HISTOIRES DE FANTÔMES

__________________________________________________________________________________________________

HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

___________________________________________________________________________________________________

27.11.13

446.143.50. NOS PREUX CHEVALIERS ONT TRAVERSÉ LA PREMIÈRE ÉPREUVE. SURVIVRONT-ILS À LA SECONDE ?

Monsieur Adolf Hitler, monsieur Franz Kafka et mademoiselle la secrétaire, traversèrent à tour de rôle le terrible piège.

Les redoutables piques pointées vers le plancher, le toit, leurs pieds les attendaient au fond de la fosse. Patiamment. 

Mademoiselle la secrétaire, la première. Judicieusement poussée dans le dos par la pointe d'une lance bien aiguisée pour lui éviter tout regret et l'empêcher de rebrousser chemin. Les regrets et les repentirs étant parfaitement inutile en ce lieu et dans une telle situation.

Quelques coups bien ajustés - mais délicats - aidèrent sa résolution défaillante.

Le salut était par avant. Rien de bon ne pouvait plus leur arriver en restant davantage plus longtemps dans ce lieu. Il y avait, certes, de bons livres et, en homme de goût, monsieur Hitler et monsieur Kafka, avaient su apprécier tous ces trésors. Mais l'homme sévère qui avait réuni ces livres et cette collection, n'était probablement pas du genre à plaisanter lorsque des étrangers jouissaient de ses biens sans lui demander la permission. Peut-être les occasions où des hommes de talent et des esprits supérieurs comme monsieur Hitler et monsieur Kafka étaient capables de comprendre la valeur de ce qui se trouvait ici, étaient-elles rares. Tant l'espèce humaine commune est décevante. Ce qui aurait donné l'occasion - rare aussi - d'une conversation intéressante entre érudits. C'est ce qui fait la plaie des mariages car rares sont les hommes qui trouvent leurs égales dans leur pénibles épouses. Les couples homosexuels (mâles) offrent ces occasions mais les préjugés du temps les ostraticent, Ce qui fait qu'il ne reste que les femmes - bien peu satisfaisantes - et les rencontre de collègues dans les clubs privés. 

Mais, généralement, on n'y trouvait que des bourgeois, et on finissait rapidement par découvrir que, contrairement à ce qu'affirment les professeurs, l'intelligence sert peu dans la vie. C'est même plutôt une tare, son propre problème qui entraîne malgré lui dans toutes sortes d'impasses. Ce que ne comprennent pas les gens intelligents. Ce que ne comprennent pas non plus les moins doués. Mais la vérité est que comprendre ne sert à rien. Ces derniers savent qu'en étant polis, arrivant à l'heure, en respectant leurs aînés, ils peuvent aller loin. Ou plutôt, sans savoir ni comprendre, sans embarrasser leurs collègues par des remarques et des questions inopportunes, ils obéissent, font ce qu'on attend d'eux, suivent les coutumes et les règlements du bureau et sont bien notés par leurs supérieurs hierarchiques. À commencer par le sous-chef de bureau qui est leur dieu immédiat à qui ils doivent leur avenir.  

Pourtant, malgré le fait qu'il n'y aura à la fin de l'exercice que déception et amertume, les intelligents ne peuvent s'empêcher de poser sans cesse des questions. Pire, ils remettent en question les ordres et les consignes. 

Alors que l'effort, le sens du travail, le fait d'arriver à l'heure, la minutie dans les détails, une bonne mémoire  suffisent pour aller loin et assez haut. Et la politesse envers les supérieurs est indispensable si on veut être bien noté. 

Si on se questionne sans cesse sur le sens de la vie ou le but de tous ces efforts, on n'ira jamais aussi loin. Le sentier sera ardu, difficile, lent, douloureux. 

Et, comme il arrive souvent, des élèves bien moins doués montent en grade avec des augmentations de salaire et des primes pour leur travail bien plus rapidement que les enfants que l'on disait doués et qui n'auront jamais pu utiliser ce don que l'on disait si fameux et qui sont maintenant sous leurs ordres.

Bourgeois petits et grands et fils de famille, dont la fortune familiale a permis de vivre sans s'astreindre à l'effort. 

On en aura pour exemple, le père de monsieur Kafka, il était de ces hommes s'étant fait eux-mêmes à la force du poignet et, parti de rien, étaient arrivés plus ou moins difficilement à quelque chose. On disait généralement qu'ils était arrivés dans la vie. Ils le pensaient eux-mêmes. Et les meilleurs d'entre eux, voulant éviter à leurs fils de traverser les mêmes épreuves qui, certes durcissent le caractère et force la déterninnation - les incitaient à suivre leur exemple. Leur conseillant de choisir les professions libérales et des carrières sûres. Par exemple, le droit. Au lieu de se laisser aller à des plaisirs éphémêres et fugaces comme la littérature. Agent d'assurance était bien aussi. 

Le père de monsieur Hitler qui n'était jamais allé si loin dans la vie, était d'une famille de fonctionnaires. Il savait comme son père et son grand-père que l'administration était une carrière sûre où on a à sa disposition un fauteuil et un bureau chauffé. Un lavabo et des toilettes. Et on pouvait faire sa vie dans un bureau.

Monsieur Kafka, docilement, tant son caractère était aboulique avait suivi les consignes de son père sans les suivre. Il fallait être avocat, il le fut. Une opportunité d'emploi s'offrait dans une entreprise dont il avait acheté des actions. Et. sur les conseils de son père, monsieur Kafka vendit des assurances. Réfléchissait au sujet de la gestion des assurances, des malades et des maladies, des accidents et des accidentés. Notait ses observations dans des dossiers qui seraient ensuite notés par un autre service. Tout ceci était bien injuste comme on voit. Car combien de gens de l'entreprise auraient voulu être à sa place? Faisaient tous leurs efforts pour y parvenir sans que ce soit possible. Alors que lui, sans le vouloir, en faisant le minimum d'effort, en y pensant le moins possible, était arrivé là où il était. Tant son esprit était grand. Qui peut le plus, peut le moins, disait le proverbe. Il ne voulait rien, ne s'appliquait en rien et, malgré cela, avait pu assez. Presque beaucoup. Il en vint même à avoir un espace à bureau pour lui-seul et un assistant et une secrétaire pour noter ses pensées. À condition qu'elles concernent uniquement le domaine des assurances de dommages aux personnes. Même si, comme on vient de le démontrer, il faisait tout cela à contre-coeur. Il aurait gravi les échelons bien plus vite s'il s'était donné la peine de pousser des soupirs enthousiastes. Car pour lui, malheureusement, un domaine aussi nécessaire que la vente et la gestion des assurances était une perte de temps. Pourtant des milliers de gens pourraient aussi bien prétendre le contraire. Et le nombre n'a jamais tort. Rongé qu'il était par le démon littéraire qui est pour certains dévoyés ce qu'est l'onanisme pour certains pervers. 

Le père de monsieur Hitler, aussi ferme dans ses propos que dans ses menaces que l'était le père de monsieur Kafka ne vécu pas assez longtemps pour assister à la ruine de ses efforts. Non seulement, son seul fils (sa fille ne comptait pas) refusait de prendre sa succession - un oncle qui dirigeait le service de son père était pourtant prêt à lui mettre le pied dans l'échelon ou à l'étrier - selon le cas. Et, au départ de son père à la retraite - mot nouveau et invention inouïe inventée par le kaiser - pensez! Une retraite payée jusqu'à la fin de ses jours. Et, il arrivera même que la veuve, sans jamais avoir fait d'effort, pourra à son tour, bénéficier de cette même rente - son fils prendrait son fauteuil. La chance étant avec lui, il avait sans jamais avoir eu à le demander 2 chances de réussir dans la vie: par son oncle qui lui offrait un poste parce qu'il était de la famille. Ou reprendre le poste de son père. 

Il avait refusé cet héritage comme on a vu dans la Bible. On se souviendra des fils jumeaux d’Isaac : Ésaü et Jacob. Ésaü avait faim et se mit à table pour souper. Mais son frère Jacob ne voulut le nourrir que s’il lui cédait son droit d'aînesse, donc son héritage paternel futur. Pour un plat de lentilles, Ésaü fut d'accord. Et se jeta sur le plat de fèves comme la misère sur le pauvre monde. Mais on est ici chez des Juifs, dont on connaît la cupidité. L’un est incapable de ne pas trahir, même son propre frère, afin de le voler et l’autre est tout aussi incapable de retarder la satisfaction immédiate de ses sens et de ses désirs. Le regret de ses actes ne venant que trop tard. Car, ce n’est qu’une fois repu, après avoir mangé ses légumineuses, qu’Ésaü se remit à penser et se rendit compte de ce qu’il venait de faire. Et il résolut de tuer son frère pour se venger. Les lentilles étant assez lente à digérer.

Comme Don Quichotte partit en chasse contre les moulins à vent, monsieur Hitler partit en chasse de la renommée. Tout aussi volage que les ailes de toiles d'un moulin à vent. Car bien peu sont choisi par cette déesse difficile. 

Il avait eu au moins le courage d'affronter ses démons. Pour tout perdre comme tant d'autres étourdis avant lui. 

Tandis que monsieur Kafka, son aîné, composait des poèmes tristes hors des longues heures de bureau à Allgemeinen Unfallversicherungsanstalt für das Königreich Böhmen, compagnie d'assurance pour les accidents des travailleurs du royaume de Bohême. Parfois même, dans les rares périodes creuses de son travail. Entre 2 piles de dossiers. Négligeant les clients qui attendaient leurs primes. Nuisant ainsi à leur santé. Par vanité littéraire. Ce qui était, on le comprendra, illégal, Il utilisait alors la machine à écrire mise à sa disposition contrairement aux directives de cette sévère institution. Quelques-uns de ses écrits parurent dans la revue Hyperion de Munich ou le journal Bohemia, le quotidien allemand de Prague. 

Mais comme monsieur Hitler, ses périodes de léthargie et de désespoir l'empêchait de réaliser ses rêves. Ils auraient dû alors reconnaître le bien fondé des admonestions de leurs pères et devenir des fonctionnaires consciencieux ce qui était plus à leur portée.

À un certain moment, la réalité devrait nous faire prendre conscience de la vanité des rêves de l'adolescence pour enfin entrer de plein pied dans l'âge adulte.

La société a besoin de vous.

Il faudra lui rendre ce qu'elle vous aura donnée. Et y ajouter. 

On se choisit, même si ce n'est pas de gaieté de coeur, une future épouse, une de ces femmes lourdes, épaisses et grasses mais sérieuses et sans imagination qui saura vous aiguiller et vous asticoter sans cesse afin que vous réussissiez votre carrière. Après votre mariage, plus aucune de vos minutes ne sera à vous désormais. Vous ne connaîtrez plus jamais le repos. Sitôt que vous serez revenu au foyer, elle vous attendra avec sa liste de choses à faire ou qui auraient dû être faites. Elle s'inquiétera et insistera pour demander si vous avez  bien travaillé, si votre chef est content de vous .Car son confort et celui des enfants que vous lui aurez donné, dépendra uniquement des revenus que vous amènerez de votre travail de bureau. Et votre indolence la rempliera de terreur. Comme l'ancêtre préhistorique apportant les dépouilles du gibier qu'il avait chassé dans la grotte familiale. Sans une épouse furieuse, obsessive, insatisfaite et ambitieuse combien d'hommes se seraient laissé aller à la paresse. Préférant le confort des spectacles de la ville, des dîners entre ami, au lieu de faire des heures supplémentaires. Se contentant de ce que la vie leur amène. Dans la vie, il n'y a pas que le bonheur.

Mais une sorte de démon les rongeait et les précipiterait bientôt dans l'abîme du désespoir.

Monsieur Kafka ne s'était pas perpétué comme il est recommandé dans la secte Juive. Ce qui était un autre motif d'humeur de son père. Auquel se joignait sa mère qui pleurait doucement en joignant les mains. On la privait de ses petits enfants.

Mais monsieur Kafka ayant trop d'imagination et des sens malades, hyperactifs et surdéveloppés supportait difficilement la présence obsédante des jeunes femmes en âge de se marier. Elle lui donnait mal à la tête. 

Il avait le goût trop délicat.

Il avait bien essayé quelques fois de se fiancer avec les jeunes filles que l'on avait mise à sa disposition depuis son enfance. Car dès ce moment, on avait prévu son avenir. Il fallait absolument qu'il y ait des Juifs, partout, toujours. Ce qui n'est nullement une obligation. Des parents prévenants prévoyaient longtemps d'avance les unions futures et n'allaient pas laisser les caprices enfantins et modernes au sujet de l'amour et toutes ces rêveries nuire à la famille. 

Le mariage est une chose trop sérieuse pour le laisser dépendre de l'amour. Et aux caprices des enfants.

Bref, dès sa naissance - en fait, bien avant sa naissance - on avait prévu son avenir jusqu'à son décès. Sans lui demander son avis. Et, depuis ce temps, depuis son arrivée sur Terre - qu'il trouva fort déplaisante -il avait tout fait pour contrarier les désirs, espoirs, projets, de ses parents. 

Il y eut un temps, où une main vengeresse serait sortie du Ciel nuageux pour le frapper d'un éclair et le réduire en cendre. Comme on en trouve d'innombrables exemples dans la Bible. Ces enfants rétifs, désobéissants, égoïstes et insupportables qui font sans cesse le désespoir de leurs parents sans jamais se repentir malgré toutes les occasions favorables (à chaque fois que leur funeste disposition les a plongé dans le péril - salutaires leçons qui leur est destinée afin de leur donner une nouvelle occasion de se repentir - mais qu'ils ne comprendront jamais) avant de finir en Enfer. 

Tandis que monsieur Hitler, si les femmes ne lui donnaient pas envie de vomir comme monsieur Kafka (son odorat était surdéveloppé), tout à son idée de Destin qui, selon lui, lui réservait de grandes choses et une place unique dans l'Histoire des hommes; il présumait avec raison que son parcours ne serait pas facile et, probablement parsemé d'épreuves destinées à le former - car tel est le destin des grands - et il n'allait certainement pas s'encombrer d'une femme qui tomberait inévitablement enceinte des qu'il la toucherait. Ou peu s'en faut. Et dont il faudrait subvenir à ses besoins quasi illimité. Pour aller loin, il faut marcher léger et seul. 

Et la solitude n'est-elle pas la marque des grands hommes.

Un manuel qu'il avait lu avidement lorsqu'il était enfant expliquait ce genre de choses en donnant des exemples. Et des photos de statues.

Comme pour la plupart des artistes, ses fils étaient ou seraient ses oeuvres. Qu'il n'arrivait même pas à finir. Ou à commencer. Ce qui compliquait encore les choses. Alors, devant ce nouvel échec, sa perpétuelle irrésolution, il se laissait aller à désespérer. Il désespérait un temps pour recommencer à espérer et à entreprendre de nouveau. On comprendra facilement qu'avec des véritables enfants, hurlant et courant partout, salissant tout, qu'il aurait fallu nourrir avec son foie comme le héron ou le pélican de la fable tel des Prométhée ailés. Il aurait été définitivement dans l'incapacité de produire quoique ce soit. (autre que d'autres monstrueux enfants et rejetons divers.) Et il y a la vie conjugale avec ses innombrables périls. Les artistes s'étant mariés ont découvert quel terrible démon était devenue la frêle jeune femme timide. Une épouse munie d'une balayeuse qui tient absolument à faire le ménage quand vous écrivez. Précisément là où vous écrivez. Le Destin, avec l'image d'un essaim de sauterelles bourdonnant ravageant les champs vous vient immédiatement à l'esprit. 

Ce n'est que plus tard, si on consulte les documents historiques, qu'il choisira publiquement une compagne, ayant préféré longtemps avoir pour seule épouse sa nation adorée l'Allemagne (on rappellera qu'il est Autrichien). Et n'ayant donc pas le temps pour une de ces innombrables Allemandes de sexe féminin qui le contemplaient d'un air affamé, sombre, douloureux et adorateur. Comme si elles manquaient subitement d'air. 

Ce n'est que lorsque des rumeurs malveillantes commenceront à courir au sujet de sa vie privée, des perversions secrètes auxquels ils se livreraient et de sa prétendue homosexualité, qu'il se résignera à passer à un autre stade de la vie sociale: la vie de couple. Il refusa ensuite et toujours d'avoir des enfants. Considérant la femme comme une enfant. Un ou une était déjà bien suffisant. En plus, une femme étant déjà bien assez encombrante. 

Mais il ne concédera à se marier que quelques heures avant sa mort. Par suicide. Ce qui rempliera sa femme de joie et de bonheur. Mais comme on dit: ce n'est pas pour le moment. Actuellement, il est autre. Et deviendra encore un autre pour cette autre carrière définitive. Et quelquefois avant aussi. Tant il était grand et varié. Tout ceci étant compliqué, on fera donc semblant de se concentrer sur sa vie actuelle - ignorée de la plupart - en évitant de penser à sa vie future que tous connaissent. 

Pour le moment, leur fuite étant accomplie, au-delà du terrible obstacle qui avait menacé leur vie et leur santé, ils regrettaient déjà cet oasis de culture, cet Éden de la civilisation où ils étaient reclus et où ils s'étaient exclus eux-mêmes par peur des remontrances du propriétaire de ces lieux.

Peut-être n'était-il pas trop tard?

On aurait pu attendre pour lui demander. 

Il n'y aura pas de femme autopsiée à ce moment.

Mais on ne veut pas trop en dire en ce qui concerne le futur.

*

État 1.2 27 nov. 28 déc. 2013