HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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15.11.13

435.132.39. MONSIEUR ADOLF HITLER ET MONSIEUR KAFKA DISCUTENT DE PHILOSOPHIE ET DE MORALE OBJECTIVE

Du point de vue intellectuel. 

Scientifique. 

Sans y inclure de notions étrangères comme la morale, la justice, la sensibilité excessive.

Monsieur Hitler et monsieur Kafka, arrivèrent unanimement à la conclusion que s'il fallait sacrifier quelqu'un pour le bien de tous, il valait mieux que ce soit mademoiselle la secrétaire.

D'abord, c'était une femme. Il y en a tant. La perte de l'une d'entre elle ne se remarquera même pas. Un seul être manque et tout semble plus clair, plus léger. 

Et ce qui s'ajoutait à la nécessité de son élimination était des considérations physiques, matérielles. 

Elle était la plus légère d'entre tous.

Et la plus faible.

Même si elle protestait, même si elle le faisait énergiquement, elle ne pourrait rien contre 2 hommes.

C'était le premier point.

Il serait donc facile de l'attraper - quoique monsieur Kafka en ce qui concernait ses capacités de coursiers - l'asthme - la pneumonie - les bronches -  tout ça! - 

Puis de la pousser dans la fosse.

Il faudrait probablement la bâillonner avant afin que ses cris déchirants ne troublent nos grimpeurs.

Et il faudrait sans doute lui attacher les mains pour éviter qu'elle ne s'agrippe désespérément aux alpinistes qui l'escaladeraient.

Il faudrait ici un dessin pour mieux représenter la chose.

Une fois tombée volontairement ou non - ici, le sacrifice personnel serait vivement apprécié ce qui soulagerait les honnêtes gens de porter le fardeau du remord - les rouleaux engouffreraient son premier pied - idéalement, il faudrait que ce soit fait avec une certaine lenteur pour permettre à la suite des opération suivantes de se dérouler efficacement. 

Quelqu'un se laisserait ensuite glisser sur la parois inclinée de la fosse. Juste au-dessus de sa tête. Cette tête lui servirait de base pour la suite. Il se ferait ensuite basculer de façon à tomber sur la parois d'en face, tout aussi inclinée. 

Suivrait le second. 

Qui se laisserait lui-aussi glisser sur la parois. 

Ses pieds se poseraient sur la tête ou le corps de mademoiselle la secrétaire ou tout autre partie du corps disponible à ce moment.

Idéalement, à ce moment, la machinerie se serait bloquée. Le dispositif ne fonctionnant pas aussi bien que prévu. C'était déjà arrivé une fois, pourquoi pas 2 ?

À ce moment, tout effort pour sauver mademoiselle la secrétaire serait inutile puisqu'une grande partie de son corps serait déjà engouffré entre les monstrueuses roues - ce qui aurait provoqué le blocage - si tout se passe bien.

Probablement qu'à ce moment, elle hurlerait de douleur.

Que cette vision serait insoutenable pour nos 2 héros qui, ne l'oublions pas, sont des poètes.

Il faudrait probablement l'achever. 

Ce ne sont pas les armes tranchantes qui manqueraient ici.

La question se pose: pourquoi ne pas la tuer avant ? Ce qui la priverait de douleurs parfaitement inutile ?

Sans doute.

Mais l'assassiner de sang froid n'est pas à la portée de tout le monde. Il faut une dureté de coeur qui n'est pas à la portée de tout le monde. On met des semaines à entraîner des paysans à être des soldats, à défiler en rang, puis à tuer pour la patrie. Ce n'est pas en quelques minutes qu'on change un citoyen honnête en assassins.

Quoique.

Monsieur Hitler qui avait tué par 2 fois auraient des justifications probablement satisfaisantes.

D'abord, c'était un enfant, lorsqu'il était lui-même un enfant. Et son ennemi était un petit monstre qui faisait la consternation et le désespoir de ses parents. 

Quant à lui, ses parents dont le rôle était de protéger leur enfant quand il était petit et de lui apprendre à se protéger lui-même lorsqu'il serait plus grand. Et de le prévenir de la dureté de ce monde et de la duplicité des adultes. Un certain nombre de professeurs en plus d'être sadiques et de profiter de tout prétexte pour corriger physiquement les petits, avec différents accessoires nécessaires pour augmenter à la fois la douleur et la satisfaction du devoir accompli - se laissaient aller à des penchants coupables. Déculotter un enfant et le fesser à pleine main sur ses petites fesses rondes procuraient à certain un bien être élégiaque. Ou ils faisaient asseoir sur leurs genoux un petit garçon pour lui apprendre la bonté de Jésus ce qui lui amenait à lui tapoter la joue ou les cuisses - comme voilà de olies cuisses - et une chose menant à une autre. Bien sûr, il est compréhensible qu'un milieu réunissant des enfants ignorants attirent un certain nombre d'adultes ayant la passion de l'enfance. 

Et pour ne rien dire des petits monstres engendrés par les grands monstres des environs. Voyous, criminels, bureaucrates,  patrons d'entreprise se reproduisant.

Bref, ses parents l'avaient envoyé dans la fosse au lion sans le moindre avertissement. Et il avait du comprendre le fonctionnement de ce monde virtuellement sans aide ni soutien. 

Quand il revenait en larmes, son père, s'il était là, disait avec des airs de Moïse tenant les tables de la loi, que cela forgerait son caractère.

Quand ses vêtements étaient brisés ou décousus, il le battait à son tour, pour lui apprendre le coût des choses. Car il lui aura fallu payer ces vêtements. Sa femme en étant bien incapable. Elle ne pouvait qu'avoir le coeur déchiré devant la cruauté de la vie. Priant le Ciel miséricordieux et monsieur son époux d'abréger ses souffrances.

Il avait du éliminer une des petites vermines qui le terrorisait à la plus grande joie des autres enfants qui étaient également les victimes de cet hyperactif de la bêtise.

Ensuite, lorsqu'une série de malheur l'accabla comme si le Ciel voulait l'éprouver à la façon de Job (consulter la Bible), il fut aux prises  avec un propriétaire de taudis avaricieux qui tenait la maison de chambres où il avait droit contre un loyer exorbitant payé chaque jour à un cubicule appelé chambre renfermant un petit lit et quelques murs. Celui-ci le menaçait. L'accusait de ne pas avoir payé sa nuit. Il aimait ce petit jeu cruel qui lui permettait d'évincer des miséreux. Bien sûr, on n'a pas à discuter ici des plaisirs de chacun. 

Le gros homme était ivre comme d'habitude et il n'avait peur de rien lorsqu'il était saoul. Et n'entendait aucun raisonnement. On l'avait vu estropier ses clients. Les jeter démantibulé à la rue. Mais un locataire chambreur éjecté, en voilà un autre. Également prêt à tout subir.

Parfois, le malheur use. On se fatigue de tout subir. Il faut une capacité féminine de résignation pour endurer sans cesse une situation qui semble ne jamais vouloir changer. Ainsi, pour beaucoup de femmes, est le mariage.

C'était arrivé au moment où le concierge/propriétaire du taudis/furieux était dans une des ses crises. C'était un homme puissant qui ne connaissait pas sa force décuplée par sa frustration - qui veut vraiment passer sa vie à louer des chambres à des pauvres et devoir subir leur plainte incessante contre la société, la vie, Dieu ? - tel était son état - il lui fallait donc se venger parfois.

Il le faisait généralement sur des prostituées. Qu'il refusait de payer selon le prétexte qu'elle l'avait laissé insatisfait. On avait trouvé un certain nombre de ces femmes toutes cassées ici et là. Et la police qui servait plutôt à protéger les riches et quand elle s'intéressait aux pauvres c'était parce qu'ils menaçaient les riches, ne s'intéressait pas aux pauvres hors de ces situations que l'on jugera déplaisante. Donc la police ne faisait rien. Ces femmes avaient été la cause évidente de leur fin. Cette fin avait été certes plus déplaisante que la fin de beaucoup d'autres mais c'était la vie. Ou la mort. Ou quelque chose comme ça.

La réputation du concierge était connue. Sans doute n'avait-il pas fait autant de choses répréhensibles qu'on lui attribuait. Mais cela ne prenait pas de temps à tout nouveau chambreur de découvrir comment il traitait les mauvais payeurs ou toute autre personne assez petite ou faible pour justifier son courroux.

Donc, on le jugeait capable de tout.

De toute façon, le quartier entier était un repaire de criminels. Chacun ayant sa spécialité. La bonté y étant donc fort rare et distribuée avec parcimonie.

Arrivé fort tard à son logement, monsieur Hitler avait appris par un autre chambreur de son étage que le concierge le cherchait pour lui briser les os. Il avait sans doute ses motifs que l'on ne discutera pas ici.

Selon le dicton qu'il faut combattre le feu par le feu - diction qui n'est pas tout à fait exact compte tenu des circonstances comme on le jugera bientôt - monsieur Hitler, se cherchant une arme, n'en trouvant pas, découvrir dans la cave une hache. 

Et le concierge eut un accident. Comme il en arrive souvent. Un de ces accidents stupides qui vous font douter, parfois, de la bonté de la vie.

Il avait déboulé un escalier menant au sous-sol et s'était lui-même fendu le crâne avec une hache qui n'aurait pas dû être là. 

La police qui ne venait pas souvent officier dans ces lieux comme on a dit fut alerter par un délateur, un de ces espions qu'elle paie pour la tenir au courant de tout ce qui se passe dans les bas quartiers. En vue de cette révolte des masses populaires si souvent prophétisées par des agitateurs gauchistes. Cette fois, il n'y avait ni rébellion, ni révolte ni révolution, un simple assassinat d'un prêteur usuraire - monsieur le concierge ayant divers râteliers et mangeoires pour brouter - et il était aussi un travailleur d'élection enthousiaste. Forçant les uns à voter pour le candidat adéquat. Forçant un candidat visiblement trop idéaliste à se désister. Mettant le feu au local d'un parti dont la présence ne servait qu'à mettre le trouble dans une société si bien ordonnée.

Le brave homme avait donc bien des ennemis.

Et on trouva dans la cave de son immeuble pourris un certain nombre de biens composant le butin de vols commis dans les résidences confortables de gens respectables de la société. Résidences construites plus loin et ailleurs mais suffisamment proches pour qu'on puisse y aller et en revenir en calèche ou automobile. Partant à vide et revenant suffisamment chargé pour faire crier les essieux.

Monsieur Hitler n'avait rien à se reprocher car ces personnes méritaient visiblement leur sort. On dira qu'elles ont couru après. 

Tandis que monsieur Kafka n'avait tué que 3 personnes. 

Comme il arrive souvent pour les malchanceux chroniques qu'on dirait mis au monde uniquement pour que le Destin féroce s'acharne sur eux. Si ce n'est le Destin, la malchance ou une maladie (qui chez  tout autre forgera le caractère mais aura plutôt, dans leur cas, pour conséquence de les plonger dans des abîmes de perplexité concernant la signification de ce monde - ce qui peut amener certains à la religion, à la philosophie ou au nihilisme (ce qui est mal). 

Un certain nombre de jeunes gens vigoureux s'étaient donné pour mission de débarrasser leur quartier des Juifs. Ils brisaient les vitrines, mettaient le feu aux commerces, battaient les vieillards. Ce qui était fort déplaisant, on le comprend. 

Comme il n'y avait personne qui n'avait l'air plus Juif que lui, on s'en était évidamment pris à lui à la première occasion disponible. Le fait qu'on ne l'ait pas fait avant était uniquement du à une rechute de sa pleurésie qui l'avait tenu au lit 1 bon mois. 

Revenu à lui. Et, à peu près en bonne santé - le grand air te fera du bien avait dit son père qui ne n'y connaissait visiblement rien. Quand on ne peut pas respirer, le grand air est tout à fait néfaste. Puisqu'on ne peut pas respirer.

Un camion rempli de ces gens vigoureux et au cerveau épais l'aperçut et courut après son vélo pour l'écraser - comme si le camion était un gros être mauvais, mécanique et presque vivant, fait de toute la folie et la rage réunies de ces braves gens. Ils avaient aussi des bâtons, des gourdins, des matraques, des objets de bois plantés de clous et de vis. Version moderne des masses et des marteaux d'armes antiques. 

Il conduisait à ce moment une bicyclette - ayant pris un virage abrupt dans une de ces vieilles rues toutes en briques et en pierres usées par des kilomètres de sabots, il faillit entrer en collision avec la porte de fer forgé joliment ouvragé d'un cimetière Juif. Le camion surchargé tenta lui aussi ce virage sportif et le rata. Il culbuta sur le côté car son centre de gravité était trop haut, le rendant vulnérable aux vents latéraux et aux murs de pierres antiques. Tout le chargement de dégénérés culbuta avec lui. Un certain nombre furent écrasé par le véhicule qui roula sur lui-même et se déposa mollement sur leurs os.

L'essence se répandit.

Monsieur Kafka qui commençait à être pessimiste au sujet de la nature  humaine pour on ne sait quelle raison, revint voir le spectacle. 

Étrangement, les gens qui, il y a un moment, aurait eu le plus grand plaisir de le réduire en bouillie, une fois eux-même dans le plus grand péril - blessés, écrasés plus ou moins, certains avec de multiples fractures - appelaient à l'aide. Et le voyant venir vers eux, oubliant qu'il y a un instant, ils le pourchassaient, se mirent à le supplier de les tirer de ce mauvais pas. De les sortir de sous le camion. D'aller à la police. Ce qui était un bien étrange retournement de situation qui aurait rendu bien perplexe toute personne portée à la théologie ou à la psychologie clinique. 

Poussé par un démon quelconque, monsieur Kafka, prit une des cigarettes allumées qui étaient tombées il y a un instant et la jeta dans le feu. Il attendit que quelque chose se passe et il ne se passa rien. Il semblait qu'il ne soit pas si simple d'allumer de l'essence avec une cigarette.

Voyant ce qu'il faisait, comprenant fort bien ce qu'il tentait de faire, les crétins aux os brisés dans ce qui restait du camion et hors du camion se mirent à se lamenter, à supplier davantage et certains même à l'insulter.

Ce ne fut qu'avec des allumettes provenant d'une boite d'allumettes tombées elles-aussi - il était asthmatique et il lui était défendu de fumer, il n'avait donc nullement besoin de traîner des allumettes de sécurité avec lui - 

Il y eut un grand wwwoooooffff !

Quand le vent du feu s'engouffra dans la rue.

Combien d'hommes moururent à ce moment là ou plus tard ? Certains journaux qui se perdaient en conjoncture avançaient le chiffre de 3. D'autres allant jusqu'à 10 ? Comment savoir. 

Tout ceci s'était passé depuis un bon moment. 

Depuis, n'ayant pas eu d'occasion de tuer de nouveau, ils ne tuèrent plus. Ce qui est bien, on en conviendra.

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État 1. 15 nov. 2013