HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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27.7.12

203. MIROIR MIROIR, DIS-MOI QUI EST LA PLUS BELLE?

Henry Dickson se regardait dans le miroir un moment avant de mettre en marche son rasoir électrique Philips.

L'homme se regardait dans le miroir une dernière fois, avant de se tirer une balle de .12 dans la tête.

Il ne regrettait pas l'homme qu'il voyait. Ne lui dit ni bonjour ou adieu. N'avait pas envie. Il se suicidait pour la première fois et comme bien des amateurs de suicide, il allait faire des erreurs. Faute d'expérience.

Une erreur suffisait pourtant pour gâcher toute l'expérience.

Le canon du fusil Winchester était long, trop long, ses bras trop court. Il manquait un peu d'espace et de doigts pour bien placer l'arme. Certains résolvent ce problème en actionnant la détente avec l'orteil.

Ou il aurait dû scier la crosse et la transformer en poignée pistolet. Scier le canon aussi.

Il aurait dû.

Il n'avait pas le temps. On s'imagine qu'on est pressé mais en général on ne l'est pas tant que ça.

Manque d'expérience.

Il n'y pensa pas. Il aurait dû.

Comme il n'avait pas d'autre arme sur la main, il utilisa le .12. Comme il n'avait pas d'autre cartouche, il utilisa le calibre 12 no. 12. Contenant 2700 petites plombs de 1.25 millimètre. Alors que la cartouche no. zéro contient 67 billes de plomb de 4.25 mm. Ou la chevrotine. Ou la balle unique. Foster. Brenneke.

Il aurait dû. 

Il voulait viser sa tête ou son visage.

Ce qu'il fit. Comme il pu.

Le nuage de petits plombs sortit de l'arme comme une nuée ou un essaim de guêpes. Et lui arracha la moitié du visage et l'oeil droit. Et son nez. Et ses lèvres et quelques dents.

Lorsque le bruit du coup de feu cessa de résonner dans ses oreilles, l'odeur de la poudre brûlées dans le nez qu'il n'avait plus. La chaleur de la poudre enflammée sur sa peau, sa chair, ses muscles et ses os. Le crépitement des 2 700 plombs dans sa tête.

Pas dedans. Ce n'était pas assez puissant.

Sur sa tête.

Lorsque le bruit extérieur cessa, il fut remplacé par le bruit intérieur. Il vomissait les hurlements.
La douleur fut

Il hurla sans fin.

Il était prisonnier d'une prison de douleur, de feu, de déchirures.

Il sentit le sang de son visage couler sur son cou. Sa poitrine. Ses mains.

Le choc lui fit échapper l'arme qui tomba à terre. Le choc fut suffisant pour actionner le percuteur sur l'amorce de la cartouche. Le second coup partit et emporta une jambe de son pantalon, le tissus et les muscles. Il ne restait que ses os.

Il eut le temps de se regarder avant de tomber.

Quelle idée stupide de se regarder. Il pouvait à peine marcher, vivait si peu, mais il fallait qu'il se voit.

Son visage, la moitié de son visage était

Une sorte d'infection, de purulence.

Comme si c'était du boeuf haché.

Rouge.

Il perdit conscience.

Le bruit effraya les voisins qui eurent peur d'un cambriolage. Ils appelèrent la police. La police appelé arriva qui appela l'ambulance.

Il se retrouva à l'hôpital avec des médecins horrifiés de tout le travail à faire s'il ne mourait pas. On parlait de greffe de visage. Expérience tentée dans quelques pays suite à des attaques de chiens féroces ou d'ours. Et des morsures horrible dans le visage de quelqu'un. Ou la peau brûlée à la flamme ou à l'acide ou à l'eau ou l'huile bouillante. Commun dans certains pays musulmans où on traitait les femmes férocement. Mourir n'était pas suffisant, les tuer non plus, il fallait qu'elles vivent et qu'elles souffrent.

Mais on n'avait pas de spécialiste ici. Et il fallait que le sujet survive. Il fallait nettoyer la plaie. Attendre qu'elle cicatrise. Ou procéder immédiatement sur la chair vive.

Mais le fait que ce soit un suicidaire n'aidait pas son cas.

Une opération de ce genre exigeait les meilleurs spécialistes pour une opération risquée et expérimentale qui pouvait durer 10 heures.

Tout ceci coûtait très cher.

On débattait encore sur son cas quand le médecin de garde de son étage lui dit qu'il fallait qu'il parte. Le temps réglementaire d'utilisation de la chambre et des services hospitaliers était dépassé. On l'avait déjà dépassé du fait du côté exceptionnel de sa situation. Kais on ne pouvait pas aller au-delà d'une certaine limite.

On lui conseilla de voir un psychologue car il semblait en avoir besoin.

Mais quelque chose semblait s'être passé en lui. Alors que jusqu'à présent et depuis toujours, il avait vu sa vie comme un poids et l'existence de cette vie comme une épreuve, sentiment qui l'avait porté à essayer maladroitement de mettre fin à ses jours. Était-ce la douleur, le fait qu'il ait failli mourir qui avait provoqué une modification de son cerveau qui n'avait pourtant pas été pénétré par les plombs.

Ou le feu qui avait brûlé les nuages noirs qui assombrissait sa vie depuis son enfance.

Depuis ce jour-là, il n'avait plus envie de mourir.

Le désespoir qui était là à l'écraser sans cesse s'en était allé.

Lui qui était seul avait même trouvé l'amour. Une femme assez jolie qui assistait les mourants pour on ne sait quelle raison se prit de pitié pour lui une fois le premier mouvement d'horreur contrôlé. Mais elle cotoyait tous les jours des sidatiques et des cannéreux en phase terminale et des grands brûlés. Pour la plupart des gens, cette vision était insoutenable. Pour la plupart des gens.

Dès qu'il put parler à nouveau, elle trouva sa voix  intéressante, ses paroles agréables et ses idées dignes d'être écoutée.

Elle seule avait pu voir l'homme derrière le monstre. Et aucune femme avant elle n'avait vu le joli visage qu'il portait. Il lui arrivait de regarder le visage qu'il avait été, ceci faisait parti du traitement d'acceptation de sa situation. Il se dit qu'il n'était pas si mal.

Lorsqu'il sortit, avec son masque, pour éviter que les plaies ne s'infectent, elle l'accompagna chez lui.

Comme elle le faisait pour les grands malades dont elle essayait de remonter le moral. Mais contrairement aux autres, lui qui avait de bonnes raisons d'être désespéré ne l'était pas ou il ne l'était plus.

Sitôt arrivé chez lui, les spécialistes du transport des handicapés manipulèrent la chaise roulante jusqu'à l'ascenceur. On lui avait expliqué avant son départ de l'hôpital comment il fallait s'y prendre. Ils lui réexpliquèrent. Elle les remercia et vérifia qu'il pouvait vivre dans son nouvel environnement. Tout change de dimension lorsqu'on est handicapé. Mais il n'était pas condamé à rester rivé sur sa chaise, bientôt, il pourrait à nouveau marcher.

Elle s'en alla dès qu'elle fut rassurée. Confiante qu'il ne ferait pas une autre bêtise.

Timidement, il lui demanda si elle allait revenir.

Il eut même le front de lui dire qu'ill ne savait pas s'il allait s'en sortir tout seul.

Elle lui dit qu'il avait montré du courage, qu'il en faudrait plus, mais qu'elle avait confiance en lui. Elle allait même prier pour lui.

Elle revint le lendemain.

Et la semaine suivante.

Elle aimait sa présence.

Elle découvrit qu'elle avait besoin de lui. Il découvrit qu'il était responsable d'elle. Ce qui ne lui était jamais arrivé. Il s'était toujours occupé de lui. Assez mal. Et les quelques femmes qui avaient été dans sa vie l'avait encombré rapidement ce qui lui avait fait comprendre qu'il était mieux seul. Sa propre vie l'étouffait bien assez comme ça. Alors la vie d'une autre trop près de lui le privait de son air.

Les femmes sont souvent comme ça. Elles font souvent cet effet là. Elles vous prennent votre air.

Elle l'accompagne au parc. Mais comme le visage masqué faisait peur aux visiteurs des parcs. Ils appelaient la police. Qui à chaque fois ne croyait pas à son histoire - il ou elle parla d'un accident industriel- on lui faisait oter son masque et on reculait de dégoût. Il y a des limites à ce qu'on peut endurer visuellement. Il était une forme de pollution visuelle, une nuisance esthétique. Comme il ne pouvait côtoyer les gens normaux, il préféra aller dans le bois, marcher seul. Parce qu'il pouvait à nouveau marcher lentement, en boitant, depuis que sa jambe avait été réparée.

Le plus souvent possible, il aimait aller dans le bois avec elle. Parler de son avenir. Car il le sentait au plus profond de lui, il avait maintenant un avenir. Elle parlait à son tour de leur avenir.

Il ne pensait plus à la mort.

Bien sûr, il mourrait un jour. Comme tout le monde. Mais ce serait le plus tard possible. Alors que la mort faisaiit parti de lui depuis qu'il était enfant.

On allait l'opérer bientôt, il avait cessé de souffrir. L'opération serait terrible et il souffrirait encore. Et au bout de cette souffrance, il aurait peut-être un nouveau visage.

Le fait qu'il soit maintenant optimiste l'avait fait remonter dans la liste des gens ayant besoin d'une opération exceptionnelle. Les optimistes ont plus de chance de guérir. Et les pessimistes descendent dans le fond de la liste. Et les désespérés n'entraînent pas les meilleures intentions.

Il n'était pas heureux. Fallait pas trop en demander. Mais il n'était plus malheureux à crier. Il avait assez crié et hurlé pour qu'il ne reste plus de cris ni de hurlement.

Il s'habituait à vivre. Et comme la femme était une experte dans ce domaine, elle lui donnait des conseils plus ou moins sages.

Avec les pilules qui contrôlaient sa douleur, il allait raisonnablement bien sans être gelé ou beige.

On pourrait dire qu'il voyait demain avec optimiste. Et pouvait même envisager d'être vivant le mois prochain. Et avait quelquefois des projets pour l'année prochaine. Où il serait même là pour les voir.

C'est une histoire qui finit bien, non!?

*

27 juillet 2o12. État 1