HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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31.3.13

333.29. PÂQUES. SANS RÉSURRECTION. CAFÉ DE QUALITÉ. LAIT 3.25%. BELLE MOUSSE. OEUFS AU CHOCOLAT. 75%.

Henry Dickson ouvrit la petite lumière du tableau de bord pour lire et regarder le programme du cinéma du Cégep. Demanda à la petite blonde si la lueur la gênait pour conduire. Elle dit non. Elle sentait bon. C'avait été une belle journée. Ce serait une belle nuit.

Ailleurs.

Dans la grande ville, un homme se désolait. Il avait encore exagéré.

Il avait été méchant.

Il avait beau dire qu'il ne recommenrait plus. Comme un boulimique devant un sac de chips. Trop de sel. Trop de gras. Trop de patate. Féculent. Bon à s'en lécher les doigts.

Il contemplait la tête qui gisait sur le sol.

Il avait beau essayé de se calmer, de méditer et de lire les meilleurs philosophes, son tempérament agressif prenait régulièrement le dessus.

Certains philosophes expliquaient son cas. Quelque-uns l'approuvaient. Comme Nicholas Machiavel. Leo Strauss.

Et l'auraient approuvé. Félicité. Remercié.

Après tout, le fort à tous les droits sur le faible. C'est ce que disaient les nazis qui ne faisaient que répéter ce que disaient déjà les Romains. Et tous les empereurs du monde.

Mais il n'aurait pas dû.

Après tout cet homme ne lui avait rien fait.

Il venait de tuer une femme.

Est-ce que ça le regardait?

Il allait s'en aller lorsque l'autre le remarqua. Et voulut s'en prendre à lui.

Erreur.

Sa tête volait dans les airs au même moment qu'à l'intérieur quelques circuits neuroneux exploraient la possibilité qu'il soit en train de faire une erreur. La dernière de sa vie.

Et ce fut sa dernière.

Et le dernier moment de sa vie.

C'étaient les circonstances.

Il voulait pourtant arrêter.

Comme les chips. L'alcool. La cigarette. Les voitures sports. Les jolies femmes. Les adolescentes. Les petites filles.

Peu de temps avant.

Quelques temps avant.

Peu de minutes.

C'était un petit garçon. Il passait et l'avait vu en train de terroriser un plus petit que lui. La terreur ramenée à une farce. Le plus grand. Probablement 5 ans. Le plus petit, peut-être 4 ans. Une tête de plus grand suffisant. Des bras plus longs. Et l'$ passe d'une poche à une autre. Le tout en pleine rue. C'aurait pu être à l'école. Mais ils étaient trop jeunes. L'école sera un vivier de choix pour cette petite brute précoce.

Les faibles sont fait pour être dévorés.

Ainsi le veux la Nature.

Prédateurs et proies.

Un nombre limités de prédateurs et de carnassiers et un nombre illimité d'harbivores. Réserve de viande sur pattes. Ou à nageoires. Ou à ailes.

Et la politique, la religion, le système industriel, financier, militaire ne faisait que répéter la même lente digestion.

C'avait été un réflexe. Probablement le sang gène de ce petit carnage enfantin. En pleine rue. Sur le bord d'un trottoir.

Il avait empoigné l'enfant de 5 ans et l'avait lancé dans la rue. Il était retombé sur l'asphalte. Roulé un peu. Et l'auto qui arrivait lui roula dessus. Et la suivante écrasa comme une banane sa tête. Une jolie tête. Il aurait aimé à l'époque où il aimait les enfants de cet âge. Maintenant, il préférait les fillettes. On lui avait expliqué en prison que c'était plus normal. Ou il avait mal compris.

La vie moderne est parfois difficile à déchiffré. Souvent contradictoire.

Et il faisait comme à chaque fois.

Il s'adaptait.

Faisait ce qu'on attendait de lui.

Pour rester invisible.

Ou le redevenir lorsqu'il avait été remarqué.

Une sorte de jeu.

L'enfant écrasé était plus loin. Il y avait eu encore d'autres autos. Même un camion pour l'achever. Mais à cet âge, on n'a pas tant d'os et pas bien fragiles pour résister à tant de roues. Même en caoutchouc.

Sa victime s'était enfuie. Très contente d'avoir conservé son $, son jeu video, ses souliers.

Quelle leçon retiendrait-il de cette fable morale en action?

Difficile à dire.

Petit théâtre rural ou asphalté. Improvisée. Presque poétique.

Encore une autre flaque de sang.

C'était son destin.

Il devrait travailler pour la Croix Rouge. La Société Canadienne du Sang. Héma Québec. Comme on l'appelle depuis que des médecins aient achetés et distribué du sang contaminé à des hémophiles. On l'achetait à ceux qui vendaient leur sang. C'était interdit ici. Mais pas aux USA où on apprécie les pauvres. Drogués, sidatiques, hépathiques. Et on l'achetait d'un distributeur. Pendant un certain temps, on fit semblant d'ignorer. Puis quand on ne fut plus capable de faire comme si, on se trouva pris avec des réserves de sang inutilisables. Sauf si on les utilisait. De toutes façon les cancéreux n'en avaient pas pour longtemps à vivre. Quand vous êtes rendus à avoir besoin d'une transfusion de tout votre sang chaque semain ou tous les jours, vous êtes aussi bien morts. C'est ce que se dirent les médecins. En France. Aux USA. En Chine. Japon. Et comme les médecins et grands patrons étaient des gens bien, on n'allait pas leur faire des misères pour quelques milliers de séropositifs de plus. Ou d'hépatites alphabétiques. Il aimait ce genre de fable morale si humaine comme les Mystères qui se jouaient sur le parvis des cathédrales eu Moyen-Âge.

La tête gisait là, par terre, sur l'asphate.

Elle avait volé dans les airs quelques instants après s'être détaché du corps qui la supportait un moment plus tôt. La mort fut rapide, probablement indolore. Et brève. La seule chose que l'on peut espérer dans cet univers.

Et c'était ce jour-là.

Il y avait une église pas loin.

Où, comme partout dans ce monde, on répétait la cérémonie qui rappelait un moment bien ancien. Un souvenir.

Il avait tellement de souvenirs.

Avait envie d'en distribuer.

Souvenirs à vendre. Non à donner. Il en avait déjà trop. Gratis. Et ne les ramenez pas. 2 pour 1. Seule condition. Si vous partez loin avec et ne revenez pas vous plaindre, ils sont à vous.

Il avait eu beau lui dire de faire attention, il n'écoutait pas.

À Rome, on ne manquait pas de Dieu, pourquoi un de plus?

Pourquoi pas?

Rome tolérait tout. Il suffisait d'obéir. D'éviter les rares choses qu'elle ne tolérait pas. Et alors, elle était impitoyable.

Et des hommes ou des femmes qui se prétendaient inspirés par une ou des divinités, guidés par eux ou elles ou, parfois, des animaux mythiques, des sources, des rivières, les nuages, les pierres.

Qui faisaient des choses illégales, qui refusaient de voir en l'empereur un autre dieu - aucun empereur n'aurait osé prétendre être le seul dieu. Ils, eux  tous, ne demandaient que d'être adoré. Même brièvement. Simplement faire comme si. Il n'y a que les paysans qui croient vraiment à la religion. Parce qu'ils ont besoin que leurs vaches guérissent. Qu'il pleuve. Ou arrête de pleuvoir. Qu'il ne gèle pas trop vite. Il leur faut un dieu utile.

Et l'empereur était un dieu utile.

Après, la vie pouvait se passer comme on voulait ou pouvait.

À quoi sert d'avoir des principes si on en meurt?

Mais de mauvais citoyens arrivaient de loin pour prétendre qu'il n'y avait qu'un dieu. Ou plusieurs. Mais que seuls le leur ou les leurs étaient véritables. Ils n'avaient qu'à faire un temple de plus, et ajouter leur idole et statuette à toutes celles qui existaient déjà.

Prétendre à un monopole de la divinité était menacer la paix et l'ordre de la ville et de l'univers. L'Histoire était pleine d'exemple d'hommes et, pire, de foules, devenues folles et suivant un fous. S'en prenant à d'autres hommes ou d'autres foules ou d'autres temples de dieux concurrents.

On ne pouvait laisser de telles choses se passer sans risquer la dissenstion ou la guerre. Car les hommes sont incapables de débattre longuement de vues opposées. On les envoyait donc au Cirque avec les lions. Libre à eux de faire tous les miracles qu'ils voudraient. De convaincre les lions, si possible.

Des miracles, il y en avait partout. On en vendait au marché.

Mais rares étaient ceux suffisamment puissants pour diminuer l'appétait d'un lion. Ou assoupir un tigre.

Malgré la sévérité de Rome, les martyrs comme ils s'appelaient. Ou les criminels comme les juges les nommaient, se multipliaient.

À l'époque, il ne croyait à rien. Maintenant, il ne croit à rien. Même s'il aurait toutes les raisons ou assez de raisons pour ce faire. Ce n'était pas dans sa nature. Il était romain. Ce que les historiens tardifs appellerait la Rome décadente. Tolérante. Ou on pouvait s'accoupler avec un homme, un enfant, un animal si on faisait parti de l'élite. Le reste du peuple devait se contenter d'une femme. Car les femmes sont les seuls animaux capables de fabriquer des enfants. On avait besoin de citoyens robustes pour les soldats. Et la guerre. Et lorsqu'on se désintéressa du métier des armes, comme il fallait toujours des soldats pour protéger l'empire, on engagea n'importe qui.

Et, comme il arrive toujours, les forts dirigèrent les faibles. Sauf que c'était maintenant, eux, les faibles. Eux qui avaient dirigé le monde.

Et lui-même avait contribué à la fin de ce monde.

À son époque, on condamnait les meurtriers. Et, dans ces jours nouveaux, on les condamne encore. Quoiqu'on fasse bien attention de réserver ce terme à quelques activités qui ne concerne que le commun.

Même dans ces jours, les meurtres et assassinats collectifs que sont les guerres ne son pas encore considéré ainsi. On érige encore des statues aux assassins. On avait érigé des statues à son image. Toutes avaient été détruite. Le temps ne lassant rien si on lui laisse suffisamement de jours.

Combien avait-il tué de gens?

Des millions.

Combien de guerre avait-il .. disons... participé?

Il les avait toutes faites. Du moins les plus importantes, celles dont il reste des souvenirs. On ne peut tout simplement être partout à la fois.

Il avait même détruit une civilisation entière.

Tué son père, sa mère, ses frères, ses soeurs, ses fils et ses filles.

Il n'avait aucun remords ni regret. C'était de la politique. Si le meurtre est nécessaire, il est donc obligatoire, donc meurtre il y aura.

Mais il n'était pas un monstre. Si on peut tuer quelqu'un sans le faire souffrir et qu'on le fait souffrir, on est un monstre et un mauvais chef.

Même Gengis Khan pensait une telle chose.

Pourtant, il avait fait tuer des millions de gens.

Il avait été oublié. Puis son peuple de guerrier et de rois et de princes et d'empereurs était retourné élever des ânes. Et on s'était ressouvenu de lui et lui avait érigé une immense statue de métal qui faisait plaisir aux touristes.

Son gigantesque tombeau était là quelque part. Il suffisait de le chercher pour le trouver. Mais on préférait le savoir là. Il portait bonheur. Avec toutes les épouses enterrées vivantes ou étranglées ou égorgées.

Le tombeau du premier empereur de Chine, le grand réunificateur, était là aussi. Plus ancien. Une montagne remplie de mercure.

Comme tous les autres, c'était un fou. Mais il aimait les fous. Il en était probablement un lui-même.

Seuls le fous comprennent de monde. Puisqu'ils l'ont créé à leur image.

Il fit rouler la tête au bout de sa botte. Elle roulait bien.

Un autre homme inutile.

Il y avait de la musique dans l'église. Il se sentait attiré. Il fallait qu'il lui parle.

*

31 mars 2013. État 1

Morts: 2

29.3.13

332.28. VENDREDI SAINT. BÛCHER FUNÉRAIRE. CRUCIFIXION ET DÉCAPITATION

Henry Dickson regardait dans le rétroviseur intérieur la dernière lumière du village. Puis plus rien. Le grand noir.

Ensuite, une boule jaune.

Un petit soleil dans la nuit.

Deux soleils la même nuit.

L'un s'étant transformé en feu de joie. L'autre venait tout juste de naître.

La même personne qui avait effacé le conseil municipal comme un Bernard l'Hermite dans sa coquille - et l'édifice entier. La bête et son labyrinthe. Blocs de béton au lieu de protéines et de cristaux de carbonate de calcium.

Ou une autre.

Venait d'effacer le CHS machin. Centre Hospitalier et de Soins de Longues Durées. Avec tous ses patients.

La ferme des vieux.  Vieillards en serre. Où on fait leur élevage avant l'abattage. Usine à cadavres. Manufacture de décès.

Patients.

Le mot est pour une fois précis.

Patients qui attendaient patiamment la mort.

Tout très moderne. Scientifique. Technique. Médical.

Les sociétés progressistes ont tout prévu pour gérer leur population. De la naissance à la mort. Et même après.

Et, après, ensuite, ça recommence. Encore. Une autre fournée de citoyens pour le grand tour. Et une autre. Et une autre. Et une autre.

Et lors de leur vie.

Ou plus précisément. De leurs innombrables battements de coeur. Ou souflles de leur respiration. Ou litres de sang déplacés. Pompés.

Pas innombrable car on peut très bien compter.

Donc lors de leur vie ou du nombre de jours, d'heures prévus à leur usage public et privé.

Sous surveillance constante.

Tous les fonctionnaires pour réglementer et légiférer. Quand ils devront traverser une rue. Et où.

Et lorsqu'ils respireront.

Ceux qui commencent et ceux qui arrivent en fin de vie.

Il y a des spécialistes et des procédures. Des institutions et des administrations. De grands édifices. Des archives. Des règlements. Rien d'improvisé. Tout reste impersonnel. Même s'il y a parfois de brefs sentiments élégamment mimés.

Une autre série de processus physiologiques et biochimiques arrive sur terre.

Et une voix récite un texte appris:

C'est une fille madame.

Elle est en parfaite santé.

Hum! Elle a comme un défaut. On ne sait pas très bien encore. Il faudra faire des tests.

Désolé, nous avons fait ce que nous avons pu.

À d'autres époques, c'était la chambre à gaz. Humanitaire.

Au lieu de les faire attendre interminablement une issue prévisible et les bourrer de drogues pour leur remonter le moral, les calmer, le faire dormir, les plonger dans le coma.

Les faire oublier (des pilules qui remplacent l'alcool) (et la religion).

Attendre.

De la résignation sous perfusion.

Tous nous tomberons.

Les transformer en objet à qui le personnel spécialisé (plus ou moins) donne des soins comme à une plante verte. On époussette. Lave. Arrose.

Range.

Objet ou chose que l'on peut déplacer facilement. Qui se poussent dans l'espace prévu à cet usage.

Il y a des roulettes.

Maintenant, ils peuvent attendre des mois et des années. Et se voir décliner, tordre et dépérir à chaque matin.

Pilules.

Injection.

Et certains ont la chance de se voir équarrir morceau par morceau. Comme le supplice Chinois. Des spécialistes dans la perversion.

En Afrique et chez les vieux pauvres (on est vieux à 50 ans), on crève à la première crise cardiaque. Ici, on peut en avoir 10. Qui vous laisseront de plus en plus diminués mais, sientifiquement. Et on peut faire respirer ce qui reste. Peut-être pas le faire bouger.

On fait des miracles avec un cadavre qui respire un peu.

Tout ça est vivant. Mais de moins en moins pesant. De plus en plus léger.

Faire circuler le sang. Avec une machine à la place du coeur et une autre pour la respiration et une autre pour l'alimentation et une autre pour l'évacuation des déchets toxiques.

Des chiffres. Lumineux. C'est mieux.
Et des petites lumières sans chiffre. 

Des sons. 

Des bourdonnements. 
Tant par étages.
Un ronronnement rassurant.

Scientifque.

De la belle mécanique.

De la plus belle encore technologie.

Vous pouvez ne plus avoir de cerveau mais le corps vit encore. Si on peut appeler ça avec ce mot-là.

On peut vous enlever de grands morceaux de votre corps et ce qui restera vivra longtemps. Si on peut utiliser ce mot.

Durera.

Ce qui est plus précis.

Question.

Pourquoi aujourd'hui?

En Afrique, on dit qu'un vieillard qui meurt c'est comme une bibliothèque qui brûle. Ce qui est exagéré. On a fait brûler toutes les étagères ici. Au cas où quelqu'un se souviendrait.

Parfois, vieillir, c'est comme au temps des rubans et disques magnétiques.

Parfois, vieillir, c'est comme lorsqu'on passe un aimant dessus.

Le grand effacement.

Ce qui remettait les particules de fer en ordre.

En faisant disparaître tout ce qui avait été enregistré et avait donné provisoirement un autre ordre aux particules de fer.

Et de cet ordre on avait modelé un souvenir.

Jusqu'à ce qu'on réenregistre dessus. Leur donnant une nouvelle fois une nouvelle forme. Un ordre nouveau.

Ou si on les efface à l'aimant.

Leur donnant leur ordre premier.

Sortie de l'usine.

Vide.

Les rubans et les boitiers de plastique et les corps de chair et d'os ne résistent pas à la flamme.

Explicable.
Simple polarisation des particules magnétiques d’un matériau ferromagnétique dont la fonction est d'enregistrer. Ce qu’on appelle se souvenir. Des mathématiques appliquées. De la biologie. De la viande. Et le souvenir n’est que la direction de la force du champ magnétique. Oxyde de fer gamma Fe2O3 et bioxyde de chrome CrO2. Protéine. Carbone. Sucre. Graisse.
Et ça vit.
L'information transformée en courant électrique devient un signal électrique. Qui circule.  Comme s’il y avait quelque part l'électroaimant qui provoquerait un champ magnétique qui magnétiserait le ruban. Ou le cerveau. Ou quelque chose dans le cerveau. Ou, quelque part, ce qui le remplace. Jusqu’à ce qu’on lui donne une empreinte. Ou l'efface. Ou enregistre une nouvelle information sur la première. Son. Image. Sentiments. Émotions. Marqueurs. Abaque. Arithmétique. Mathématique. Algèbre.

Écriture sur du sable, de la neige, de l'eau, de l'air.
Malgré des millions d'années d'essais et d'approximation, le matériau utilisé par le cerveau n’est pas parfait et sa quantité disponible n’étant pas infinie, il faut le recycler. Le réétuliser sans cesse. Faire du vide. Constamment du neuf avec du vieux de moins en moins performant. L'usure. Enregistrer un souvenir sur un autre. Et un autre sur une autre.
Quoique certains pensent que la mémoire est réellement infinie et que tout ce qu’on a vécu ou vu ou entendu ou pensé se trouve là quelque part. Attendant le signal ou le code pour se réactiver.
D’autres imaginent que c’est matériellement impossible. Parce que le cerveau, même replié sur lui-même n’est pas assez gros. N'étant tout simplement pas infini.
D’autres essaie de résoudre ce problème en disant que l’information ne se trouve tout simplement plus là. Le cerveau n’étant que le serveur d’un ordinateur extérieur. Ou comme si. Immatériel. Dans une autre dimension. Comme un miroir parallèle. Sur qui on se connecte. Du moins ceux qui savent.

L’équivalent des nuages modernes.
D'où la nécessité absolue de l'incendie.
Trop de gens se souvenaient.

Ou on a décidé encore une fois de punir les innocents et les coupables. Ceux qui savaient. Avaient agi. Ou laissé faire. Des témoins silencieux. Complices à un degré moindre dans l'échelle de la complicité mais indispensables par leur silence et leur inertie.

Sans eux, la mécanique des causes et conséquences n'aurait pu se mouvoir.

Et il fallait oublier ensuite.

Seuls ceux qui avaient réfléchi et agi savaient.

Probablement méritaient la mort.

Les autres sautaient en l'air projetés par l'éblouissement des réservoirs de gaz. Démontés e démantibulés lors de leur ascencion printanière.

Grand ménage de saison.

Mais coupables de quoi? Responsables pour qui? Il y avait tellement de crimes dans ce village que c'était un écosystème. Un étang à monstres digne du docteur Rostand. L'ami des grenouilles et des crapauds.

Vu de loin. Poétique. Digne d'une aquarelle ou d'un poème.

Oh! C'est joli. Comme les brins d'herbe. Alors qu'il y a une agonie, un égorgement, une dévoration dans le moindre espace secret. L'ombre tue. La Nature ne pardonne pas. Tout est nourriture et sang.

Ce qui meurt est digéré par ce qui mange. Devient sa substance. Son appétit. Et cannibalisera sa famille sous la forme de son boucher.

La villle c'est pareil.

Plus grand. Plus habité. Davantage infesté. Pire.

Le village aussi.

Modèle réduit.

Cette nuit, grand égorgement. Ou four crématoire pour les vieux et les jeunes.

La petite blonde avait vu comme lui la lumière s'éteindre subitement. Comme on meurt. Puis la boule lumineuse et chaude. Puis les flammes.

Puis le nouvel incendie.

Elle savait ou ne savait pas.

Mais elle préféra ne rien dire.

Observa ses 2 rétroviseurs. Ralentit un peu. Repris son allure.

Ce soir, on allait au cinéma à la ville voisine.

Cromwell joué par Richard Harris. Un autre boucher religieux fou comme l'espèce humaine en produit régulièrement.

Mais le film est si bien fait que si on le croit - et on le croit - on devient le film/l'image/lui/formidable acteur - on est d'accord avec lui. Même s'il joue un monstre anglais. Île où il n'en a jamais manqué.

Il est tout à fait normal que les fous dirigent les fous. Il y a comme une morale là-dedans.

Superbe film. Magnifiquement joué. Vu. À revoir.

On imagine très bien la boucherie d'époque.

On ne pense pas suffisamement aux nôtres.

Car plus loin.

Dans la vieille ville, loin. Mais pas tellement. 

La ville tordue aux murs de pierres glacées.

Un petit garçon venait d'être agrippé par le collet. Soulevé de terre. Il était léger. Petit. Presque portatif. Brièvement vivant.

Et la main puissante le lança dans la rue. Il tomba abruptement sur l'asphalte. Ce qui ne fit aucun bruit. Se fit mal aux mains. Aux genoux. Fut un peu sonné.

Surpris.

Eut le temps de voir l'auto qui arrivait. Pas la suivante. Ni le camion qui. 

*

29. 30. 31 mars 2013. État 3

Morts. 1 au moins. Ou 125.

26.3.13

331.27

Henry Dickson et la petite blonde regardèrent le spectacle.

L'explosion l'avait surprise. Elle avait arrêté son véhicule pour mieux regarder. Et il y avait des choses à voir. L'édifice était maintenant en flamme.

C'était le soir de la réunion préparatoire du Conseil. Tous les conseillers devaient être présent. Ce qui faisait que le maire et tous les conseillers présents devaient être morts. Sauf ceux qui étaient malades. Ce qu'on ne saura que le lendemain.

_ C'est toi qui a fait ça?

Monsieur Dickson regarda la petite blonde en l'observant. Il savait qu'il y avait quelques différents entre elle et un certain nombre de conseillers. Et le maire. Le nouveau maire. Puisque l'ancien était décédé dans des circonstances inhabituelles et suspectes. Mais le nouveau était aussi pire que l'ancien.

_ Moi ?

Main. Petite main. Sur le coeur. Ou la poitrine qui est sur le coeur.

En effet, comment une aussi jolie femme pourrait faire le moindre mal à personne? Précisément, monsieur Dickson savait très bien comment. Mais il était rare qu'elle haïsse en groupe. Phénomène administratif relevant de l'Église ou d'une structure politique. Elle haïssait donc individuellement. Et lorsqu'elle en avait assez, il y avait, disons, un accident malheureux.

Et toujours incompréhensible.

Parce que, compendre, aurait été... disons... trop, très.

_ J'imagine que quelqu'un a voulu démontrer son mécontement.

Peut-être. Si c'était le cas, il démontrait très bien.

Peut-être était-ce la vague, le courant, la fin de la déferlante de la commission d'enquête s'occupant de yeuxter les péchés de Montréal. Il y en avait tant qu'elle avait dû se spécialiser, ne s'occupant que de l'industrie de la construction et des contributions illégales aux partis politiques.

Comme si ce genre de chose ne se passait qu'à Montréal. 1112 municipalités dans la province. 50 % des travaux donnés par tous les gouvernements. Provincial. Et fédéral. Un puit sans fond de finance.

Ici, il y avait eu des contrats bien gonflés - pour un si petit village- à une compagnie d'ingénérie pour le système d'aqueduc. Qui avait duré 10 ans, avant qu'on manque à nouveau d'eau. Et ça avait coûté autant sans qu'on pose un seul tuyau comme lors de la première fois. Pour trouver un seul nouveau puit. À la même compagnie. Comme s'il n'y en avait qu'une et pas d'autres.

Il y avait donc des concurrents évincés.

Pas seulement dans les grandes villes qu'on élit les maire en truquant les éclections. Plus ou moins légalement. Élection clé en main avec toutes les options. On ne truque plus les boites de cartons. On ne se sert plus des pierres tombales et des défunts pour voter mais une compagnie se charge de faire la pub. Bénévolement. Avec une compagnie spécialisée dans l'organisation des élections. Et les meilleures coûtent cher. Mais le tout est gratis. Il suffira de donner les contrats aux amis. Ramassage de la neige, des ordures, asphaltage, béton des trottoirs. Dézonage quand il le faudra.

Comme si les compagnies d'ingénieurs étaient les seules à avoir les mains jusqu'aux coudes dans les bols à soupe de tout le monde. Quand on vit dans un système capitaliste dont l'unique motivation est le profit par tous les moyens possibles et imaginables. La cupidité étant son unique moteur. Parfait. Le fait de ne pas voler est presque une forme de bêtise. Quand tous les gouvernements ne demandent pas mieux qu'on les vole.

Pas les petits citoyens qu'on traitera comme des caniches. Mais on invitera tout ce qui a nom de compagnie à passer à la caisse.

Parce que dans ce monde, la nouvelle religion est le commerce et les affaires. Et les saints qui dirigent ces monastères ne peuvent qu'avoir raison. Et ils ont la plupart des médias: revues, journaux, radios, TV pour les encenser continuellement.

Mais on ne peut pas enquêter sur tout le monde. Parce qu'on ne veut pas que les citoyens de base deviennent aussi cyniques envers la classe d'affaires qu'ils le sont déjà envers les politiciens. Ce qui n'empêchera personne de voter en toute bonne conscience pour un voleur ou une voleuse.

L'enquête provinciale durerera 2 ans de plus. Certains prédisent qu'elle sera là encore 10 ans.

Où sont les voleurs?

Il suffirait de faire le tour des grosses baraques et de demander aux habitants comment ils l'ont payée.

Mais l'État participe à son propre vol - par l'intermédiaire des partis politiques qui en prennent alternativement le contrôle pour faire du pareil au même. On permet aux banques et aux riches de cacher de l'$ dans les paradis fiscaux. Ou la salle de bain de son condo. Ou un des plafonds.

Il y en avait même un qu'on avait prévenu de l'arrivée des flics venus perquisitionner qui essaya de couler des paquets de billets dans la toilette. Si au moins il l'avait passé à la déchiqueteuse avant.

Enrichissement sans cause. Comment justifier - mais on ne demande jamais- tout cet $ en cash lorsque vous avez été fonctionaire ou maire? Que votre salaire fait parti d'un décret gouvernemental. Avec les primes pour le déplacement. Les remboursements de dépense. Qu'il est proportionnel au nombre de têtes de citoyens et citoyennes. Un héritage. La loterie. La Bourse. Dieu qui vous aime. Le placer à la banque vous vaudra un reçu pour l'impôt. Qu'il faudra expliquer.

Alors on le met dans le plafond. Ou le mur. Ou le plancher. Dans de grosses enveloppes rembourrées. Confortables. Comme des coussins dodus. Et on empile les enveloppes. Que du confort.

Mais chez les riches voleurs, on a la collaboration des comptables et de l'État. On vous dit que vous pouvez blanchir votre $. Que c'est bien. Et où on peut le faire. Il y a des États dont c'est la principale industrie. Et des banques dont c'est le monopole. On blanchit l'$ comme si on avait le monopole de l'eau de Javel. Et l'$ devient propre. Pas qu'il était sale. Mais c'était de l'$ compliqué à expliquer. Une fois purifié, plus besoin d'explication ni de commentaire.

Et quand on enquête, on trouvera bien quelques brebis tâchées à sacrifier.

En voyant les flammes et quelques personnes sortir de l'immeuble, noircis et tomber dans la neige: il y a aussi quelques innocents qui paieront.

Celui ou ceux qui avaient organisés le coup savait ce qu'il/elle/ils faisai(en)t. Toute la bâtisse allait y passer.

La petite blonde était philosophe:

_ La terre rongera tout. Le maire du temps avait escroqué un de mes parents qui aimait trop boire. Il y avait une ferme et des champs ici. Avant. Il n'en reste même pas une seule photo.

On lui a fait signer des papiers. Il savait pas lire. Et même s'il avait su, il n'était pas en état pour faire de la lecture.

Il a donné ou quasiment, ses terres.

Et a signé tous les papiers qu'on lui frottait dans la face.

On ne sait pas si on lui a donné ou s'il a reçu de l'$. Le lendemain, il n'en avait plus. Ou n'en avait jamais eu. Mais parmi les papiers signés, il y avait les reçus pour les paiement. Il les a signé aussi.

Le lendemain, il a la gueule de bois. A l'impression qu'il a fait une connerie. Mais il n'arrive pas à se souvenir. Ce n'est que lorsqu'on est venu le jeter hors de sa maison, lui, sa femme et ses enfants, et les meubles, qu'on lui apprend ce qu'il a fait.

Il boit encore pour se donner du courage et va voir le maire. Lui et ses conseillers lui donnent une volée et il revient chez lui panser ses plaies.

Il a tout contre lui. Y compris maintenant la police. Car ses voleurs ont porté plainte. Il les aurait menacé.

Et comme il boit, il a fait des niaiseries. Et a des dossiers.

Les autres.

C'est des gens bien. Pensez! Le maire. Et d'autres gens bien. Il y a tellement de gens bien.

Et bien habillés.

Et pas lui.

Il se ramasse en prison.

On brûle sa grange et sa maison. On vend ses vaches.

Et comme il n'a plus de nouvelle de sa famille, à sa sortie, il s'informe. Sa femme est morte. Ses enfants donnés en adoption.

Le curé est dans le coup comme d'habitude.

Le notaire, l'avocat, le gérant de la Caisse Populaire.

Tout le monde a oublié cette histoire. Ou ne l'a jamais su. Ou a fait de grands efforts, méritoires, pour ne rien entendre, ne pas savoir, ne plus se souvenir.

Comme il ne pouvait rien faire contre tous ces gens bien. Et que la moitié du village ignorait tout de l'affaire, préférant le voir comme un énergumène. Pour que leur vision du monde ne s'effrite pas trop devant un excès de réalité. Comme il était un vieux rat dans sa boite de carton secoué par des enfants.

Il a bu encore plus que d'habitude. Longtemps. Ou juste assez. Jusqu'à ce que l'alcool lui perce l'estomac.

Quand il mourut, on avait fait une bâtisse moche sur ses terres. Une grosse salle. Et le maire régnait sur son fief.

Le monde n'aime pas les perdants.

L'univers n'aime pas les perdants.

Même l'herbe n'aime pas les perdants.

On l'a enterré. Comme il n'avait pas de famille. Sauf ses enfants trop jeunes pour comprendre - si on les avait informés dans les orphelinats où ils étaient. On ne sait même pas combien il en avait. Aucun n'est revenu ici. Ou on ne le sait pas. On dit qu'ils ont été adoptés. Ont pris le nom et l'histoire de leurs nouveaux parents. Meilleure que la leur.

On l'avait enterré au cimetière. Comme il n'avait pas de famille. Personne pour payer son lot. On a patienté un moment. Puis on a perdu sa patience. On l'a déterré et jeté quelque part. Et enterré un mort solvable dans son ancien trou.

Et on l'a oublié. Le maire d'alors est mort aussi. Riche. Bien sûr. Avec des héritiers riches.

Entouré de l'affection des siens. Comme on dit. Et de l'admiration de ses administrés. Car il administrait bien. Tant qu'on n'était pas trop curieux de la manière.

Heureusement, des tas de papiers son disparus des voûtes de la municipalité lorsqu'il a prit sa retraite. Les procès-verbaux des réunions du conseil qu'il présidait.

Comme ça pas de preuve, pas de papier, aucun chiffre.

Rien que des rumeurs.

Et des souvenirs.

Il aurait dirigé encore plus. Davantage. Il aimait diriger. Il trouvait injuste de mourir si jeune et si riche.

Il n'était pas jeune. Un vieux rat. Plissé aux dents jaunes.

Mais il était riche. Du moins pour l'époque. Et l'époque d'ici. Ou d'alors.

Trouvait ça injuste. Il en aurait voulu à Dieu. Mais à cette époque ça ne se faisait pas.

On aurait voté encore pour lui. Parce qu'on en avait encore plus peur que la haine qu'on en avait.

Et qu'on admire toujours celui qui peut vous nuire.

Mais plus d'élection pour lui.

Parce que c'était la circulation du sang dans le coeur. Quelque chose qui n'allait pas. Dans le temps, ça ne se réparait pas. De nos jours, non plus.

On parle du coeur comme organe. Machine. Pompe. Qui pousse du sang. Et non des sentiments.

Aujourd'hui, les mêmes gens bien parleraient de l'éthique en s'en mettant plein les poches et les bas. L'éthique c'est vague mais ça parait bien. C'est mieux que la morale. La morale amène tout de suite les mots comme bien ou mal. Pourquoi pas Satan.

Mais c'est la même chose que la morale. Mais la morale, c'est démodé. À l'époque, on s'adaptait comme de nos jours. On parlait tout le temps de la morale. En s'en mettant plein les poches.

On peut aussi parler de déontologie. De questionnement.

Il y a même des codes d'éthique. Si. Si.

Si on laisse son esprit délirer, on a presque l'impression d'être à un congrès de pédophiles en train de tâter des fillettes et des petits garçons.

Des gens bien.

Avec tous les mots qu'il faut.

Gras et content.

Il y a toujours quelque chose de troublant lorsque des gens trop gras parlent de morale.

Il ne reste rien de cette histoire. Sauf dans la tête de ceux qui savaient.

Alors que cette abomination brûle avec tous ses complices. Aucun n'était né à ce moment. Mais il n'y a personne d'innocent. En utilisant la bâtisse, ils dansaient sur sa tombe. Et ils dansent maintenant en Enfer.

Des histoires comme ça, il doit y en avoir 1112 dans la province. Des petits scandales. Et des gros scandales dans les gros organismes. Et des moyens, dans.

Quelle importance.

C'était la nuit. Noire. Sans lune.

Et un bref soleil lorsque les bonbonnes de gaz de la cuisine explosèrent bien haut. Comme un arbre blanc. En hiver.

L'incendie avait provoqué une panne de courant dans le village. Et tous les lampadaires des rues. Et toutes les lumières de toutes les maisons s'étaient éteintes.

Il n'y avait que le CHSLD, le mouroir à vieux - industrie florissante - qui était encore éclairé. Ayant une grosse dynamo au gaz.

Il faisait noir.

Et seule l'incendie éclairait ce qu'il y avait à voir.

La bâtisse était longue et il y avait de quoi brûler. Longtemps. Et elle brûlera d'une extrémité à l'autre. Du plancher de béton au plafond.

Qui était mort?

Des coupables ou descendants de coupables. Des innocents et descendants d'innocents.

Aucune importance.

Il y a 7 milliards d'habitants sur cette Terre.

Et tous sont condamnés à mort.

*

26. 27.  État 2

Morts. 7. Au moins.

330.26

Henry Dickson écoutait la petite blonde toute fière de son gros autobus et de son talent à le diriger. Et de ses bras dont elle admirait la force dans un volume aussi réduit.

Elle parlait d'une de ses cousines qui, elle, avait réussi à conduire un véritable gros autobus de voyageur, un Prévost Car de Volvo. Série X-3 45. 45 pieds. Empattement 334.5 pouces. 55 sièges. 208 gallons de carburant. 38 000 livres. Vide. 53 000 livres en charge. Moteur Volvo D13. 435 chevaux. Transmission automatique  12 vitesses. Roues de 22.5 pouces. Elle était toute menue -encore plus petite que la petite blonde. Dans son bel uniforme.

Un dossier parfait. Pas une erreur ou une plainte des voyageurs. Mais les belles histoires de princesse finissent parfois mal.

Un bonhomme s'était pris d'affection pour elle. Sans lui demander son avis. Leur relation est restée à distance tout le temps qu'elle aura duré. Il ne faisait que la suivre. D'un arrêt à l'autre. L'attendant à la descente des passagers. Et étant toujours là à leur montée. Finissait, même s'il ne lui adressa jamais la parole - se contentant de percer ses yeux du regard- et tout le reste de son anatomie - par devenir un rien encombrant. Pesant.

On découvrit plus tard qu'il avait fait un trou dans la poche de son pantalon ce qui lui permettait de se masturber en plain air, au chaud, discrétion, la main dans une poche et, direct sous la fermeture éclair. Dans une relative intimité. Monsieur Discret. Sans que personne ne le remarque. Chacun étant occupé par ses pagages ou son itinéraire.

Ce n'est qu'elle qui n'avait pas l'innocence des couventines d'il y a 50 ans qui a comprit son manège. D'un étrange admirateur, qui était toujours là, puis envahissant, il est passé à minable harceleur et voyeur. Qui ne cessait de reluquer ses fesses lorsqu'elle se penchait pour sortir ou entrer les valises des énormes soutes.

Et ses seins. Lorsqu'elle se penchait par en avant.

La petite blonde n'a rien contre les admirateurs - à condition qu'elle les trouve beaux. Ni contre les animaux - à condition que. Il y a bien des moments où un homme a tout le loisir d'être un animal et, elle, une chienne en chaleur. Ou lionne. Ou autre description plus appropriée.

C'est le fait que les astres s'alignent comme il se doit, au moment convenable qui décidera si l'union se fera ou si elle s'est faite, si elle durera.

Et si la fin sera douce amère, pénible ou cruelle.

Rien de pire qu'un mec qui décide de vous sodomiser par surprise quand vous faites la vaisselle. Sans même un petit bec dans le cou. Directement la main au pubis, sur le pantalon, ou sous la robe, dans la culotte, puis la main au cul et le pénis dedans ensuite. Quand une femme n'ose plus porter de robe - vu comme une invitation au gros bourdon comme une corolle de fleur, cachant à peine le pistil. Il y a comme un problème.

Et on parlera de l'incompréhension mutuelle entre les sexes.

Les anciens curés avaient pour instruction du Vatican d'encourager les femmes en confession (ils avaient un gros livres avec tous les péchés possible et les questions à poser aux femmes seulement) d'être en tout temps disponible à leur époux. Ceci faisant parti de leur devoir d'épouse.

Elle était comme un champs qu'il labourait afin de le rendre fertile. Le but étant de faire des bébés. Au lieu de poireaux. Le plus étant le mieux. Qu'elle en crève n'entrait pas dans le raisonnement. Bonne chrétienne, elle irait au ciel. Ou que les bébés poussés dans la terre aride meurent, aucune importance. S'ils étaient baptisés. De toute façon, ils étaient là pour mourir. Une sorte de raccourcis.

Ils ne faisaient que s'épargner une longue vie de misère et de privation. Qui ne servait qu'à éprouver leur foi. Et à mériter ce Ciel si peu accueillant. On n'était de toute façon pas sur Terre pour s'amuser. Surtout si on était pauvre. Encore moins, si on était femme. Et l'amour dans le couple, surtout en direction de l'épouse était vu comme une forme d'infidélité, d'adultère ou de prostitution. L'amour étant réservé à Dieu. Une sereine froideur étant conseillée.

Pour en revenir à sa cousine et son autobus. Ça a finit mal. Elle eut beau porter plainte. Contre un homme qui ne l'approchait pas. Sauf, rarement, dans le dos, mêlé aux autres voyageurs et touristes, alors qu'il était en érection. Sous son pentalon. C'aurait pu être le coin d'une valise. Ou un bâton de golf. Un peu plus mou.

Aucune preuve. Sauf sa robe ou son pantalon blanc (uniforme) un peu collant.

Il y a des limites à la patience d'une femme. Surtout d'une cousine.

Elle essaya de lui parler. Lui parler. S'expliquer. Déjà que l'approcher était difficile. Dès qu'il la voyait arriver, il se défilait. Il s'était amusé d'abuser d'elle sans qu'elle s'en aperçoive. Et une fois qu'elle avait compris son manège, c'était devenu encore plus amusant. Comment la surprendre ? Lui jouer un tour. La faire passer pour folle.

Car elle devenait maladroite.

Son gros autobus qu'elle contrôlait si bien, elle le contrôlait moins bien. Parfois, il lui échappait. Et, quelque fois, il y eut un l'accident. Son patron. Les assureurs de son patron furent compréhensif. Encore un autre trouble féminin. Et lorsqu'un parechoc ébréché vaut 3000$, on finit par moins comprendre.

Et comment comprendre quand on ne peut pas expliquer.

Le monde en est un de faux bourdons (ou de vrais) et de corolles de fleurs à butiner. Sans leur demander. Pour le bien de l'espèce. Si on cherche une explication positive.

Elle finit donc par se fâcher.

Et on retrouva son étrange et encombrant admirateur mort dans les toilettes où il se masturbait après une séance d'admiration collective. Il avait aussi besoin de public. Mais sans qu'aucun ne sache ce qui se tramait. Sauf elle et lui.

Un des 2 devaient partir. Ce fut lui.

Elle lui racontait donc cette histoire au moment où son minibus passait devant la salle du Conseil Municipal du Centre Communautaire du village. Et à ce moment, il y avait eu le Boum!

*

26. 27 mars. État 2

Mort. 1

329.25

Henry Dickson était dans l'autobus (minibus) (pas tant que ça) Sprinter version navette d'hôtel (avec porte accordéon comme dans un vrai) de la petite blonde. Il aimait bien se faire diriger par une femme. De temps en temps. Comme en ce moment pendant qu'il rêvessait dans la fenêtre.

Il était étonnant comme elle avait guérit rapidement. Il y avait là de quoi brûler quelques femmes. Normalement quand la peau est entaillée aussi profondément. Sans compter les os. Quand les pieds sont traversés de part en part. Et les mains. Que la peau proche du coeur est fendue. Mais, cette fois, pas de part en part. Seulement assez pour qu'on voit les côtes et le coeur battre. Qu'on entende parfaitement ses battements. Que toutes ces blessures entraînent des afflux de sang. Il est logique et parfaitement compréhensible qu'on meure. Et difficilement croyable qu'on n'en meure pas. Et, encore plus difficile à croire et comprendre que ces phénomènes ou symptôles disparaissent aussi rapidement qu'ils sont apparus.

Et, en effet, la paume de sa main était aussi douce qu'elle l'avait été. Et ses mignons petits pieds ne saignaient plus partout. Ce qui rendait le plancher glissant et dangereux.

Tout ceci était prodigieusement intéressant.

Elle lui demandait alors à quoi il pensait et il répondait alors: à rien. Ce qui la plongeait dans le plus grand étonnement. Comme bien des femmes qui pensent toujours à quelque chose. Passé. Présent. Futur. Le lendemain. Toujours inquiète. Ou craignent régulièrement quelque chose. Elle n'arrivait pas à comprendre qu'un homme puisse ne penser à rien. Et ses semblables n'arrivent pas à croire lorsque l'homme leur répondait - s'il les a entendu (ne penser à rien signifie parfois être ailleurs et sourd) - qu'il ne pense à rien. Mais comme il n'a pas de preuve pour démontrer ce phénomène ou le documenter, elles ne le croiront pas. Puisqu'elles pensent tout le temps, s'imagineront qu'il complote quelque chose, que c'est secret - d0nc pire - inquiétant - et qu'il ne veut rien leur en dire. Précisément pour ça. Elles l'apprendront bien assez  tôt. Ou. Que c'est très compliqué. Avec bien des conséquences. Il pense à sa maîtresse. À la manière de lui annoncer qu'il la quitte, elle, et ses 10 enfants. Que sa maîtresse est enceinte. S'il n'en a qu'une. Qu'il a envie de renouveau, de faire un trait sur le passé, de se sentir un homme nouveau. Et qu'elle fait parti de ce passé. Le hamster peut rouler à toute vitesse. Avec bien des options. Heureusement, la raison ou, à défaut, la logique ou le souper à préparer, les ramènent sur terre. Comme il ne les aura pas quitté le lendemain, ne les aura pas mis dehors avec leurs vêtements dans des sacs à poubelles, elles penseront qu'elles ont peut-être été excessives. Que, parfois, ça leur arrive. Les hormones. Encore.

Les humeurs. Comme du temps de Molère. Saignée. Purgation. Lavement. Douche d'eau froide. Le fouet.

Comme le type des nouvelles TV de la veille qui secouait sa femme pour la réparer. Sa femme était brisée ou endommagée ou défectueuse. Et il ne voulait que l'améliorer. Pour son bien. Que ses idées se remettent en place. Comme on faisait dans le temps où les appareils électroniques avaient des fils qui pouvait se dessouder. Ou des lampes ou des tubes électroniques qui pouvaient sortir de leurs socles. Les secouer provoquait des vibrations qui ramenaient les pièces disjointes plus ou moins ensemble. Du moins pour un certain temps. Une fois réparé, la femme redevenait fonctionnelle. Utilisable. Et le foyer harmonieux. Comme un vieux grille-pain. Il est vieux. Il y en a des neufs. Peut-être plus pratique. Mais on s'est attaché à l'ancien modèle malgré ses disfonctionnements passagers. On le secoue et il est réparé. Il retombera en panne. Et on le secouera encore.

Un autre type tapait sur la tête de sa femme avec la main ou le poing, encore une fois, dans un but éducatif, médical et charitable. Pour l'améliorer. Si le premier mécanicien avait été arrêté parce que sa femme en avait assez d'être réparé sans cesse; le second, c'était la police. Parce que sa femme ne bougeait plus. Était par terre. Étendu. Un peu déboitée. Et que les voisins, fatigués de cette opération sans anesthésie qui durait trop, avaient porté plainte. Pas assez vite pour que la police arrive à temps: la patiente n'ayant pas survécu à l'opération. Ce sont des choses qui arrivent. Personne n'est éternel. Ni les femmes et autres appareils ménagers.

C'est elle qui conduisait fièrement son véhicule. Depuis qu'elle avait été attaqué par le crétin dans sa Mini-Cooper (il avait une camionnette Dodge Ram 1500), elle pensait que, quoiqu'on dise, dans les magazines féminin (que les hommes peuvent lire) (à la veille d'une opération, sur la table à café (sans café) de la salle d'attente de l'hôpital ) - la taille importe ou a son importance. Sujet de conversation de bien des femmes - avec tous les sous-entendus utiles pour des femmes bien élevées et de bon goût - lorsqu'elles sont sûres que les hommes n'écoutent pas.

Quoique, en cette circonstance - Dodge Ram 1500 contre Mini-Cooper - la taille n'avait pas déterminé l'issue du combat. Au premier round, la Mini avait fini dans le fossé, sur le dos. Et, elle, pendue au plafond par sa ceinture de sécurité. En train de s'étrangler. La ceinture lui avait peut-être sauvée la vie. Ainsi que les coussins gonflables. Mais, à ce moment, la ceinture lui brisait le cou, lui serrait la gorge et elle mangeait le coussin. Elle l'avait tranché avec une dague Fairbairn Sykes 1940 de collection. Une des milliers que contient encore la cave de la maison. On a beau s'en débarrasser, c'est comme s'ils se reproduisaient sans cesse.

Bref, elle appliqua à son assaillant une bonne dose de thérapie de la parole: lui, expliquait pourquoi il avait voulu la violer. Et elle pourquoi elle n'en avait aucune envie. Et pourquoi il voulait absolument la forcer et elle pourquoi. Ce genre d'exercice pouvant durer indéfiniment. Chacun a ses torts. La femme, celui d'exister et de passer par là à ce moment. Et l'homme, d'être un homme - de la catégorie ordure - sous catégorie violeur - sous genre: de femme. Il y a toutes sortes de variantes et de spécialités.

Ou ce fut plus simple. Dans le genre Biblique. Grenades à fragmentation (ananas) MK 2 et pistolet Colt 45 1911 pour l'arrosage final. L'ordure en avait été quitte pour un voyage en avion en enfer. Mais c'est une autre histoire.

Elle avait voulu ces souvenirs parmi tous les souvenirs de la cave. Et remplaça ces souvenirs par d'autre à son retour.

Sauf le Colt qui avait très bien fonctionné malgré 70 ans d'hibernation dans une boite. Il ne manquait que 8 balles. .45. Mais il y en avait autant qu'on voulait dans d'autres caisses. Elle en prit une poignée avec des chargeurs.

Malgré que monsieur Dickson lui ait affirmé que quelles que soient les qualités du Colt 45 d'époque - pas 1911, date de son invention -mais 1945, pour cette version. Il y avait mieux. Les armuriers ne s'étaient pas  tournés les pouces tout ce temps. Comme elle avait une petite main forte, le Colt était encombrant - mais on pouvait très bien s'en servir à 2 mains, ce que les spécialistes conseillent. Et elle s'en était très bien servi avec quelques minutes de conseils. À 2 mains. Presque à bout touchant de la tête du crétin. 8 balles dans le cerveau. Il avait été surpris au début lorsqu'il l'avait vu surgir à sa droite. Mais moins ensuite. Mais il y avait mieux. Tout aussi efficace. Qui tiendrait bien dans sa main.

Mais c'était devenu une arme porte-bonheur. Quoi répliquer au bonheur?

La petite blonde est comme ça: faut pas lui marcher sur les pieds. Ou essayer de lui taper dessus avec un cric. Chacun ses caprices.

Quoique, à la défense, de son assaillant, il n'avait pas encore essayé de lui fendre le crâne à coups de crics ou lui défoncer la gueule à coups de poings. Ce qu'il avait l'intention de faire après le viol. Mais les choses s'étaient précipitées. En fait, il avait un peu perdu le contrôle. La Mini-Cooper était dans le fossé. Sur le dos. De la fumée sortait du compartiment moteur. De la calandre. L'antigel coulait sur le moteur chaud. Lui avait la chienne et n'osait plus sortir de sa camionnette. Si l'auto prenait feu. Il était là à se demander quoi faire - il aurait dû interroger une autre personne mais il était seul - parce que ça s'éternisait. L'auto continuait à fumer. Elle ne brûlait toujours pas. N'explosait pas encore. Et lui se demandait s'il allait partir ou se risquer à descendre le talus pour la sortir de là. Pas par scoutisme. Parce que si on veut violer une femme, il faut une femme. Il y a quelque chose d'élémentaire.

Depuis le temps qu'il se faisait des scénarios dans sa tête à 3 neurones sur la manière dont il allait la crever et, comme ça ne s'était pas passé selon le scénario, il restait là à attendre. Sans pouvoir se décider. Il aurait pu se dire que c'était une mauvaise action. Pire, une action stupide. Qu'il avait de mauvais amis et qu'il serait temps d'en changer. Qu'ils ne cessaient de lui donner de mauvais conseil. Mais il aurait pu tout aussi bien parler à sa tête. Tête qui dans un instant exploserait. Son cerveau était son pire ennemi. Quoique le mot «cerveau» ou «intelligence» dans son cas.

Il aurait pu se dire.

Il aurait dû se dire.

Qu'il pouvait retourner chez lui et tout oublier. Il avait déjà démoli l'auto de la petite blonde. Mais elle ne saurait pas qui c'est. C'était la nuit. Il l'avait suivi. Pourchassé. Ébloui avec ses phares. Tous en hautes. Elle ne saurait jamais qui c'est.

Tout allait mal. On était encore au commencement et ça foirait. Mauvais signe. Aussi bien abandonner tout de suite quand le destin n'a pas envie de vous aider. Il avait déjà violé des femmes. Ça s'était à peu près toujours bien passé. Parfais moins. Mais il avait toujours gagné. Femme zéro. Homme un. Rien que du plaisir et de l'agrément. Mais là. Ben là.

Et il regardait stationné sur la terre et l'herbe sur le bord du chemin de campagne l'auto qui fumait en bas. Violer. Pas violer.

Il en avait une furieuse envie.

Pendant ce temps, la petite blonde coupait la ceinture de sécurité avec sa dague super aiguisée. Tapait sur la vitre qui refusait de s'ouvrir avec le manche en bon métal. Et la vitre cassait. Et la vitre la coupait parce qu'elle était mal cassée. Des tas d'éclats et de pointes pointues qui grafignent, coupent, déchirent. Peau. Tissus. Peau. Mains. Bras. Tête. Dos. Ventre. Cuisses. Du sang partout. Et sortait en fumant comme son moteur.

À partir de ce moment, il était trop tard. Il y avait de l'agonie et du carnage dans l'air.

En fait, il devait ramener ce qui restait de la petite blonde à ses amis qui étaient à ce moment dans la grange de monsieur Dickson en train de pisser sur ses autos. Et de taper sur les caisses de crayons explosifs. Les retardateurs pour l'explosif plastique. Dans les autres caisses. Comme ça pissait dans la cave. Que l'explosif était instable. Était sec ou semblait se décomposer, poudre ou mélasse, on avait cru plus prudent de le transférer dans la grange. Sans penser que des idiots.

Bref, ils devaient violer la petite blonde, lui casser la gueule et la pendre à une poutre de la grange. Pour faire une farce à monsieur Dickson. Homme qui comprend la subtilité de l'humour.

Ces intellectuels pensaient à toutes ces sortes de choses pendant que d'autres grands esprits tapaient sur les caisses.

Ce fut Biblique.

Encore.

Tout le monde s'est retrouvé en avion.

Mais c'est une autre histoire.

Et une autre allait commencer

La Sprinter passait devant le Centre Communautaire du village lorsque ça fit BOUM!

*

26. 27 mars. État 2

17.3.13

328.24. OÙ ON OBSERVE QUE LA PETITE BLONDE N'EST PAS ENCORE MORTE MAIS QUE ÇA NE TARDERA PAS.

Henry Dickson revint à lui.

- Wow !

Il regarda autour de lui. Chercha la hache dont il sentait encore la forme et le poid et le poli du bois du manche de hache dans sa main.

Sa main était vide.

Pas de hache par terre.

Monsieur Dickson regarda autour de lui.

Tout était si vrai.

Comme s'il avait vécu une vie parallèle, seconde, aussi vraie que l'habituelle. Encore plus vraie. Plus claire. Si évidente. Dont chaque moment était inoubliable. Remplie de grandes actions. De ces événements inoubliables que l'on ne vit qu'une fois. Lorsque la vie bascule. Ou branle. Ou tremble.

II fallait faire un effort de mémoire et de rangement pour bien séparer ces vies. Comme 2 rails d'acier. Aussi fermes et brillants et luisants.

Et

Ensuite mettre de côté l'autre vie. Qui s'affadissait déjà. Signe que c'était bien une autre vie. Pas tout à fait vraie. Ou pas aussi vraie. Mais si vraisemblable.

Et on ne remarque cette différence que lorsqu'on en sort. Lorqu'on est sur le point de sortir. Quand il y a dehors et, déjà, un peu lointain, dedans ou hier ou déjà.

Et, en un instant, l'autre vie, la seule vie possible s'engouffre. Et prend toute la place.

Et l'autre vie se dissoud.

Monsieur Dickson regarda donc autour de lui. Chercha. Trouva.

La petite blonde était encore là.

Au bout du fauteuil. Et non étendue sur la table.

Avec toute sa tête sur ses épaules.

Comme il n'y avait pas de hache dans sa main ni par terre, comme elle avait encore sa tête e son cou, il ne...

C'était encore un rappel de l'autre vie.

Un rêve.

Hallucination.

Mais tout n'était pas normal.

Elle était bien là.

Endormie.

Inconsciente.

Couverte de sang.

Il avait de la difficulté à abouter ses idée. Lui qui aimait penser froidement. Voir les idées et les aligner comme des objets. Que l'on place, avec qui on joue.

Il était donc encore emmêlé dans l'autre rêve. L'autre vie. L'ailleurs.

Le sang.

Tout ce sang.

Mais elle avait encore sa tête.

Il l'avait battu?

Ne s'en souvenait plus ?

Il se demanda si elle respirait encore.

Elle respirait.

Bon. Ça.

Bon. Bon. De respirer.

Elle avait une robe de chambre.

Il ne se souvenait pas qu'elle en portait une.

Robe de chambre épaisse et blanche.

Tachée de sang.

Puisqu'elle respirait, il fallait... il valait mieux la réveiller. Ou peu importe comment on appellerait cet état d'esprit si ce n'était pas tout à fait le sommeil.

Il l'appela par son nom.

Plusieurs fois.

Elle se réveilla difficilement. Si on peut appeler ceci réveil. Comme on aurait pu appeler l'état précédent sommeil.

_ Wow!

Elle le regarda. L'observa les yeux à moitié ouvert. Se rappela plus tard qui il était et ce qu'il faisait là.

_ Wow!

Elle lisait très bien dans son esprit.

_ Tu as fait le même rêve que moi?

_ D'après toi, c'était un rêve?

_ Il y en a tant de sorte.

Elle se rappela qu'elle avait soif quand elle se mit à tousser.

Essaya de se lever. Toma assise sur le fauteuil.

_ C'est comme si j'avais bu. On a bu ?

Il haussa les épaules. Ne se souvenait pas. Il n'y avait pas de verre ni de bouteille. Nulle part.

Elle se rappela quelques temps plus tard qu'elle avait un corps et le regarda.

_ Je suis toute mouillée.

_ Tu penses qu'il faut aller à l'hôpital ?

Elle regarda ses bras, ses mains, se concentra sur ses doigts. Les fit marcher, bouger, les agita, actionna ses articulations. Puis celle de son poignet.

Regarda ses pieds nus.

Fit bouger ses orteils.

Ses stigmates s'étaient ouvertes. Elle n'avait plus ses bandages. Et le sang coulait des plaies et des trous de ses mains et de ses pieds et de son coeur. Le tissus de robe de chambre collait à elle.

Elle mit la main entre ses cuisses et sous sons dos.

_ Charmant!

Elle avait eu ses règles. N'avait pas pensé prendre les précautions habituelles. Ce qui faisait qu'elle était assises sur une grande flaque de sang.

_ Le coussin est foutu.

Le coussin était foutu. Et le coussins du dossier du fauteuil.

_ Et je dois avoir le cul rouge comme une femelle Bonobo en chaleur. La robe de chambre est foutue.

Elle passa sa main sur son nez.

_ Mon nez coule.

Elle retira sa main couverte de sang.

_ Et je saigne du nez.

Elle tâte sa joue, son ventre.

_ Est-ce que tu m'a battue?

_ Je ne m'en souviens pas.

_ Je n'ai mal nulle part. Je me sens juste un peu faible.

_ Tout le sang perdu. On va à l'hôpital.

_ Non.

Elle essaya encore se lever. Glissa dans la mare de sang sous ses pieds et retomba assise.

_ Si tu continue à couler comme un érable au printemps, tu ne passera pas la nuit.

_ On est la nuit?

Bonne question, il ne savait pas. Il regarda les fenêtres au loin. Oui, on était la nuit. Impossible de savoir l'heure.

C'était la pleine lune. Ronde et basse. Blanche. Comme un oeil dans le ciel noir. La lune des fous.

Derrière la fenêtre, la grosse lune qui les observait de son oeil borgne.

_ J'imagine qu'il est un peu trop tard pour être gênée. Une femme qui perd son sang devant un homme, s'il n'est pas son médecin.

_ Dis-toi que tu aurais pu vomir.

_ C'est vrai, j'aurais pu vomir.

_ Ou avoir la diarrhée. Ça arrive aux voyageurs qui vont au Mexique. Parfois dans l'avion. Ou l'autobus. Direct sur le tête du passager avant. Les petits estomacs et intestincs des occidentaux peu habitué au changement.

_ Oui. On pourrait dire que ça aurait pu être pire.

_ Conseil gratuit.

_ Et tu ne m'as pas coupé le cou.

_ Tu as fait le même rêve que moi ?

_ Ce n'est pas un rêve. C'est la maison. C'est la pleine lune. Il y a encore des choses que tu ne comprends pas.

_ Tu aurais pu mourir.

_ Qui te dit que je ne suis pas morte?

_ Il y a des années que je pense que je suis déjà mort. Quelle importance.

_ Si tu ne tiens pas à la vie plus que ça, la maison te tueras.

_ J'y ai pensé. Je pense encore que si elle ne m'a pas tué, comme des tas d'autres avant, c'est que je m'en fous. Les choses disparaissent. Et après. Les choses réapparaissent. Et après. Il y a des ombres au pied de mon lit. Des ombres qui ressemblent à des gens. Des gens qui me regardent. Des pleurs en haut quand je suis en bas. Des pleurs dans la cave quand je suis dans la cuisine.

_ C'est le vent.

_ On dit ça aux enfants. Le chat qui disparait. Le chat qui n'est pas là. Le chien qui n'était pas là. La maison vide. Et tout à coup: un chat et un chien.

_ C'est la maison.

_ Je voyage sans savoir vers où. J'arrête à côté d'un chemin et au bout du long chemin il y a une maison. Parce que j'ai soif. Il y a à côté du chemin une vieille pancarte «À Vendre» «Directement du propritéaire». Je m'en fous. Je voyage. Je suis un chemin puis un autre. Parce que je vais nulle part. Et parce que je viens de nulle part et que je n'y retournerai pas.

J'aurais pu avoir soif encore plus longtemps et m'arrêter au village suivant. Je vais en auto dans le sentier de terre menant au perron de la maison et je vois la porte s'ouvrir et je vois 2 fous. Un fou et sa folle sortir en courant. La femme est encore plus folle que lui. Tout juste s'ils ne tombent pas de l'escalier cassé. Je leur demande si je peux avoir de l'eau.  

La folle retourne dans la maison me chercher un verre d'eau et me le ramène en manquant encore une fois se tuer dans l'escalier.

J'ai l'impression d'entrer dans un magasin en faillite. Le proprio attend le huissier. Et je suis l'unique client de la journée - les gens n'aiment pas le magasins en faillite et les malades - Et je suis celui qui peut les sauver en achetant quelque chose. Mais je n'ai besoin de rien.

L'eau était froide et bonne et je n'avais plus soif.

Et les 2 fous me regardent plein d'espoir.

Ils me disent tous les 2 que la maison est à vendre. Je leur ai dit que j'ai vu la veille pancarte. Il y a probablement des année qu'elle est à vendre. Souvent les gens dans cette situation, enlève la pancarte l'hiver et la remette l'été. Dans l'espoir qu'un touriste passera. Rien de pire qu'une pancarte qui reste là indéfiniment. Les visiteurs, s'il y en a, comprennent que la maison a un vice caché. Que tout le monde du coin le sait. Raison pourquoi persnne n'en veut. Et que si ça dure depuis des années, le vice doit être sacrément vicieux.

Je répète que je n'ai pas envie d'acheter une maison, leur maison, n'importe quelle maison. Et j'achète leur maison.

Ils disent un chiffre.

Surprise.

Le montant en cash qui me restait dans le coffre de l'auto. Si on veut voyager sans laisser de trace, il faut payer en billet. Sinon, avec une carte de crédit ou de débit ou des chèques ou des billets American Express, c'est comme le petit poucet. On te suit à la trace.

C'est peut être quelque chose dans l'eau.

J'achète.

J'aurais pu l'avoir pour moins cher. Ils avaient envie de la donner. Ils auraient pu. Mais je comprends plus tard qu'ils ne pouvaient pas. Ils ne pouvaient pas partir de la maison ou la maison ne les laissera pas partir tant qu'ils ne l'auront pas vendu à quelqu'un. Quelqu'un qui restera là. Ils auront beau aller ailleurs, loin, ils ont essayé, la maison les retrouve toujours et les ramène. C'est comme s'ils n'étaient jamais parti.

J'avais du papier, on écrit l'acte de vente sur le coffre de l'auto. Et je leur fait signer et ajouter leurs emprentes digitales.

La maison est peut-être endettée, on va peut-être la saisir, mais au prix où je l'ai payer, je rentre dans mon argent si je considère que c'est un loyer qui dure quelques mois.

Ils ne veulent pas retourner dans la maison et j'appelle pour eux un taxi qu'ils attendent avec moi. Ils repartent sans valise, avec leur linge sur le dos. Et mon verre d'eau est encore dans mes mains. Leur verre d'eau. Je peux en faire ce que je veux. Ils ont même laissé leur auto dans le garage.

On aurait dit des prisonniers qui viennent de s'évader.

Et je les regarde disparaître au bout du chemin dans le sable.

Bizarre de journée. J'allais tout droit. Et tout d'un coup, me voilà propriétaire. Les clés sont à l'intérieur. Ils m'ont dit à peu près où, ils ne s'en rappelait plus.

Et j'entre dans ma maison ou comme les gens du coin l'appellent: la maison.

Et je dors un mois.

Ensuite, il y a toutes sortes de choses.

_ Et le chat.

- D'abord le chat.

_ Et la vieille femme qui faisait le ménage et qui vient me dire bonjour parce qu'elle s'en va à l'hôpital parce qu'on lui a diagnostiqué un cancer des poumons. Elle ne fumait jamais. On lui a dit qu'elle n'en sortirait pas. Elle venait dire bonjour aux anciens propritéaires pour qui elle nettoyait. Elle ne savait pas qu'ils étaient parti. Elle me trouve. C'est elle qui la première m'a parlé de la maison. De la hache. Du mari qui avait tué sa femme. Juste là dans le salon. À 10 pieds d'ici.

Et elle m'a dit bien d'autres chauses.

Et ce n'était rien par rapport à ce que j'ai découvert par la suite. Et j'ai découvert le village. Au début, tout le monde me regardait bizarre. Comme si j'étais transparent. Ou mort. Comme si je portais malheur.

- Dans les petits villages, les nouvelles vont vite. On savait que la maison avait été vendue. Mais pas à qui. On surveillait ce qui allait se passer.

_ Plus tard, j'ai compris que le village est comme divisé en 2. Il y avait encore et il y a toujours des gens qui me regardent comme si j'étais mort. Et il y a les autres. Les autres qui lorsqu'ils, je devrais dire «elles» ont compris que je ne mourrais pas tout de suite, que je ne maigrissait pas, que je n'avais pas l'air malade ou pas fou...

_ Ou pas plus que d'habitude.

_ Si tu veux.

_ Ça m'a surpris. On s'est mis à me donner du pain, des tartes, des bonbons au chocolat, du sucre à la crème, tout dépendant de la saison. Des femmes que je ne connaissais pas. De tout âge. Et les plus jeunes me faisaient de l'oeil. Pas farouches. J'aurais pu piger comme un enfant dans un plat de bonbons.

_ Pendant un moment, on a cru que tu étais homo... Pas qu'on est contre. Ou pour. Mais dans le village, il y a 2 femmes pour un homme. Et c'est un peu injuste si...

_ On m'appelait monsieur. Et bien vite, par mon nom. Même si je ne l'avais donné à personne. On me donnait toujours des pâtés de viande. À ce régime, si j'avais mangé tout ce qu'on m'a donné, j'aurais engraissé comme un cochon.

_ Tu n'as rien jeté...

_ Je ne jette pas les cadeaux. J'en ai fait congéler. Et j'en ai donné à des amis. J'ai bien le droit de donner des cadeaux en trop. J'ai pensé qu'on pouvait vouloir m'empoisonner et puis je m'en foutais.

_ Qui t'a donné cette idée.

_ Les autres habitants du village. Si tu avais vu avec quel air ils me regardaient. Il y a la vielle expression: si les yeux pouvaient tuer. Le même air qu'hier, encore. Mais je m'en fous. Eux m'auraient empoisonné sans doute s'ils m'avaient donné des cadeaux mais ils ne m'en donnaient pas. Je suis encore invisible. On n'a pas tous les jours l'occasion de se voir comme si on était mort. Comme un esprit qui flotte.

_ Mais il y avait les autres.

_ Et, peu à peu, j'ai appris pour les cousines.

_ Et les soeurs, les nièces, les filleules.

_ Et il y a eu le squelette dans la cheminée. Et la morte dans la chambre du haut. Momifiée. Et son téléphone sur la table de nuit qui sonnait comme si quelqu'un essayait encore de l'appeler. Même s'il y avait bien 70 ans qu'elle était morte. Et on ne sait pas encore qui sait. Et comme disait quelqu'un: que les morts enterrent les morts. Et c'est toi qui m'a aidé à tout démantibuler. Le fou et sa folle avaient passé des années à faire tout un réseau de couloirs et de tunnels dans le haut. Autour de la chambre de la morte. Mais c'était avant eux.

Et il y a les os qui sortent de terre au printemps. Avec les roches. Comme s'il y avait eu un cimetière ici. Et les enfants et les bébés morts enterrés au pied du grand chêne derrière la maison. Tous ces petits os.

_ On dit qu'on les broyait pour faire du savon.

_ Pourquoi pas. Produit du terroir.

_ Il faudra en reparler.

_ C'est la nuit. Il y aura peut-être demain. Il faut que tu te couches. Mais avant que tu prennes un bain. Si on est capable de t'arracher ton linge sur le dos. Avec tout ce sang séché.

_ Tu as raison. Je vais y aller.

Elle essaya bien d'y aller mais tomba presque par terre.

_ Je crois que je ne vais aller nulle part.

_ Je crois que je vais te donner un bain. Comme ça tu sentiras bon.

_ Je pue?

Elle souleva le haut de sa robe de chambre pour sentir sa peau.

_ Je suis capable de monter toute seule.

_ Je ne crois pas.

Et, en effet, elle était incapable de monter l'escalier toute seule. Pas plus que de s'extraire du fauteuil. Sans compter que ses pieds sanglants et glissants ne l'aidait pas tellement.

_ Bon. Dodo les petites filles.

Elle regarda le grand escalier. Trop de marche. Elle se sentit encore.

_ Il y a 3 possibilités. Je te monte sur mon épaule comme un sac de patates. Ou sous le bras, comme une dinde. Ou dans mes bras, comme une amoureuse. Ou un camarade soldat blessé au front qui ne peut plus marcher.

_ Comme une dinde...

Elle réféchit.

_ Je pense que je vais rester ici et continuer à saigner.

_ Tu ne sais pas ce que tu dis.

_ Nous les femmes, on est souvent comme ça.

_ Dans ce cas, pour ton bien, je vais utiliser la force contre toi.

Il la regarda.

Elle l'observa.

_ La seule façon de m'en empêcher est de me tuer.

Il lui sourit.

_ Je sais que tu en est capable.

_ Moi !?

Comme une petite fille prise en faute.

_ Et je n'ai pas peur de la mort.

Elle étudia un moment la question. Allait-elle le tuer? Au point où elle en était avec tout ce sang répandu. S'il n'était pas tout à fait dégoûté de toutes ces bonnes femmes qui se répandent partout. Bien sûr, un compagnon qui regarde sa compagne accoucher en voit plus. Mais on n'en était pas encore là. Il faudrait le convaincre ce qui ne sera pas facile.

Elle décida donc de ne pas le tuer. Et sourit.

Il lui rendit son sourire.

_ Dans tes bras. Si tu as la force?

Il se leva, alla vers elle et lui tendit la main qu'elle prit du bout de ses doigts. Comme une cavalière qui allait danser.

_ Tu prend ton bain avec moi. Comme d'habitude. On a à jaser.

Et il la prit dans ses bras et monta avec elle le grand escalier. Elle, comme une amoureuse.

*

17 mars 2013. État 1