HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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13.7.12

191. HISTOIRE DE FANTÔME

Henry Dickson mesurait encore

Pendant ce temps, quelque part dans la ville, un homme mesurait aussi.

La femme était attachée sur le mur.

Nue.

Vulnérable.

Sans défense.

Dans cette position, il pouvait faire d'elle tout ce qu'il voulait.

Il s'approcha d'elle avec son couteau.

La femme voyait le couteau. Que voulait-il faire avec ce couteau?

Il changea d'idée et retourna à son établi aiguiser la lame. Il ne sentait pas cette lame. Il lui manquait cette finesse indispensable. Il utilisa de l'enduit à polir pour l'enduire et la fit briller à la machine, la faisant reluire au cercle de coton. Et la finit avec une sangle de cuir fin. Maintenant, maintenant, il la sentait cette lame.

C'est tout juste, si elle ne coupait pas l'air. Il approchait la peau de son pouce sur le tranchant et avant même qu'il la touche, il sentait cette lame exquise pénétrer son doigt. La femme apprécierait.

Elle se mit à hurler quand il s'approcha de son visage. Que voulait-il faire?

Quelle importance.

Rien de ce qu'il voudrait faire, elle ne pouvait l'empêcher. Peut-être qu'en suppliant. Elle supplia donc.

Il était sérieux et les cris, les insultes, les prières de la femme ne le touchait pas.

Tant de fois, leurs semblables au même endroit et dans les mêmes circonstances avaient usés des mêmes stratagèmes de façon à le détourner de son travail.

Le but qu'il s'était donné, but dont personne ne pourrait le détourner était d'extraire la beauté de ces femmes, d'en prendre la mesure, de la conserver, la préservant de l'usure du temps.

Jusque là, elles avait été inconsciente de cette beauté ou en avait mal pris soin, il était donc normal qu'il la protège d'elle. Ces inconscientes. Dans peu de temps, elles l'auraient flétri, abîmé. Comme toutes les autres.

Comme le chasseur de papillon préserve à jamais ces êtres fragiles destinés à vivre dans leur splendeur quelques jours. Laissés à la nature, il en résulterait ensuite un cocon où se feraient des mélanges innommables destinés à produire un être diminué, une chenille. Qui serait leur être définitif.

Sans le chasseur de papillon pour interrompre ces tragiques transformations et les conserver sous une vitrine, la vie de ces êtres se seraient perdus dans le grand cycle des transformations.

Aucun sentiment malsain ne l'animait. Aucune curiosité déplaçée. Tout ce qu'il voulait, c'était les sauver, les préserver d'elles-mêmes.

Comme toutes les autres, celle-là lui promettait tout ce qu'il voulait. De l'$. Certaines en avaient beaucoup. Ou leurs corps. Mais il le possédait déjà. Depuis qu'elle était ici, leur corps ne leur appartenait plus. Il pouvait donc en disposer comme il lui plaisait. Leur corps était à lui et pendant leur sommeil, il l'avait envahi et utilisé. Sans émotion. Scientifiquement. Et en avait tout de même ressenti du plaisir qu'il analysait tout aussi scientifiquement.

Un plaisir tout à fait intellectuel qu'il avait mesuré et comparé comme les émotions diverses qu'il émettait.

Certains se seraient contenté de l'usage de ce corps. Ou des émotions qu'il produisait. Jouissance. Peur. Chagrin. Terreur. Agonie.

Ce corps lié, prisonnier, endormi, insconscient, sans défense, soumis.

Mais c'était insuffisant.

Il était tout simplement dommage de les gaspiller inutilement. Et il avait espéré naïvement que l'usage de la femme lui aurait permis de ressentir une attirance quelconque ou de créer des liens. Comme le propriétaire d'un animal de compagnie avec sa  petite bête apprivoisée. Mais, étrangement, il n'était pas attiré par elles. Quoique le contact de leurs corps soient satisfaisant. Il appréciait ces moments privilégiés. Et ces femmes n'étaient pas attiré par lui, pire, ces femmes le haïssaient. Malgré leurs promesses, elles ne cherchaient qu'à le trahir.

S'il avait eu le temps, il les aurait apprivoisées. De la douceur et de la fermeté. Ainsi, on devient un bon maître. Comme tous les animaux, elles se seraient habitués à leur captivité, en aurait pris leur parti. Puisqu'il leur serait à jamais impossible de fuir. Il ne leur serait plus resté comme alternative que la mort par le suicide ou la folie. Mais l'Histoire montre et démontre que toujours les humains s'adaptent à tout et préfèrent la vie d'esclave à la mort. La liberté n'est qu'un vain concept pour intellectuel. Et, au bout d'un moment, plus ou moins loing, n'auraient même plus essayé de fuir. Tant les humains sont fait d'habitudes.

Mais il lui aurait fallu du temps. Et ce n'est pas la compagnie d'êtres fragiles et  brefs qui le satisfaisait. Lui qui avait soif d'éternité.

Tout ce marchandage et ces émotions le décevaient.

Lui qui était la sincérité même.

Elle promettait de se donner à lui à condition qu'il ne lui fasse pas de mal. Elle ferait tout ce qu'il voudrait à condition qu'il les laisse vivre. Mais ce n'était jamais suffisant. Elles voulaient ensuite qu'il les libère.

Elles voulaient retourner à leur ancienne vie. Elles lui disaient qu'elles oublieraient tout. Qu'elles ne le dénonceraient pas.

Il détestait le mensonge et l'abaissement que la captivité et la peur entraînent chez les gens.

Elles ne savaient donc pas que dans leur ancienne vie, elles vieilliraient. Et que cette violence n'arrêterait qu'à leur mort. Jour après jour, elles en voudraient à leur miroir de leur révéler cette déchéance.

La beauté, leur beauté si éphémère.

En quelque sorte, il les préservait d'elle-même. Leur existance s'arrêtant aujourd'hui, elles resteraient éternellement jeunes. Ici. Et dans la mémoire de ceux qui la regretteraient peut-être. Ils se rappelleraient une jeune femme trop tôt disparue. Et l'image qu'ils auraient en esprit serait celle d'une jeune femme préservée du temps. S'ils avaient une dernière photo, ils la regarderaient, la photo, la jeune femme sur la photo, leur femme, leur soeur, leur fille, se demanderaient où elle est, ce qu'elle est devenue. La photo aussi préserve du temps. Il avait essayé mais ce n'était pas suffisant. Ce n'était jamais suffisant. Tant ses idéaux étaient élevés.

Mais certaines étaient si seules et personne ne les attendait.

Chacune avait son histoire qu'elle lui racontait pour retarder l'inévitable. Mais l'inévitable était évident, inexorable. Dans un instant, le papillon serait préservé indéfiniment et ne resterait que la pauvre carcasse de la chenille et du concon.

Cet instant l'émouvait toujours. Comme lorsqu'il rencontrait le mystère. Lorsqu'il les avait prise dans leur sommeil, sommeil qui donnait à quelques-unes le visage paisible de la petite fille qu'elles avaient été ou, au contraire, permettait de découvrir avant terme, la vieille femme qu'elles seraient un jour. Comme si leurs rêves étaient sinistres.

Il aimait les contempler, nue dans son lit.

Endormie.

Mais il aimait aussi les regarder nue enchaînées au mur. Essayant de se libérer par la force de leurs petits bras et de leurs petits muscles. Elles ne faisaient que se blesser. Leur peau fragile au contact des maillons brillants de la chaîne en acier inoxidable rougissait, s'irritaient et fendaient. Parfois, saignait. Tout ce mal et cette douleur pour rien.

Seul un miracle aurait pu les libérer. Mais les miracles n'existaient pas.

Tant de fois, ici, les prières et l'espoir avaient préparé la venue d'un miracle, l'intervention de la main secourable d'un saint, mais rien n'était arrivé. Elles étaient restés enchaîné et il leur avait fallu subir jusqu'au bout la terrible mais merveilleuse épreuve qu'il leur destinait.

Il les avait vu prier, les avait laissé faire. Invoquer tel Dieu, tel saint. Il avait attendu à côté d'elle, espérant presque que ce qu'elle désirait tant se produise. Attendu autant qu'il pouvait. Mais les Dieux et les saints n'écoutaient pas ou n'existaient pas.

Personne ne savait où elles étaient. Même pas elles qui avait été amené ici, endormies chimiquement.

Depuis qu'elles étaient prisonnières, rien n'avait changé. Elles étaient toujours enchaînées. Rivées au mur. Comme de grands papillons majestueux.

Il approcha sa lame de son front.

Fit une entaille.

Elle hurla.

Pourtant, ce n'était qu'une petite coupure, un léger trait, rien de grave par rapport à ce qui suivrait. Car il leur arriverait bien pire. Il fallait extraire le majestueux papillon de ce corps inuile et ça ne se ferait pas sans effort mutuel ni sans douleur.

Il prolongea son trait.

La pointe pénétra plus profond et d'un geste habile et souple, produit d'une longue expérience, il fit un ovale du front au menton et du menton au front, rejoignant le trait initial. Comme certaines personnes sont capable de faire d'un seul trait de grands cercles parfaits ce qui suscite toujours l'amiration des esthètes et des élèves.

Le sang coulait de la plaie et du cercle rouge.

Il épongea doucement le sang pour éviter de perdre le fil du trait de la chair.

Et, avec minutie, il pénétra la chair tout en soulevant doucement la peau.

Rapidement, sans faiblesse, aucune erreur n'étant permise de peur de perdre ce spécimen.

Il écorcha donc ce magnifique visage. Jusqu'à en retirer le masque de ce même visage. La peau qui avait recouvert jusqu'alors les muscles, la graisse, les cartilages.

Le masque de la beauté.

Il ne restait plus qu'une monstrueuse face hurlante sous les cheveaux et au-dessus du cou. Ceci se passait toujours ainsi. Moment pénible pour elle et lui.

Elle, criant de douleur. Lui, endurant ces cris déchirant.

Tête rouge suppurante de sang, yeux blanc qui le vrillaient, bouche ouverte, dents blanches menaçantes, langues violettes comme une trompe. Comment un être aussi primitif pouvait-il se cacher sous cette fine couche de peau?

Un animal.

Un être démoniaque.

Il coupa ses carotides et 2 jets de sang furent projetés avec sa vie. En un instant tout était terminé.

La chenille était morte.

Plus de souffrance, de douleur, de terreur. La paix. La paix de la mort. La seule paix possible ici-bas.

Il déposa sur la table le fragile papillon de chair qu'il avait libéré de cette immonde créature. Et l'admira un long moment.

Les bords étaient soigneusement découpés. Comme un masque de carnaval.

Il prit le masque et s'en couvrit le visage et alla se montrer à son miroir.

Il aimait ce moment d'intimité et de poésie qui le récompensait de tout ce travail. Et le sang chaud sous la peau au contact de sa peau.

Et la chair chaude et brulante sur sa peau.

Mieux que ce qu'il ressentait lorsqu'il pénétrait et s'introduisait dans les muqueuses vaginales. Satisfaisant et libérateur mais pas aussi pas autant rien ne pouvait se comparer.

L'exaltation poétique de la beauté absolue.

Comme s'il avait volé leur beauté et l'absorbait.

Il devenait elle et elle devenait lui.

Unis à jamais.

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13. 15 juillet 2012. État 2

Mort. 1

Sexe: Féminin