Prisonnières no. 125790
_ Regardez le sol lorsqu'on vous parle!
La prisonnière regarda le sol comme elle le faisait depuis qu'elle marchait ici.
Les prisonnières devaient être humble.
Les prisonnières devaient obéir.
Et ne pas extérioriser leurs souffrances.
_ Vous ne répondrez que lorsqu'on vous en donnera l'ordre. Et vous baisserez la tête un peu plus pour signifier votre accord.
La prisonnière baissa la tête.
_ Vous nous avez dit tout ce que nous voulions savoir et, avant votre départ, vers le centre de tri nous vous avons amené ici pour une dernière expérience psychologique.
Tout en gardant la tête baissée - tout manquement serait sévèrement puni - elle regarda tout autour pour voir quel nouveau supplice l'attendait.
_ Regardez à droite. La droite est le Destin. Nous ne cessons de vous le dire
Tout en gardant sa tête baissée, elle regarda à droite. Il n'y avait rien.
Sauf une boite.
Une boite de métal.
Et dans la boite, un bébé. Une porte de verre recouvrait le devant de la boite. C'était le bébé qu'elle avait eu ici après l'un des multiples et innombrables viols auxquels elle avait été soumises.
Généralement, comme les autorités sont pour le droit à la vie, on laisse le bébé grandir dans le ventre de la femme et comme on n'est pas assez patient pour la laisser accoucher naturellement, on lui ouvre le ventre, prend l'enfant et la pique comme un vieux chien. Le bébé, s'il est conforme aux normes Occidentales Nordiques sera donné en adoption à des patriotes particulièrement méritants.
Il arrive un moment où tout ce qu'on attend de la vie, tout ce qu'on espère, est la mort.
Une mort rapide.
Si vous avez été assez humble, obéissante, docile et soumise, vous aurez droit à une mort rapide.
C'est le seul droit que vous aurez car, ici, vous n'avez droit à rien.
Vous êtes un objet. Une chose.
Un objet et une chose qui parle, remue, souffre, hurle.
Si vous en avez la permission.
On lui avait recousu sommairement le ventre après le prélèvement de son bébé.
Elle n'avait aucune idée de la raison qui faisait qu'on la maintenait en vie.
On parlait de prélèvement d'organes. Ceux des bébés servaient aussi à ça.
Et d'exsanguination.
Les corps vivants des prisonnières servaient aussi à ça.
On lui explique que la boite blanche était un four à micro-ondes. Que dans le four à micro-onde était son bébé qui avait été refusé à l'adoption parce qu'il avait une infirmité.
Les êtres inférieurs ou défectueux - les êtres défectueux étaient aussi des êtres inférieurs.
Les êtres inférieurs n'avaient pas droit de vivre et ne décidaient pas non plus la sorte de mort qu'on leur réservait.
Les êtres inférieurs prenaient la place, l'espace, l'air, l'eau, la nourriture des autres. Mais il était inutile d'expliquer ça à une prisonnière. On ne parle qu'à des égaux. On donne des ordres aux autres.
On lui expliqua ce qui allait se passer.
On actionna le four à micro-ondes.
Au début, il n'y eut que le son du moteur du ventilateur. Et celui de la minuterie. Ceci dura assez longtemps. Puis le bébé sembla ressentir un certain inconfort. Signe qu'il était vivant à ce moment.
Puis le bébé se mit à pleurer au fur et à mesure que les molécules d'eau dans son corps commençaient à voir s'élever leur température puis à bouillir.
Le bébé hurla enfin.
Ceci dura un temps qui sembla bien long.
Dans la salle, il n'y avait que les hurlements et les pleurs du bébé assourdis par les parois du four.
Et il y eut le silence.
Il y eut ensuite une odeur.
Presque appétissante.
La femme ne pleura pas parce que c'était interdit.
Et on la ramena à sa cellule.
Elle marchait encore plus lentement que d'habitude. Mais pas trop lentement, car c'était interdit.
*
14. 15. 26 octobre 2012. État 3
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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