HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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28.6.12

136. LES 3 FILLETTES ROUSSES NOYÉES REGARDENT

Henry Dickson regarde par la fenêtre de son taxi les gens qui passent et un homme qui regarde. L'éternelle question: que pensent les gens? Et que regardait cet homme? Déjà l'auto est plus loin et s'arrête à un feu de circulation. Et une autre pensée remplace la première.

L'homme est resté là où il était, à regarder une maison et derrière la maison sans qu'il puisse la voir ou avoir moyen de connaître son existence à moins d'être déjà venu, une cour joliment décorée, table et chaise, une piscine et dans la piscine un enfant mort.
Il attendit encore et même s'il ne pouvait les voir, s'il lui était impossible de voir, il fit comme s'il voyait la scène en train de se passer.
La mère qui avait été inattentive, avait relâché son attention. Qui avait fait une erreur. Était encore à la maison en train de préparer le déjeuner sans avoir remarqué que l'enfant était sorti.
L'eau si tentante.
La chaleur.
L'enfant.
Où est l'enfant?
La mère appelle disant que le déjeuner est prêt. Toast, beurre, confiture aux fraises de saison. L'odeur sucrée des confitures sur la toast chaude beurrée. Bol de céréale. Jus d'orange.
Pourquoi ne vient-il pas?
D'habitude, l'odeur le fait lever.
La toast va refroidir et durcir. Ce sera moins bon. Comme il n'arrive toujours pas, elle va dans sa chambre. Le lit est défait mais il n'est pas là. Il est peut-être allé jouer au sous-sol? Il n'est pas au sous-sol. La TV 3 D éteinte et les jeux videos sont là à la même place qu'hier.
Il est peut-être allé jouer dehors.
Elle fait glisser la grande porte de verre et ne voit personne. L'appelle. Pas de réponse. Il n'est certainement pas allé dans la piscine puisqu'elle le lui avait interdi. On n'y va pas sans qu'il y ait un adulte avec toi. Elle se souvenait très bien lui avoir répété cette consigne. Et il avait hoché la tête pour dire qu'il comprenait.
Il est peut-être allé chez son ami qui habite la maison voisine. Il le fait souvent. Sans l'avertir. Mais il déjeune toujours avant. Il a toujours faim quand il se lève, qu'est-ce qu'il y aurait de si intéressant pour qu'il y aille sans la prévenir? Car elle commence à s'inquiéter.
Elle va à la porte de la maison d'à côté ce qui est aussi rapide que de téléphoner. Eux-aussi sont en train de déjeuner. Son ami ne l'a pas encore vu mais il va venir le voir tantôt.
Elle revient à la maison et commence vraiment à s'inquiéter.
Elle retourne à la cour arrière. Personne. Il y a toujours la piscine hors terre. Mais aucun son ne vient de la piscine. Pas de bruit d'eau. De voix. De rire. De toute façon, il n'y a personne. Pourquoi y aurait-il quelqu'un?
Elle va voir pour en avoir le coeur net.
La mère figée de terreur devant ce qu'elle voit et qu'il ne peut pas voir.

Pourtant, l'homme reste là de l'autre côté de la rue. Attentif à ne pas perdre aucune information, aucun son, aucun sentiment.
Elle se demande quoi faire, téléphoner à l'urgence ou sauter à l'eau et sortir son enfant.
Pendant qu'elle s'interroge les secondes passent. Et chacune est de trop. Finalement, elle grimpe l'échelle qui lui permet d'escalader la mince paroi de la piscine hors terre. Se jette à l'eau, plonge la tête dans l'eau et agrippe l'enfant.
Comme tous les corps inerte ou sans vie, il est très lourd. Ce qui est curieux. On dirait que les êtres vivants sont plus légers. Pourtant la même gravité, la même pesanteur les compresse au sol. Comme si quelque chose s'ajoutait à eux lorsqu'ils perdent conscience provisoirement ou définitivement.
Certains affirment que l'âme quitte le corps et de ce fait le corps s'allège légèrement et d'autres ont pensé qu'on pouvait mesurer cette substance - si elle a un poids, c'est donc un corps physique? Et certains se sont demandés si la femme avait une âme ou pas. Ou les noirs. Ce qui est une question intéressante.
Mais si on revient à la situation présente, un corps inerte qui semble plus pesant dans cet état que lorsqu'il était conscient ou vivant, on pourrait donc commencer à penser que le fait d'être inconscient ou mort, ajoute quelque chose à votre corps. Ce quelque chose de physique, encore, ayant un poids agit sur la dépouille. Et enclenche le processus de décomposition et de séparations des unités et substance du corps.
Mais d'autres prétendront que c'est tout à fait normal. Que dès que le sang ne circule plus, un ensemble de processus chimiques se met en branle entraînant l'auto-digestion du corps.

Mais le poids ne devrait pas changer.
Et ceci n'explique toujours pas pourquoi le corps inerte est plus pesant qu'à l'état d'éveil. À moins que ce ne soit qu'une impression qui agit sur l'esprit de celui qui est témoin et qui lui enlèverait des forces.
Ou bien c'est parce que les membres et les muscles deviennent flasques comme des tentacules de pieuvres échouées qu'on a l'impression que le corps est plus lourd et difficilement maniable. Le corps ne se contient plus. Même pour des personnes de petites tailles.
Ainsi la mère qui est plus grande et plus forte que son enfant à bien des difficultés à le soulever, elle réussit pourtant.
Appelle à l'aide mais personne ne vient car elle est seule.
Elle tente d'escalader la partie de l'escabeau de plastique dont les marches sont plongées dans l'eau de la piscine mais n'y arrive pas. L'enfant comme un poisson gluant glisse dans ses bras, il a trop de bras, trop de jambes, et tous ses membres sont si longs.
Elle monte une marche, tout en essayant de le retenir mais il glisse encore pour finalement lui échapper et retomber dans l'eau et glisser lentement vers le fond de la piscine.
Elle replonge de la marche où elle était rendu dans l'eau, ramène son fils à la surface, regarde son visage pleins d'eau recouvert de cheveux, nettoie son visage, le regarde. Elle a de la difficulté à voir tant ses yeux sont pleins d'eau chlorés et de larmes salées. Tout devient un brouillard.
Elle hurle à l'aide mais personne ne vient car il n'y a toujours personne.
Il faut qu'elle fasse quelque chose et même si ça lui brise le coeur, elle le dépose à la surface de l'eau et doucement il coule vers le fond. Elle grimpe les marches et les redescend de l'autre côté de la piscine. Court sur l'herbe courte, entre à la maison, téléphone.
911
On lui fait répéter ce qui vient de se passer et qu'elle vient de raconter et son nom et son adresse. L'opératrice répète à son tour son nom et son adresse et son numéro de téléphone pour s'assurer que l'ortographe est le bon et la pronciation adéquate et que les secours arriveront au bon endroit. Il y a tant de gens qui font exprès de déranger les spécialistes et pendant qu'ils répondent à une fausse alerte à une mauvaise adresse, il peut se passer de véritables drames et ils ne pourrnt arriver à temps, ce qui peut provoquer des pertes de vies.
Pour s'assurer qu'elle n'est pas en présence d'un cas de ce genre. Elle lui demande de raccrocher le téléphone. Et elle va la rappeler immédiatement. Sonne. Téléphone. Rassuré d'être au bon numéro et à la bonne adresse, elle passe maintenant en phase consolation comme le lui précise les notes explicatives jaunes collées sur le mur de partition de son bureau.
Elle doit occuper la personne tout le temps que les secours se déplaceront pour s'assurer de la situation et éviter que, peut-être, des gestes irréparables soient commis.
La mère n'en peut plus de toutes ces précautions administratives, essaie d'expliquer qu'elle ne peut rester là à téléphoner pendant que son fils est dans le fond de l'eau. Mort. Mourant. Ou en train de se noyer.
L'opératrice qui a de l'expérience et a entendu d'innobrables fois ou presque ce genre d'appel sait ce qui est arrivé et ce qui va inévitablement se passer. Calcule mentalement que selon le temps probable passé entre la découverte du corps - dont on ne peut ajouter maintenant le temps passé sous l'eau ce qui sera la tâche du spécialiste lors de l'autopsie- le retour à la maison, l'appel.

Calculé approximativement et subjectivement
L'enfant est déjà mort.
Mais elle ne doit pas le dire. Ce qui ne serait pas professionnel.
Il faut au contraire donner de l'espoir au parent éprouvé mais pas trop, car ce genre d'illusion peut se retourner contre vous. Le processus du deuil peut s'inverser et devenir un fantasme de vengeance. Il faut alors un coupable, extérieur à soi, surtout si on a des choses à se reprocher.
Et pourquoi cette femme a t-elle laissé cet enfant sans surveillance?
Une mère bien négligente.
Pendant ce temps, la femme est retournée à l'eau, a empoignée le corps de son enfant, l'a soulevé hors de l'eau, le tient contre elle et maintient sa tête. Impossible de faire du bouche à bouche en position verticale. Mais elle ne saurait pas comment le faire de toute façon. Elle a toujours évité de penser que ce genre de chose puisse arriver. Pensé que si on y pensait et cherchait à prévenir la chose ou à la guérir un fois que ce serait arrivé, ne ferait peut-être qu'apporter malheur.
Elle pleure, crie, appelle mais personne ne vient. Car il n'y a personne.
Sauf l'homme. Loin.
Et l'homme qui ne peut pas voir ce qui se passe car il y a une maison entre lui et la piscine regarde comme s'il voyait au travers.
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29 juin. 1.5 juillet 2012. État 3

Mort. 1