HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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6.7.12

164. HISTOIRE DE FANTÔME CONVENABLEMENT EXPLIQUÉE

Henry Dickson en route vers la maison écoute la radio de son F 150.

Sujet du jour. Le suicide d'une étudiante.

L'animateur était perplexe. Triste mais perplexe:

_ L’affaire  a suscité une vive émotion dans la province et a soulevé l’indignation générale. Sa mort avait secoué le Québec entier.
Sa mère a attribué son désespoir aux problèmes d'intimidation dont elle était victime à l’école. Son témoignage répété dans tous les médias disant que la violence à l'école avaient poussé sa fille au suicide fut bouleversant.
On a blâmé une élève qui s’était battue avec la victime. On a accusé l’école et la direction et les professeurs qui auraient préféré se fermer les yeux et n’auraient rien fait pour l’aider. Les médias ont multiplié les reportages sur l’intimidation devenue l’obsession du mois.
Sa mort avait provoqué un moment de réflexion et donné lieu à un important débat de société. Sous la pression populaire, une loi avait été votée par le gouvernement pour contrer l'intimidation à l'école. Et on avait distribué des dépliants.
Le rapport du coroner a été rendu public. Les médias ne savent plus quoi penser. Car selon ce rapport, l'intimidation était loin d’être le seul problème de l’adolescente et n'expliquerait pas sa décision de se tuer et ne serait probablement pas la seule cause du suicide de l’adolescente.

La situation était plus complexe qu'une simple situation de cause à effet.

Et rien ne semble relier directement l'intimidation dont elle disait avoir été victime et son geste fatal. Aucun élément objectif ne permet de relier cette cause possible et cette probable conséquence. La cause est donc à chercher ailleurs.

Le rapport indique qu'une multitude de facteurs autres que l'intimidation auraient pu contribuer au décès de l’adolescente qui s'est enlevée la vie.

Le coroner affirme que le suicide n'est jamais causé par un seul facteur ou un seul événement. Il y a plusieurs facteurs et plusieurs événements. Le suicide est multifactoriels.

Et la seule personne qui savait vraiment ce qui lui était arrivé n'est plus là ce qui est un soulagement pour l'administration.

Dans son rapport, le coroner ne culpabilise pas les autres adolescentes toujours vivantes qui avaient été montrées du doigt dans cette affaire et ne fait aucune recommandation à cet égard. Et les médias ont sans doute exagéré leur rôle dans cet incident en en faisant des coupables. On n'était pas loin du lynchage médiatique.

Le coroner laisse entendre que la victime a peut-être surréagie dans des situations de stress.  Et mal évalué la situation. Et, indirectement, a peut-être été la cause de son propre malheur.

Ses parents l'ont probablement surprotégée.

Le coroner rappelle que l'adolescence est une période de grand changement. Changements parfois difficile à accepter surtout pour les filles.

Dans son rapport, le coroner démontre en effet que l’adolescente décédée a vécu différentes situations problématiques durant les 3 années précédant son décès.

Parmi ces facteurs, le coroner a notamment souligné le fait qu’elle démontrait des signes de dépression majeure.

Et elle faisait un usage excessif des services de l'école. Sur 180 jours d'école, l’adolescente pouvait rencontrer l'intervenant social de l'école environ une centaine de fois par année.

Mais aux questions répétées de l’intervenant, elle soutenait que, jamais, elle ne se suiciderait.
Elle abordait différents problèmes personnels avec lui, mais elle restait toujours superficielle. Refusait de collaborer et de s'impliquer.

De l'aide psychologique lui a été offerte, qu'elle a toujours refusée. Elle a repoussé la perche qu’on lui tendait et est donc en partie responsable de son sort.
Le coroner suite à son enquête révèle que l'adolescente avait aussi fait antérieurement des tentatives de suicide, ignorée de l'intervenant.

Elle avait parlé à des amies mais non à l'intervenant et à la direction de l'école, quelques jours avant l'irréparable, de ses idées suicidaires.
Elle avait mentionné à une de ses amies qu'elle n'était pas bien ici et qu'elle serait mieux là-haut en pointant le ciel. Ou en bas, en pointant le sol.
Elle a eu toutes sortes de difficultés d’intégration dans le milieu scolaire.

Tout au long de son rapport, le coroner revient sur les difficultés que vivait l'adolescente. Elle avait déménagé  plusieurs fois avant de venir habiter ce village où elle vivait depuis 3 ans. Et dans son école précédente, elle avait également vécu des problème d'intégration et de violence qui avait forcé ses parents à déménager et à trouver une nouvelle école où elle serait enfin en sécurité.

Difficultés scolaires, peine d'amour, tentatives de suicide, refus d'aide psychologique et disputes avec ses amies seraient plutôt les ingrédients du cocktail qui a mené l’adolescente à s'enlever la vie.

Un cocktail même mortel est composé d'ingrédients divers.

Problème multifactoriel.
L'adolescente en tant qu’élève vivait plusieurs problèmes d'intégration à la vie scolaire de l'école polyvalente où elle était une nouvelle élève.

Absences répétées, difficultés avec l'autorité et rendement scolaire à la baisse, notamment au cours des dernières semaines précédent sa mort.

Au cours des mois qui ont précédé son décès, elle a aussi connu une importante rupture amoureuse.
Le coroner relate plusieurs événements démontrant que l'adolescente avait déjà tenté de mettre fin à ses jours.
Elle avait aussi des problèmes familiaux dont elle avait fait part au psychologue de l'école.

La DPJ, Direction de la Protection de la Jeunesse, avait mis en place un plan d'intervention, en collaboration avec la mère.
La directrice de l'école a rencontré l'élève quelques jours avant sa mort pour l'avertir que puisque ses notes baissaient sans cesse, elle ne pourrait se présenter aux examens de fin d'année du Ministère de l'Éducation car elle ferait baisser la moyenne de l'école. Et si son comportement ne s'améliorait pas, elle serait obligé de l'expulser. Et, compte tenu de sa situation, elle lui conseillait de se trouver une nouvelle école pour l'année prochaine car on manquait de place actuellement.

L'intervenant l'avait aussi rencontré pour lui offrir un soutien psychologique, ce que la jeune fille a encore une fois refusé.

Elle était punie régulièrement par ses professeurs pour son manque d'attention et de discipline. Et ses retards répétés. Certains professeurs plus sévères refusaient de la faire entrer en classe, favorables à la méthode de la porte barrée sitôt l'heure du cours arrivé. Elle restait donc dans le corridor à côté de la porte de sa classe tout le temps du cours. Et le sous-directeur qui faisait sa ronde lui donnait des papiers de retenues. Certaines enseignantes la prenait en exemple et tout en la désignant du doigt, expliquait aux autres élèves qu'elles pourraient rater sa vie comme elle si elles ne s'appliquaient pas davatage. Et on lisait devant sa classe ses travaux scolaire comme exemple de ce qu'il ne fallait pas faire.
Le coroner note que l’adolescente a, à plusieurs reprises, refusé l'aide qu'on lui offrait.

Et personne autour d'elle n'a décelé de risque suicidaire nécessitant une aide urgente et immédiate.

Le rapport met en lumière la multitude d'altercations que l’adolescente a pu avoir avec des professeurs et d'autres élèves au cours des dernières années mais ce point en est un parmi d'autres facteurs présents dans sa vie.
Le coroner fait remarquer les problèmes multifactoriels
Le rapport relève que plusieurs de ces incidents violents avec d'autres élèves ont fait l'objet de plaintes ou de démarches de l’adolescente auprès de la Sûreté du Québec. À plusieurs reprises, l’adolescente et sa mère ont déposé des plaintes à la police, mais presque chaque fois, elles les ont retirées sans qu'on connaisse la raison ou que quelqu'un s'y intéresse.
Selon le coroner, l’adolescente manifestait les symptômes d’une dépression majeure mais la maladie n’a pu être décelée, faute d’un examen par un professionnel.

Le coroner cite un document de l’Organisation Mondiale de la Santé sur le suicide:

Un suicide n’est jamais causé par un seul facteur ou événement. Il est généralement provoqué par une interaction complexe de nombreux facteurs tels que maladie mentale ou physique, abus toxiques, perturbations familiales, conflits interpersonnels et stress vital.

Le suicide est multifactoriel.

Oui, une interaction complexe n'est pas simple.

Les médias, les politiciens, tout le monde aiment avoir une explication simple aux tragédies qui nous bouleversent. Il y a une cause provoquant une conséquence et un coupable.

Le suicide est un phénomène complexe. Due à une interaction complexe. Un cocktail de causes multifactorielles multiples et de conséquences variées et diverses. Il n’y a pas de solution magique. Et aucune loi ne pourra empêcher certains jeunes de s’enlever la vie ou de pourrir la vie d'un autre au point où il veuille tuer ou se tuer.
Le rapport du coroner ne contient aucune recommandation spécifique reliée à la mort de l’adolescente. Étant donné les circonstances, elle n'était pas prévisible et on ne pouvait rien faire pour l'empêcher. L'adolescente était libre de son choix et de son sort et à malheureusement choisie la mauvaise solution à son problème.

Et le coroner n'accordera aucune entrevue en lien avec le dépôt de son rapport. Et il n'est donc pas là aujourd'hui pour répondre aux questions de nos auditeurs.
Une copie de son rapport a été remise aux médias.
_ Nous allons prendre les appels.

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5. 17 juillet 2012. État 3