HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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21.6.12

117. HISTOIRES DE FANTÔMES

Henry Dickson

Trouva dans le tiroir du petit bureau à côté de son lit standard d'hôtel standard pas d'étoile, une Bible qui n'avait pas tellement servi et dans ce livre très vieux mais pas si vieux - l'exemplaire du tiroir qu'il avait en main - une photo et quelques notes derrière la photo.

Écrite au crayon à la mine de plomb. Dans un style qui n'est plus commun de nos jours. Aussi bien dans la manière d'écrire que par les mots et les phrases utilisés. Et sans faute, ce qui indiquait une période éloignée dans le temps et l'espace. Témoignage ressurgie d'une époque disparue.

Comme il n'avait rien à faire et pas encore envie de dormir, il utilisa ce qui lui resta d'attention pour étudier l'objet.

Une invocation maladroite.

Écrite à la main dans laquelle on demandait à Dieu ou à Satan, la première entité disponible qui voudrait s'occuper de l'affaire, on n'était pas très regardant à ce sujet. De tuer, d'exterminer, préférablement lentement, un cancer serait apprécié, un cancer des os, un des plus douloureux et, si on ne pouvait pas, d'envoyer diverses calamités sur la personne de la photo.

Pourquoi pas un éclair lors d'un orage?

Bref, cette personne manquait d'amis.

La personne sur la photo. Une soeur de, une religieuse de, une bonne soeur (quoique le terme ne semblait pas très précis selon les notes à l'endos), difficile de savoir la congrégation, à moins d'être un expert en tissus, cornette, couleurs. En fait diverses nuances de gris sales. Le seul blanc étant les bordures cadrant la photo.

La soeur avait une sale gueule et pourrait être expliquée et commentée à la façon de certains animaux ou animalcules ou phénomènes physiques que l'on décrit comme difficiles à aimer. La tarentule par exemple.

Mais si attachant une fois qu'on a appris à les connaître.

Quoiqu'on puisse très bien connaître la tarentule sans avoir davantage une envie intense de l'aimer.

Ou si intéressant à observer dans un bocal.

Avec du formol si on veut les immobiliser définitivement et les étudier sécuritairement sans qu'ils vous sautent au visage.

Quelques-unes des possibilités qui s'offrent à la première rencontre. Le réflexe immédiat étant de les écraser.

Une série de bonnets, voile, casques, casquettes, cornettes, foulards rigides et empesés qui encadraient et enserraient du menton aux sourcils et d'une joue à l'autre son visage.  Gonflé, bouffi, borné, bovin, furieux. Les 2 yeux effrayants. Un serpent à sonnette ? Un crapaud buffle pustuleux. Un crapaud à sonnette?

La bouche ou les mandibules d'insecte broyeur assez déplaisantes.

Méritait-elle pour autant la mort?

Peut-être pour délit esthétique?

La mort par des moyens intellectuels et spirituels à défaut de moyens plus mécaniques ou physiques?

La mort lente et inexorable à défaut d'une mort plus sanglante et enthousiasmante.

La personne qui avait écrit la note n'avait pas signé - était-ce un défaut dans le pacte satanique? Fallait-il signer avec son sang, la plume mouillée dans le trait dans la peau dans le sang dans la douloureuse (indispensable) blessure faite au couteau tranchant?

N'étant pas expert dans le domaine, il n'en savait rien.

Il faudrait qu'il le demande à quelques bonnes (encore là le terme était imprécis) femmes du village.

Peut-être que l'insertion de la photo dans la Bible, livre de magie par excellence, trouvable dans tout motel, contrairement aux manuels de sorcelleries sataniques, augmentait-elle la force de l'invocation?

Et on avait judicieusement choisi un passage particulièrement excessif, dans ce livre de bouffons qui n'en manquent pas où Dieu (le Dieu des Juifs) venait encore de faire avec délectation un autre carnage.

La photo dans ce livre et son insertion dans ce chapitre augmentait la puissance des petits mots griffonnés au crayon?

La photo était ancienne.

Sans doute que, même sans l'intervention de Dieu ou de Satan - dans tant de domaines ils se ressemblent tant qu'on les dirait des frères - la personne sur la photo était déjà décédée de mort naturelle.

Probablement que les Anciens Grecs auraient fait des variations intéressantes sur les Dieux Juifs s'ils en avaient été informés. Ou, peut-être les auraient-ils simplement trouvés trop barbares. Quoique les leurs n'avaient de leçons à donner à personne en fait d'expressionnisme criminel. Ce qui ne les aurait pas empêchés de juger de haut ces maladroites figurines. Parfaitement adaptés à des primitifs paysans éleveurs de chèvres, pratiquant la torture sur des petits garçons. D'où l'explication possible de toutes les calamités qui leur sont tombées dessus par la suite.

Et un Dieu qui invente, commande ce genre de chose et les apprécie (il en fait un signe physique d'un pacte avec son peuple choisi. Hiha!) est ce qu'il y a de plus proche du maniaque et du pervers pédophile (variante cisailleur de prépuce de bébé) si on ne veut pas aller jusqu'à le comparer au Diable. Ce qu'on peut très bien faire aussi.

Sans compter les sacrifices humains distrayants.

Et les crimes contre l'humanité. Fréquents. Et les génocides réguliers. Plus rares car on finit par manquer de monde.


Et comme il ressemblait davantage à ce que pouvait désirer une clientèle d'animaux récemment humanisés (qui sent encore le singe)  (qui se ressemble s'assemble) que le nouveau Dieu Juif qu'avait essayé de bricoler maladroitement Jésus; il avait survécu à la tentative d'annihilation et sauté par dessus le Nouveau Testament. Directement de son antique peuple de gardiens d'ânes au reste des humains. En était résulté des millénaires de massacre. Du moins tant qu'il avait conservé cette puissance tentatrice. Par la suite, il eut ses armées ensoutanées dont la soeur était une représentante.

Et, peut-être, inévitablement. D'où le désir de l'assassiner.

Il faut bien qu'il y ait une justice ici-bas. Comme disait un vieil ivrogne qu'il avait rencontré dans le café où il allait s'installer pour regarder passer les passantes dans la rue. À une table d'une terrasse s'il faisait beau. Et à l'intérieur pour jouir de l'air climatisé, table à proximité d'une vitrine donnant sur la rue, lorsque c'était une de ces journées infernales à faire fondre l'asphalte. Et couler les bandes de signalisation fluorescentes blanches et oranges.

Et descendre les décolletés, amincir les bretelles et remonter les jupes. Et toutes ces jolies femmes si légèrement enveloppées toute fières de se montrer au monde. Regardez moi, j'existe,  je suis jolie. Vous n'avez pas envie de provoquer en duel votre compagnon de table pour m'avoir?

Il rêvait devant son cappucino ou une bière, selon le moment de la journée.

Le vieil ivrogne lui avait parlé du roman qu'il allait écrire, qu'il allait terminer, s'il y avait une justice ici-bas, qu'il allait commencer, dès que l'inspiration viendrait. Projet qu'il avait en tête depuis 50 ans et qu'il remettait régulièrement au lendemain avec précision. Demain, je me lèverai de bonne heure comme Proust. Ou ce sera l'année prochaine. Comme la coupe Stanley pour le Canadien.

Comme monsieur Dickson avait eu sa dose d'écrivains pour un moment, des gens probablement charmants si on ne les fréquente pas trop, du genre insecte sympathique mais ayant tendance à encombrer, comme la plupart des humains, il préféra passer son tour.

Et les lamentations sur la difficulté d'écrire au même moment où il y a des gens qui crèvent de faim et où un ancien ami était terrorisé par un savon, avaient quelque chose d'énervant.

Devant son air distrait et ennuyé, sa concentration sur la mousse du lait de son café, l'écrivain constipé retourna au bar commander quelque chose de fort qui lui donnerait enfin du courage ou de l'inspiration ou scléroserait davantage le peu qui lui restait et, de toute façon, le temps de l'ingestion ferait encore retarder le moment où il se mettrait à l'ouvrage.

S'il avait de la chance, ce serait jusqu'à sa mort. Il pourrait alors passer en revue sa vie ratée (quelques secondes suffisent dit-on - on n'a d'ailleurs que peu de temps de reste) et en tirer quelques enseignements pour les rares personnes qui l'assisteraient lors de son passage aux soins palliatifs. Et qui oublieraient aussitôt. Des vies de ce genre, ils en voyaient tous les jours. Et des morts de ce genre aussi.

Le centre au nom ambigu - volontairement (mouroir n'aurait pas été apprécié) était spécialement destiné aux personnes en fin de vie. Que l'on essayait avec attention et délicatesse, autant que le permettait les consignes administratives, bureaucratiques et comptables, de faire passer d'un état à un autre. Et des ascenseurs privés permettaient de poursuivre les étapes suivantes discrètement, hors de la vue et de la vie des encore et pour le moment et tout juste vivants. Car le corps désormais sans vie allait encore passer par d'autres stades et d'autres états. On descendait les cadavres au sous-sol où le fourgon de la morgue venait les chercher pour les opérations suivantes. Autopsie, si nécessaire. Ou frigo, en attendant qu'une décision soit prise. Fermeture du dossier. Et lorsque la décision serait déterminée, destination salon funéraire où d'autres opérations seraient entreprises.

Dans une société moderne, technologique, industrielles, bureaucratique et civilisée, toutes les étapes de la vie sont prévues et prévisibles - on déteste l'inattendu (exemple, un mort guéri par un thaumaturge du nom de Jésus. Rien que des emmerdements. De la paperasse. Des envoie en conseil de discipline, instance de l'ordre ou tribunal professionnel, et probablement des radiations ou des amendes pour avoir été incapable de déceler les signes imperceptibles (ce pourquoi on ne les avait pas décelés) d'un reste de vie. Et probablement des poursuites de la part du patient dont on allait éliminer le corps. Car il était impossible scientifiquement qu'un miracle existe, pire, se produise. Donc s'était déroulé une suite d'erreurs qu'aucun spécialiste n'avait pu voir. Quand au dénommé Jésus, son cas intéresse la police, les tribunaux, les services sociaux et les psychiatres - on craint qu'il ne s'en prenne aux enfants-  et son signalement est donné partout. Avec son portrait robot d'après les descriptions des malheureuses victimes abusées. Y compris le présumé mourant ou mort dont on avait profité de la naïveté dans quelques buts mystérieux.)

De la naissance à la mort, des édifices, des institutions, des manuels de procédures, des spécialistes officiaient afin que chaque passage se fasse le plus aisément. Et, à un bout de la ville, un camion vert amenait la future maman grimaçante et à l'autre bout de la ville, un camion blanc prenait en charge les dépouilles. Parfois, c'était dans le même édifice mais à des étages différents. De vastes usines à malades où on les entreposait en attente de traitement. Ou traitait les cas traitables disponibles. Du diagnostic, à la guérison ou à la mort. Des modalités prévisibles permettant l'intervention de spécialistes adéquats.

En ce qui concernait les vieils ivrognes, monsieur Dickson avait une longue expérience de leur fréquentation. Il est difficile de vivre longtemps sans avoir envie de se saouler indéfiniment ou de se mettre le canon d'un fusil dans la bouche.

Mais pour ce qui est de la Justice ou d'ici-bas, ou de leur association possible, il n'en pensait pas grand chose. Il avait observé la Justice et son usage comme il avait regardé ce qui se passait ici ou en bas sans trop en tirer d'enseignements valables.

Avait trouvé que l'usage d'un Sig Sauer pouvait très bien remplacer les approximations fonctionnarielles en usage ici et là.

Depuis qu'il était en ville, il avait sans la moindre hésitation et pas davantage de remords expédié en Enfer une vermine ou 2. Peut-être plus.

Il aurait pu en précipiter davantage mais ce n'était pas à lui de mettre un terme aux malheurs du Monde.

Sans doute que ces vermines auraient mérité une analyse plus approfondie de spécialistes qui auraient spéculé longuement sur leur cas comme on fait pour des malades exotiques intéressantes. Ou des moisissures passionnantes. Auraient-elles mérité autre chose? Une réaction spontanée presqu'un réflexe était ce qui convenait.

Monsieur Dickson n'aimait pas tellement les humains et faisait de son mieux pour qu'il y en ait moins. Quoique sans excès.

La personne qui avait écrit la note partageait sans doute sa vision des choses ou se limitait-elle à la détestation personnelle de cette religieuse? À moins que sa congrégation soit incluse dans la malédiction?

Peut-être aurait-elle voulu mettre le feu à leur pensionnat mais elle avait manqué de place pour ce souhait. Il aurait fallu qu'elle aiguise de nouveau sa mine.

Comme il n'y avait pas de signature, il ne pouvait savoir si la personne anonyme qui avait écrit le texte était un homme ou une femme ou si cet homme et cette femme était vieux ou jeune. Pas de date. Aucun lieu.

Du moins au moment de l'écriture.

Car la photo noire et grise semblait assez vieille. Peut-être un mauvais souvenir que l'on avait gardé sans trop savoir quoi en faire? Avec autant de peur de jeter que de la garder? Et impossible de le donner. Un grigri avec Mana inclus. Comme les scapulaires ou les croix bénites.

Mais pourquoi conserver l'image de quelqu'un que l'on hait? Peur de s'attirer sa malédiction. Car son pouvoir s'étendant au-delà de son corps jusqu'à son image.

Ou, peut-être, en avait-elle héritée ou le lui avait-on donné avec d'autres souvenirs de quelqu'un d'autres? Pensant lui faire plaisir. Comme une serviette tricotée dont il est impossible de se servir parce qu'on ne peut essuyer quoique ce soit avec de la laine et comme si ce n'était pas assez comme malédiction, la parente donatrice s'informe à chaque visite de la santé de son enfant donné en adoption. Qui a des couleurs bizarres et qu'on ne sait où mettre.

Le malheur est contagieux.

Si on le distribue, un petit peu à chacun, il semble moins lourd à porter. Malheureusement, les gens sont méfiants.

La photo était vieille. L'écriture aussi mais pas autant. Et photo et écriture n'étaient pas dans la Bible depuis aussi longtemps, car les femmes de chambres examinent ces détails. Il y a parfois des gens qui laissent des billets de banque dans les livres. Du moins une légende le prétendait. Ou des photos inspirantes. Monsieur Dickson n'était pas le seul à fouiller les livres et à s'en servir comme flip book. Ou un client aux prises avec ses dévotions auraient découvert la photo qui lui aurait fait sans doute bonne impression. Et les mots qui lui auraient déplu. Et se seraient plaint à la direction. Et il n'en serait resté aucune trace. La photo était donc là, entre 2 séances d'examen du tiroir par une épousseteuse attentive. Comme il ne savait pas à quel rythme se faisait ces séances de nettoyage en profondeur, il ne pouvait savoir depuis quand la photo était là. Mais la personne qui l'avait oubliée (?) là avait habité cette chambre. Couché dans ce lit.

Elle avait traîné cette photo jusque là pour finalement se résoudre à l'abandonner dans le nid le plus douillet ou correspondant le mieux à l'espèce. Quoique le texte d'accompagnement niait la moindre petite bonne intention qu'on pouvait lui prêter. Coincé entre 2 litanies de profanations. Malédiction au cube.

L'usage des mots, l'écriture suggérait une main féminine. Et quelque mots féminins confirmèrent effectivement le sexe.

Et un homme n'aurait pas écrit ce genre de chose. Ou n'aurait rien écrit du tout. Et les hommes de cette génération - en donnant un chiffre moyen- avaient peu de chance de rencontrer des soeurs dans l'exercice de leurs fonctions d'étudiants. Il y avait à l'époque des frères autrement plus redoutables. Mais que savait-il des perversions religieuses auxquelles étaient soumises les fillettes des écoles, collèges, pensionnats et orphelinats?

Ce qu'avait pu lui en dire une de ses amis qui en avait été marquée durablement. Épisode terrifiant, surtout si on se place dans la peau d'une fillette peureuse effrayée de tout. Depuis, elle détestait les femmes ce qui est assez rare parce que généralement ce sont les hommes que l'on hait facilement.

Il remit la photo en place, à sa page, et la Bible dans son tiroir. Et n'en pensa plus rien. Avant de s'endormir, il avait appelé la réception pour leur recommander de lui téléphoner pour le réveiller le lendemain. Ensuite, il programme sa montre qui lui servait de réveil-matin. Breiling Navitimer.

N'avait pas envie de manquer son train. Même si personne ne l'attendait. Une grande maison vide et des souvenirs qui ne lui appartenaient pas.

Il regarda le plafond et le grand ventilateur plafonnier au dessus de son lit qui brassait doucement l'air. Il avait fermé l'air climatisé qui était bruyant et se laissait aller à la petite brise des hélices.

Avec la télécommande actionna la tv.

À la tv, on était enthousiasmé devant le nouveau tueur en série. Malheureusement, ce n'était pas une série puisqu'il s'était arrêté dès le premier. On semblait déçu. Il avait filmé son meurtre. Ce qui était nouveau et passionnant. Et le démembrement du corps. Ce qui faisait pousser de petits cris à l'animatrice. Et l'avait envoyé sur YouTube. C'était fascinant. On expliquait ce qu'on aurait vu si on s'était donné la peine de visionner le film amateur avant qu'on l'efface. Disant qu'on ne devrait pas le regarder. Mais le film s'était retrouvé dans quelques écoles, des élèves studieux et attentifs se passant son adresse. Ce qui attristait la présentatrice. La journaliste prenait plaisir à raconter longuement ces détails tout en précisant qu'ils étaient terribles et qu'il valait mieux qu'elle ne les raconte pas. Elle était émue. Un autre journaliste précisait. Comme si on manquait de précision. Quand le suspect avait été arrêté. Et où. Quand il comparaîtrait devant le tribunal. Et où et lequel. Reportage sur ses parents. Ses amis. Ceux de la victime. Et lors de l'ouverture du procès, il serait là. Une équipe avait été envoyée pour filmer son arrivée au poste de police. Et on montrait à l'écran sa photo pour qu'on ne l'oublie pas. On avait fait venir un psychiatre qui disait que l'individu incarcéré était tout à fait conscient de ses geste ce qui indiquait qu'il n'était pas fou. On n'utilisait plus ce terme péjoratif. Et normal. Il va de soi que n'importe quelle personne pouvait couper en morceaux son voisin et que ça arrivait tous les jours. Comportement normal. On n'avait rien d'autre à raconter probablement ce soir-là. 

Le maire de Québec venait de faire une nouvelle crise. De personnalité particulièrement explosive, il lui arrivait donc logiquement d'exploser périodiquement. Alors il insultait des individus ou des associations. Leur promettant diverses douleurs et épreuves. Se mettant à haleter et à sautiller sur ses petites jambes. Le pouvoir lui étant monté rapidement à la tête. Qu'il avait à la fois grosse et fragile. Comme si on ignorait encore de nos jours à quel danger on s'expose en donnant ce genre de drogue dure à des gens non préparés ou, pire, en se mettant en position de devoir leur obéir et supporter leurs crises. Parce qu'il faut bien vivre. Ce qui n'est pas une excuse. Quoique le pouvoir d'un maire soit très peu de chose. Ah! Qu'aurait-il pu faire s'il avait été empereur à Rome ou gardien de camps de concentration? Ou s'il avait porté une soutane dans les années 50. Il y a de ces injustices dans la vie. Comme disait l'écrivain qui n'écrivait pas.

On parlait de la commission d'enquête supposée révéler des détails sur le comportement inexplicable, louche ou criminel du gouvernement. Chose qui ne surprenait personne sauf les idiots (toujours prêts à revoter pour ceux qui les exploitent et les méprisent) et les journalistes qui ne s'attendaient pas à pareilles choses pourtant tout à fait naturelles. Ils les auraient découverts eux-mêmes s'ils avaient fait leur travail. Heureusement, 2 ou 3 sur des centaines l'avait fait pour eux. Car eux préféraient parler des vedettes ou des régimes des vedettes ou de déontologie et d'objectivité ou de neutralité. Des couventines s'étant égarées dans le quartier rouge de la ville!

Et la tv annonçait avec fierté que les fonctionnaires du gouvernement Fédéral avaient inventé une nouvelle manière de torturer psychologiquement les gens. Cette fois avec les paquets de cigarettes. Que l'on montrait avec joie. Déjà particulièrement répugnants avec les photos de malades, de dents cariés, de langues et de poumons cancéreux. Dorénavant, ce serait encore plus désagréable puisque les images couvriraient la plus grande partie de l'espace du paquet. Avec d'autres cancéreux. Ce qui faisait que les gens dotés encore d'un peu de bon sens et d'un reste de sens esthétique, le jetait sitôt acheté après avoir transféré les précieuses cigarettes dans un étui ou une boite. Retrouvant l'ancien accessoire si chic, l'indispensable étui à cigarette. Pourquoi pas de nouveau en argent étant donné le prix de ce qu'il contenait? Ils avaient envie de fumer et c'était tout à fait légal. Hypocrisie encore puisque l'État continuait à réclamer sa taxe, la moitié du prix du paquet - qui était le prix d'un poulet au supermarché - tolérait la fabrication de ces produits supposémennt assassins tout en se contentant de donner des leçons de morales et des complexes aux acheteurs qui donnaient affectueusement des millions $ à l'État. Et l'État condescendant, affirmait que non seulement ils allaient mourir dans d'atroces souffrances mais allaient encombrer les hôpitaux et surcharger le système de santé déjà souffreteux. Quant au déficit des finances de l'État, ils en étaient les responsables et non l'achat de 100 avions de chasse tout à fait inutile puisqu'il n'y a plus de combat aérien depuis la guerre du Vietnam. Et ils poursuivaient pour des milliards les fabricants qui continuaient à fabriquer sachant que dans les dédales juridiques semblable procès durerait 100 ans.

Il allait de soi que les produits autrement plus dangereux (mais combien plus rentables) tels que l'alcool, le sucre, le gras, le sel, l'essence ne bénéficiaient pas de leur toute leur attention. Une grande partie de l'économie en dépendait. Et des millions d'employés, de consommateurs et d'électeurs auraient été furieux = suicide politique.

Tandis que les fumeurs, on pouvait taper dessus tant qu'on voulait.

Doté d'un sens de la contradiction innée, monsieur Dickson avait presque envie de se remettre à fumer. Quoiqu'il n'avait pas envie de cesser d'utiliser les bons produits naturels de son voisin fermier écologiste. Encore une autre perversion légale et judiciaire. Au lieu de légaliser la production de marijuana ce qui aurait donné de l'emploi à bien des gens; il préférait faire semblant que cette industrie de plusieurs milliards de chiffre d'affaire n'existait pas ce qui faisait que cet $ allait à la Mafia. Parce que cette activité sociale n'était pas supposé exister du fait qu'elle était illégale. Et qu'il avait encore une leçon de morale à distribuer.

Il aurait aimé en savoir davantage mais s'endormit comme d'habitude devant le tube à idiots qui continuait à envoyer ses ondes bienfaisantes sur le monde.

Le ministre des finances du fédéral avec sa face de pervers parlait de quelque chose qu'il avait fait à l'économie sans défense. Et aux chômeurs.

Les pales de faux bois vernis du grand ventilateur du plafond continuaient à ronronner doucement.

Comme si le temps était rond et mobile actionné par un mécanisme que l'on pouvait faire avancer plus rapidement ou faire reculer avec régularité.

Dans le but de connaître l'avenir ou revivre le passé.

Il faisait chaud cette nuit du 20 juin 2012. Horriblement chaud.

Et il faisait chaud cette journée du 20 juin 1925.

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21.22 juin 2012. État 2