HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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9.5.12

73. PICNIC À LA CAMPAGNE. OÙ EST LE TIRE-BOUCHON?

Henry Dickson

Respire l'air frais.

Sur le perron. Dans la cour. Dans la campagne. Dans le ciel. Partout. Une belle journée commence.

Il faut profiter du moment présent puisqu'il n'existe que lui. Parce qu'hier n'existe plus et demain n'existe pas encore. Et, qui sait, si on sera encore vivant dans une seconde. Un AVC. Une crise cardiaque. Comme les frères de son père. Tous! Les uns après les autres. Un anévrisme. Comme son père. Et on crache du sang partout puis on s'effondre. Mais puisqu'on ne crachait pas de sang et que le coeur fonctionnait bien ou assez bien cette seconde et une seconde de plus. Aussi bien aller déjeuner.

Le spectacle va commencer dans un instant.

Il se retire dans sa maison et barre la porte avec le gros verrou de fer. Et de la table de la cuisine, tout en  beurrant ses toast de pain de blé entier chaud de la boulangerie locale avec du beurre sans sel frais des vaches consentantes de son voisin et des confitures de ses admiratrices anonymes et du lait non pasteurisé de son autre voisin, venant directement du réservoir réfrigéré où se termine la trajectoire des trayeuses pour son café; il fait by by de la main aux passagers de la Suburban rangés devant la maison et ayant été de faction toute la nuit. Sans doute fripés de ne pas dormir. Et attendant la relève pour ce faire.

Un petit déjeuner léger (pas tellement) et nourrissant.

L'hélicopère de TVA arriva en premier.

On pouvait suivre en direct (si on avait la tv) (ou un téléphone mobile) (ou une tablette électronique) (ou un écran d'ordinateur) les nouvelles du jour.

Monsieur Dickson se contentait de regarder par la fenêtre. Il voyait très bien l'hélicoptère noir et sérieux gouvernemental et le petit frelon du capitalisme privé innovateur (pub gratuite) qui apparaissait et disparaissait. Pendant que, comme l'oeil de dieu, aussi fixe qu'un satellite géostationnaire, le gros hélico semblait rivé sur le ciel au dessus de son toit. Mais il voyait très bien l'ombre de ses grandes pales. Le petit hélico tournait autour. Et autour de la maison. Et s'il avait voulu, il aurait pu mieux voir d'une des fenêtres de l'étage ou d'une des fenêtres en pignons du grenier. Il préférait imaginer et jouir du spectacle imaginaire.

Les sages paroles du journaliste de l'hélicoptère étaient retransmises à la maison mère et dans les stations tv et radios associées.

Un squelette découvert dans une cheminée.

Un mystérieux squelette.

Un squelette secret.

La nouvelle était déjà parue dans le journal du village puis dans le journal régional appartenant à la chaîne quotidien/hebdo/radio/tv/Publi Sac/convergence mais il fallut un certain temps avant que l'info parvienne à la tour à bureau et redescende étage par étage tout en bas. Et que les commerciaux évaluent son potentiel commercial.

Et un appel de monsieur Dickson a un ami journaliste d'un média concurrent (l'autre empire) pour que leur rédaction commence à réfléchir sur ce sujet. Ce qui était suffisant pour qu'une fuite se produise et que le concurrent soit alerté.

Il était déjà au courant.

Dans tous les médias, il y avait des taupes qui se faisaient des terriers leur permettant de déménager au plus vite lors de la prochaine grève ou de la charrette suivante de chômeurs à destination de la guillotine.

Car dans chaque média, la tentation était forte de tester à la fois toutes les nuances et subtilités de l'abus de pouvoir du patronat (l'ancien frisson de l'ado boutonneux qui coince une fillette dans les toilettes de son école pour lui rabattre sa robe au-dessus de sa tête et la joie plus la surprise encore plus réjouissante de découvrir qu'elle ne peut rien faire car elle est terrorisée et ne peut l'exprimer qu'en pissant par terre. Et il faut des années avant de redécouvrir ces frissons jouissifs lorsqu'on arrive au sommet de la hiéarchie. À moins d'y être né avec la proverbiale cuillère en argent dans la bouche) et la possibilité d'une information (de qualité) sans journaliste.

Comme les parents offrent du temps de qualité à leurs enfants orphelins (sans parent).

En commençant par le moins de journalistes possible. Mais, surprise, la bête ne meurt pas et on découvre qu'on peut l'amputer encore et encore. Et il sort encore des textes de la bête. Même blessée. Même agonisante. Puis en continuant en en soustrayant encore un de temps en temps. Jusqu'à ce que le lecteur, l'auditeur (radio) ou le télespectateur (crétin) se plaigne. Ce qui mettra fin à l'expérience de vivisection.

Après tout, on vend partout du yogourt sans lait (gélatine), des confitures aux fraises sans fraises, du chocolat sans chocolat (caroube et autres succédanés noirs ou sombres) comme les Choco Pops de la jeune prisonnière.

Jusqu'à présent, aucun lecteur, téléspectateur, auditeur ne s'était plaint ni se semblait même s'être aperçu de quoique ce sit.

Lorsqu'on avait, avec la complicité du gouvernement qui n'aime pas les journalistes rapporteur de cancans sur la prétendue corruption des élites, vidé les salles de nouvelles de tous les postes de radios des chaînes (mot bien trouvé) de leurs journalistes pour les remplacer par des commentateurs sportifs qui, 24 heures par jours, commentent les malheurs des joueurs de hockey millionnaires incapables de viser une rondelle de caoutchouc dans un but.

Jusqu'à présent, seuls les journalistes (futurs chômeurs) s'étaient plaints. Surtout ceux mis en lock out (jetés dehors parce que leur syndicat n'avait pas pas accepté les coupures. Et dehors jusqu'à ce qu'il accepte. Même si ça prend 1 an! Et ça a pris un an.).

Les autres journalistes encore au travail avaient bien compris qu'il ne fallait surtout pas en parler et n'émettre aucune opinion audible et qu'ainsi leurs patrons admireraient (peut-être) leur esprit de sérieux et démonstration journalière de leur modération, de la neutralité et de l'objectivité si nécessaire dans leur métier qui confine à l'apostolat.

Une centaine de journalistes inutiles d'un des journaux du troisième empire perdirent ainsi leur emploi. Et aucun de leur ex-lecteur ne sembla remarquer une différence. Ce qui motiva encore davantage leur collègues et concurrents à faire leur travail.

Remarquons que ce sont les mêmes qui achètent de la confiture sans fraise.

Pendant ce temps, le journaliste dans l'hélicoptère filmait tout en parlant de ses émotions. Partout, on prépérait une série de reportages. Un scoop. Ce serait mortel pour les cotes d'écoute et le prix des annonces dans les journaux.

Quelle était la véritable identité du squelette dont on ne connaissait que le nom?

La police (qui?) (on fait enquête) avait coulé le nom sur la plaque d'identité parce qu'on était tanné que rien n'aboutisse et qu'on mette des bâtons dans leurs roues. On ne nomma personne. Mais les personnes inconnues se reconnurent.

Le journaliste continuait à pleurer.

On montrerait plus tard, la veuve en pleur. Et les nombreux orphelins. Il y avait aussi de petits chiens et des chatons abandonnés.

Dans toutes les rédactions, on se posait la même question: mais qu'est-ce que foutent toutes ces Suburbans du gouvernement.

Et le mot mythique et inspirant émergea d'une des séances ou le rédacteur en chef ou chef de pupitre répartit les sujets en jouant à la bouteille avec les journalistes de la maison réunis.

TRÉSOR

Découverte d'un trésor.

C'est en essayant de retrouver le mythique trésor de la Maison sur la colline que cet explorateur serait mort.

Peut-être assassiné?

Par les indiens?

Crime. Assassintant. Meurtre. Donc assassin, meurtrier. Est-ce que la population est en danger?

La voix l'animateur de foule à la tv devient grave et sa gorge se crispe lorsqu'il lit la nouvelle en regardant fixement le caméra, le télésouffleur (sous la caméra, une autre tv sur l'écran de laquelle défile le texte qu'il lit) et la spectatrice imaginaire derrière la grosse lentille qu'il imagine terrifée sur son sofa.

Un autre journaliste fait ensuite un sondage minute avec des passants leur demandant ce qu'ils en pensent. Et quelques-uns dont le rêve de passer à la tv se réalise enfin, s'arrête pour dire quelque chose qui fera plaisir au journaliste.

On n'avait aucune info sur ce sujet et on allait contacter un historien spécialiste des légendes et des contes poplaires.

Le TRÉSOR aurait été caché par un célèbre pirate.

L'hélicoptère survolait la maison, filmait le toit. Filmait l'hélicoptère noir de Service Secrets Canadien. Gros plan sur le logo sur l'hélico. On filmait aussi en bas, la Suburban qui surveillait la maison (à cause du trésor) et l'autre Suburban à l'entrée du chemin de terre.

Précédamment, on avait filmé les 5 autres Suburban noires stationnées un peu partout dans le village.

Le TRÉSOR devait être immense pour que le gouvernement s'en mêle.

Un économiste fut appelé pour commenter la nouvelle et évaluer l'étendue des richesses découvertes. À découvrir.

Une formalité.

Les camions des réseaux tv arrivèrent. Plus lentes que l'hélico car leurs roues ne leur permettaient que de rouler là où il y avait des routes.

Avec leurs génératrices. Studio mobile. Roulottes. Leurs antennes sur leur toit, mats téléscopiques, coupoles tournantes de différentes grosseurs.

Les caméramen sortirent avec leurs caméras et leurs perchistes et leurs micros poilus tout en restant en retrait pour laisser  toute la place au journaliste vedette avec son micro surmonté d'une balle de tennis jaune aux armes de sa station; à la recherche d'une minute d'images et de sons pour le journal télévisé.

Ils se dirigerent vers leur première victime, le chauffeur de la Suburban rangé devant la maison.

Qui n'arrivait pas à comprendre ce qui se passait. L'information dans son cerveau ressemblait au neveu de monsieur Dickson lorsqu'à 6 ans il (essaya de) patina pour la première fois pour finir après être tombé par en avant ou sur le dos par revenir à quatre pattes vers le banc de neige rassurant. Si l'enfant avait été créé par Dieu pour patiner, il serait né avec des patins à sa naissance. Ce que toute mère enceinte envisage avec terreur.

L'agent dont la camionnette était entouré de caméras de tous les formats (énorme au moyen) refusait obstinéement d'ouvrir sa vitre, vérifia que la portière était bien barré pendant qu'on la cognait (poliement) à l'extérieur tout en essayant de l'ouvrir. Ce qui était bien sûr impoli. Pendant que son complice appelait frénétiquement son chef ou n'importe quel chef ou sous-chef pour savoir quoi faire.

Les journalistes étaient stressés. Leur état naturel qui les rend aussi agressif que des rats acculés à un mur devant une ménagère munie d'un tue-mouches. Tout ceci coûtait cher. Si on les avait envoyé avec toutes ces installations, c'est qu'on espérait le scoop du siècle, de l'année, du mois ou de la semaine. 60 secondes. 30 secondes d'images utilisables. Et un bon son.

Le chauffeur qui pensait mal (étant peu habitué au processus) eut un réflexe stupide qu'on lui reprochera beaucoup par la suite: sortir son pistoler Glock 30 et menacer la caméra qui le filmait.

Avant d'être terrifié et de se sauver, elle eut tout le temps (une seconde) pour filmer le visage de l'agent et son arme. Et cette seconde (moins) d'image, se retrouve en plan fixe durant d'interminables minutes pendant que le chef d'antenne de Radio-Canada (troisième empire mais public) s'interrogeait à voix haute sur ce qui se passait.

Pour interroger ensuite des représentants bien informés (ils ne savaient rien mais étaient habitués comme des équilibristes à penser en direct) du Devoir (peu lu, journal de l'élite, mais indispensable lorsqu'on pense. Le tenir à la main lorsqu'on déambule en ville pour démontrer que l'on pense ou qu'on pourrait le faire si on voulait. Et qu'il vaut mieux ne pas nous provoquer.), de la Presse (on n'invitait jamais les hommes de main de l'autre empire médiatique), des journalistes d'enquête de la maison qui tous s'interrogèrent les uns après les autres sur la signification de ce qu'ils avaient vu et ce qu'il fallait en conclure. 

Comme  ils n'avaient droit à aucun témoignage touchant ou bouleversant, les caméramen les filmait prudemment de loin avec leur zoom sur toutes les coutures. Pendant que les recherchistes à la station mère essayait de les indentifier.

Un autre recherchiste fouillait sur Wikipedia et dans les dictionnaires et encyclopédies pour compléter un dossier sur les trésors enfouis dans la province. Ou les trésors perdus ou égarés.

Ce qui serait utile pour l'animatrice de l'émission du soir avant le bulletin de nouvelles et pour l'animatrice du bulletin de nouvelle.

Comme il n'y en avait pas beaucoup et qu'il fallait parler de quelque chose ayant plus ou moins rapport avec le sujet, on réunit quelques feuilles sur le dragon du lac (100 milles plus loin) et les galions Espagnols (très loin) (sujet de circonstance, car lors de leur pillage des richesses des empires Aztèques et Incas qu'ils exterminèrent, ils volèrent des tonnes d'or dont beaucoup finirent au fond des mers à la suite de combat contre des pirates ou flibustiers ou, le plus souvent, à la suite des mauvaises mers de mauvais  temps ou d'un méchant récif. Et après avoir fondu les statues des dieux, ils firent travailler comme esclaves ce qui restait de ces peuples dans des mines d'argent. D'où de nouveaux galions vers l'Espagne et le Portugal (on l'oubliait). Et de nouveaux naufrages.

Ce qui permettait de penser ou de laisser croire qu'un pirate célèbre (on cherchait pour trouver son nom) avait confisqué la cargaison et l'avait enterré sous sa maison. La maison sur la colline.

Et un chasseur de trésor, victime de la malédiction Aztèques ou Inca ou Maya, périt.

Les journalistes de la radio arrivèrent avec leur magnétophone à cassettes. Radio locale, communautaire, étudiante (cegep local et université plus loin), régionale, provinciale, nationale.

Eux n'avaient pas besoin d'images mais de mots. Ils commencèrent à s'interviewer les uns les autres.

Un TRÉSOR

Une MALÉDICTION

Finalement, les journalistes de la presse écrite arrivèrent avec leur calepin. Et stylo. Ils notèrent d'abord leur impression et leurs sentiments puis leurs émotions avant de chercher une citation qu'accepterait de confirmer un témoin doté d'une identité publique.

C'est à ce moment qu'arrivèrent les 2 Suburban venant prendre le quart suivant. Il y avait des journalistes partout, de la maison à l'entrée du chemin où se trouvait la première Suburban. Maintenant, il y en avait 2 nouvelles à filmer.

Gros plans sur les visages des agents secrets.

Le mot SECRET est important.

Il faut le répéter souvent. Et on le répéta. Pas aussi souvent que grippe du poulet ou du cochon ou H1N1 lorsqu'on préféra ce nouveau nom plus mystérieux ou scientifique parce que les producteurs de cochons se plaignirent qu'associer leur produit à cette grippe ne leur faisait que du tort. Déjà qu'ils avaient assez de problème à dissocier leur industrie du mot «pollution» «purin» «hormones». Et cruauté avec les animaux. Il ne faut pas associer le mot «abattoir» «mort» «tuer» à viande. La viande est de la nourriture qui vient en tranches anonymes et ne veut de mal à personne. On n'a brutalisé aucun animal pour en arriver à ce résultat. Parole de scout! Et on doit éviter de penser que l'État leur donne des milliards pour produire à perte parce que ça pourrait amener chez certains l'idée absurde qu'on devrait la leur donner gratis sous prétexte que le consommateur l'a déjà payé avec ses taxes. Ou qu'il la paie une deuxième fois lorsqu'il va à la boucherie. Sauf les Rabbins et les sorciers musulmans qui n'y vont pas pour on ne sait quelle raison.

La deuxième Suburban se fraya un chemin autour des piétons journalistes, passa à côté des autos stationnés de différentes qualités, niveau de propreté ou ancienneté selon la richesse de leur employeur (ou de leur carte de crédit s'ils étaient pigistes) tout le long du chemin pour arriver lentement mais finalement à côté de la première Suburban dont les utilisateurs leur faisaient des gestes de désespoir pour qu'ils s'en aille.

Et tout au long du chemin, comme lors de la visite de la reine, du fils ou du petit-fils, les journalistes qui se dirigeaient à pied vers la maison, les mitraillaient avec leur appareils photos, caméras, téléphone (option photo).

Pendant que leurs passagers (celui de la Suburban devant le perron et celui de la Suburban qui arrivait) continuaient à appeler pour qu'on leur dise quoi faire.

Encore une fois, la routine du service qui fait qu'il est inutile de penser du moment que l'on suit un ordre les avait amené jusque là.

Proies innocentes pour les caméras avides comme des obèses de 500 livres lors de l'annonce d'un rabais dans les hamburgers à 3 étages. Ou d'un 2 pour 1. Il y a même un casse-croûte qui offre le dîner gratis à toute personne de 300 livres s'il peut manger un hamberger de 10 livres sans rien laisser tout en étant filmé.

Merveille du progrès.

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9 mai 2012. État 1