HISTOIRES DE FANTÔMES

__________________________________________________________________________________________________

HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

___________________________________________________________________________________________________

25.5.12

98. UN GRAND PATRON D'UNE GRANDE COMPAGNIE AVAIT DIT QUE CHIER ÉTAIT CE QU'IL Y AVAIT DE PLUS AGRÉABLE DANS LA VIE DEPUIS QU'IL ÉTAIT DEVENU IRRÉMÉDIABLEMENT IMPUISSANT, CE QUI EST UN POINT DE VUE INTÉRESSANT. SE SOUVENIR QU'IL Y A DES TAS DE GENS SANS IMPORTANCE DONT C'EST L'ACTIVITÉ PRINCIPALE DANS LA VIE.

Henry Dickson

Avait appelé le préposé pour qu'on amène aux toilettes son ami et on l'avait laissé là le temps de terminer ce qu'il avait à faire. Puis l'aide était revenu au temps moyen qu'il avait calculé selon les habitudes des patients, leur âge et leur sexe.

Comme les uns et les autres restent là à plein temps, ils ont, disons, le temps de faire connaissance et d'apprendre et d'intérioriser leurs petites habitudes. Si on veut être plus précis, les patients/malades/bénéficiaires/déments une fois entrés ici y restaient jusqu'à leur mort.

Et il fallait les manipuler avec soin car malgré leur médication qui stabilisait leur humeur (ou était supposée le faire) certains pouvaient devenir facilement explosif.

Si on le jugeait utile, une fois leur vie de fous terminés, on les descendrait à la morgue au sous-sol. Seulement si le cas était intéressant, plaisant ou amusant. On procédait ainsi lors des initiations de nouveaux médecins qui se faisaient autour du cadavre d'une femme nue entourée de cierges allumés.

Tandis  qu'infirmiers, généralement, infirmière/aide-infirmière/préposée y étaient à plein temps par quart de 8 heures jusqu'à leur retraite. Dans ce secteur, comme la régularité des horaires et des visages était important et que le troupeau de malades pouvait entrer en crise lors de l'arrivée d'un nouveau face qui ne leur revenait pas, on introduisait prudammant tout élément étranger susceptible de les perturber. Bref, tout ce qui était nouveau. Mobilier, couleurs, humains, voix.

Ça se faisait rapidement, un patient devenait soucieux, inquiet, rétif, agressif et communiquait son état à toute l'étage qui entrait en assonace et il devenait impossible de leur faire accomplir leur routine quotidienne: lavage, lever, déjeuner, pilules. Ce qui rendait impraticable tout horaire et tout calendrier de travail. Ils devenaient ingérables jusqu'à ce qu'on retire de leur vue cette personne porteuse des mauvaises ondes. Ou autre raison seulement accessible aux malades mentaux de qualité.

il y avait aussi moins de petites nouvelles (qui se perfectionnaient ailleurs sur d'autres patients) (le mot était cette fois précis) plus en santé. Et capables de supporter leurs défaillances et leurs si charmantes erreurs.

Et on y voyait moins du personnel d'agence qui pullulait partout puisque les administrateurs préféraient avoir des journaliers et pigistes et intermittants que des permanents toujours sujet aux épidémie de syndicalisme, de revendication et de grief, d'ancienneté (droit) et de pension (droit) (droit). Sans compter les pauses et les repas. On ne comprenait pas qu'elles doivent se reposer et manger. Bref, qu'elles étaient vivantes.

Le calcul pouvait sembler bizarre car on payait ces employés temporaires 3 fois le prix d'un permanent (salaire + frais de l'agence de personnel) mais ils devaient savoir ce qu'ils faisaient ou au moins avoir appris à compter puisqu'ils étaient les administrateurs gestionnaires de ces gigantesques usines à malades qu'on appelle aussi Hôpital. Ou centre de santé ou CHHHSS selon ce que le singe poète joueur de scrabble sortira de son boulier.

Et il y avait moins de ces conscrits récalcitrants que l'on voyait ailleurs. Avec les soignants malades (on ne parvenait pas à comprendre que les employés puissent eux-aussi tomber malades (ou leurs enfants) et on n'arrivait jamais à prendre en compte ces problèmes sociaux dans les calculs de disponibilité) (comme le fait de se reposer et de manger et de devoir dormir 8 heures sur 24) ce qui faisait qu'une infirmière épuisée qui venait de terminer son chiffre pouvait être derechef condamnée à un autre tour par la chef infirmière pour remplacer le vide. Et qu'elle puisse avoir continué à travailler à la place de manger. Certaines pouvaient même avoir droit à une troisième tour de garde le lendemain ce qui leur faisait 24 heures de travail d'affilé. Comme les apprentis médecins taillables et corvéables à merci. Il va de soi que cette méthode dans un lieu aussi délicat ne pouvait qu'amener une suite ininterrompue d'erreurs de jugement ou de maladresse que l'on camouflait aussi bien qu'on pouvait. Tous les patients n'en mourait pas mais tous pouvaient en être atteints et si ça arrivait on disait que c'était le destin.

Ainsi, il n'était pas rare de retrouver des instruments chirugicaux dans le ventre des malades opérés après des mois de lamentation que l'on référait à des séries de psychologues compréhensifs. Parce que tout ceci ne pouvait être que dans leur tête. Et si c'étaient des femmes avec déjà une tête plus petite et déjà fragile. Ils étaient ressortis de l'hôpital entier (presque) et vivants et à peu près guéris, que pouvaient-ils demander de plus?

Ou on opérait la mauvaise jambe, amputait le mauvais pied. Ou un chirurgien drogué ou saoul ou trop vieux opérait. Le Principe de Peter et la Loi de Murphy dans toute sa spendeur.

Inévitable dans une telle usine qui traitait de gens et employait tant d'employés et de directeurs ou sous-directeurs.

Si des hôtesse de l'air ont déjà trouvé des pilotes de Boeing endormis aux commandes (?) de leur appareil ou une équipe entière de contrôleurs de centrale nucléaire dormant ou un premier ministre faisant prêter par la banque de l'État à un gérant d'hôtel incendiaire en faillite de ses amis; on reconnaîtra que ces petits défauts humains sont tout à fait compréhensibles et pardonnables.

Que celui qui n'a jamais péché leur jette la première pierre a déjà dit quelqu'un de célèbre. Que celui qui n'a jamais oublié de ciseau dans le ventre d'une malade lève la main!

Mais encore une fois dans ce département, parce que le chef savait se faire écouter, on ne trouvait jamais de ces pauvres égarées hallucinées devant leurs mangeoires à pilules. Car certaines pour supporter leur travail de forçats se servaient elles-mêmes. Comme beaucoup de médecins et de policiers.

Il est si simple de se servir dans les médicaments de ses patients et qui s'en apercevra: le cancéreux en phase termanale qui a un comprimé anti-douleur de moins ou la pauvre folle à qui on enlève ses antipsychotiques. Elle sera un peu plus folle et on augmentera sa dose de médicament à la grande joie de son infirmière.

Ensuite, l'aide l'avait aidé à sauter des toilettes à sa chaise et roulé jusqu'au lavabo surbaissé pour que tout en restant assis il se lave les mains. Habitude qu'il avait perdue et à laquelle il devait être réhabituée constamment.

Les gardes étaient vigilents car une épidépie de diarrhée (infection nosocomiale) avait attrappé certains étages et il avait fallu reporter à plus tard les visites le temps de tout désinfecter. Comme ici, on était très vigilents du fait de la faiblesse des malades, vieux, grands vieillards et fous, on s'en sortait le plus souvent. Il y avait toujours quelqu'un en train de laver quelque chose: lit, mains, patient, murs, plancher. Car dans un hôpital celui qui fait le ménage est aussi important que le médecin spécialiste ou le chirurgien. La défaillance de l'un ou de l'autre pouvant être mortelle. Sinon, comme partout ailleurs, 10 % des malades (et autant de leurs visiteurs) sortaient de l'hôpital avec une nouvelle maladie qu'il n'avait pas avant. En plus de celle qu'il avait déjà en arrivant si on n'avait pas su la traiter. Car même en ce début de troisième millénaire, on ne guérissait pas tout et était loin de tout comprendre de ce qui pouvait mal fonctionner dans un corps. Alors guérir...

Monsieur Dickson lui avait dit qu'il prenait la suite car le haut parleur le prévenait qu'une patiente venait d'appeler. Il les regarda avant de partir pour s'assurer qu'ils pouvaient être laissés tous les 2 sans surveillance. Le malade était costaud et aurait pu très bien sortir le jour même si son cerveau n'était pas parti quelque part. Et son ami avait l'air d'un homme capable de faire face à des situations difficiles. De toute façon, il ne pouvait pas rester plus longtemps car son problème suivant allait être confiée à une aide déjà surchargée. Le  prochain nom sur la liste d'appel.

Il regardait ses doigts comme s'ils ne lui appartenaient pas.

_ Je savonne ce doigt-là?

_ Tous les doigts!

_ Et cette main aussi?

_ Les 2 mains.

_ Il y a beaucoup de doigts !

Et se savonnait le dessus de la main avec un doigt de l'autre main. Avait oublié coment on faisait. Et surtout qu'il fallait de l'eau et du savon. Et les 2 ensemble.

_ Il faut que tu pèse sur le bouton du réservoir à savon et que tu badigeonnes tes mains.

Il lui montra comment faire en le faisant. Show and Tell. Et le laissa peser et repeser sur le bouton.

Il n'avait tourné le dos que depuis une seconde qu'il entendit un cri. Un cri d'homme pour changer. Car ici c'était plutôt des cris de femmes.

_ Il y a quelqu'un qui me regarde!


Alla voir dans la salle de toilette ce qui se passait. Il arriva au moment où l'autre se disputait avec un malade en chaise roulante tout comme lui.

Son image dans le miroir.

_ J'ai peur

_ Ce n'est que ton reflet. Un miroir. Une image dans un miroir.

_ Ça bouge. Ça imite tout ce que je fais. Il est là qui me regarde, qui m'espionne. Il se moque de moi et il est fâché contre moi. 

La discussion entre eux d'eux s'annonçait interminable aussi il sépara le véritable malade en chaise roulante de son reflet. Il y avait assez d'eau dans sur et autour du lavabo sans compter le savon qu'il était probable qu'au milieu de toute cette mousse il se soit lavé quelque chose, probablement les mais. Au moins une.

Sans miroir aucun reflet. Et le miroir redevenu simple vitre argentée ne réfléchissait plus que la lumière et les tuiles des murs et des planchers. Et l'autre s'était calmé.

Les perruches sont comme ça. Généralement de bonne humeur, en compagnie d'un miroir, comme elles aiment la compagnie, elles ne cessent de se bécoter et de se lécher (du moins le miroir ou la perruche si aimable à l'intérieur) comme elles se feraient entre elles si elles étaient 2 dans la même cage mais parfois lorsqu'elles sont mal lunées, elles vont attaquer le miroir et la perruche de mauvaise humeur. Et ça va s'envenimer puisqu'aucune des deux ne cessera la première. Comme les miroirs de perruches sont en acier inox, il ne se passera rien avant que la perruche ne se fatigue et ne se calme et ne retourne manger, boire ou dormir. Et, plus tard, elle ne se rappellera rien de cet incident.

Revenu dans la salle d'attente, il avait eu le temps de se calmer.

Il le laissa devant une des grandes fenêtres comme un poisson rivé à la parois de verre de son bocal et, en attendant qu'il revienne de sa rêverie ou de Dieu sait où, il s'assit sur un des fauteuils de plastique brun cinquantenaire éventré et toute mousses dehors. Parcourut distraitement une vieille revue. Où une vieille vedette était toute fière d'avoir perdu 10 livres. Et décrivait le bien que ça lui faisait de pouvoir fermer sa fermeture éclair.

La fierté qu'elle en tirait. Elle se sentait vraiment femme. Sentiment étrange pour un homme pour qui une femme est une femme. Le genre de chose non explicable qui n'a pas besoin de plus d'explication. Ou un homme fou qui se prend pour une femme et se fait ingurgiter et injecter des hormones cancérigènes et opérer pour 100 000 $ par des chirurgiens rapaces. Un homme n'a jamais le sentiment d'être un homme. Ou de ne pas l'avoir été. Ou d'avoir cessé de l'être. Ni ne se pose de question à ce sujet. Ou si c'est le cas, la possibilité existant, c'est un signe qu'il va déjà très mal et que ça va rempirer.

Généralement, il ne sent rien de ce qu'il est, signe de bonne santé. Et ne s'inquiète jamais de ne rien sentir, autre signe de bonne santé. Et s'en fout complètement. Signe que les circuits de son cerveau qui doivent être utiles pour des trucs plus importants son ok. Check! Cocher! Check!

C'est lorsque son corps se rappelait à lui qu'il s'inquiétait. Sauf lors d'une érection de qualité devant une femme attentive et concentrée et qui, même adulte, toujours émerveillée de ce que peut faire la science moderne, la nature, Dieu ou ses connaissances savamment démontrées. Et un homme est toujours content (à moins d'être fou) de voir une femme contente. Un homme est un organisme simple, du genre corail, lichen, mousse d'arbre qui s'inquiète pour peu de chose. Ou jamais. Et qu'un rien amuse ou apaise.

Bref, il y a partout dans ces revues et à la tv des femmes qui sont heureuses d'être femme ou de le revenir parce qu'elles ne l'étaient plus? Tout ceci faisait parti du mystère de la femme et comme on ne les brûlait plus ou ne les lapidaient plus pour leurs bizarreries, on considérait ceci comme un de ces caprices charmants ou curieux comme en ont les amis. Il avait vu l'annonce à la tv car cet article d'information (?) (1 page de pub pour une page d'article dont la moité était de la pub déquisée) était aussi un élément d'une campage de pub pour un centre de régime. Et à la tv, la star remontait et descendait son zipper comme si c'était la chose la plus importante de sa vie. La phase du plateau ou l'orgasme n'était pas loin. On lui aurit remis l'Oscar d'interprétation ou le prix Nobel qu'elle n'aurait pas été plus contente.

Voulant voir ce qui fascinait tant son ami, il s'approcha oubliant de l'avertir de sa présence ou de son arrivée, celui-ci cria et sursauta en le découvrant là.

_ On est 2. Si tu as peur de moi...

_ Non. Ça va. J'ai été surpris.

Puis le poisson rouge du genre Mérou se replonga dans la vitre thermos. Qu'est-ce qu'il voyait, que comprenait-il de ce qu'il voyait, est-ce que ça lui rappelait quelque chose. Sa conversation était un peu limitée.

Monsieur Dickson l'avait abandonné toute à son analyse ethnologique d'une autre revue de mode. Comment pouvait-on réunir autant de femmes moches (l'air fiévreux et malade) (yeux vitreux) (anorexques en plus) (et très grandes) (de grandes pattes maigres types échasses de cirque) portant des vêtements moches de grands couturiers homo (qui détestent visiblement les femmes) sans aucun goût, photographiés par des singes probablement pédés, tout en leur donnant autant d'importance. Quelqu'un devait trouver ça beau. Quelqu'un dans la revue avait décidé d'utiliser 20 pleines pages couleurs pour ça. et il y en avait 20 autres tout aussi pires plus loin. Au lieu de les utiliser par 2 charmantes universitaires nues en train de se lécher. Mais ce n'était pas la bonne revue ni la bonne clientèle. Et les filles seraient mieux nourris et plus en santé. Ou c'était encore une autre forme de pub déguisée. De l'$ mal investi car il n'avait jamais vu une femme attifée ainsi. La revue datant de 5 ans.

_ J'ai perdu ma montre.

Il alla voir. Sa manche de giler était toute raboudinée autour de sa montre qui ne quittait jamais son poignet droit quoiqu'elle puisse remonter sur l'avant bras et arriver grâce à son bracelet de métal extensible au-dessus du coude.

_ Ta montre est dans ta manche. Retournes-là.

Ce qu'il fit et à sa grande joie redécouvrit sa montre bracelet. Il avait oublié qu'il l'avait ce qu'il en avait fait et pourquoi. Si cette dernière question a un sens quelconque.

Il le vit monter et remonter sa manche et en faire plusieurs  tour autour du bracelet, leur union devenant inextricable. Puis, patiamment, il défaisait le tout.

Il retourna s'asseoir.

_ Si tu veux me parler, viens faire un tour, car je vais partir un peu.

À chacune de ses visites son était se détériorait. Peut-être que s'il venait chaque jour il ne le remarquerait pas autant. Mais chaque fois c'était un nouveau saut vers le néant.

Cri.

_ Quoi encore?

_ J'ai peur de ma montre.

Il avait perdu et retrouvé sa montre et fixait maintenant les aiguilles et le cadra comme on regarde un serpent.

_ Il est quelle heure?

Il savait encore lire l'heure. La détérioration de son cerveau n'allait pas dans ce domaine aussi vite que dans d'autres. Ou les pilules censés la retarder, l'empêcher était hors de la portée de la science de ce début de troisième millénaire, étaient plus efficaces que celle du mois dernier.

Il répéta plusieurs fois l'heure. Tout content. Comme un élève qui vient de comprendre une nouvelle lettre. Ou que ORANGE écrit orange est à la fois un mot et une couleur. Et un mot décrivant cette couleur-là. Supplice pour les adultes qui ne peuvent supporter que quelques mots de ce genre à la fois alors que les enfants qui commencent à lire et à découvrir toutes ces merveilles contenues dans les livres (plus vieux, ayant perdu cette faculté d'émerveillement, ils auront déjà cet air bovin qui sera le leur toute leur vie d'adulte - sauf quelques femmes) on sont continuellement émerveillés et peuvent les réciter indéfiniment.

Répondit pour la dixième fois à la question:.

_ On est quel jour aujourd'hui ?

_ Mardi

_ Quelle date?

_ 22

_ Quel mois?

_ Mai

_ Noël est déjà passé et je n'ai pas vu Noël.

_ L'hiver est terminé.

_ Je n'ai pas vu l'hiver. Je ne sors pas beaucoup. Et je n'ai pas souvent de visite. Quelle année?

_ 2012

_ Où est passé l'année dernière?

_ Le temps passe vite.

_ Te souviens-tu de quelque chose de l'année dernière?

_ Tout s'est passé si vite.

Il baissa la tête comme si ça l'aidait à penser.

_ Je ne me souviens pas des 10 années avant. On nous donne des prix à notre anniversaire, ça je le sais, mais je ne me souviens plus de la date, on nous donne des prix si nous avons été de bons pensionnaires. Des petits  ronds que l'on met au mur. J'an ai 10. Est-ce que ça fait 10 ans que je suis ici?

_ Je ne sais pas.

_ Quand je vais revenir à la maison?

_ Bientôt

_ Les enfants ont dit qu'ils allaient me reprendre, on m'a fait une chambre.

Ses enfants avaient plutôt fait un conseil de famille puisque leur père était dorénavant défectueux avant qu'il ne décide de se remarier, la nouvelle épousée héritant alors de tous leurs biens. Et comme il aimait comme la plupart des hommes, les jeunes femmes, celle-ci pouvaient être plus jeunes qu'eux, donc probablement vivre encore plus longtemps qu'eux. Et, pire, lui faire des enfants. Avec qui ils devraient partager leur héritage. La moitié revenant à la nouvelle épouse et le reste divisé entre eux tous. Et il pouvait toujours être convaincu, les femmes sont capables de tout, de les déshériter.

Il y avait assez longtemps qu'il avait son $ et eux leur idée à ce sujet. Et la fortune de leur père était devenu virtuellement la leur, une simple formalité. Puisqu'ils y pensaient autant. Et ça leur brisait déjà le coeur de le voir la dilapider (leur interprétation) seul en voyages et expéditions et avec des amis douteux (comme monsieur Dickson) alors qu'eux, en adultes responsables pourraient en faire un meilleur usage.

Puisqu'on en avait l'occasion et les avis de plusieurs médecins, on en profita pour décider de le placer et de garder son $. Légalement, la chose était possible et souhaiable (selon eux et leurs conseillers) et ils héritaient alors avant son décès. Plus subtilement, à eux de gérer le legs pour son entretien et les frais mais ils ne toucheraient vraiment l'$ qu'à son décès. Il n'avait pas fait de testament ce qui aurait pu provoquer des chicanes, placer les uns en conflit avec les autres, aussi ils s'entendirent tous pour en profiter. Car à l'hôpital où il était, il avait tout ou au moins le peu dont il avait besoin. Alors qu'eux avaient des familles et de grands besoins. Fallait-il le leur reprocher?¸

Puisqu'il avait été trop stupide pour ne pas  tout dépenser de son «vivant» ou de leur faire des legs avant. Mais comme la plupart des gens il se considérait immortel. Et si pour la plupart des gens, la mort se manifeste par une attaque brutale ou un rongement lent et sournois du corps, lui fut attaqué sournoisement et vaincu en une seule fois à son centre de commandement, sa tête.

Comme un d'entre eux était médecin, il avait des contacts et on le prévint lors du prochain décès parmi les patients en perte d'autonomie qui surviendrait laissant une place vide. On aurait pu choisir une chambre seule mais pour qu'il se sente moins seul et par soucis d'économie on choisit une chambre avec 4 fous. Dans le CHLD Centre Hospitalier de Longue Durée qui logeait dans l'ancienne partie de l'hôpital où il travaillait. En fait, le premier hôpital bicentenaire avant qu'on ne prodède aux multiples agrandissements. C'était aussi le logis des soeurs qui géraient l'établissement et soignaient les malades avant que cette fonction devienne celle de l'État. On avait transformé leurs cellules et chambres en plus des dortoirs. Ailleurs, c'est le privé qui s'en occupe et vous pouvez crever dans le parking si vous n'avez pas d'$ ou pas de compagnie d'assurance pour vous en donner. Il valait mieux non plus ne pas être pauvre avec les communautés religieuses qui savaient compter et aidaient parfois certains pauvres. Et partout ailleurs dans le monde, il vaut mieux aussi ne pas être pauvre. Ou ne pas naître. Mais comme les pauvres s'entêtent toujours à faire des bébés...

Il avait été heureux. Comme tous les hommes en pensant le moins possible à ce qu'il faisait. Escaladé l'Himalaya sans tous ces sherpas et ces guides qui aident le voyageur moderne à réaliser son rêve qui serait irréalisable sans 10 personnes par voyageur pour porter ses affaires et sans les 5 camps et leurs multiples tentes, de celui de base, en bas, au dernier, près du sommet pour qu'il puisse se coucher et manger au chaud. Tentes, nourritures, tv, toilettes transportés encore à dos de sherpas Népalais ou à traineaux ou par hélicoptère quand c'est possible. Anciennement, on les aurait porté à dos de porteur comme on faisait en Afrique pour les Occidentaux voyageurs. Maintenant, ils devaient avoir conscience de réaliser un exploit. Aussi marcher devenait indispensable.

Malgré tout, il y a encore des citadins pas suffisamment en forme pour survivre avec toutes les douceurs qu'on leur accorde. Et qu'on laisse crevé et gelé ici et là dans la montagne. Les redescendre gratis ne dit à personne. Et si on veut risquer encore la vie de sherpas pour que le touriste ait des funérailles dans son pays, aussi bien les payer. Le Tibet peut enterrer tous les morts que l'on veut. Quoique le gel puisse conserver indéfiniment les corps abandonnés. Un Occidental blanc prétentieux en moins qui pensait qu'il suffiait de le vouloir et qu'on peut parce qu'on l'a voulu et qu'on a payés 10 000 $ escalader la plus grande montagne du monde avec ses petits poumons fragiles.

Il avait été là.

Avait fait de la plongée sous-marine. Du parachutisme. Navigué en voiliers, hélicoptères, avions. Par loisir et professionnellement. Avait fait du tourisme pour son pays et celui des autres aux Vietnam, Irak, Afghanistan jusqu'à ce qu'il aille moins bien puis de moins en moins bien.

Personne n'est éternel. Ni les simples citoyens ni les héros.

Il le regarda transi par sa montre sur son poignet n'ayant aucune idée de ce que c'était.

_ Ils vont me téléphoner. Tu penses qu'ils vont me téléphoner? Il faut que j'aille aux toilettes.

Monsieur Dickson pesa sur le bouton du système de communication.

_ Le patient 586 B voudrait aller aux toilettes

*

25. 26 mai 2012. État 2