HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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22.5.12

92. NOUS SOMMES MARDI. AVANT C'ÉTAIT LUNDI. APRÈS CE SERA MERCREDI. HIER, C'ÉTAIT L'AN 2011. AUJOURD'HUI, C'EST 2012. DEMAIN CE SERA 2013.

Henry Dickson

Vérifia le jour sur le calendrier mural.

Mardi

_ On est queL jour aujourd'hui ?

_ Mardi

_ Quelle date?

_ 22

_ Quel mois?

_ Mai

_ Quelle heure?

_ 9 heures 51 minutes. On est presque à 10 heure.

_ Du matin ou du soir?

_ Tu as pris ton déjeuner tantôt, tu ne te rappelles pas?

On les levait assez tôt puis les assoyait jusqu'à la pause collation à 10h. en attendant le dîner à midi. On l'avait lavé, changé sa couche, amené aux toilette puis faire un exercice. Il avait encore son gilet de sécurité avec une poignée dans le dos.

Une poignée en avant.

Et sur les bras.

Pour qu'on puisse l'agripper plus facilement. À un ou plusieurs. Penser qu'un jour, on aura une poignée dans le dos! Certains pensent que  toute leur vie, on s'est foutu de leur gueule. Et avoir ou ne pas avoir une poignée dans le dos ou être ou ne pas être une valise est devenue une expression proverbiale: Tu te fous de moi! Comment peux-tu me mentir en pleine face comme ça? Je ne suis pas une valise!

Et, effectivement, les gens ont des poignées dans le dos et sont des valises. Manipulés toute leur vie et même leur mort (l'industrie de la mort est efficace et rentable. Car si on en extrait $ et travail, la durée de leur vie, même mort, on peut encore leur extraire de l'$. ) par leurs patrons, leur gouvernement, leur femme (ou mari) mais ils ne demandent que ça.

Sont simplement choqués de le découvrir. Comme s'ils se réveillaient d'un mauvais rêve.

Et la plupart ne s'en apercevront jamais.

Dorment trop bien.

Ils mourront donc tout aussi bien. Comme ils ont vécu. Et on pourra rentabiliser leur mort comme leur vie. S'ils ne se sont pas plains de leur vivant, ce n'est pas à ce moment que ça changera quelque chose.

Encore aujourd'hui, les sondages des journaux affirment que des tas de gens seraient prêts à réélire ce gouvernement corrompu pour qu'il règle définitivement le cas des étudiants. Il est déjà élu depuis 8 ans et n'y arrive pas mais dans leur petite tête de batracien (excusez les grenouilles!) ils ont l'impression qu'avec un mandat clair il y arriverait.

Pourquoi pas une élection référendaire ou un référendum?

Par 2 fois, les mêmes ont refusé l'indépendance qu'on leur offrait sur un plateau, pays en prime, ce qui, ailleurs, a souvent nécessité des tas de morts. On avait cru après la premiere fois qu'ils avaient mal entendu ou mal compris la question et on a recommencé. Ils ont encore refusés. La deuxième fois. Mais certains pensent encore qu'il faudrait être plus clair la troisième fois. Pourquoi donner tout ce mal?

Lors de la défaite, les plus intelligents sont retournés en France. Et les plus courageux étaient déjà morts. Il n'est resté que ceux qui n'avaient pas le choix. Et ils se sont mis en mode survie. Ça leur a bien réussi. Quoique ça ait modifié leur personnalité. Et les plus intelligents des moins intelligents (on vient de dire que les plus intelligents étaient retournés en France où se passait la vraie Histoire - ici, elle venait de se terminer) ont pensé à rentabiliser la défaite et ont collaboré avec ferveur avec l'ennemi, l'envahisseur et l'occupant tout en exploitant avec lui, les leurs. Récoltant au passage les miette du festin. Rien n'a changé. Ils collaborent encore et exploitent encore. Et comme ils mouraient régulièrement mais, heureusement, se reproduisant avec autant de constante, on a concocté pour la future génération, une forme d'éducation abrutissante pour les occuper, le temps qu'ils soient assez mûr pour la récolte. Et rien n'a changé.

Ceux qui veulent que ça change sont dans la rue. Les autres ne demandent qu'à être exploité le plus rapidement possible. Ou l'étant déjà, ce qui leur prend tout leur temps, veulent qu'on leur foute la paix.

Trop de soucis.

Et voudrait un référendum pour régler enfin le sort des étudiants. Et qu'une fois leur sort décidé - on ne veut plus les voir- eux, puissent retourner à leur chère tv sans qu'on perturbe sans cesse leurs émissions culturelles et sportives.

Slogan: Délivrez-nous de la réalité. Nous sommes fatigués de penser. Nous voulons être exploités (sans qu'on nous le dise) et avec notre $ (délivrez-nous des pauvres!) durement gagnée (ou pas si durement mais il est toujours bon de le spécifier) nous voulons aller à notre temple: le Centre Commercial. Nous voulons magaziner en paix.

Il y a toutes sortes de bons produits à la tv que nous n'avons pas encore essayé.

Nous ne supportons plus de voir ces manifestations à la tv. Nous ne supportons plus rien. Y compris ces journalistes de gauche (c'est ainsi qu'on les appelle dans les radios qui leur sont destinés, eux et leurs semblables, Q.I. à 2 chiffres.) qui ne cessent de leur rappeler que l'État les vole. L'entreprise privée aussi mais c'est son rôle, il ne faut pas en attendre plus. Mais l'État est supposé protéger la population. Eux.

Théoriquement.

En théorie.

Nous ne voulons pas le savoir. Nous ne voulons pas de gros problème ni de petits. Même si ça se passe à 100 milles de leur appareil si chaud et si confortable. Avec tant de si jolies couleurs.

Dire que les inventeurs du Tube à Idiots pensaient comme ceux qui avait inventé la radio ou le téléphone, la presse à imprimer ou, maintenant, Internet, que ce serait le moyen idéal pour instruire. La culture à portée de tous quelque soit la distance. L'Opéra et le théâtre à domicile par le téléphone. Et ça aussi à été essayé. Ça a été la stupidité à la portée de tous. Par contagion. Quelques-uns en profitant pour s'instruire, pas nombreux, le reste pour se décerveler. Avec leur consentement quoique cette notion en ce qui les concerne puisse être vague. Plus ou moins consciemment. Comme se passe leur vie. État végétatif qui leur est naturel.

Les spécialistes répertorient différents niveau de conscience dans le coma et après mais réservent leur diagnostic aux malades qu'on leur a confié. Pourtant, ils pourraient tout aussi bien analyser la population hors des hôpitaux, ils feraient de belles trouvailles. Ils trouveraient peut-être que leur analyse sur les cerveaux vivants au lieu des cerveaux morts (plus ou moins) aurait pour conséquence la sinistre découverte que la majorité de la population a le cerveau éteint. Le coma n'étant que l'étape suivante. Peut-être désespérant mais la réalité est toujours préférable à l'illusion pour ceux qui veulent être des hommes. Et rien ne dit nulle part qu'on ait le droit d'espérer quelque chose. Et, peut-être aussi, la réalité si on l'observe bien n'est la plupart du temps ne produit que ce sentiment: le désespoir. Et c'est la désillusion qui permet de l'envisager clairement. Qui ne survient qu'au fil du temps après qu'on ait perdu les unes après les autres, toutes ses illusions. 

On se détache alors de soi-même, des actes et de ceux des autres.

Ils ont l'impression que c'est dans leur salon et que des étudiantes universitaires enragées (probablement lesbiennes et féministes) (et gauchistes) vont venir dans un instant piétiner leur caisse de bière.

Et, un jour, une poignée de tissus solide nous a poussé dans le dos.

_ Quel jour on est?

_ Mardi

_ Hier, c'était quel jour?

_ Lundi. Si, aujourd'hui, c'est mardi, hier, c'était lundi

_ Quel mois on est?

_ Mai

_ Ça veut dire que l'hiver est déjà passé.

_ Oui.

_ Noël aussi.

_ Oui.

_ Où j'étais à Noël?

_ Ici.

_ C'est où ici?

_ Un hôpital.

_ Mes enfants sont venus me voir?

_ Oui

Ils ne sont pas venu. Ils le considèrent déjà comme mort. Ils ont déjà hérité et n'ont plus besoin de lui.

_ J'ai été chez eux à Noël?

_ Oui.

Non. Trop compliqué.

_ Quelle année on est?

_ 2012

_ Et je n'ai pas vu 2011. Quand 2011 s'est-il terminé? Onest quel jour?

_ Mardi

_ On va manger quand?

_ Dans 1 heure.

_ J'ai faim

_ Regarde le payage, il est beau.

_ Il n'y a plus de neige.

_ Non.

_ Je n'ai pas vu l'hiver. Il est où l'hiver?

_ Il a fondu.

_ Je vais sortir quand?

_ Prochainement. Dès que les médecins diront que tu peux sortir en toute sécurité.

_ J'ai hâte de revenir à ma maison.

Ses enfants y sont et ils n'ont aucune envie de revoir un mort sortir de son caveau pour venir réclamer une chambre chez eux.

_ Il me semble que ça fait longtemps que je ne les ai pas vu

Tu ponds des animaux (ou une spécialiste pondeuse le fait pour toi) et tu es surpris qu'ils se conduisent en animaux. Heureusement, il est incapable de retenir une idée longtemps. Comme le Poisson Rouge. Il te regarde, surpris de te découvrir hors de son bocal: Bonjours, vous! Et il s'en va nager autour de son bocal, au retour, il vous a complètement oublié et est tout aussi supris que tantôt de vous découvrir: Bonjour. Il y a des poissons rouges qui sont toujours contents d'avoir de la compagnie même s'ils n'ont aucune idée de qui ou quoi ça peut être, ça leur change de leur routine de poisson rouge.

Mais il y a des Poissons Rouges agressifs.

Comme la bande de folles qui jonchent le tunnel de la mort qui mène ici et ne cessent de hurler quand ils le voient. S'entêtant à dire qu'il était mort. Charmant!

_ On est quel jour aujourd'hui?

_ Mardi

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22 mai 2012. État 1