HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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3.7.12

158. HISTOIRE DE FANTÔME

Henry Dickson

L'homme se souvenait de la maison. Il la revoyait toujours de loin la nuit dans la rangée de maisons qui s'étiraient au sud de la route, petits point de lumière. Au nord, il n'y avait rien. Au sud la route qui faisait sa courbe et au sud de la route les maisons invisibles sauf leurs petits points vivants fixes ou tremblotant comme des êtres vivant respirant lentement.

La maison, il y allait tous les jours. Une grande maison carrée qui avait peut-être été une école mais qui pour le moment et depuis longtemps était vide. Un grand escalier, une grande porte. Il n'avait eu qu'à entrer lorsqu'il s'était décidé à le faire. Il n'y avait pas de gardien mais on semblait venir régulièrement faire du ménage car il n'y avait pas de poussière et la maison même abandonnée n'avait pas l'air d'une ruine. Et aucun squatter n'était venu y loger sa misère. Pas de débris, de bouteille vide.

Il avait choisi l'étage. Il y en avait 3 ou 4, il ne se souvenait plus. Un grand local vide éclairé des 4 côtés puisqu'il n'y avait aucune cloison. Grand mais juste assez, probablement 40 pieds X 40.

Il y avait de grande table. Et il s'était installé pour y travailler. Il ne se rappelait plus à quoi mais il se souvenait qu'il y avait des papiers sur les tables, des livres et qu'il faisait quelque chose toute la journée. Du lever du soleil au coucher. Puis il s'en allait lorsque le soleil baissait. 9 heure du soir l'été et 4h.30 l'hiver.

Il y avait le chauffage et l'éclairage très utile lorsque la lumière baissait ou naissait, lorsqu'il venait tôt le main. 5 heure l'été et 7 heure l'hiver. Alors que les nuits sont très longue.

Cette situation dura des année, il ne se rappelait plus combien.

La maison était sur un petite butte et, curieusement, rien ne poussait autour. Une terre grise et dure. La maison était de bois, grande mais pas trop. Avec des étages mais pas trop. Il commençait à avoir de la difficulté à monter les marches.

Il y allait tous les jours, 365 jours par an parce qu'il était seul et n'avait personne à voir ou personne qui aurait envie de le voir.

La porte était fermée mais toujours ouverte quand il tirait la poignée. Il ne la barrait pas en partant car il n'avait pas la clé et n'avait donc pas besoin de la débarrer le matin.

Et, curieusement, au cours des années, aucun indésirable ne s'y installa. Comme si la maison ne tolérait que lui.

Lorsqu'il était de retour chez lui, lorsqu'il regardait du second étage par la fenêtre donnant su l'est, il pouvait la voir, non pas la voir, car elle était trop loin, pas si loin car il n'y avait que 10 minutes qui les séparait, mais il pouvait la distinguer d'entre toutes les autres qui faisaient la file, car il n'y avait qu'une seule rangée de maison le long de la route, par ses lumières.

Même s'il fermait toutes les lumières de l'étage lorsqu'il partait, la maison semblait s'éclairer la nuit, toute la nuit. Il s'était levé souvent pour la voir et les lumières étaient toujours là qui ne s'éteignaient que le lendemain.

Bien sûr, c'aurait pu être une autre maison, il aurait pu se tromper mais il en était sûr, c'était la maison.

Été comme hiver, il y allait.

Il aurait bien aimé se rappeler de ce qu'il y faisait. Il se rappelait bien des grandes tables et des papiers mais ne parvenait pas à se souvenir de ce qu'il y avait dessus. Est-ce qu'il lisait? Écrivait-il? Ou dessinait-il? Avait-il été un écrivain, un artiste, un érudit?

Ceci n'avait plus grande importance maintenant.

Quand il pensait à ce temps, il pensait à un sentiment qu'il ne reconnaissait pas à ce moment et qui lui avait été toujours étranger, quand il repensait à la maison et aux longues heures qu'i y passait, à penser à autre chose que soi (mais à quoi?), il reconnaissait qu'il avait été heureux.

Il comprenait maintenant ce qu'il fallait pour qu'il ressente ce sentiment pourtant si commun, tant de gens disent qu'ils le sont et on publie partout des recettes pour le devenir ou le redevenir.

Il fallait qu'il soit hors de lui. Être lui-même, redevenir lui-même, l'ennuyait profondément. Mais lorsqu'il faisait quelque chose qui l'absorbait profondément, qui le projetait ou l'élevait ou le sortait de lui-même et qu'il passait des heures dans cet état à ne penser à rien - de ce fait, il ne pensait pas aux sentiments et aux émotions qu'il pouvait probablement éprouver- ce n'est que lorsqu'il était ailleurs, qu'il découvrait qu'il avait été bien. Lorsqu'il allait là bas, il était content, lorsqu'il partait, il était un peu triste. Il faut dire que ces épanchements variés à ce moment, il ne les analysait pas.

Ce n'est que maintenant alors qu'il a tout son temps, qu'il peut nommer cet état particulier comme étant proche de ce que les gens appellent bonheur.

Et ceci durait du lever du soleil au coucher et toute l'année et durant des années.

Jusqu'à ce qu'il devienne moins heureux

Encore une fois, à ce moment, il ne donnait pas ces noms génériques à ce qu'il ressentait. Ce n'est que maintenant alors qu'il est trop tard et que tout est clair qu'il peut choisir le terme adéquat.

Et de la même façon qu'il avait trouvé cette maison qu'il ne cherchait pas et ce  travail dont il ne souvenait pas, sa situation sociale et celle de la maison changea.

Parfois il s'était demandé à quoi avait pu bien servir cette maison si bien construite et pourquoi elle ne servait plus à cet usage. Ce qui ne lui déplaisait pas car il l'avait pour ainsi dire tout à lui sans qu'elle ne lui coûte rien.

On la chauffait, la nettoyait, l'entretenait pour lui.

Et il savait tout le trouble que représentait ces activités et combien elles coûtaient s'il comparait avec son logis habituel qui tombait en ruine et qu'il ne réparait pas car ça l'ennuyait.

Un jour, il arriva comme tous les autres jours ou les autres matins et, contrairement à tous les autres jours de toutes les autres années, il n'était plus seul. Il y avait quelqu'un dans la maison.

Le rez-de-chaussée était occupé.

Il compris par les sons - il ne voulait pas vérifier pour ne pas se faire voir- comprenant qu'il n'aurait pas dû être là- que c'était une classe. Et que comme il le pensait, cette maison était une école. Qu'on avait cessé d'utiliser pour il ne savait quelle raison et qu'on avait décidé soudainement d'utiliser - à moins que ce ne soit le résultat d'un interminable processus bureaucratique qui venait à terme ce matin là, l'école redevenait une école, avec une classe et des enfants.

Il se demanda ce que cette situation nouvelle impliquait pour lui. Personne ne savait qu'il était là et qu'il avait fait de cette maison presque sa demeure.

Il n'avait pas envie d'expliquer sachant qu'on lui aurait dit de partir, ce qui était tout à fait logique car rien de tout ceci ne lui appartenait.

Il préféra faire comme d'habitude. Puisqu'on ne lui demandait pas d'explication, puisque personne ne le voyait, et si un jour ceci arrivait, il s'expliquerait ou essayerait de la faire. Quoique ce puisse être difficile.

Prit l'escalier et monta à l'étage où il n'y avait personne.

Fit ce qu'il faisait d'habitude de faire et le fit toute la journée.

Il entendait les enfants sous lui, dans l'étage inférieur qui récitait des choses à qui on apprenait des choses mais il ne comprenait pas qui car les sons arrivaient déformés par le passages du plancher.

C'était un doux ronron studieux auquel il s'habitua et qui dira quelques années.

Curieusement, personne ne vint jamais à l'étage pendant qu'il y était. Les classes poursuivaient en bas, car d'une classe on pessa à 2 puis peut-être à 3 ,car il y avait de la place. Mais on ne semblait pas avoir besoin de plus. Le seul effet de ces multiplication de classes, d'élèves et de professeurs fut l'augmentation de l'intensité du bourdonnement. Car apprendre même silencieusement est bruyant.

Il finit par s'habituer à cette situation comme il s'était habitué à la situation précédente.

Car de son point de vue ou en ce qui concernait son existence, rien ne changeait vraiment. Tous les jours il allait et tous les jours, il repartait. Bien après que les enfants soient repartis. Et bien avant qu'ils arrivent le matin. Son horaire était aussi immuable que le leur. Lui, de 5 h. du matin à 9 h. du soir, l'été. Et de 7 h. du matin à 4h. du soir l'automne, l'hiver et une partie du printemps. Eux, de 8h. du matin à 4 h. de l'après-midi, sauf les fins de semaine et les congés officiels et les jours de tempête de neige. Jour de travail pour lui, car il habitait tout près et aucune variation de température ne l'avait jusqu'à présent empêché de faire cette courte marche. Et, l'été, de fin juin au début septembre, il était de nouveau seul.

Sa situation changea de nouveau un jour de septembre où en arrivant un matin, il trouva l'étage qu'il occupait jusqu'à présent, occupé par une classe. Et, probablement d'autres, car pendant qu'on enseignait à un endroit, on construisait des murs, des cloisons, des corridors à un autre. Et la grande salle qu'il occupait se divisait et allait se subdiviser encore.

Il fut inquiet pour ses papiers mais heureusement comme on ne savait qu'en faire et comme personne ne voulait prendre la responsabilité de s'en défaire, on les avait mis dans des boites de carton bureaucratiquement réglementairese et grimpé à l'étage supérieur et empilé entre 2 fenêtres.

Une fois qu'il eut retrouvé ses papiers, il fut, comment dire, disons, heureux ou à peu près. La routine reprenait. Il réinstalla les grandes tables qu'on avait grimpé également et empilées elles-aussi.

Personne ne faisait attention à lui et ceci dura un an.

Et, au retour des vacances d'été, il revit la même désagréable situation de l'année précédente. Une classe occupait son étage et on avait grimpé toutes les boites au dernier étage.

L'école qui avait retrouvé sa vocation devenait de plus en plus bruyante. Et, pire, il y avait les récréations et l'heure du dîner où les enfants jouaient à faire du bruit. Ceci dura un an. Il finit encore par s'y habituer. Probablement qu'on s'habitue à tout.

Et, comme si le malheur s'acharnait sur lui, à la fin de l'été suivante, son étage, qui n'était pas à lui, mais qu'il avait fini par considéré comme son domicile, fut occupé par ses ennemis. Le mot «occupé» «occupant» «occupation» décrivait bien le sentiment qu'il éprouvait. Se trouvant dans la situation d'un peuple conquis dans un territoire envahi.

Il chercha ses boites et ne les trouva nulle part jusqu'à ce qu'il visite le sous-sol où il n'allait jamais. Il les trouva à côté de la fournaise.

Encore une fois, il s'habitua à cette situation qui dura un an.

Encore du nouveau, le septembre d'après, on avait aménagé le sous-sol en cafétéria et salle de sport, utile entre 2 période de repas. La fournaise avait été murée dans ce qu'on appelait une salle de mécanique où il y avait les compteurs électriques, des pompes et d'autres appareils qu'il ne comprenait pas et dont il devinait mal l'usage quoiqu'ils fussent grondeurs ou siffleurs.

Comme il ne lui restait que cet espace réduit, il prit une grande table puisqu'un seule table entrait maintenant dans la salle des la fournaise et une boite de papier. Le reste resta empilé dans un coin et commença vite à sentir l'humidité à toujours reposer sur le plancher de béton.

L'année d'après, il connut d'autres malheurs, on avait installé d'autres appareils dans la salle des fournaises (et une seconde fournaise) et il ne trouvait plus ses boites ni sa table qu'il chercha partout après le départ des enfants. Il avait toute la nuit pour chercher et il chercha vraiment partout.

Il ne trouva plus rien.

Il sortit et fit le tour de la bâtisse qui lui devenait de plus en plus antipathique et ennemie et ne trouva rien. N'osa penser au grand bac de récupération de métal où on jetait les vieux journaux et les travaux des étudiants après usage. Le coeur lui manquait quand il se résolut à ouvrir la porte de métal, tout y était. Les boites et leur contenu, jetés tout en tas, en vrac. Tous ses papiers.

Il fut alors vraiment découragé. 

Il pensa prendre tout ceci avant que le camion de papier recyclé ne passe le lendemain mais où allait-il bien mettre tout ceci. Il y avait trop de boites. Des années de travail avaient produit un tel amoncellement de papier qu'il n'y avait que cet immeuble devenu école qui pouvait le contenir à l'aise. 

Il eut le coeur brisé de voir l'oeuvre de sa vie condamnée à la destruction.

Puis se dit que c'était le destin, probablement, et que les choses devaient se passer ainsi.

Mais qu'allait-il faire le lendemain?

Il s'en alla aussi mort qu'on peut l'être dans sa vieille maison en ruine en pensant à tous ses précieux papiers qui seraient broyés et liquéfiés. Combien d'années de travail pour en arriver là?

Quand il revint le lendemain, il n'avait pas vraiment envie de revenir mais il n'avait aucun autre endroit où aller, il vit le bac de métal, l'ouvrit, il était vide, on était passé très tôt pour tout ramasser.

Abattu, il entra dans la boite de bois qui avait été sa maison, son lieu de travail toutes ces années, il était seul et pleura toutes les étages et tous les escaliers, toutes les portes. Où qu'il aille, il n'y avait plus aucune place pour lui.

Il n'avait rien à redire sur ce sort cruel parce qu'il était logique qu'une école vide devienne un école pleine avec des enfants qui apprennent et des professeurs essayant de leur apprendre quelque chose.

Il était tout ce temps un étranger.

Au moment où il allait partir pour retourner définitivement à sa vieille maison, il pleuvait et cette température était tout à fait à l'image de ce qu'il ressentait dans toutes les cellules de son cerveau et toutes les pores de sa peau.

Que ferait-il dans sa vieille maison?

Il pouvait acheter du papier et une table ou prendre une de celle qui était la et commencer à faire ce qu'il faisait peu importe ce que c'était mais s'il ne l'avait pas fait la c'est qu'il y avait une bonne raison. Il ne savait pas laquelle ou ne s'en souvenait plus mais ce devait être une bonne. À commencer par le fait qu'il n'en avait aucune envie.

Il avait soigneusement délimité sa vie en divers espaces: sa vie et son sommeil dans sa vieille maison. Et son travail dans l'édifice qui était devenu une école où il n'avait dérénavant plus rien à faire.

Toutes ces années d'habitude ne peuvent se changer aussi facilement. À l'aube suivante, il était déjà réveillé même s'il avait pleuré toute la nuit. Il avait probablement fini par s'endormir puisqu'il se réveillait.

C'était encore le lever du soleil et comme il ne savait pas quoi faire d'autre, il retourna à l'école, fit le tour des classes et des bureaux. Il n'avait pas pensé amener quoique ce soit puisqu'il n'avait pas pensé retourner là bas mais ses pas l'y menèrent comme malgré lui.

Il prit une feuille où il y en avait beaucoup et un stylo où il ne lui parut pas que ça manquerait et il chercha un lieu inoccupé et finit par trouver une armoire vide. Il s'y enferma et écrivit toute la journée. Les élèves qui était à un mur de lui et qui auraient pu le découvrir en ouvrant la porte ne pensèrent à aucun moment aller voir.

Ce n'est que le soir qu'il remarqua un phénomène curieux, lorsque tous les élèves de la classe où était son armoire partirent. Lorsque la nuit arriva. Il se rendit compte qu'il avait travaillé toute la journée à la noirceur car il n'y avait pas de lumière ni d'ampoule dans l'armoire. Certaines en ont mais la sienne n'en avait pas. Et pourtant il y avait vu très bien. il avait travaillé toute la journée dans le noir et une partie de la nuit. Il n'avait pas aussi bien travaillé depuis des années.

Comment faisait-il pour travailler dans le noir? Lire? Écrire?

Il sortit de son armoire et émergea dans la classe vide. Il alluma un fluorescent et regarda ce qu'il avait écrit sur sa feuille de papier. Pour la première fois, il réalisa que le matin, il n'avait pris qu'une feuille de papier. Feuille sur laquelle il avait écrit toute la journée. D'écriture, en fait, il n'y avait rien, car son stylo n'avait pas d'encre ou elle était sèche. Pourtant lorsqu'il écrivait il avait très bien vu qu'il écrivait quelque chose et que cette chose était prodigieusement intéressante.

Mais il fallait bien le réaliser, la feuille était blanche, raturée de tous les traits inutiles qu'il y avait mis.

Tout ceci était bien curieux.

Il se demanda s'il ne devenait pas fou ou s'il ne l'était pas devenu depuis toutes ces années de solitude.

Il alla à la cave où il avait aménagé son dernier domicile. La salle des fournaises. Comme pour y trouver une réponse. Et, effectivement, réponse il y trouva. Il restait une boite d'archives personnelles. Dans un coin. On l'avait oublié là. On s'était peut-être dit qu'on irait la chercher pour la jeter avec les autres mais on l'avait oublié là.

Il ouvrit la boite. Il y avait des pages et des pages, des piles de pages et de feuilles. Le tout représentait des années de travail et faisait un bon poids de papier ce qui avait sans doute fait qu'on avait décidé de la laisser là après avoir dû trimbaler toutes les autres.

Il commença par curiosité à se relire. À passer les pages en revues. Car tant de temps était passé qu'il n'avait plus aucun souvenir de ce qu'il avait pu écrire. Il pensa revivre un moment de nostalgie celle d'une époque où il était plus jeune, plus énergie, plein d'idées.

Mais sur ces feuilles et ces pages, il n'y avait rien.

Il avait écrit des années durant. Mais quoi.

Sur aucune des milliers de pages que renfermait la boite de carton il n'y avait la moindre lettre. Mais qu'avait-il pu faire tout ce temps? À quoi avait-il passé son temps? Tant d'heures, de jours, d'années.

Il ne comprenait pas et remonta au rez-de-chaussée. C'est alors qu'il réalisa qu'il était dans le noir. La nuit était venu sans qu'il le remarque, il n'avait pas pensé ouvrir les lumières et pourtant il y voyait très bien.

Il retourna dans la classe où il était, à côté de son armoire, s'assit sur un pupitre d'enfant avec sa feuille qu'il avait laissé avant de descendre et de monter faire le tour à la recherche de quelque chose.

Et cette chose il l'avait trouvé sans la chercher. Ceci lui appraissait évident à ce moment, assis sur cette ridicule petite chaise à ce ridicule petit pupitre - tout à fait normaux pour la taille d'un enfant mais ridicule du fait qu'il y était bien inconfortablement assis.

Pour commencer, il se demanda quel âge il avait.

Ensuite, il se souvint de sa date de naissance. Tout le monde se rappelle de sa date de naissance. Parfois, c'est le calcul de l'âge qui est difficile si on n'est pas doué pour l'arithmétique et le calcul mental.

à côté de lui, comme pour fairer exprès, il y avait un calendrier.

Il fit le calcul qui était plus compliqué qu'il ne le croyait. Il alla au tableau vert et s'aida d'une craie.

C'était évident, il était impossible que ces chiffres soient exacts ou s'ils étaient exacts, c'est lui qui était impossible.

Logiquement, étant donné la durée moyenne d'une vie humaine, il était tout à fait impossible qu'il soit encore vivant. Il était donc mort. Depuis un bon moment si les chiffres qu'il avait calculé était exact.

Il venait de réaliser pour la première fois qu'il était mort et que cet état était tout à fait différent de tout ce que les vivants en avaient pensé.

Dans quel but était-il ici? Ou qu'est-ce qui avait causé sa mort, il n'en savait absoluement rien. Il aurait dû se souvenir d'un événement aussi personnel et important mais rien.

Depus combien de temps cela durait-il? Longtemps, encore une fois ses calculs vérifiés et recomptés.

Il était mort mais les objets et lui était aussi réellement physique que lorsqu'il était vivant. Il pouvait les toucher, les objets pouvaient le toucher et en ce cas ne le traversait pas.

Il avait passé toutes ces années à faire des choses dont il ne se souvenait pas, travaux qui avaient pris tout son temps et dont il ne restait absolument rien.

Est-ce que c'était ça la mort? Ou une mort particulière réservée pour lui ou conçue pour des individus comme lui, chacun ayant la sienne?

Parce qu'il avait découvert ce jeu qu'on lui faisait ou auquel il participait sans le savoir, il pouvait maintenant l'abandonner. À quoi bon écrire si aucune trace ne reste et si personne même pas vous-même ne lira jamais ce que vous avez fait?

Il décida de partir car il n'avait plus rien à faire ici.

Pour aller où?

Il ne s'était jamais demandé tout ce temps s'il avait froid ou chaud ou faim s'il était mouillé lorsqu'il pleuvait ou si la neige l'empêcherait de passer.

Étaient-ils nombreux à partager son sort?

Comment se fasait-il qu'il n'en ait jamais rencontré?

Évidamment, toutes ces décennies, il avait travaillé dans une maison vide oû il n'avait aucune chance de rencontrer quelqu'un. Et depuis qu'il y avait des gens dans cette maison, gens qu'il voyait très bien et qu'il faisait tout pour éviter aucun de ceux-ci par hasard ou malchance, étant donné le nombre d'années qu'il était ici à les côtoyer, une recontre si elle était dans l'ordre du possible aurait dû se faire. Il en conclut donc qu'elle était donc impossible.

Dans le mode des morts qui cotoit le monde des vivants, les morts voient mais pas les vivants. Ce qui est tout à fait inutile.

Mais les morts ne savent pas qu'ils sont morts. Ceci doit être trop désespérant pour la plupart aussi on leur épargne ce calvaire. On. Mais qui?

Cela lui avait pris à lui près de 100 ans pour découvrir et réaliser qu'il était mort. Et cette information ne lui était d'aucune utilité comme la plupart des informations et des connaissances qu'il avait engrangé dans sa tête durant sa vie.

Tout ce dont il se souvenait très bien mais qui ne lui servirait à rien ni à personne.

Comme il ne savait quoi penser du phénomène, il conclut que la mort était longue, peut-être éternelle, ou du moins très longue, et ressemblait beaucoup à la vie. Du moins sa vie de mort était en tout point semblable à sa vie de vivant. Il n'avait fait qu'écrire tout ce temps.

Dans sa vie de mourant, il avait écrit en vain car rien ne s'était imprimé sur le papier. Et dans sa vie de vivant, il se rappelait très bien de la scène qu'il avait préféré oublié, il avait accumulé des caisses et des caisse de pages écrites. Caisses que les vivants qui lui avait survécu avaient passé en revue. Et dont il se souvenait très bien du bruit lorsqu'on les avait jeté dans le bac bleu de recyclage. Plus petit que le grand bac de fer de l'école. Et en plastique.

Tout ce qu'il avait fait avait été jeté sans la moindre émotion ou la plus petite pensée. Ceci encombrait. Cela n'encombrerait plus. Des vivants vivaient maintenant dans la maison où il avait vécu. Et la vieille maison où il pensait avoir dormi toutes ces années n'était qu'une ruine incendiée depuis.

tout ceci lui apparaissait clair et évident.

Mais si dans la mort on ne mourait plus, était-ce le cas? Que fait-on de tout ce temps? Il n'avait plus aucune intention d'écrire quoi que ce soit puisque aucune trace ne demeurait.

Il décida de s'en aller.

Il n'avait aucune place où aller, personne qui l'attendait.

Était-ce une forme d'enfer? Pour, par exemple, le punir d'avoit été égoïste et négligent envers les autres, tout son temps étant consacré à ce qu'il appelait son oeuvre et qui n'était rien en fait.

Un Enfer dont il ne souffrait pas trop. Peut-être avait-on calculé la punitiion à la hauteur de son crime.

Il était triste. Ce qu'il avait été toute sa vie.

Rien ne changeait vraiment.

La seule façon de ne pas être triste lorsqu'il vivait était de ne pas vivre, de vivre le moins souvent possible et le moins longtemps. Travailler, écrire étant de bons subsituts à l'existence.

Une question restait.

S'il était mort pouvait-il facilement se déplacer et aller dans tous les endroits où il aurait aimé aller et où il n'était pas allé faute de moyens physiques et financiers. Tout le fatiguait et tout l'ennuyait. Dès qu'il avait compris comment une chose fonctionnait ou comment elle était - pour les voyages, un album de photos suffisait- il n'en avait déjà plus envie.

Mais ce monde qu'il n'avait pas découvert de son vivant parce qu'il n'en avait pas envie, avait-il envie de le voir maintenant qu'il avait tout son temps?

Et que veut dire avoir tout son temps?

Comment se déplacer lorsqu'on est mort? Personne ne vous voit, peut-on aller avec eux en avion? Combien pèse un mort?

Ce qu'il en savait c'est qu'il avait conservé le même corps que de son vivant, corps qui ne vieillissait plus. Mais il était en aussi mauvaise forme que de son vivant. Les purs esprits s'il en existait ne faisait pas parti de sa catégorie de cadavre.

Il allait donc au même rythme et au même pas.

Pour l'éternité?

Autre question,

Un mort mourait-il?

Y avait-il différentes catégories de mort? Différentes mort? Ou différerents états de la mort? Du plus primaire ou physique tel que lui ou l'état dans lequel il était pour devenir un jour plus, plus ou moins, moins.

Il avait toujours détester vivre lorsqu'il vivait et l'idée de vivre dans cet état cette fois pour l'éternité ne lui plaisait pas. Vraiment mais vraiment pas. Sans doute une forme d'Enfer pour les types dans son genre.  Qui refuse le merveilleux cadeau de la vie -il avait l'impression de lire une revue de conseils féminins- cadeau qui l'avait toujours encombré. Il n'avait jamais demandé à naître ou à vivre et avait vécu trop longtemps.

Et comme il le comprenait, on - qui on?- le condamnait à vivre pour l'éternité. Une vie sans aile, comme dans les contes. Il aurait préféré être désintégré mais on ne lui faisait pas cette faveur non plus. Réciter des cantiques, chanter la gloire du Seigneur l'ennuyait profondément ce que le connassant, on (qui on ?) l'en avait épargné

La meilleure façon de le savoir était de l'essayer.

Il décida donc d'aller se tuer en se jetant au bout de la jetée.

Il aima cette rime. Mais ne se souvenait plus de quel ordre elle était.

Peut-être lorsqu'on est mort, perd-on graduellement la mémoire. Très lentement. Il aurait aimé se souvenir de rien. Mais trop de chose encore - pendant des années, il n'avait pensé à rien, ne s'était souvenu de rien, à l'abris de son papier et de son encre.

Il n'était pas triste ou pas plus que d'habitude, la tristessse étant son état normal.

Dans un instant, il allait résoudre ce problème: un mort peut-il mourir?

Il avait déjà pensé à la noyade mais l'idée et, pire, la vue de l'eau noire - on ne peut mourir de cette façon que la nuit- le faisait frissonner, le glacait jusqu'au sang. Du moins lorsqu'il était vivant. Mais maintenant qu'il était mort et qu'un avenir de félicité (ricanement) lui était réservé, il

Il quitta son armoire, sa classe, sa salle de fournaise, son école.

Il se sentait vieux comme il s'était senti toute sa vie. On n'était vraiment pas un esprit ou une pensée lorsqu'on était mort.

On était simplement vivant mais d'une autre façon.

L'idée de mourir (peut-être?) lui faisait le plus grand bien. Il se sentait plus léger. Ce qui ne lui arrivait pas souvent et pas dans le dernier siècle.

Est-ce qu'on souffre lorsqu'on meurt?

Question intéressante.

Il aurait aimé en discuter avec une femme (mieux) ou un homme mais sa condition particulière de mort exigeait probablement qu'il meure seul comme il avait vécu.

Quelqu'un avait calculé que depuis que l'Homme était dans cet état (moins singe) il avait probablement vécu 100 milliards de gens donc était mort 100 milliards de morts. Et il n'en avait vu aucun.

Peut-être chacun a t-il son petit univers parallèle qui ressemble à sa vie. Et aucun ne se souvient comment il est mort ou même qu'il est mort.

Une petite baignade lui ferait le plus grand bien.

*

3 juillet 2012. État 1

Mort. 1