HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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20.4.12

28. HENRY DICKSON SE RASE ET TROUVE SA PEAU DOUCE

Henry Dickson

Comme bien des hommes, il n’aimait pas se regarder dans le miroir. Et le faisait le moins souvent possible. Parfois, c’était indispensable avec un rasoir dans la main si on ne veut pas terminer en plusieurs morceaux.

Il n’aimait pas le rasoir électrique, ni les plastiques jetables qui donnent l’impression de se raser avec une fourche ou un peigne. Ou une patte de chat en furie. Ni les rasoirs de sécurité avec lames jetables qui rasent un peu mieux mais pas aussi bien que les rasoirs de maniaques.
Il faut être très précautionneux lorsqu’on s’en sert sinon c’est comme ce que racontait quelqu’un qui est devenu fou comme ça. Il avait peur de devenir fou. Il avait toujours eu peur de devenir fou. Toute sa famille devenait folle. Comme une contagion. Une épidépie. Un moment, il n’était pas fou, le suivant oui.

Et, parce qu'il était fou, racontait l'histoire de ce qui était arrivé à son père. Qui était devenu fou lui-aussi. Juste avant que lui-même devienne fou en voyant ce qui était arrivé à son père et ce que son père faisait.
Entre les 2 instants, il avait un rasoir comme le sien dans la main.
Ça avait commencé tout à fait banalement. Lorsque l’homme se regardait dans le miroir, il avait trouvé un bouton.

Un bouton de chaleur ou comme lorsqu'on a de l'acné. Un  bouton rose.

Se gratte, pèse sur le bouton enflammé, il y au peu de pus et de sang qui sort.

Va dans l'armoire de la salle de bain où il y a une bouteille de péroxyde, de proviodine, d'alcool isopropylique. Le péroxyde est bon mais n'est pas un désinfectant idéal. L'iode, oui. Dilué comme c'est le cas, c'est l'idéal. Mais il choisit l'alcool qui est encore plus efficace ou aussi efficace mais fait plus mal. Il y a une boite de q-tips. Des bâtonnets de papier au bout de ouate très efficaces pour les petites plaies. Ordinairement, il ne se serait pas occupé du petit bouton et l'aurait laissé sécher mais il va se raser et a peur de se couper. Une succession de mauvaises décisions vont alors mener à de plus mauvaises décisions encore qui décideront du sort de sa vie et de celle de son fils.

Il prend de l’alcool, en verse un peu sur un q-tips et éponge sa plaie.

Ça fait mal. Il a un réflexe mauvais. Il a encore la bouteille d’alcool dans sa main et comme la main va vers le haut par réflexe, s’envoie presque toute la bouteille dans les yeux.

Hurle de douleur.

Jette la bouteille par terre.

Autant par réflexe que colère.

La salle de bain empeste l’alcool, l’éther, le vieux dentiste, la salle d’opération, la chirurgie.

S’envoie de l’eau sur le visage ce qui fait encore plus mal.

Glisse sur le plancher mouillé d’eau et d’alcool et se pette la gueule sur le bord du lavabo.

Se casse des dents qu'il crache partout.

Il y a encore plus de sang lorsqu’il se relève.

Il voit mal, voit mouillé comme lorsqu’on est dans la pluie.

Horriblement mal.

Sa bouche ouverte sur ses dents cassées bave de sang. Il s'est aussi coupé la langue et ça bave rouge, rose, violet.

Les dents cassées comme des scies traversent ses lèvres et sa langue.

Il pleure de douleur.

À ce moment, il devient fou.

Chacun devient fou à sa façon. Il n'y a pas de manière idéale de devenir fou. Il n'y a pas de fou parfait. Il y a toutes sortes de manière de devenir fou. Et pendant qu'on le devient, la réalité change, se transforme, a changé. Et elle changera encore plus une fois que vous serez finalement enfin fou. On pourrait dire qu'il y a autant de fous que d'univers de fous. Et la folie est si créatrice, si innovante, elle transforme votre corps en une oeuvre d'art. Et votre esprit en artiste. Votre corps devient son matériau.

Se griffe le visage avec ses doigts et ses ongles.

Comme si ça pouvait calmer sa douleur.

Se griffe encore de haut en bas. Ses ongles sont rouges de sang.

Tire sur sa peau, l’arrache, la peau vient par grand bout, il y a de plus en plus de peau.

La peau tombe dans le fond du lavabo avec du sang.

Il agrippe encore son visage à pleines mains.

Il n'a plus de peau sur son visage.

Il y a les muscles sous la peau. Les tondons. Les cartilages.

Puis il s’enfonce les doigts puis les mains dans le visage, tire sur les muscles jusqu’à ce qu’on commence à voir les os du crâne.

Arrache ce qu'il peut attraper. Ce qui lui permet d'attraper et de tirer encore plus sur ce qui dépasse et sur ce qui pend.

Maintenant, ce sont des tas de muscles qui tombent dans le lavabo.

Et ses lèvres sciés par ses dents. Il les mord. Celle du haut et celle du bas jusqu'à ce que ses dents passent à travers. Et avec les dents cassés comme des dents de scie, c'est assez  facile. et il recommence. Jusqu'à ce que ses lèvres soient ouvertes et pendent. Il les prends avec sees mains et les arrache.

Encore à l'évier.

Et les cartilages de son nez.

Le nez.

1 œil.

Il prend l’œil dans le lavabo et le regarde avec l’œil qui reste.

Et se regarde dans le miroir.

Avec son oeil dans la main. Et son oeil dans son crâne.

Il n'a plus de peau.

Et le trou à côté de l'oeil qui coule. Le triangle où était le nez coule aussi beaucoup. Tout coule de partout dans son visage.

Tout est étrange.

Il y a tout un tas d’yeux dans le miroir.

Il a retrouvé partiellement la vue. Voit de son oeil son visage avec un seul oeil qui le regarde. Et le trou vide où était il y a un instant son autre oeil. Son autre oiel qui est dans sa main. Et qu'il présente au miroir comme un cadeau. Et il a l'impression que l'oeil dans sa main le regarde, l'observe. Pense.

Il tient toujours son œil dans le fond de sa main. Un oeil, c'est gros. Pesant. Plus gros que l'on pense. Car on a rarement l'occasion de soupeser un oeil. Moins encore son oeil. Et c'est plus pesant que l'on pense. Car l'oeil est plein. Et c'est doux. Doux et chaud.

Et, il remarque aussi que lorsqu’on presse sur l’œil, c’est mou. C'est aussi rond, humide, chaud. Et mou. Mais un moment donné, l’œil cesse de se compresser et d’amollir pour s’ouvrir et couler dans sa main. Comme un oeuf qu'on écrase et qui bave. Comme un oeuf à la coque à moitié cuit dont le jaune pas encore figé s'écoule comme un sirop jaune. Mais le jus dans l'intérieur de l'oeil est transparent.

C’est chaud.

Onctueux.

Collant quand ça glisse et s'incruste entre les doigts.

Il observe avec ravissement.

Puis il se crève l'autre oeil volontairement avec l'ongle de son doigt.

Il arrache l’autre œil.

Il continuer à tirer et arracher tout ce qu'il y avait encore sur son visage. Et il y en a de moins en moins.

Qui n'est plus un visage.

Mais une boucherie. Un étal.

Une preuve.

Et la mâchoire inférieure.

Il tire si bien qu'un côté sort de sa joue. Le bruit est sec. Crak!. Snap!

Comme une petite branche sèche qui casse.

Crak!

Il tire encore et l'autre côté vient. Crak!

Il a sa machoire dans sa main. Il la regarde curieusement. Comme si c'était un objet étrange. Tout à fait digne d'observation.

Il la jette dans l'évier.

Pas besoin de voir pour ça. Mais c'est comme s'il voyait. Comme si, aveugle, il se voyait dans le miroir, se voyait dans sa tête, et se voyait dans les yeux de... quelque chose de grand, large, transparent, diaphane, translucide, parfois obscur qui se tenait sur le mur du fond derrière lui.

Comme un père qui approuverait sa conduite.

Tout un tas de viande rouge, humide, mouillée, sanglante, baveuse, répugnante, dans le fond du lavabo comme sur un bloc de boucher. Et sur le dessus baveux, son maxillaire inférieur avec toutes ses dents blanches dont il était si fier.

Les dents.

Une à une.

Il arrache les dents qui n'étaient pas encore cassée de sa machoire supérieure.

Qu'il ne peut arracher parce qu'elle fait toujours parti du crâne et qui va rester là mais il peut arracher ses dents. Il suffit de forcer, de tirer en avant et en arrière avec ses doigts. Et elle finit par sortir de son orbite. Après c'est plus facile pour la suivante. On la fait basculer en avant et en arrière et par les côtés.

Une à une.

Et la langue qui sort de son crâne. Pend sous la machoire supérieure. Surgit du trou entre son cou à la peau pendante et le crâne.

Et la langue qui bouge comme une trompe sous sa mâchoire supérieure, comme une trompe. Une tentacule de pieuvre. Une grosse limace rouge.

Il arrache la langue.

Il essaie.

Il la prend à pleine main, tire mais c'est flasque et résiste.

Il ne peut l'arracher car il n'a pas suffisamment de force. Et surtout pas l'instrument qui convient.

Plutôt, il la coupe avec son rasoir.

Un grand bout tombe avec un bruit de chair flasque et humide. Et il reste le bout supérieur, court et large, qui pisse le sang.

Ouvert.

Comme ces trompes d'insectes butineurs.

Il se regarde toujours dans le miroir.

Tout ceci est si étrange.

Un crâne sans peau, ni mâchoire inférieure.

Un immense trou au-dessus du cou. Et au centre, une bête rouge.
Il arrache ensuite la peau du front avec ses cheveux après l'avoir découpée au rasoir.

Il promène la lame de son rasoir sur sa tête, la fait glisser à droite et à gauche, en surface et profondément. C'est ensuite plus facile de tire sur les lambeaux de peau et de cheveaux de son crâne.

Avec cette lame, il gratte le dessus de son crâne jusqu'à ce qu'il soit à peu près lisse. Mais c'est difficile.

Oui, c'est vraiment difficile.

Et, s'il pouvait travailler tranquille ou s'il pouvait travailler tranquille mais il n'est jamais tranquille. Il n'arrive pas à se concentrer.

La douleur.

Il faut pourtant qu'il se concentre. Il y a tant de choses à faire, si peu de temps. Et il n'a pas terminé.

La douleur.

La douleur étant insupportable, il faut souffrir encore plus pour l'anesthésier, comme si c'était la seule façon et la nouvelle douleur chasse l'autre, comme si c'était bien fait.

C'est comme s'il brûlait. Comme s'il était au centre de la souffrance comme au centre des flammes d'un bûcher.

Il y a tellement de sang et de bave qu'il glisse sur les tuiles du plancher de la salle de bain blanche, les tuiles luisantes et blanches ruisselantes de rouges.

Il tombe.

Longuement.

Incapable de se relever, il a peut-être une jambe cassée, il avait marché à 4 pattes jusqu’à ce qu’il retrouve enfin le rasoir et s’était ouvert la gorge d’une oreille à l’autre.
La vie est étrange.

*

20.22 avril 2012. État 3