HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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20.10.12

297. LA PETITE BLONDE EST-ELLE MORTE OU NON ET SI ELLE EST VIVANTE OU MORTE OÙ EST-ELLE ?

Henry Dickson avait dépassé l'allée menant ou sortant de sa maison. Le taxi venait de prendre la route secondaire asphaltée du rang menant à la route plus large et plus droite.

Plus loin, il vit une camionnette immobilisée le long de la route.

Brûlée.

Arrivé à son côté, il fit arrêter le taxi qui lui dit que le compteur tournait quand même. Le total était une moyenne du kilométrage parcouru et du temps nécessaire. Ce n'est pas lui qui payait. Et il n'avait pas de client qui l'attendait.

La camionnette était brûlée du toit aux pneus. En fait, de pneus il n'y en avait plus. Rien que les roues de fer et les câbles et fils croisés incrustées dans le caoutchouc maintenant fondu. Coulée sur l'asphalte noircie. Difficile de reconnaître la marque du véhicule. Plus de peinture, rien que de la tôle noire. Les vitres avaient aussi fondues.

Le capot du moteur avait gonflé comme s'il était enceinte. De même que le toit. Signe d'une explosion intérieure. La carrosserie était tordue.

Et au volant du chariot du Diable, il y avait même un chauffeur. Cuit. Réduit à l'état de squelette hurleur car privé de muscles et de tendons sa mâchoire était retombée et avec les orbites vides de son crâne ayant contenu les yeux bouillis et éclatés, l'air de surprise.

Ses mains tordues fondues au volant et le volant qui enfonçait sa poitrine dans le dossier du fauteuil. Le terme étant imprécis puisque tous les rembourrages étaient disparus, il ne restait plus que les sommiers et les ressorts à boudins sur lesquels était appuyé, adossé et assis le squelette. Asssis ou asseoir étant dorénavant des termes imprécis. Ou médicaux. Et le volant qui l'écrasait l'empêchait de bouger parce que comme il lui manquait tout le bas du corps, jambes et bassin, et le siège qui les soutenait, il serait tombé tout au fond.

Odeur de cendres brûlées dans un fond de vieux chaudron graisseux collé. Chauffées au max. Goudron. Huile. Pétrole. Distillés.

Qu'est-ce qu'il faisait là et qui lui avait fait ça?

Mystère.

Mais le problème se simplifiait ou se recompliquait quand on regardait dans le fossé tout à côté. Il y avait sur le toit la Mini Cooper de la petite blonde. Elle, pas brûlée, presque intacte, sauf qu'elle était sur le toit. Cabossée.

Bizarrement, un sentiment d'inquiétude le prit.

Bizarrement, car il n'aimait pas ressentir. Et qu'il y avait un moment où il avait eu un sentiment pour qui que ce soit ou quoi que ce soit.

Une question.

Des questions.

Des questions amenant d'autres questions.

En descendant le talus et marchant dans l'eau au fond du fossé pour aller rejoindre l'auto qui avait sans doute dévalé la pente.

Il tassa les grosses quenouilles au bout de leur longues tiges. Fouilla du pied l'eau des environs.

Quel était le rôle de la camionnette dans ce drame?

Elle n'était pas si proche pour aucune raison particulière. Ou par hasard.

Il y avait une histoire qui reliait la petite auto sur le toit - et le fait qu'elle se retrouve sur le toit- et la camionnette au haut de la route.

Et le fait que la camionnette soit brûlée et son chauffeur aussi.

Il y avait même beaucoup d'histoires possibles et probables parce que physiquement réalistes et statistiquement déjà arrivées.

Bonne histoire. Moralement saine.

Ou elle s'était arrêtée pour aller porter secours à l'auto ?

Alors qui expliquerait son sort cruel?

Un troisième véhicule participant à la scène?

Et venait les mauvaises histoires.

Ou la camionnette avait quelque chose à voir dans le fait que la petite auto se soit retrouvé au fond du fossé sur le dos.

À ce moment, il regretta que le chauffeur soit mort. Il aurait pu le tuer lui-même.

Secouriste? Maniaque?

Quand à la Mini Cooper, le problème était plus simple et sa réponse plus rapide. Il n'y avait qu'une Mini Cooper dans le village et une seule rouge.

La petite blonde n'était pas à l'intérieur.

Étant donné le carnage de la veille -et la proximité des 2 emplacements indiquait peut-être qu'ils avaient probablement une certaine corrélation l'un avec l'autre. Tant de malfaisance devient contagieuse et s'étend.

Il appela son nom.

Il n'y avait pas de sang à l'intérieur de l'auto.

Pas à l'extérieur non plus.

Le chauffeur de taxi qui faisait parti des gens qui aimaient bien la petite blonde - c'était un cousin- (mais il y en avait aussi qui la détestait pour des raisons sans doutes aussi peu logiques que celles qui justifiait l'affection qu'on lui portait) se joignit à lui pour les recherches. On l'appela, elle ne répondit pas.

Chacun pensa qu'elle était sans connaissance. Il arrive que lorsqu'une auto fait des tonneaux, le passager soit éjecté. Plus rarement le chauffeur.

La petite blonde avait des conceptions particulières sur un peu tout. Elle refusait de mettre sa ceinture de sécurité parce qu'une de ses amies avaient été éjectée lorsque l'auto dont elle était la passagère avait capotée et roulée sur le toit. L'auto avait même rebondi plusieurs fois, passant sur elle ou, plutôt, au dessus d'elle, avant et après, comme dans un jeu risqué, sans l'écraser. Et les passagers restés prisonniers de l'auto folle foncèrent avec le siège vide où elle aurait dû être vers un poteau de lumière. L'auto se cassa en 2, arrachant les 2 parties d'un passager. Ensuite elle prit feu et ceux que le choc n'avait pas tué, moururent brûlés vifs. Attachés à leurs sièges.

Lui dire que son amie avait eu de la chance et que ça ne se répéterait pas nécessairement pour une autre amie à sa place ne faisait que lui amener cette réflexion: donc les autres ont été simplement malchanceux. Une vie pour 4. Le monde est dirigé par un Dieu Fou.

_ Non. Le hasard. Un hasard fou.

Quand elle avait tort ou était fatiguée d'expliquer, elle prenait son air buté. Et, même butée, elle était jolie. Si elle avait été une enfant et que monsieur Dickson eut été son père, il l'aurait attrappé par un petit bras, délicatement, car les petits bras des fillettes sont fragiles. Il lui aurait passé la main dans les cheveux et elle l'aurait serré dans ses bras en pleurant parce que la vie était injuste. Parce que sa mère était morte. Parce que son père était mort. Parce qu'elle était toute seule depuis 10 ans. Mais monsieur Dickson n'était pas son père. Elle n'était pas sa fille. Et si elle parlait beaucoup, elle en disait rarement autant.

Si elle était morte ou inconsciente après qu'elle ait rampée hors de l'auto ou été éjectée lorsqu'elle tournoyait, elle n'aurait pas pu aller bien loin. Morte, certainement pas. Blessée, elle n'aurait pas rampée des milles.

On ne trouva personne d'inconscient ni de mort.

Il se pouvait qu'elle soit à sa maison. Comment aurait-elle fait? Impossible à dire. Mais si quelqu'un pouvait se sauver d'une situation de ce genre c'était bien elle. Même si la vue de la camionnette et de son chauffeur étaient les preuves que quelque chose de pire qu'une simple sortie de route s'était produit.

Une de ses amies avait voulu changer le CD de son lecteur et s'était penchée. Tout en conduisant. Ceci avait suffit pour la projeter, elle et son auto dans le décor.

Un instant d'inattention.

Il suffit d'un instant.

Dans la vie, il faut être extrêmement attentif.

Ce qui est très fatiguant.

Ce qui explique que beaucoup de gens cessent un jour de vouloir vivre.

Quelqu'un qu'elle connaissait s'était tué en textant un message. Il n'avait pas vu qu'il arrivait à une intersection et était passé tout droit au lieu de s'arrêter. Le camion qui venait ne le rata pas. Directement dans la portière  du conducteur. Même avec les 8 coussins gonflables d'une Mercedes, il ne s'en serait probablement pas tiré.

Et il conduisait une Mercedes avec 10 coussins gonflables et des rideaux de portières qui descendent du toit au sol pour vous protéger des chocs latéraux. Et de la vitre et des éclats de verre qui peuvent vous crever les yeux ou vous ouvrir les veines du cou.

Et il ne s'en était pas sorti. Quoique de qualité, silencieuses et confortables, les Mercedes ne sont pas miraculeuses.

Et votre coeur peut lâcher.

Monsieur Dickson et le chauffeur de taxi se regardèrent. Firent ensemble une dernière fois le tour des environs avec les yeux et les oreilles. À l'écoute du moindre son.

On préférait penser que comme les chats, elle avait 7 vie et qu'elle venait simplement d'en perdre une, il lui en restait donc 6.

Et ce serait une anecdote intéressante à raconter plus tard à ses enfants.

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20. 25 octobre 2012. État 2