HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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11.1.13

323.19. LA CULTURE EST VOTRE AMIE

Monsieur Dickson écoute Radio Canada FM première chaîne à la radio. Puis une idée passa au travers de sa tête. La petite blonde devait discuter à la radio communautaire universitaire ou quelque chose du genre. Mais il ne se souvenait plus de l’heure. Il ne faisait que dormir ces temps-ci et sa mémoire aussi.
Heureusement, même sans sa présence, il est désormais possible d’écouter le monde extérieur de l’intérieur de la maison. Tant de choses ont changé depuis qu’elle s’est manifestée dans sa vie. Une vie plus compliquée alors qu’il la voulait plus simple et n’avait pour but que de la simplifier davantage. Comme une balle dans la tête. Alchimie du cuivre et du plomb.
Ce n’était pas elle mais un autre animateur.

Pas la bonne heure.

Elle avait dû noter sur un Post It collé au frigo l’heure mais il ne le trouvait pas. Et la date aussi. Les jours passaient si vite. Et les semaines.

Pas ça non plus.

Quelque chose qui était disparu et qu'on ne pensait plus revoir était revenu. Mais ce n'était pas ce dont il avait besoin à ce moment précis.

Pas de Post it.

Encore une fois, les choses disparaissaient ou elle avait simplement oublié.

À tout hasard, il ouvrit le poste de radio au poste pré-sélectionné.
_ L’année 2013 marquera le 40 e anniversaire de la station de radio communautaire de Québec, CKRL 89,1. Sous la présidence d’honneur de l’ancien maire de la ville de Québec.

L’animateur lu la citation de l'ancien maire. Un des rares à peu près pas cinglé qui a dirigé la ville.
_ Pour moi CKRL est et a toujours été une école, une fenêtre ouverte sur l'avenir, la liberté de dire, de partager et de tolérer et
Après la citation de circonstance, l’animateur continue :
_ Vendredi, 11 janvier 2013. Soirée anniversaire. Et toute l’année, 2013 vibrera au rythme des festivités du 40e  qui culmineront avec le radiothon annuel. Le premier datant du 20 mars 1981.

La mère de la charmante demoiselle qui partageait sa vie et son lit ou le contraire devait avoir à peu près le même âge que sa fille, 20 ans. Ou 16 ans.
_ Pour les nostalgiques, des capsules historiques audio 40 e  anniversaire seront diffusées  toute l’année sur les ondes du 89,1 .
Et nous commençons par la première. Bref historique :
Automne 1970, 8 étudiants de l’université Laval préparent un dossier pour l’obtention d’un permis du CRTC – Conseil de la Radiodiffusion et des Télécommunications Canadiennes- dans le but de créer une station de radio communautaire dans le cadre d’un projet gouvernemental Perspective-Jeunesse du Secrétariat d'État du Canada.
Juin 1971. Dépôt de la demande devant le CRTC.
14 juillet 1972. Le CRTC accorde un permis de radiodiffusion pour l’opération d’une station communautaire francophone, FM-Laval.
Mais comme les choses simples ne sont jamais aussi simples qu’on le croit, ce ne sera que le 3 ans plus tard, après bien d’autres démarches, des demandes de permis et de subventions, des disputes au sujet des ondes à allouées, des plaintes des radios privés pour cause de concurrence déloyale subventionnée pour des gauchistes, que le jeudi 15 février 1973 à 17h.  des battements de cœur se font finalement entendre sur la fréquence 89,1. CKRL prend vie. RL. signifiant Radio Laval. CK, on s'en rappelle plus mais notre spécialiste sera bientôt là. Qui diffusera sur le 89,1 sur la bande MF pendant les 11 années suivantes du premier sous-sol du pavillon Charles-de-Koninck de l'Université Laval, qui l’héberge et participe à son financement.
13 septembre 1976. Après avoir été en ondes quotidiennement 19 heures par jour, de 5 heures de l’après midi à minuit, la station commence à émettre à partir de 7h le matin.
Et cet exemple sera imité. D’où la création de plusieurs radios communautaires au Québec. Selon notre historien des communications, professeur à l'université Laval, qui n'est pas là mais y sera bientôt, CKRL est la 2 e  fréquence MF de la ville de Québec et la seconde radio communautaire au Canada. Née 6 mois après celle de l’Université Simon Fraser en Colombie-Britannique. Première radio communautaire de langue française au monde. Les radios libres et pirates de France ne se manifestant que 4 ans plus tard.
Des centaines de bénévoles passionnés se sont succédés derrière son unique micro. Et la tradition se poursuit. Et nous avons maintenant quelques micros de plus. Nous conservons nos fidèles et des émissions sont à l’antenne depuis plus de 20 ans. 
Septembre 1978. CKRL accueille en ondes les groupes communautaires de la région de Québec.
La station, depuis ses débuts jusqu’à ce jour, n’a jamais dévié de ses buts : favoriser l'expression musicale québécoise, francophone et étrangère. Offrir une information critique afin d'améliorer la qualité de vie du milieu. Conception dynamique de la radio MF. Promotion des idées créatrices et de l'animation culturelle en intégrant les ressources du milieu. Développer la solidarité entre les groupes d'intervenants de la communauté en permettant la participation du milieu et l'accessibilité des ondes aux individus et aux groupes de la communauté régionale.
Avril 1984. Avec le soutien des Ministères des Communications, de la Culture et des Relations Internationales (maintenant, Ministère de la Culture et des Communications et MRIFCE, Ministère des Relations Internationales, Francophonie et Commerce Extérieur) CKRL  organise la première quinzaine de la radiophonie internationale.
Été 1984. CKRL quitte le campus de l’Université Laval et emménage dans le vieux Québec.
Avril 1987. à quelques mois du Sommet de la Francophonie à Québec, CKRL présente une soixantaine d’invités et 100 heures de radio francophone internationales.
15 février 1988. CKRL célèbre ses 15 ans.
Octobre 1992. CKRL  quitte le vieux Québec et emménage en haute ville, au coin de Grande Allée. 
Mai 1995. Le cordon ombilical avec l’Université Laval est définitivement coupé. La station n’étant plus logée sur le campus depuis 10 ans, le nom de la corporation est modifié pour celui de CKRL FM.
Février 1998. CKRL fête ses 25 ans et ses artisans. La station n’aurait pu exister sans la collaboration de 4000 bénévoles dont la petite blonde. Elle aura donné la parole à 600 organismes culturels et sociaux. Et son auditoire est de 80 000 personnes. dont font parti la petite blonde, le chat, le chien et monsieur Dickson.
Juillet 2001. CKRL est devenue propriétaire de son édifice sur la 3e avenue.
11 septembre 2001. Soirée de poésie multiculturelles et de musiques arabes.
12 novembre 2001. Inauguration officielle des nouveaux locaux.
25 mars 2004. 23 e radiothon. Commencement de la 31 e  année avec des retrouvailles à la Galerie Rouje. 200 personnes sont présentes. Et non la petite blonde qui a 12 ans.
Janvier 2009- 35 e  anniversaire.
Année 2013. 40 e anniversaire. Le 11 janvier 1973 à 17h, CKRL émet enfin sur la bande FM à Québec à la fréquence 89,1 et 40 ans plus tard, jour pour jour, heure pour heure, 17 h. c’est l'occasion pour tous les artisans de la radio de célébrer ensemble ce long parcours radiophonique: réalisateurs, recherchistes, auditeurs et amis de CKRL, anciens et actuels animateurs. Tous sont conviés à cette soirée retrouvaille à l’espace Hypérion .
Message publicitaire.
Dans la mythologie grecque, Hypérion est le fils d’Ouranos, dieu du vent, et de Gaïa, la déesse de la Terre. Ce qui le situe entre le Ciel et la Terre, les dieux et les hommes, les éléments spirituels et matériels. Hypérion se situe « au-delà de » et  est le symbole du «hors norme» tout comme l’espace Hypérion.

Hypérion, dieu Soleil qui brille de toute sa splendeur. Objectif ultime de l’espace Hypérion.

Pour les amateurs de dictionnaires, comme la petite blonde, Hypérion est également le nom d'un séquoia, l'arbre le plus haut du monde. Tout comme cet arbre exceptionnel et légendaire, le clocher penché de l’espace Hypérion sera le nouveau phare culturel à Québec et il franchira les hauteurs du domaine artistique et culturel afin d’atteindre Hypérion, le dieu qui brille de tous ses feux.

Même si monsieur Dickson fume régulièrement de l'opium (Afghan, le meilleur - 90 % de la production mondiale), il n'a jamais ressenti ce genre de chose à jeun. Bel enthousiasme. On a l'impression d'être sur les cimes de l'Himalaya et de manquer d'oxygène ou qu'il ne se rend pas au cerveau. Et le message n'est pas terminé.
_ Mais c’est d’abord une église. Construite en 1851 selon les dessins de l’architecte Raphaël Giroux, l'église Notre-Dame-de-Jacques-Cartier.

Suit la description de l'église.

_ Décor extérieur d’une grande sobriété et chœur de style néo-classique. Une des plus anciennes églises catholiques à être encore debout et une des plus anciennes églises catholiques encore utilisée pour les services religieux.

Et il y a même un clocher qui penche. Chaque lieu sa tradition. Ici, au village, un curé et son vicaire ont été pendu aux cordes servant à faire jouer les cloches. Mais le clocher n'a pas penché.
_ Son surnom clocher penché vient de son clocher qui ne cesse de s’incliner vers l’arrière

Probablement à la suite d'améliorations diverses plus ou moins inquiétantes. Les mêmes constructeurs qui font les centrales nucléaires et les viaducs.

_ Située au cœur du quartier Saint-Roch.

On ne donne jamais d'adresse. Comme si tout le monde avait Google.

_ Vous serez conquis par les tableaux et l’architecture nos artisans qui ont fait la renommée du savoir-faire québécois en art sacré.

Ce qui n'empêche pas qu'on démolisse à tour de bras.

_ L’église vibre au diapason de tous les instruments,

Le clocher penché y est sans doute pour quelque chose?

_ ce qui la rend parfaite pour des cours de musique, des réunions de mélomanes et des spectacles. On y trouve un orgue centenaire Casavant à 4 claviers, l’un des plus beaux au Québec, ainsi que 2 pianos de concert. Acoustique naturelle exceptionnelle qui vous englobe. La conception unique tout en bois fait de cet espace un gigantesque instrument de musique où la moindre note se fait entendre d'un bout à l'autre de ses murs.

Nouvel espace multiculturel chaleureux, polyvalent et rassembleur. 350 sièges pour les spectacles, jubés d’une grandeur exceptionnelle pour des expositions. Par ses qualités tant acoustiques qu’architecturales, ce lieu deviendra l’un des endroits les plus fréquentés de Québec.

À moins qu'on le démolisse avant.

_  L’espace Hypérion se positionne comme un phare du quartier Saint- Roch. Un nouveau carrefour communautaire, social et culturel pour la musique et les arts à Québec. L’espace Hypérion veut promouvoir autant les artistes d’ici que ceux provenant des 4 coins du monde en offrant un milieu de diffusion exceptionnel. Vitrine exceptionnelle ouverte sur le monde. Pour y chanter, y jouer, y exposer, y enseigner, y danser ou démontrer votre savoir faire. Par l’entraide artistique et sociale, se produira un effet catalyseur pour le développement de la collectivité du quartier et de la ville de Québec.
C’est en ces murs chargés d’histoires et d’œuvres d’art que l’église au Clocher Penché a été nommée le 8 septembre 2011 l’espace Hypérion. Mais l'espace conserve sa vocation religieuse, puisqu’il y a encore des messes le dimanche matin.
Pour atteindre ces objectifs, il faut sauver l'église Notre-Dame-de-Jacques-Cartier. C’est notre principal leitmotiv. La vigilance s’impose. Nous rappelons qu’on a détruit une église cet été et une autre il y a 2 ans. Et qu'à Lévis, en face, une église plus moderne sera démoli sous prétexe qu'elle n'est qu'un toit ou un triangle.
Fin de la publicité. L'animateur qui n'a probablement pas tout dit continue:
_ Lors de l’événement CKRL, un multi-instrumentiste offrira une prestation musicale enlevante et la nuit se terminera en beauté avec la musique du dj DJ et une prestation de l’Orchestre d’hommes orchestre.
Et à la fin ce ne sera pas fini. Le 4 avril se tiendra le tout premier cocktail-bénéfice à l'hôtel Boutique Château  Vroum. Cette soirée électrisante donnera le coup d’envoi à la fin de semaine du radiothon a annuel que l’on promet haut en couleur.
Nous retournons à notre programmation. Ce soir, rencontre poétique de poètes.
_ Tout à l’heure, vous nous rappeliez vos souvenirs d’enfance et ce qui, selon vous, aurait provoqué votre… ce qu’on appelait vocation. L'appel. Ce que certains d’entre vous appellerait mission.
_ Pour moi l’école a été un milieu exceptionnel de formation et d’entraide.
_ Je partage ce point de vue.
Tous les invités semblaient du même avis. Tous content d’être là. Chacun récitant quelques vers de son dernier livre, occasion exceptionnelle, la poésie ne se vendant pas, ce qui est un excellent euphémisme.

Peut-être quelques auditeurs auraient un jour un geste charitable.
Un des invités, à la poésie plus sombre que les autres, restait rêveur. Il avait fait son petit spectacle et se demandait ce qu’il y avait à manger dans son frigo. Rien. Puisqu'il n'y avait rien mis et que personne d'autre ne le ferait à sa place parce qu'il vivait seul.

Demain, il redeviendrait employé de bureau dans un ministère qu’il détestait et dans 30 ans, si son ulcère ne se transformait pas en cancer et s’il ne se mettait pas à chier de la merde bleue ou noire – signe de saignement interne aggravé, les premiers indices étant un sang rouge au derrière, il aurait une pension.

Et il pissait déjà rouge.

Ce qui est probablement mauvais signe.

Et ce mal de ventre qui lui tenait compagnie. Les reins. Le foi. L'estomac. Le tube digestif. À 21 ans, on lui en avait enlevé 3 pieds et ensuite raccordé et recousu le reste et il avait survécu.

Il avait été invité à l'émission puisqu'il avait un petit nom dans le milieu car tous les ans il publiait. Personne le lisait et personne n'achetait son livre. Mais son éditeur le publiait et l'imprimeur l'imprimait et on envoyait les livres restants retournés des librairies au pilon pour faire de l'excellente pâte à papier. Neuve, blanche et désencrée. Qui permettrait de faire du tout aussi excellent papier que l'on consacrerait cette fois sans doute à des circulaires publicitaires que l'on lirait probablement.

Et, imperturbablement, comme les plantes qui poussent, il publierait l'année suivante. Son éditeur lui ayant fait comprendre qu'un livre par année était bien assez. Il ne fallait pas fatiguer son public.

Quel public?

Il écoutait vaguement ce que disait les autres puisque son tour était passé et ne reviendrait pas avant un moment. C'était comme un acouphène ou le bruit de la mer dans un coquillage qu'on colle contre l'oreille. On n'interrompait pas quelqu'un qui parle à la radio, ce qui ne se fait pas comme on le fait très bien dans une réunion adminstrative. Il avait passé l'après-midi d'hier à écouter discuter de la différence entre cercle, boule et sphère. Il fallait choisir le terme le plus exact pour un communiqué quelconque et si tout le monde s'était d'abord entendu, quelqu'un ne l'entendait pas ainsi et tenait à dire (longtemps) son mot. Et cela dura. Il avait l'impression d'être chez le dentiste ou de subir une coloscopie où on vous enfonce un long tube dans le rectum en faisant attention pour ne pas faire éclater le patient mais il avait connu encore plus subtil, l'équivalent du tube mais plus petit mais pas assez qu'on enfonce dans l'urêtre du pénis jusqu'à ce qu'il pénètre dans la vessie que l'on peut alors observer. Il avait signé un papier donnant la permission de tester son urine, aussi, urine qui giclait au fur et à mesure qu'on enfonçait le tube et qu'on essayait de faire entrer dans une petite bouteille. Impression étrange, comment quelque chose de si grand et gros peut-il entrer dans une si petite ouverture? Mais il devait savoir ce qu'ils faisaient.

Même lorsqu'il pissa du sang, il se dit que c'était problablement normal compte tenu des circonstances.
Et les jeunes étudiants et étudiantes en blouses blanches - infirmieres ou médecins - qui observaient son tube d'inox dans son pénis et prenaient des notes. Sans doute qu'on leur poserait des questions lors d'un futur examen. Il leur souhaitait bonne chance. Lui se sentait comme à un méchoui, un cochon qu'on faisait tourner à la broche.

Sentiment de bétail qui fut encore confirmé lorsque, plus tard, un autre spécialiste lui enfonça un tube dans la gorge.

Il revoyait les annonces à la TV de St-Hubert BBQ. Tous ces poulets embrochés sur des barrs d'acier qui dorent et transpirent au four. Si appétissant.

Était-ce à ce moment qu'il était devenu un robot? Ou avant?

Avant.
Il pensa qu'on ne fait pas assez de poème pour les cochons. Il faudrait les remercier de leur dévouement. Et il y a là tout un sujet. Comme il était invité lors de l'anniversaire de CKRL, il y penserait.
On n'était pas non plus silencieux à la radio. Il n'y a rien de pire que le silence. Il dirait donc quelque chose. Tout en pensant en même temps à ne pas trop dire. La sincérité, comme toute bonne chose, devant être utilisée avec parcimonie. Il avait donc tout son temps pour rêver quoique ce ne soit pas le terme précis et adéquat pour ce qui lui passait par la tête.
Invitation.

École.

Émotions.

Sentiments divers.
Sensation complexe.
C'était plus ce genre de choses que des mots et encore moins des idées. Bien au-delà ou en-deça des phrases.
Il avait été invité, les ordinateurs gardant ces adresses, à des journées ou des soirées retrouvailles aux diverses écoles auxquelles il avait - il chercha le mot- participé.

S'en était suivi des émotions, des sentiments et des sensations diverses.

Le nom de chacune provoquant une boule dans le ventre – d’où son ulcère. Ou c’était son job actuel et sa boule actuelle qui lui donnait son ulcère et ses saignements rouges.

Un rouge brillant lorsqu'il s'essuyait le cul.
Mais la pire avait été l’école primaire.

Presque à égalité, les 3 écoles secondaires.

Mélange de cimetière, d’asile de fous, d’abattoir et de prison.

Il voyait des images.

Et un goût de sûr remontait dans son tube digestif.

Pourvu qu'il ne vomisse pas sur la table. On ne l'inviterait plus.

Il aimait bien être invité.

Il avait l'impression d'être quelqu'un.

Impression brève mais agréable.

Il aimait bien les impressions agréables.

On a rarement l'occasion d'en avoir tous les jours.

Il se demandait si les auteurs plus connus que lui et invités plus souvent, même dans des postes non communautaires, ressentaient des choses encore plus agréables. Et plus souvent. Ou étaient tous devenus blasés. Parce qu'ils avaient fini par croire que tout ceci était naturel et durerait toujours.

Il avait déjà vu des documentaires sur les prisons et y avait trouvé beaucoup de ressemblances : on est attaqué par les gardiens et les autres prisonniers. Et, parfois, on s’en tire vivant. On fait son temps. Et on sort. Ou on vous met dehors. Et on est devenu fou.
Il avait aimé étudier. Il avait imaginé stupidement que c’était ce qu’on faisait. Non. L’occupation principale était de raser les murs et de passer inaperçu. Et, comme ce n’était pas toujours possible, de pleurer.

Et d'avoir mal.

Partout.

Sur la peau. Et dedans.

Dans le ventre.
L’envie de vomir tous les matins à partir de sa sixième année de vie. Première année d'école. Jour 2. Il était probablement mort le jour 3. Était-ce un jeudi?

Vomir.

Dès qu’il avait compris l’enfer où ses idiots de parents l’avaient jeté. Et il lui faudrait subir ça pendant des années. Et le soir, il vomissait. La nuit, il rêvait à ce qui l’attendait. Rêvait de la veille, revoyait la journée passée, revivait chaque moment et imaginait celle à venir qui serait encore pire.
Et il faisait des listes. Des élèves et des professeurs qu’il tuerait un jour lorsqu’il serait assez vieux pour se venger.

Des listes au crayon de plomb.

Des listes sur une feuille qui s'usa à force de relecture. Et lorsque la feuille devenait illisible à force d'être usée et mouillée, presque transparente, il transcrivait les noms.

Détail. À ce moment, il savait écrire.

Détail. Il savait lire et écrire avant d'entrer à l'école. Ayant appris tout seul en lisant. Mais comme on n'aimait pas les prématurés et que cette méthode n'était pas la  bonne, on lui avait fait désapprendre et réapprendre avec la b0nne méthode.

Cogner est un très bon système mnémothecnique.
Et tous les soirs, il révisait sa liste. Enlevait parfois des noms, phénomène rare, en ajoutant souvent. Cas le plus fréquent.
Il survécut toutes ces années. Et devint fou.
À 20 ans, il regardait dans le miroir le robot biologique et respirant, un modèle de logique et de perfection qu’il était devenu. Sans plus rien d’humain. Sinon les apparences.

La seule chose qui n'était pas métallique était cette douleur dans le ventre. Un robot n'a pas de sensation et ne devrait pas souffrir.

Tout ceci était illogique.

Mais cette douleur était aussi métallique. Comme s'il avait avalé un couteau ou une lame de rasoir qui le cisaillait de l'intérieur.

Il y avait donc là quelque chose de logique.
Et un jour, il se rappela de la liste.
Il avait alors des fusils.
Il aimait les fusils.

Les fusils étaient métalliques comme lui. Froid. Dur. Logiques.
Il prit son auto et alla à la première école où il avait souffert. Il n’y avait plus qu’un trou. On l’avait démoli pour construire des condos. Les élèves avaient été relocalisés. Les autobus jaunes allaient désormais ailleurs.
Il conduisit un peu plus loin. Il y avait une nouvelle école primaire. Il stationna son auto en face de l’immeuble aussi moche que toutes les usines conçus pour l’abrutissement et la programmation des enfants.

Là, il.
Il en avait appris des choses. Il n’était pas allé là ou ailleurs pour rien.
À détester les adultes et détester les enfants.

C'était comme il y a 14 ans.

Comme s'ils étaient tous encore là à l'attendre.

Comme si le temps avait fait un détour, était revenu, n'était jamais parti.

Il ne pensa pas que les enfants et les professeurs étaient partis, n'étaient plus là et que ceux qui y étaient n'étaient pas les mêmes.

Ceux qu'il avait connu lui ressemblaient probablement, tous devenus des robots. Les professeurs déjà vieux étaient devenus plus vieux. Et les enfants s'étaient transformés en adulte.

Mais il n'y pensait pas.

Il était revenu dans le temps.

Avec cette fois la possibilité de se défendre et de se venger.
Il sortit son fusil et emplit ses poches de balles de .12.
Il entra.
Et sortit lorsqu’il n’y eut plus de balle.
Il jeta son fusil dans la neige ou l’herbe. Il ne se souvenait pas s’il y avait de la neige ou de l’herbe et en quelle saison c’était.
La police arrivait au moment où il dépassait les murs de briques jaunes et sales pourtant toutes neuves. Comme s’il y avait des entrepreneurs spécialisés dans la construction de murs jaunes et sales.

Et qui sont contents de leur travail.

Les voitures de police et les ambulances le croisèrent en allant en avant, à toute vitesse, alors qu'il marchait paisiblement dans l'autre sens.

Un piéton robot comme les autres.
Il n’avait pas compté les années qui s’étaient passé depuis. C’est lorsqu’il avait reçu l’invitation d’une de ses anciennes écoles, la plus anciennes n’existant plus, mais on avait gardé et recoupé les fichiers. Et on pensait que les anciens seraient contents de se revoir. C'était même écrit sur la lettre d'invitation.

Il reconnut même un nom dans le comité organisateur.
Il avait jeté sa liste et avait oublié les noms.

Mais ce nom là, fit comme un éclair dans sa tête, ce nom il ne l'oublierait pas. Ensuite, il l'avait oublié.

Il avait jeté la lettre d'invitation et toutes celles qui avaient suivi. Car on avait toujours son nom dans la banque de donnée de l'ordinateur.

Aucun des adultes et des enfants qu’il avait tué – il ne se souvenait plus du nombre mais autant qu’il avait de cartouches dans ses poches- ne figurait dans sa liste personnelle. Mais ils étaient interchangeables puisqu’il avait aussi appris que quelque soit l’endroit où on va, tous sont semblables. Comme des produits ménagers. Ils cognaient, humiliaient, disiaent des choses, volaient, faisaient mal tous aussi bien les uns que les autres. Ils faisaient peur. Tous. Et ceux qu'il n'avait jamais vu, selon la même logique, il était un robot et pensait donc rationnellement, devaient être similaires.

Ils avaient simplement payé pour tous les autres.

Winchester Super-X Super Steel Super Magnum pour gibier d’eau. Cartouche étanche. Sertissage étoile soudé à chaud. Amorce vernie contre toute intrusion d'humidité. La cartouche Super-X Drylok de WINCHESTER a été spécialement conçue pour résister à la corrosion et à l'oxydation courante des zones humides. Winchester est toujours reconnue comme une marque mythique d’armes de chasse et de munitions que des milliers de passionnés de chasse utilisent ainsi que les tueurs en série.
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Chaque cartouche contient 3 billes d’acier
Boite de 25 cartouches
Calibre .12. Cartouches 3 pouces. 1 ¼  once de chevrotines (ou 44 grammes de billes) d’acier.
L’acier a remplacé les plombs (en plomb), ce métal étant nuisible à l’environnement et à la santé des canards et à la nappe phréatique. Les canards gobaient les tonnes de billes de plombs tombées au fond des marais et s’empoisonnaient ainsi que leurs cuisiniers. On dit d’ailleurs que les anciens Romains du fait qu’ils ajoutaient du plomb pour conserver leur vin se sont ainsi empoisonnés lentement avant de devenir fous (un des symptômes de l’empoisonnement au plomb), explication de leur décadence et de leur future et définitive extermination. Explication qui ne satisfera pas un nouveau personnage qui arrivera sous peu et qui prétend que c’est lui-seul qui a décimé les Romains, son propre peuple. Les riches Romaines aimant se maquiller le visage avec du blanc de plomb, produisant les mêmes résultats, en plus de ravager prématurément leur peau.
25 cartouches = 25 morts.
Il avait remarqué qu’il n’était pas le seul puisque régulièrement un frère d’arme faisait un carnage dans une école. Une fois par 10 ans, il y a longtemps. Une fois par année, il y a moins longtemps. C’était maintenant une fois par mois.
On l’avait cherché. Ou quelqu’un comme lui. Comme le monde était juste ou injuste, on avait arrêté quelqu’un qui avait avoué et avait été condamné avec il ne savait quelles preuves –comme si ça avait la moindre importance. Et il avait été tué en prison.

Les journaux avaient tout raconté.
Innocents ou coupables, dans ce monde, il n’y avait aucune différence.
Il avait oublié.

Puis s'était souvenu.

Parce que.
Un frère de misère venait de faire un nouveau carnage dont on ne cessait de parler dans tous les médias. On en avait même parlé avant d'entrer en onde. Chacun des invités et l'animateur avait dit comment ce genre de chose les rendait triste. Mais dans quel monde vivons-nous. Quelqu'un avait même pensé ça et, pire, l'avait dit à voix haute ou intelligible.

Puis s’était mis le canon de son fusil-mitrailleur dans la bouche. En toute logique. Il n’avait pas expliqué son geste ce qui permettait à tous ceux qui ne savent rien d’imaginer des choses.
C’était alors qu’il s’était rappelé.

Et ce fut pire lorsqu'on posa les gentilles questions au sujet de l'éducation, de la culture, de l'école.

Et lorsqu’on avait fait le tour de table et qu’on avait demandé l’avis de chacun, la plupart avait menti. Il le savait. On ne devient pas écrivain parce qu’on est heureux ou qu’on l’a été. Les gens heureux n’écrivent rien.
Tous avaient aussi bien menti que lui.

Ensuite ou c'était avant, ils lurent des lignes de leurs textes.
Lui-aussi, il avait lu ses lignes. En se demandant pourquoi il les avait écrites. Et quand? Il ne se rappelait plus.
Il s’était demandé s’il devait être sincère et dire vraiment ce qu’il pensait. Pas tout. Seulement ce qui était disable. Mais on ne comprendrait pas.
On disait que sa poésie était indéchiffrable.
Tout simplement parce qu’elle ne pouvait être comprise que par certaines personnes. On l’avait donc publié pour les mauvaises raisons, pensant qu’il écrivait bien et avait du style. Qu'il faisait de la littérature. Autant que sur les pierres tombales. C’était supposé être le titre de son dernier recueil mais l’éditeur subventionné qui le publiait – mais ne le payait pas- tous les gens qui vivent dans la chaîne littéraires vivaient de son art et de celui de tous les autres et les seuls qui n’étaient pas publiés était lui et les siens.
Il se demanda s’il allait un jour faire un tour dans sa maison d’édition avec un fusil.

Il avait pensé entrer dans son ministère avec un fusil.
Mais il n’avait plus cette rage. Et n’avait plus de fusil.
L’âge use tout. L’énergie, la force et la rancune.

Le talent.

On avait demandé aussi à chacun pourquoi ils écrivaient. Il n'en avait aucune idée. Comme tous les autres avaient l'air de savoir pourquoi, il fit une moyenne de ce qu'il entendit et le raconta ce qui parut satisfaire la plupart.

Il y avait longtemps qu'il avait cessé de penser.

Mais à force de vieillir et de publier des livres, il arrive que quelqu'un se souvienne de vous. Il me semble que j'ai déjà entendu parler de. Il a un nom qui sonne comme. Il avait publié un livre avec un titre comme. Quelque chose du genre. Ou à peu près. Ce qui expliquait pourquoi on l'avait invité.

Ou le robot qu'il était.
On parlait de lui offrir une médaille.

Ou au robot. Car il y avait longtemps que tout ce qui était vivant en lui ou dehors avait pourri. Cessé de suer et de puer.

Il ne restait plus rien de lui.

Il suffisait de faire semblant. Et personne ne voyait la différence. Les gens sont si peu observateur. Ils ne voient rien.

Il faisait donc semblant d'être vivant et personne ne voyait la différence.

Jamais personne personne personne n'avait vu la différence.

Et il n'était pas le seul dans son genre. Des robots comme lui, il en voyait souvent. Quelquefois. Pas si souvent que ça mais assez souvent.

À un moment donné on a assez mal qu'on se transforme. On passe alors à un autre stade. Mieux. Logique. Alors on n'a plus mal. Ou si ça arrive, c'est une douleur extérieure, lointaine, d'ailleurs, de loin, d'un autre univers, objective, neutre, analysable, quelque chose dans le fond de la gorge, dans le ventre, le cul. Un symptôme de quelque chose quelque part dans le robot.

Et on peut alors très bien se regarder pisser rouge et trouver ce phénomène intéressant.

Et le robot aurait une médaille.

Un autre ministère. Avec des médailles. Des petites boites noires à couvercle et du velour ou du satin rouge dedans.
Il se demanda s’il y avait une subvention qui allait avec.
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11.12. 13 janvier 2013. État 3

Morts. 25

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Note

Les activités réelles de CKVL sont à l'adresse qui suit (en bas ). Ici (en haut ), on ne s'est servi du  texte promotionnel de base que pour des raisons ethnologiques, théâtrales et dramatiques, en modifiant les infos afin de satisfaire à la logique de l'intrigue.

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