HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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12.11.13

431.128.35. TOUT ALLAIT TROP BIEN, IL FALLAIT NÉCESSAIREMENT QU'IL Y AIT UNE ÉPREUVE À SURMONTER ET UN DANGER AUQUEL IL FAUDRAIT FAIRE FACE.

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*

_ Vous n'avez pas honte

Dit monsieur Kafka à monsieur Hitler qui venait d'échapper un de ses petits papiers. Un autre plan de chasse au trésor sur l'île de la Beauté.

_ Il y a plus de travail que je n'ai de temps pour le faire. Et c'est mieux payé que les dessins de camisole de force ou de corset du catalogue du grand magasin pour lequel je travaille. Peut-être qu'un jour notre projet de héros justicier verra le jour mais en attendant, c'est nous qui le subventionnons comme tous les artistes font pour leurs oeuvres. Les musées, un jour, si  tout va pour le mieux, auront beau jeu de présenter ce qu'ils appelleront des chefs-d'oeuvres et d'imprimer de belles pensées sur des affiches et des dépliants au sujet du grand artiste incompris qui après une vie de bohème est mort faim afin de donner son oeuvre à la postérité. Postérité composée de bourgeois qui s'attrouperont autour de son exposition posthume en buvant du champagne et mangeant des petits fours au foi gras et caviar Beluga. C'est Tchécoslovaque ?

_ Non, Russe. 

_ Vous savez que vous troublez ces pauvres femmes. Elles vous croient. Vous devriez faire attention à ce que vous faites à leurs cerveaux. Elles sont bien assez dérangée comme ça. Il y en a qui dépenseront leur salaire de la semaine ou du mois pour des chaussures car elles sont persuadées que c'est la manière la plus sûre et la plus honnête de se trouver un mari. Comme le Bernard l'Hermite, elles sont à la recherche d'une coquille à leur taille avant de trop enfler.

Et, en ce qui concerne les cils, j'ai malheureusement 3 soeurs et, quand elles me battaient - de vraies furies - j'ai eut tout le temps d'examiner leurs cils. Puisque c'est le sujet du moment. Elles ont les mêmes cils que les garçons. Quoique leurs sourcils soient plus mince sauf pour les  types Juifs ou Arabes ou Romanichels qui les ont très fournis à la garçon de ferme. Et si je lis votre ignoble prospectus, j'imagine qu'il leur faudra des prothèses ou des extensions de cils en fils de couture pour les embellir à ce point. Et ce noir pur ? N'y a t-il pas danger pour les yeux ?

Vous avez entendu parler de l'émaillage du visage ?

_ Je n'ai pas encore fait de publicité pour ça mais il y a des rumeurs qui courent dans les agences...

_ Rumeurs bien en deça de la vérité et de la réalité. Encore une fois, il s'agit de lutter contre les outrages du temps. Conserver pour toujours l'apparence de la jeunesse. La peau douce, lisse et fine ... mais malgré tout ceci comme les femmes sont cruelles.

_ Arrêtez de penser à vos soeurs. J'en ai une, je sais de quoi vous parler. Dieu nous a éprouvé et il y a de quoi le maudire ou y voir un signe qu'il faut abandonner le monde. On aura trouvé la vocation, ressenti l'appel. Il ne restera plus qu'à entrer dans un monastère. 

_ Au cas où vous auriez à faire une de vos publicité maudites sur l'émaillage du visage, je vais vous le décrire, car mon père qui dirige un bureau d'assureur où je travaille m'en a parlé. Il y a eu des réclamation. La douleur est terrible. Il y a eu quelques mortes. Des suicides.

On étend une poudre sur le visage de la femme. Du front au menton. Après séchage, on en étend une autre couche. Et on lisse le tout. Ceci ressemble alors à du verre. Du marbre poli. Un bijou précieux. Du nacre. Difficile à décrire. Il faut le voir pour le croire. Ou une boule d'arbre de Noël. Un visage de poupée de céramique. Après, il faut appliquer une forte chaleur. Une flamme. En évitant de brûler les yeux et de détruire les poumons. La poudre fond et se mêle définitivement aux pores de la peau. Collée à jamais. Elle devient une seconde peau ou la première car l'autre, sous la surface vitrifiée est brûlée et cuite à jamais. La douleur est atroce. Mais le visage sera à jamais parfait. On dirait celui d'une enfant. D'une poupée de porcelaine. Le front à jamais lisse et uni. On s'y refléterait. Les joues vermeilles. Le menton rond et petit. Le cou d'une telle perfection. Mais comme rien n'est parfait, la surface est mince et fragile. Le moindre choc ou le froid ou la chaleur peut la faire craquer. Et il arrive que le jet de flamme lors de l'opération ultime embrase les cheveux et empêche toute repousse. Il y aura alors la perruque. Le visage est figé et ne montrera plus aucune émotion mais gare si vous en éprouvez, s'il vous faut mouvoir vos sourcils. Plissez les joues ou la bouche. Et vous ne pourrez plus être touchée. Ni toucher. Ni embrasser ni être embrassée. Intouchable. Parfaite. Angélique. C'est aussi beau et parfait que le verre de Murano à Venise mais aussi fragile. Et c'est irréparable. On voit alors les craquelures monstrueuses et la peau noircies. Il s'y met de la pourriture et des infections. C'est le prix à payer pour être belle, dit-on ! Une sorte de pacte avec Satan. J'entend encore les hurlements horribles des patientes soumises à un tel traitement lorsque je suis allé visiter une de ces cliniques du Diable. Des sons déchirants. Des femmes soumises à la torture. Les femmes sont capables de faire de telles choses pour imiter la perfection. Elles sont si désespérées. Elles ont tant besoin d'attention. Toute leur vie, elles demeurent des enfants. Et avec vos annonces, même si le prix en sera moins élevé, il n'est que financier - sans compter le ridicule d'un tel excès - vous leur faites croire qu'une telle chose soit possible. Avant qu'elle mûrisse et se résigne. 

_ Bon. Bon. J'y penserai. À toutes les fois que je trouverai une source de bénéfice, je penserai à vous et je verrai votre fantôme me donner de bons conseils.

_ Fantôme. Comme vous y allez. Aucun de nous n'est mort

_ Jusqu'à présent. Il se peut que la vie future imite cette vie. c'est ce que pensaient les Égyptiens anciens. Ils mettaient dans le tombeau les ustensiles, les serviteurs et les femmes du défunt afin qu'il ne soit pas dépaysé dans l'autre monde. Et, là-bas, en haut ou en bas, il allait continuer éternellement cette vie toute semblable à la sienne, avec ses proches, ses femmes, éternellement esclaves. C'était pour eux leur image du Paradis. Cette vie. En mieux. Parfaite. 

On reprendra cette discussion plus tard. Pour le moment, il faut voir ce que fait mademoiselle la secrétaire. Elle est figée devant ce mur depuis trop longtemps. 

Pendant qu'ils se dirigeaient vers elle, monsieur Kafka continuait la conversation sans se demander si monsieur Hitler écoutait bien.

_ J'ai eu un oncle à qui ce genre de chose est arrivé. Il parlait à ses frères puis sans transition, ce fut le silence. Pour lui éternel. Quelque chose s'était brisé dans son cerveau. Le médecin légiste qui a fait l'autopsie a conclu à un épanchement de sang. Une veine s'était brisé dans son crâne et l'afflux de sang avait détruit le cerveau. Ceci en 1 seconde. Il vous parlait. Il était là. Puis son pantalon est mouillé. Il y a de l'urine qui coule sur ses jambes. Il commence déjà à puer. On éloigne les enfants. Il était ambitieux. Avait des projets d'avenir. Dirigeait son petit monde. Demain, il nous parlait sans cesse de demain, demain, il avait d'autres projets. Le monde, on dirait en l'écoutant ne pouvait vivre ou tourner sans lui. Aujourd'hui et demain. Mais le lendemain. Mais le monde comme un globe terrestre sur son socle a continué à pivoter et tourner comme si rien ne s'était passé. Aussi je ne fais plus jamais de projet. La vie est si absurde, si ridicule. 


Ils arrivèrent enfin à l'endroit où était postée mademoiselle la secrétaire comme une cariatide sur son socle. 

Ils eurent la même surprises qu'elle mais plus tard.

Il y avait mademoiselle la secrétaire devant un mur. Ou ce qui avait été un mur. Et qui était désormais un espace vide et sombre. C'aurait pu être une armoire. Une cachette. Une grotte tant il y faisait sombre.

_ Bravo ! Mademoiselle. Belle découverte.

_ Et où cela nous mène-t-il demanda monsieur Hitler toujours pratique. Ou, du moins, de temps en temps.

_ C'est là ce qu'on appelle un passage secret 

Dit monsieur Kafka qui décrivait l'évidence.

_ C'est évident que c'est un passage secret

Dit monsieur Hitler car comment contredire l'évidence qui parlait par elle-même. C'était un passage secret. Une section du mur avait basculé révélant un autre espace que les gens ordinaires ne devaient pas voir. De la même façon qu'il y a quelques heures, ils mijotaient devant un mur opaque se demandant si leur course épuisante n'avait mené à rien. Ils avaient essayé diverses manipulations sans grand espoir - de toute façon, ils étaient entre eux et la peur du ridicule ou la honte n'étaient plus de mise - et le mur s'était entrouvert. Et, cette fois, mademoiselle la secrétaire avait fait ceci ou cela - ils virent le chiffon pris dans les griffes d'une feuille de métal - et actionné un mécanisme confidentiel. Libérant un passage qui ne devait servir qu'à la fuite du personnage important qui avait été ici. Ou c'était aussi une ouverture menant à une série de couloirs permettant d'aller et venir où que ce soit dans cette demeure sans être vu. Afin de pouvoir tout voir. Observer. Noter. Quoi d'autre encore?

Mademoiselle la secrétaire encore tout à sa surprise - son esprit tout ce qu'il y a de féminin et de matérialistement terrestre se refusait au mystérieux et au surprenant ou à l'inattendu. Sans l'arrivée opportune de nos 2 héros, elle en serait encore à regarder, sidérée, ce mystère technologique. Mystère non divin mais scientifique. Une série de mécanisme, de rouages, de leviers, déplaçaient une cloison rigide et lourde comme si c'était du papier. 

_ Qu'est-ce qu'on fait ?

Demanda monsieur Kafka qui, comme la secrétaire qui avait pour excuse d'être femme donc un peu enfant, d'avoir peur du noir. Et de ce qui se cache dans le noir.

_ Nous avançons et vous pourrez chanter dans le noir pour vous donner du courage !

_ Voilà bien un de ces Allemands primitifs qui se lancent à l'aventure sans mesurer le danger

Dit monsieur Kafka sans expliquer l'objet de ses craintes

_ Je ne suis pas Allemand ! Ce sont des gens frustres et primitifs. 

Dit monsieur Hitler qui avait l'épiderme sensible

_ Mais très organisés, il faut le reconnaître. 

Répondit monsieur Kakfa

_ Je suis Autrichien. Autrement subtils. 

_ Si vous le voulez !

_ Mais j'aurais pu êtres Prussien. 

_ Ce qui est pire que tout. 

_ Et qu'en pense un Russe ? Vous êtes Tchécoslovaque, donc plus ou moins Russe ?


_ Certains appellent mon pays la Tchécoslovaquie mais il s’agit de la République Tchèque ou Bohème, Bohème-Moravie qui, avec Tchéquie, Slovaquie, Ruthénie Subcarpatique, font partis de l’Empire Austro-Hongrois. 

_ Une éternelle zone d'invasion

_ On préfère appeler ce phénomène le grand déplacement des nations. Quant à moi, j’habite physiquement Prague, la capitale du Royaume de Bohême, du Saint-Empire romain germanique et de ce que certains séparatistes appellent déjà la Tchécoslovaquie. Mais d’autres séparatistes encore plus radicaux parlent d’une République tchèque indépendante de la Slovaquie. 

_ Bien joli. Toujours dirigé par des Hongrois, des Russes, des Autrichiens et des Allemands. 

_ De la politique. On surnomme ma ville dans les dépliants touristiques : La ville aux mille tours et mille clochers. J'aimerais conter des histoires se passant dans ces décors. Pour moi, la politique...

_ Même chose pour moi. J'évite la politique. Il n'y a que l'art. 


_ Pour le moment, il faut être plus terre à terre. 

_ Il nous faut de la lumière

Dit mademoiselle la secrétaire qui ne perdait pas son esprit pratique. Il n'y avait sur Terre rien de plus terre à terre qu'elle.

C'était si tentant. Leur libération était devant eux. Il ne restait plus qu'à avancer une fois qu'on aurait trouvé de quoi éclairer. Monsieur Kafka arriva avec une lampe à l'huile et des allumettes. 

Cette salle avait été leur île. Certes, dangereuses ou, du moins, remplie de dangers secrets. Ils y avaient été heureux. Tant à lire. Ils la quitteraient avec regret. Car il leur serait désormais interdit d'y revenir. Ils iraient droit devant eux où leur Destin les mènerait. Et une fois qu'on découvrirait leur passage dans ces salles, l'alerte serait donnée. Et leur vie ne vaudrait pas plus cher que ces masques accrochés sur le mur. Ce qu'ils avaient d'abord pris pour des masques mais qui était en réalité des visages ou des peaux humaines de visages tannés et fixés qu'un chasseur de nègres avait pris en trophée. On le voyait en photo posant fièrement devant sa collection. Le collectionneur en chef de ce domaine, peut-être collectionneur de collection, les lui avait acheté. Ou il s'agissait de lui, du même homme, qui dirigeait ce domaine.

Monsieur Kafka hésitait encore

_ Vous allez nous attirer le malheur avec votre air de Juif effrayé. Secouez-vous les puces !

Devant le danger, monsieur Hitler, cessait de penser et fonçait droit devant lui. De cette façon, il n'avait pas à soupeser éternellement les risques et les avantages comme le faisait sans cesse monsieur Kafka avant de prendre une décision pour finir par décider finalement de ne rien décider. On ne connaît vraiment les bons et mauvais côté d'une aventure qu'une fois qu'elle est terminée. Et, peut-être, seulement à la fin de ses jours, lorsqu'on fait le décompte de ses regrets. Information qui ne servira à rien.

_ Vous pensez qu'il s'agit peut-être d'un piège

_ Peut-être ?

_ Vous n'avancerez pas ? 

_ Je ne peux pas.

_ Nous ne pouvons nous séparer. Nous ne pouvons vous laisser ici. Ils ont peut-être les moyens de délier les langues. J'ai lu bien des ouvrages sur la torture, ceux qu'on appelle humain sont des monstres. 

Pour monsieur Kafka, c'était trop beau pour être vrai. Et les Juifs sont naturellement méfiant envers ce qui est trop beau et qui semble si vrai. Tempérament sceptique, germe de dissolution des sociétés et des cultures. 

Pendant ce temps, mademoiselle la secrétaire restait figée, inerte, impavide. Bovine.

_ Si je vous démontre que vous ne risquez rien.

_ Je vais démontrer avec vous.

Monsieur Kafka alla prendre le gros fauteuil ministre tout en cuir clouté de bronze sur roulettes et d'un coup de pied vigoureux le poussa dans l'ouverture ouverte.

Le fauteuil roula, roula.

Le fauteuil roula et alla frapper le mur du fond du petit local. Au fond il y avait ce mur et à droite et à gauche, si on éclairait avec la lampe à l'huile, il y avait de corridors longs et droits.

Il ne se passa rien.

_ Vous voyez, il ne se passe rien !


Avec le pommeau d'une canne, ils attrapèrent un des bras de bois du fauteuil et le ramenèrent vers l'entrée.

_ Ceci ne prouve rien.

_ Et que faudrait-il faire pour prouver quelque chose à votre satisfaction ?

_ Monsieur Kafka avec la secrétaire qui était enfin revenue à elle - tout ce mouvement l'avait ramené de sa torpeur - allèrent jusqu'aux murs remplis de statues. La plupart était trop lourdes. Même pour être déplacé. Et pour cela, il aurait fallu commencer par les soulever.

Monsieur Kafka et mademoiselle la secrétaire prirent un buste de Néron et l'installèrent sur le fauteuil mobile.

C'est alors qu'intervint monsieur Hitler.

_ Vous n'allez pas sacrifier une sculpture qui a survécu plus de 1000 ans pour être détruire aujourd'hui.

_ Ah! Vous commencez à penser qu'il pourrait lui arriver malheur. Donc à nous aussi.

Monsieur Hitler retira soigneusement Néron du coussin du fauteuil.

_ Si on sacrifie quelque chose que ce soit Néron. 

_ C'est vrai qu'il n'a pas bonne réputation. Mais il aimait trop sa ville. Il la voulait parfaite. Toute en marbre. Et il voulait un palais grandiose tout en or et en marbre dans cette ville. Une ville dans la ville pour lui tout seul. N'était-il pas empereur ? Mais tous les taudis faisaient barrage à ses grands desseins. Rome était vieille, toute en bois, décrépite. SAle. Il manquait de fontaines. De théâtres. D'espace publics. Tout était tordu et étroit, construit sans liens ni permis au cours des siècles. Comme une branches trop sèche qui n'attendait qu'un incendie. Et l'incendie providentiel vint.

_ Aussi il a mis le feu ou fait mettre le feu à Rome. 

_ C'est ce que depuis 1000 ans, on dit. 

_ Il ne pouvait faire une telle chose seule. 

_ Ni attendre que la Nature le fasse pour lui. Elle l'aurait peut-être fait mais quand ? 

_ Et, jusqu'à présent, 2000 ans plus tard, le secret est encore gardé.

_ Il pouvait enfin avoir la Rome de ses rêves et commencer ses grands travaux. 

_ Mais le peuple survivant murmurait. Il y avait eu beaucoup de victimes. Et énormément de gens avaient tout perdu. Y compris leur logement. Et eux étaient vivants.

_ Et ils murmuraient. Posaient des questions. La plupart des gens, devant un coup du sort, sont résignés. Mais pas tous. Et si on les laisse faire, ils seront comme un second incendie dans du foin sec. 

_ Comme le fait tout politicien pour détourner la colère populaire, on lui donne un os à ronger.

_ En Russie, c'est un Juif. Dès qu'il y a épidémie et mauvaise récolte, sécheresse ou inondation, la police secrète du Tsar organise un pogrom. 

_ Hop ! Un tas de Juifs en Enfer.

_ Ce n'est pas drôle.

_ Excusez-moi.

Monsieur Adolf Hitler s'excusa auprès de monsieur Franz Kafka d'avoir été un peu léger. 

_ On brûle les sorciers, les sorcières, les étrangers, les païens, les hérétiques, les protestants, les catholiques, les Albigeois. La Saint-Barthélémy soulage tant de choses. Les peuples se sentent plus léger après un massacre. Comme une purgation ou une saignée. 

_ La victime change au cours des époques. Mais le système demeure inchangé tant il a démontré son efficacité.

_ Il faut un coupable. Quelqu'un de différent. Un étranger qui n'est pas comme nous. Mieux, un ennemi intérieur. Camouflé. Secret. Qui complote. Empoisonne les puits. Jette un mauvais regard qui est un mauvais sort à votre poule, votre vache, votre femme. Un ennemi intérieur qui est un espion à la solde des puissances ennemies extérieures. 

_ Néron fit la chasse aux disciples de Jésus, les Chrétiens qui purent mourir martyrs. Beaucoup ne demandant rien d'autres. Plus tard, les catholiques brûlèrent tant d'impies. Il y eut de beaux spectacles au Cirque. Des tortures exquises. Des exécutions dramatiques, spectaculaires. Mourir ne suffisait pas. Il fallait que meure beaucoup de gens ce qui démontrait l'importance du danger que l'on avait évité et le nombre de complices et de coupables qui avaient fomenté un tel cataclysme. Il fallait la quantité, l'exemplarité, la cruauté afin de saisir l'imagination. L'empereur savait protéger son peuple. La crainte et la terreur saisirait ses ennemis. On ne hurlerait jamais assez ni jamais suffisamment longtemps.

_ Il n'y a pas de quoi être fier.

_ Un homme politique se doit d'être efficace. La morale, il la laisse aux spécialistes de la morale qui n'ont pas à guider des peuples. 

_ Rome fut rénovée, plus belle que jamais. Et on parle encore de sa Maison Dorée, son gigantesque palais.

_ Dont il ne reste rien.

Quoi dire de plus ? 

On empila donc des bustes romains, César, Caligula, Tibère, Néron, Napoléon, et on dirigea le fauteuil rempli de ces augustes personnages vers l'antre du Diable.



_ A_ Alea jacta est !

Et le grand fauteuil avec tous ces anciens maîtres du monde roula et roula, dépassa le seuil,
entra dans la cachette secrète. Le sol s'ouvrit. Comme s'il y avait une trappe. 

En effet, il y avait une trappe, soigneusement conçue pour ne s'ouvrir que sous le poids d 'un
homme. Non sur le poids d'un fauteuil de qualité mais vide.

Il y eut un grand bruit. 

Puis plus rien.

Avec la lampe à l'huile tenue par son anneau de fer, on éclaira le vide.
Qui n'était pas vraiment profond. Mais suffisamment creux.


Tout le long du tube de pierre, il y avait de longues lames acérées destinées
à mettre en pièce tout corps tombant en chute libre.


Et, tout au bas, un réseau de pointe et de tiges de fer verticales empaleraient irrémédiablement le pauvre être ou ce qui en resterait après la boucherie des lames.

Boum !

La chaise à roulettes ou le fauteuil si confortable fut mis en morceaux. Déchirées. Éventrées. Et les bustes anciens furent pulvérisés.

Le plancher sur lequel ils auraient pu marcher il y a un instant, se referma doucement.

Sans bruit.

Mademoiselle la secrétaire eut un vertige et monsieur Hitler la retint avant
qu'elle ne tombe par en avant dans le sinistre puits.

Monsieur Kafka perdit conscience.

*

État 1. 12 nov. 2013