HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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15.7.12

192. HISTOIRE DE FANTÔME. COMMENT TRANSFORMER UNE FEMME EN FANTÔME.

Henry Dickson avait fait établir les plans de la maison et les étudiaient.

Pendant ce temps, le chercheur d'absolu, au fond de son laboratoire de trésors et de merveilles regardait et étudiait.
Il soupira.
Il fallait agir vite maintenant, car la dernière trace de cette femme se flétrirait vite. Il fallait la tanner pour préserver cette fine peau crue et putrescible en cuir fin et subtil.
Ensuite, il la mettrait sur une des têtes de marbre sculptée de son musée privée. Et il viendrait à l'occasion pour les admirer.
Elles l'attendraient éternellement, libérées, préservées du temps.
Et il lui arrivait de leur parler.
Mais tant de travail avant d’arriver à ce chef-d’œuvre.
Il avait expérimenté différentes techniques comme le tannage chimique à base de chrome ou d’aluminium ou le tannage végétal qui utilise des poudres produites à partir d’écorces riches en tannins pour finir par privilégier le tannage aux graisses animales dont il avait d’ample quantité, les femmes en étant bien pourvue. Pour finir par utiliser le cerveau. Pour des raisons d’efficacité, de rapidité et de confort.
Ici, il avait une ample réserve de cervelles de femmes. Et ce tannage est rapide. Et il avait découvert à sa grande satisfaction que le cuir traité au cerveau est plus souple que celui qui a été produit par des végétaux. Et plus naturel que celui qui est le résultat de la chimie.
La peau fraiche est tendue sur une planche. La surface côté air et lumière reposant sur le côté chair autrefois invisible qui est recouvert de sel fin. Le sel permet au liquide de se résorber et de dégorger. Et comme pour le poisson gravlax, il fermente, marine et cuit. La planche ne doit pas  être à plat pour permette au liquide de végétation de suinter et couler dans un bac de plastique.
La peau crue et fraiche doit être traitée immédiatement pour assurer sa conservation. Mais une fois bien traitée, elle peut se conserver des mois au frais. On peut la congeler si on ne la tanne pas immédiatement. Ou la tendre et l’étirer sur un cadre de bois pour la faire sécher. Tout dépend de l’usage à laquelle elle est destinée.
Au bout d’une journée, on peut procéder au trempage. Il faut l’assouplir et la ramollir. Elle est plongée dans un bac d’eau glacée. Ensuite, on l’écharne pour enlever la graisse devenue inutile car elle peut pourrir et gaspiller la peau prélevée avec tant de soin. On doit procéder avec minutie pour ne pas faire de trous ou la déchirer. Avec un couteau à dépouiller, on gratte côté chair pour enlever la graisse, la chair et les muscles encore adhérents. On lisse avec un grattoir en os ou en une pierre polie. Il faut savoir être attentif et délicat.
La peau est ensuite lavée délicatement dans l’eau chaude pour enlever les dernières traces d’huiles corporelles. On rince à l’eau froide. On fait tremper la peau 24 h dans de l’eau vinaigrée. On étire et tend la peau humide sur un cadre et on la broche pour la faire sécher et elle prendra l’aspect satisfaisant d’une peau de tambour.
Un cerveau frais prélevé délicatement sur une femme (on lui ouvre le crâne avec une scie électrique à lame ronde à dents fines après avoir tondu et rasé ses cheveux pour préserver la lame). Les cheveux lavés font des bourres d’oreillers fermes et souples qui inspirent au sommeil. Dans les camps de concentration nazis, avec les cheveux et les poils de la tonte des prisonniers, on faisait des semelles ou des bottines de feutres pour l’intérieur des bottes très appréciés des sous-mariniers. Il est difficile de chauffer ces véhicules toujours dans la mer ou sous l’eau. Des boites de métal froid toujours humide. Et la marche continue sur une surface aussi dure peut provoquer de l’arthrite. On trouve encore des bottillons de feutre pour les bottes d’hiver mais il n’est plus fait avec des cheveux de juifs mais avec de la laine.
Le cerveau est mis dans une casserole en acier inoxydable Twin Select Cookware (élégance intemporelle) de 4 litres ou une marmite en aluminium forgé antiadhésif Ricardo de 5.2 pintes que l'on recouvre d’eau froide et on le fait mijoter doucement et l’amène tout aussi doucement à ébullition. Et on arrête au premier frémissement en évitant les gros bouillons qui pourraient heurter et fair durcir la chair tendre. Ce qui lui permet de conserver sa forme originale. On pourrait le saler et l’épicer et l'assaisonner avec des fines herbes et une fois bouilli et cuit le faire refroidir sur un plat. Ensuite, lorsqu’on a faim, on sort le cerveau du frigo sur son assiette de service qui fera un centre de table sur qui se concentrera toutes les conversations. On le coupe en tranches fine comme du jambon dans un sandwich de pain blanc beurré, avec de la salade et des cornichons, ce qui est délicieux. ou étendu et tartiné plus largement comme des cretons ou de la tête fromagée sur une tranche de pain de campagne aux grains entiers moulu sous meule de pierre. Ou le manger sur une baguette tout juste sortie du four.  Ou on peut faire  poéler une tranche plus épaisse avec du gras de canard ou d'oie ou du beurre doux. Et la faire revenir sur les 2 côtés. On conservera son côté moelleux et onctueux. élicieux. Mais ce n’était pas le but de l’opération. Plus de rigueur s'imposait. Et une élévation d'esprit allant au-delà de celle des papilles.
Il faut donc réduire le cerveau en purée. On remue pour le mélanger au liquide et pour éviter que ça colle au fond. Toujours à feu doux. Avec une mixette ou un pied mélangeur. Comme n’importe quel potage. On obtiendra une bouillie puis une crème homogène que l’on passera au robot mélangeur pour en faire une sauce onctueuse. Cette crème de cerveau peut servir à tanner 2 visages. Mais comme tous les produits naturels et organiques, elle est difficile à conserver plus de quelques jours et se décompose produisant des odeurs caractéristiques. Et elle est moins efficace congelée et décongelée.
Enduire les 2 côtés de la peau avec la sauce de cerveau et on masse et frotte vigoureusement pour bien la faire pénétrer dans le cuir. Une fois imprégné de ces substances naturelles, la peau deviendra imputrescible. On garde au frigo 2 jours. Ensuite, on gratte le cerveau en excès. On la suspend à une corde à linge intérieure pour la faire sécher. Avec ces visages suspendus sur la corde à linge, on dirait une exposition d’art moderne.
On graisse la peau avec une crème qui ne rancit pas pour la garer souple.
Il faut ensuite l’assouplir encore cette fois en l’étirant doucement 10 minute par jour tous les jours pendant 1 mois tout en évitant de la déchirer ce qui peut arriver si elle est trop sèche et si on est trop brutal. Avec les femmes, il faut éviter toute brutalité. On saura que cette étape est terminée lorsque la peau ne pourra plus s’étirer et qu’elle sera devenue lisse et blanche.
Cette peau serait alors si fine, si fragile. Un ancien visage. Un nouveau masque.

Le visage d'un ange.
Il le mettrait sur son visage pour se regarder infiniment dans son grand miroir. Des heures. Des jours.
Il s'assoyait alors devant le miroir et restait là, presque inanimé, prisonnier de son rêve. Ou de celui de cette femme.
L'amour absolu.
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15.16 juillet 2012. État 2