HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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14.5.12

83. MONSIEUR DICKSON VOYAGE EN AUTOBUS

Henry Dickson


Regardait le paysage défiler à travers la grande fenêtre de l'autobus.

Dehors, sur la parois, il y avait un immense poster d'une vedette inconnue de l'Académie des Stars qui prenait tout le mur et toutes les fenêtres. Un côté entier de l'autobus. Ce qui n'empêchait pas de voir de l'intérieur. La pellicule plastique sur laquelle était imprimée le visage angélique de la Star et de ses yeux (monsieur Dickson était dans son oeil droit), n'était plus qu'un assemblage de points de couleurs selon le vieux procédé ofset de division des couleurs. Par jets d'encre au lieu de rouleaux de caoutchouc et sur du plastique auto-collant au lieu de papier. Et les points sur le verre étaient suffisamment distanciés et pâles pour qu'on voit au travers si on était collé dessus. De l'extérieur, avec la distance, chaque point disparaissait dans l'univers de points et tous les points devenaient invisibles et on retrouvait les couleurs et les formes du dernier ange manufacturé. Qui se recomposait ou se décomposait selon le point de vue et la distance avec l'observateur.

Le peintre Seurat aurait été ravi du procédé. L'Église aussi. Comme l'industrie de la tv et du disque. On leur manufacturait des vedettes en série, utilisables/jetables. Comme des poussins dans un couvoir. Avec publicité monstre. Ou monstrueuse publicité. Aussi grosse  que la tête de la jeune fille qui prenait tout un autobus pour la transporter.

Certainement rentable sinon on ne se donnerait pas tout ce mal. Et, comme dans l'industrie du livre, si une débutante vedette ne fonctionnait pas, on la renvoyait à son petit monde insignifiant anonyme.

Les disques devenant des bancs de parc. Les livres allant au pilon pour faire des kleenex pour les lectrices d'Harlequin. En cercle fermée, les mêmes étant lectrices de journaux et revues à potins de vedettes et spectatrices de la tv où, comme dans un zoo, on pouvait assister toute les journées et toutes les nuits aux moeurs de cette espèce bien particulière de la biodiversité sociale. La vedette rencontrant des vedettes, parlant à des vedettes, épousant des vedettes, divorçant de vedettes, reproduisant des bébés vedettes. Et ayant des chagrins. Mieux qu'un film ou une série tv car immédiatement compréhensible dans le plus court délai. Un roman photo comme on n'en fait plus mais en 2 pages. Des émotions et des sentiments concentrés. D'où la nécessité de kleenex pour la lectrice.

Et, en plus de souffrir, ces vedettes chantaient et dansaient, suivaient des régimes, maigrissaient (ce n'est pas la même chose), subissaient des opérations de chirurgies plastiques (c'est à 20 ans qu'il faut commencer à corriger ces menus défauts de la nature, de l'évolution et de la génétique familiale si visibles à la tv HD) s'exprimaient, se révélaient, racontaient leurs secrets et leur vie intime à la radio et dans des journaux, revues et livres. Qui devenaient des kleenex. Pleuraient à la tv. La vie avait enfin un sens.

Et sur le tapis roulant de la célébrité et du succès, des myriades de jeunes aux yeux brillants espéraient voir leur rêve de passer à la tv se réaliser. Le paradis de notre époque accessible à tous.

Théoriquement.

Le second étage du paradis étant réservé aux rêves de $. Devenir riche. Et à ceux qui y étaient parvenus, nos saints moderne pratiquant le miracle du siècle qui n'est plus de ressusciter les morts, de guérir les malades ou de redonner la vue aux aveugles ou du vin, du pain ou des poissons à la foule, ou la moitié de son manteau à un pauvre mais de transformer la volonté en $. Signe de leur élection divine, Dieu les a reconnu comme faisant parti des élus. Les ayant couvert de bienfaits. Et plus besoin de mourir ou d'être dévoré par un lion pour ça. Vous pouvez faire dévorer vos employés par des ouvriers Chinois. Tout ceci grâce à la volonté qui manque à la majorité qui ne peut qu'assister pantois à la traversée à la nage du Lac Saint-Jean par le Grand Nageur. La Volonté en action. Puisqu'on ne cesse de nous dire que c'est l'élément essentiel. Un créateur de richesse est parmi nous.

Monsieur Hitler, grâce à sa volonté inébranlable est devenu une vedette riche et chef d'État célèbre. Écrivain aussi. Et il a souffert. On parle même encore de lui à la tv.

On l'applaudit!

Si elle était capable, moi aussi! Et, comme preuve que ces rêves et ces idéaux étaient atteignables, réalisables, en effet, un petit nombre réussissait entretenant le rêve de tous. Pour un certain temps.

Toutes ces vedettes étant biodégradable. L'intensité de leur pouvoir de radiation et d'attraction se réduisant avec plus de vitesse que celui de l'Uranium radioactif. On partait, bien sûr, d'un niveau bien moins élevé que le strontium.

Si on voyait le paysage le nez sur la vitre, toutes cette pub (il y en avait une autre, aussi énorme, d'une autre vedette qui lui disait vaguement quelque chose de l'autre côté) assombrissait tout de même l'intérieur qui, en plein jour, avait l'air d'une caverne. Même avec les petits plafonniers jaunes. Et les rares voyageurs dont la tête de cadavre étaient visibles sur les fauteuils avaient l'air de sortir d'un charnier.

Monsieur Dickson pensa que 4 heures de voyage dans cette crypte roulante était tout à fait ce qu'il convenait pour ce qu'il avait l'intention de faire.

Pour le voyage, ça allait mais c'était avant et après.

Le Calvaire.

Clous en prime.

Mais il fallait les amener soi-même!

Une compagnie de broche à foin. Bons conducteurs, parfois grognons, voyage raisonnablement confortable pour le coût. Bruyant: gros moteur du gros véhicule et gros moteur du chauffage ou de la climatisation à air. Gros pneus sonores. Véhicule au front droit, aussi aérodynamique qu'une chanteuse d'opéra. Ou un conteneur de 100.

Mais c'était tout de même mieux que de se taper 4 heures de route en voiture pour aller dans la grande ville. Il y en a qui trouve la conduite en auto poétique mais ce n'est pas l'opinion de tout le monde.


Comme des chiens pour la fourrière.

On vous prenait sur le bord de la route et on vous dompait quelque part aux frontières de la ville, pas en ville. En périphérie. Pourquoi pas au dépotoir? Non, le dépotoir de la ville était situé en campagne.

Non pour être euthanasié ou donné à des familles nécessiteuses en déficit d'attention ou d'affection ou avec un enfant autiste ou malade en phase terminale ayant besoin de zoothérapie ou de toucher rectal médical; non on vous dompait là dans un trou.

Là où on avait eu le parking gratis ou subventionné.

Ou le trou.

Si c'était un trou, s'il y avait un trou, c'était mieux.


Les anciens arrêts en pleine ville qui faisaient l'affaire de tout le monde et étaient toujours pleins, les gares miteuses mais utiles et serviables pendant 40 ans, qu'il fallait tout de même payer même pas cher. Dès qu'on l'a pu, on a sauté sur l'occasion de squatter comme des puces à qui on offre un nouveau chien, miteux, piteux mais gratis. Un chien subventionné. Ou un trou subventionné. Et on est déménagé loin. Le plus loin possible, c'était mieux.

Faîtes marcher les petites madames à talons secs avec des grosses valises à la pluie et au vent.


Si on avait pu, on se serait passé des routes de campagnes avec 10 passagers dans un autobus de 500 000 $. Chercher l'erreur.

C'est qu'on avait tout fait pour les écoeurer ces passagers, méthodiquement. Comme à la guerre où on compte les ennemis morts ou à la foire où on obtient un nounours si on fait tomber les boites de conserves ou les petits vieux.

Les autobus seraient si beau et si propres sans passagers. Pas d'odeur de vomi.

Ils se plaignent tout le temps.

Sont toujours en retard.

Sont tout mouillé.

Sont trop en avance et se plaignent encore.

Il ne restait donc que les rares passagers pas écoeurables ou qui n'avaient pas le choix. Ou les masochistes pessimistes nihilistes attendant ou espérant la fin du monde.

Ou qui ne savaient vraiment plus ce qu'ils faisaient.


Ou tout leur temps.

Comme lui ou d'autres vieux ou sur le point de l'être.

Comme lui.


Avec des horaires invraisemblables, variables, imprévisibles, inutilisables pour tout travailleur qui a une vie et des horaires normaux et standardisés de travail. Qui doit savoir quand il part et quand il va arriver et quand il faut revenir.

Caprice.

Le même problème que les passagers des wagons à bestiaux en destination d'Auschwitz. Mais en plus léger. On ne faisait pas un tri à l'arrivée et vous ne risquiez pas la chambre à gaz. Les chauffeurs étaient bourrus avec des ulcères mais pas des nazis avec des chiens loups qui vous déchiquètent un juif en 5 minutes. Ou moins. Dépendant du format. Plus rapide si c'est un enfant.

On survivait presque tout le temps même si on voyageait mouillé. Et si l'autobus sentait parfais le bétail ou le gaz, ce n'était pas intentionnel. On espérait. La plupart du temps, c'était le moteur.

Ou les toilettes.

Ou l'odeur de produit chimique cachant l'odeur des toilettes, de l'alcool, de la sueur et du vomi.

Et une manière de vendre des billets, disons, exotique.

Comme un jeu de chasse au trésor sauf que le prix était de trouver où on vendait des billets, de dire qu'ils étaient chers, de convaincre l'ado boutonneux stupéfait, à demi-éveillé (son cerveau étant encore en construction) à la bouche ouverte de les pondre.

100 $ aller-retour.

S'ils le pouvaient, ils  se seraient débarrassés de tous ces souçis (ce qu'ils faisaient mais plus graduellement qu'ils l'auraient espérés) (il était interdit de fusiller les voyageurs) et ne se seraient plus occupés que de location, de charter ou de voyage d'affaire ou de tourisme en groupe, cathédrales, casinos, USA. Des sortes d'agences de voyages. Des trucs prestigieux ou payants avec des gens qui savent payer.

Ou des panneaux réclames mobiles comme celui dans lequel il voyageait.

Mais le gouvernement les forçait à s'occuper des villages. Et à faire les routes de campagne. Sous prétexte qu'ils étaient loin et isolés. Ou que c'étaient, après tout, des humains qui y vivaient.

Ou, du moins, des électeurs.

Comme si les mots services publics voulaient dire encore quelque chose pour quelqu'un.


Et, eux, contre attaquaient, faisant contre mauvaise fortune belles grimaces, essayant avec imagination perverse tout ce qu'ils pouvaient pour écoeurer les villageois.

Payez-vous une auto! Un hélicoptère! Un vélo! Des patins à roulettes. Un skateboard. Des espadrilles Adidas. Marchez! Faites du pouce! Restez-chez vous! Brûlez un lampion à l'église, Dieu vous aidera! Ou vous téléportera.


Et dans le village, ce n'était pas mieux.

On faisait ce qu'on pouvait pour décourager les voyageurs de partir ou d'arrêter. Comme dans la série tv britannique Le Prisonnier avec Patrick McGoohan.

Souvenir.

Le second temple (laïc) du village avec l'église et les 2 chapelles. Le cinéma qu'on appelait le théâtre, une longue et interminable bâtisse contenant un long et interminable restaurant très étroit avec un long et interminable comptoir à l'américaine avec 40 bancs de bars, ronds, sur chaque colonnne d'acier le champignons rond vert plastique et tournant (le plaisir de tourner et tourner) et sur le mur opposé, 2 tables à 2 chaises se faisant face, dans le coin des journaux. Pour les amoureux. Toilette au bout. Plafond très haut avec tubes fluorescents de 8 pîeds grondants. 2 ventilateurs horizontaux hélicoptères à palettes grises. Grandes affiches des films US des années 50 jamais changées depuis qu'on les avait encadrées en haut du mur. Restaurant/café/casse-croûte/oeufs dans le vinaigre/hamburger/hot-dog/hot-chicken avec beaucoup de sauce brune et des pois verts, choix de patate pilée ou frites/crème-glacée/milk shake/sunday au caramel/banana split/cornet de crème glacée vanille (seule saveur disponible) à une boule/ 7-up/Coke/Pepsi/orange Crush. Frites. Cinéma. Salle de théâtre. Et débats contradictoires sur la scène pour les adultes lors des élections provinciales et fédérales. Ce qu'on ne trouve plus nulle part même à la tv. Combat de boxe sur la gueule entre candidats. Ce qu'on ne trouve plus nulle part à la tv. Chaque politicien à la recherche d'un emploi ou ayant peur de perdre le sien dévidant son disque, sa cassette ou celle du parti comme des zombis. On entendrait le moteur dans la boite vide de leur tête. RRRR! Centre de réunion et de placotage pour les vieux (on pouvait en aligner 40 avec leurs cafés et leurs journaux). Arrêt d'autobus. Taxi. Présentoir à revues et journaux. Allo-Police. Photo-Police. Mots croisés. Grille magique. Horoscope. Le Petit Journal. La Patrie. Pilote. Tintin. Spirou. 0.25. Revues de madames. Revues pornos en haut. Revues de camps nudistes. Revues de pédophiles dans des sacs de plastique tout en haut. 10 $. Cabine téléphonique intérieure à l'anglaise en bois vernis et verre. Téléphone noir à roulette payant. 0.10. Présentoir/comptoir de bois brun et de verre près de la sortie pour la vente des billets de cinéma et d'autobus. Ou l'expédition de colis par ces mêmes autobus. Ou des grosses boites octogonales à poignée de métal en tôle des grandes bobines de film. Gommes à mâcher, grosses boules de gommes balounes, gommes Bazooka, chocolats, caramel MacIntosh, réglisses noires, rouges et bonbons. De gros pots de bonbons. Boites de cigarettes Popeye blanches au bout rouge imitant le feu. Lorsque vous aurez enfin le droit d'en fumer de vrais. Cracker Jack. Sac de chips nature, ondulé, bbk, vinaigre. 0.05. Pétards à mèches. Rouleaux de ronds de poudres pour les pistolets à amorces. Tout pour les enfants. Cigarettes, cigares, tabac à pipe ou à chique. Boites rondes de tabacs à rouleuses. Papier à rouler. Cigarettes vendues à l'unité. Tout pour le voyageur. Ou le cinéphile. Car on fumait en autobus à ce moment. Et au cinéma. On fumait partout. Même dans les hôpitaux. Et les écoles. Et programme double (2 films pour le prix d'un) (0.25) le samedi soir et une séance l'après-midi et le soir, le dimanche. Bruits du vieux projecteur à pellicules 35 mm. Le deuxième chargé de la seconde bobines des films à 3, 4 bobines. Bruit du film qui casse. La petite lumière ardente au fond en haut. La salle noire. Les rideaux rouges qui s'ouvrent sur leurs rails, leurs  roulettes et leurs poulies. Écran de 10 X 20. Ce qu'on ne trouve plus dans aucun de ces immondes cinéplex. On remplace les grands écrans (le plus beau, 20 pieds par 40 de la ville où on passait James Bond) par de nombreux petits et maintenant toujours aussi petits avec du 3D qui vous fait vomir. On compense la médiocrité de l'image numérique par du son 3D qui vous assomme dans le fond de votre fauteuil.

Ce que lui avait raconté les anciens. Qui en pleurent encore. Une institution de 50 ans. Démolie pour faire place au progrès et à un parking. Plus aucune trace. Zilch. Même pas une plaque souvenir comme on a fait pour le général Anglais qui a mis le feu à Québec.


Les billets de cinéma étaient alors à 0.75 pour un seul film. Et on n'avait plus le droit de fumer dans la salle de cinéma mais c'était encore permis au restaurant. Perte culturelle et sentimentale et gastronomique inestimable et jamais remplacée depuis.

Les meilleures frites recette originale et traditionnelle.

Jamais remplacées par les frites congelées bouillies réchauffées micro-onde, lumière UV, pas cuite et centre beurk! et mou qu'on trouve partout ailleurs.

20 ans avant de revoir un restaurant. Qui a fait faillite. 10 ans de plus pour un autre qui a fait faillite aussi. 10 ans pour le suivant qui a fait faillite.

Malgré la perte de ce temple de la culture, les autobus continuaient à circuler. Les compagnies faisant faillite aux 10 ans.

On avait continué à vendre des billets d'autobus à l'épicerie d'en face qui faisait aussi crédit aux clients de son épicerie. Et avait des machines à sous dans son garage. Illégales. Pesait les pièces à la balance pour compter plus vite. Alcool, tabac de contrebande. Faisait crédit jusqu'à 5000$ de dettes de jeu. Receleur, prêteur et usurier comme le maire. 10% par semaine.


Le précédent propriétaire tapait sur la gueule de sa femme. Mais vendait aussi des billets d'auobus.

Sa veuve vendit le nom de son commerce et son fond au seul concurrent restant (avec clause dans le contrat interdisant de vendre la bâtisse vide à un nouvel épicier ou, elle-même, de faire épicerie dans la région). Il resta donc le seul épicier restant. Un moment, il y avait eu 4 épiceries dans le village.


Et une salle de jeu clandestine, débit de boisson de contrebande et de bagosse, salon de coiffure, taxi.

Et quelques dames de 16 à 70 ans recevant des clients ou se déplaçant à domicile pour plus cher.  

Et le repère d'une bande de motards à qui les villageois mirent le feu. En pendant quelques-uns pour la beauté du geste. 

L'épicier se débarrassa vite de ces encombrants voyageurs si peu rentables qui occupaient son espace et le temps précieux de ses employés à chercher dans l'invraisemblable catalogue des horaires et des prix, gros comme un Larousse, combien pourraient coûter cette saloperie de billet. Il se débarrassa aussi des acheteurs à crédit leur disant d'aller emprunter à la banque.


Et la Caisse Pop donne du 0% d'intérêt sur les dépôts et soustrait 1 $ par mois à tous ceux qui contiennent moins de 2000$. Ce qui permet de payer le salaire de 2000000 $ de la pdg.

Comme on ne vendait plus de billet, l'autobus ne vit plus de raison valable pour passer dans le village.

En dehors du village, sur le bord de la route ferait tout aussi bien. Il y aurait moins de monde ou plus personne. (On cacha les horaires) (et même le fait que l'autobus passait encore).

Monsieur Oussama Ben Laden devait travailler pour cette compagnie d'autobus.

Et on joua un bon moment au chat et à la souris avec les rares survivants de l'espèce qui ne savaient plus s'ils devaient attendre l'autobus dans le village en face du dernier arrêt ou personne n'arrêtait plus désormais (mais qui sait?) qui ne vendait plus de billet ou un endroit mystérieux non encore défini par la faculté de médecine ou d'astronomie.

Les prédictions de Jojo et ses horoscopes annuels auraient pu être utiles.

Ou ils se rendraient malades à force d'attendre au grand vent sur la route (mieux! écrasés par une voiture, un camion ou un des tracteurs des fermes voisines) ce qui ferait un client de plus pour l'urgence de l'hôpital (pneumonie) (traumatologie) et un de moins.

Ils pourraient alors démontrer au gouvernement que plus personne ne prend l'autobus nulle part vraiment plus personne (c'était une espèce en voie de disparition, peu viable, souffreteuse avec des petits poumons faibles et elle est disparue comme les saumons de Gaspé, les sardines du Sénégal, les tourtes (qu'on chassait au canon) et les forêts et on n'en sait pas la cause (les poumons fragiles) et ce n'est la faute de personne) et qu'ils devraient se consacrer à leur véritable vocation: transporter des joueurs pathologiques au Casino.

Et afficher sur l'autobus les poster d'Elvis 2012.

Le voyage se terminait au moment où le vieux voyageur du village qui faisait la même route que lui (il aimait voyager, seulement voyager et non aller quelque part et faisait régulièrement la route village/Québec aller-retour ou village/Montréal aller-retour le même jour, juste pour le paysage même s'il dormait tout du long quand il ne trouvait personne à qui parler) finissait de raconter l'histoire locale.

Et tout ce qui était disparu.

Au moment de se séparer, il ajouta qu'il aurait encore bien des choses à dire s'il le voulait.

Il y a des choses pas claires qui se passent.

Histoire à suivre.

Puisqu'ils demeuraient au même endroit ou à peu près, ils avaient des chances de se revoir. Le monde est petit hein! Parfois, je vois des gens qui je pensais morts. Et qui sont peut-être morts. Mais ils me disent bonjour. C'est qu'ils ne sont pas morts, hein!

Et, en descendant graduellement et avec parcimonie les marches étroites de métal raide de l'autobus, il demanda des nouvelles de son squelette et de sa cheminée qui n'avait toujours pas de sommet.

_ Comment va votre squelette?

_ Il va très bien.


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14.15.16 mai 2012. État 5