les lumières pour voir ces petites lueurs chimiques et pyrotechniques pétiller et étoiler dans le noir - et le même idiot l'approcha d'une guirlande (naturelle) qui pendouillait du plafond à sa table. Le feu prit en un instant dans le bois sec, les aiguilles de pins, sapins, épinettes et dans la gomme et la résine collante et excellamment inflammable. En un instant. le plafond fut un lac d'incendie en fusion. Horizontal. Comme en apesanteur. Et les flammes descendirent le long des murs en suivant les décorations. Ceux que les flammes ne brûlèrent pas vivants furent écrasés par la foule terrifiée (beaucoup de bébés et d'enfants). Et étouffés en essayant de passer 20 d'un coup dans la même porte. L'idiot a survécu, il fut un des premiers à comprendre ce qu'il venait de faire et à s'enfuir. Tous les 10 ans, on l'interview et lui demande comment il sent. Il dit à quel point il regrette. Il était jeune. Influençable. Et regrette très bien. C'est très moral.

Il a essayé d'oublier. Plusieurs fois. Mais on ne lui laissera jamais cette chance. Les journaux agissant comme les esprits des temps anciens de Dickens. Il eut beau déménager, on le suivit pour lui demander son opinion.

Il y a aussi, encore tous les 10 ans, au village encore, la nuit, cette nuit, toujours, lorsque la falaise s'est effondrée, liquéfiée à la suite d'une pluie battante ininterrompue - explication scientifique du moment qu'on pourrait sans doute réviser - qui a détrempé le sol argileux qui, gorgé d'eau, encore plus que d'habitude, devint aussi instable ou encore plus que d'habitude que du sable mouvant. Certains avaient voulu interdire la construction à cet endroit .Mais le coup d'oeil par beau temps était. Wow! Et le maire de l'époque ne pouvait pas supporter de voir toutes ces belles taxes municipale aller ailleurs. Les maisons glissèrent dessus, tombèrent dans la falaise et au fond tout en bas et partirent avec les flots de boue pour aller flotter dans le fleuve avant de couler définitivement. Ou elles s'enfonçaient sur place dans la boue jusqu'au toit. Avec leurs passagers humains. Direction l'enfer. Barques de Charron clapotant sur le Styx boueux. Parfois, dans un encadré, en bas de page, on parle du maire qui a été retrouvé pendu. Parfois, on n'en parle pas. Parfois, on parle du coup de hache qu'il aurait reçu derrière la tête. Parfois, on n'en parle pas. Tout dépendant de l'espace utilisé pour les annonces.

Ou les adeptes de l'Ordre du Temple Solaire local. Qui partirent vers Sirius. Leur planète d'origine. En voyage organisé. Suicide collectif. En France. En Suisse. Dans plusieurs villes. Et au village. Avec trépanation au calibre .45 pour ceux qui étaient moins fervents. Le pistolet tenu par les prêtres du culte. Ce qui est plus violent que le Kool-Aid des adeptes du révérend Jim Jones.

Mais c'est pas la même date.

Tous les 10 ans, on fête, se souvent, commémore cet événement. Ou un autre. Le choix ne manque pas. La naissance d'Elvis Presley. Ou sa mort. Ou celle de la création de Love Me Tender. Des millions qu'il a fait. On dit ou ne dit pas qu'il était devenu un gros cochon ne se nourrissant que de sandwich au beurre de peanuts (arachides). Et se bourrant de pilules. On expliquera que son rôle historique a consisté à blanchir ou rendre accessible aux blancs la danse et le chant des noirs. On se demandera s'il est encore vivant. Des témoins seront cités affirmant qu'ils l'ont vu. On aimera leur touchante naïveté.

Si c'est un événement terrible, on se le rappellera avec la gravité qui convient. Et on vend un tas de copies de plus. En ce temps de disette et de régime minceur - le journal La Presse ne cesse de rétrécir et de rapetisser ce qui lui donne un air étrangement rectangulaire - on ne fera pas le difficile.

Il y a aussi la mort de gens célèbres. L'assassinat de Kennedy. Très bon. Il en faudrait plus. Ce qui permet de parler de l'assassinat de son assassin et de la mort mystérieuse de celui qui. Le dernier. Et de la CIA. Cuba. Mafia.

Donc, on écrivait sur sa fille.

1 an plus tard.

Lorsqu'il vit le journal datant d'hier matin et qui ne pouvait être arrivé ce midi là où il était que par avion, il vomit.

Il y avait 20 ans, on publiait aussi le dimanche. Et 20 ans avant, il y avait même plusieurs éditions du même journal le même jour. Le matin et le soir. Et, parfois, une édition spéciale le midi. Lorsqu'il fallait annoncer une guerre. Ou la fin d'une guerre. Ou l'événement spectaculaire d'une bombe atomique jetée sur un tas de japonais et qui vous en désintégrait 100 000 d'un coup. Et vous en brûlait vivant un autre 100 000. On pensait que les nouvelles seraient plus fraîches et savoureuses si on les servait juste au moment du repas. Permettant et procurant un sujet de conversation pour les convives. Jusqu'à ce que la TV pense aussi que c'était une bonne idée. Les publicitaires migrèrent à la TV et le journal pensa que 6 jours par semaine, c'était bien assez. Les publicitaires s'enfuyaient maintenant vers Internet. Signe de mauvais temps médiatique.

Donc on étira jusqu'au lundi.

1 an que ce terrible drame (termes du journaliste) qui avait profondément marqué la communauté (termes du journaliste) et il était normal qu'on en reparle encore. Parce qu'il n'y avait ce jour-là aucune nouvelle palpitante ( la nouvelle doit palpiter) pour retenir l'attention entre les annonces.

Probablement qu'on en reparlerait dans 10 ans. Comme on fait pour tous les faits palpitants et convulsifs.

Et les journaux continuaient à arriver.

Des anciens.

Comme si on avait collectionné chaque journal qui avait parlé jour après jour de cette nouvelle et qu'on les lui amenait du passé. Afin qu'il médite.

Il avait beau faire surveiller son bureau.

Augmenter le nombre de gardes de sécurité. Changer d'agences pour une plus compétente.

Visionner les caméras (après en avoir fait installer) (ou augmenter le nombre là où il y en avait déjà afin de couvrir tous les angles). Il était alors impossible de ne pas voir qui passait devant sa porte. Qui entrait.

Il dû fermer son bureau et attendre d'y revenir.

Les journaux arrivaient alors à son appartement. Sur la table à café du salon. La commode à côté de son lit. Un à un.

Tout y était.

Chaque détail.

Qu'il avait raté.

Refusé de voir.

Afin qu'il voit.

Il vieillit de 10 ans.

Ce n'était probablement pas suffisant, après d'autres journaux, il vieillit de 10 ans de plus.

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État 1. 13 oct. 2013