HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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9.6.12

114. DE L'UTILITÉ DES MESSAGES COMMERCIAUX ET DES CHIPS ONDULÉS

Henry Dickson

Suivait toujours à la tv les échanges de balles de tennis, de balle de golf ou de ping pong. Et, de temps en temps, une balle de billard, de pétanque ou de baseball. Couverte de sang. Reçue plein la gueule. L'écrivain de qui il était l'invité s'était endormi. Sa copine aussi, collée à lui.

Il avait le reste du bol de chips pour lui tout seul et l'avait confisqué pour le mettre sur ses genoux.

Le Roi bénit l'assistance.

_ Vous venez de sortir votre dernier roman.
Le Roi le montra

_ Je n'aime pas la couverture. Mais on ne m'a pas demandé mon avis. Et quand je la donne, on me regarde comme un demeuré.

_ Il y a probablement une agence spécialisée dans les couvertures moches. À chaque contrat, ils se réunissent et se demandent comment ils pourront faire pire que la dernière fois.
Le Fou ajouta:
_ C'est comme l'agence des fautes de français. Ils sont terribles!
_ J'appelle ça les petits mongols. Ils te regardent en bavant avec leurs yeux bouffis à demi-fermés implorant qu'on les achève puisque la Nature n'a pas pu les terminer. Abattez-les pour les libérer de ce sort cruel.

_ Dites donc que vous êtes content!

_ Un écrivain est toujours content d'avoir terminé l'écriture d'un livre et de le voir en chair et en os ou en papier et en carton sorti de lui prêt à affronter le monde. Tant que ce n'est pas fait, qu'il n'est pas distribué en milliers d'exemplaires de par le monde, il peut lui arriver malheur. Un incendie et pfff! le manuscrit. Un crash de disque dur et pfff! la mémoire du manuscrit. Une fois imprimé, je me dis, mais c'est sans doute une illusion, qu'au nombre où ils sont maintenant, il ne peut plus lui arriver malheur. Il en restera bien un quelque part pour parler de moi. Quand je fais le tour des libraires - tous les auteurs sont vaniteux- pour chercher mes livres, voir s'il y en a encore et que je les trouve entourés de tous les autres, je les range bien et les avance pour qu'ils soient à ras le bord de l'étagère. Ou je met une couverture - si elle est jolie- de face, pour qu'on la voie bien et ne voit qu'elle - les auteurs ont aussi des banquiers.

Je regarde certains titres, certaines couvertures et je félicite l'esprit d'abnégation de certains éditeurs qui se sont dit: ce livre, on ne veut pas le vendre. On l'imprimera et on ne l'enverra nulle part. Et si, malgé nos efforts, il finit par atterrir quelque part, la couverture sera tellement hideuse, le titre tellement niaiseux qu'aucune personne dotée d'un cerveau ne voudra l'acheter. Tout cet $ gaspillé pour rien offert en sacrifice au dieu de la connerie. Entité intemporelle et universelle gardienne des valeurs humaines.
_ Vous auriez mis quoi?
_ Un spécialiste de la pub disait qu'il n'y a qu'une seule chose qui fasse s'arrêter quelqu'un: une femme nue. Les femmes pour en dire du mal. Les hommes...
_ Les hommes?

_ Comme mon public est masculin.
Le Fou approuva l'idée mais selon lui, un homme,  nu de préférence, serait plus apprécié. Ce qui est une quetion de point de vue. On trouva un consensus pour un bébé phoque.
_ Vous avez donc changé d'éditeur. Encore.

_ Bien obligé. J'imagine que je leur porte malheur.

_ Vous allez tous les enterrer?

_ Généralement, c'est le contraire. J'ai dit tout ce que j'avais à dire de l'éditeur de mon avant dernier roman. Heureusement, que les rumeurs que j'avais entendu au sujet de la maladie chronique de cet éditeur était vraie mais je n'ai pas attendu pour vérifier. J'ai tout de suite porté mon bébé dans des bras maternels plus accueillants. Lorsqu'il est tombé en phase terminale et que tout le monde a été au courant, il était trop tard. Si je l'avais laissé là, il serait encore là, dans le purgatoire avec les âmes errantes des non baptisés. Je ne sais pas ce qu'il y a de cette maladie humaine de l'accaparement qui prend même aux mourants, mais c'est un phénomène fascinant à observer. Actuellement, le conseil d'administration de cette maison fantôme ressemble au gouvernement et au Sénat Haïtien au lendemain du tremblement de terre du 12 janvier 2010 en Haïti. Des échappés d'un asile de fous qui se réunissent sur le gazon avec comme décor l'édifice effondré de leur parlement. Une partie des politiciens est morts dans ces décombres ou dans ceux de leurs maisons ou quelque part à Port-au-Prince incapables de circuler à cause des décombres mais ils s'entêtent à faire semblant de gouverner puisque c'est ce qu'ils ont fait toute leur vie. Alors que leurs décisions n'ont aucune importance. Et qu'ils sont aussi bien ce jour-là que tous les jours d'avant incapables de les faire appliquer. Mais contrairement aux autres jours, ce jour-là, ils ont une bonne raison. Mais. pour eux, ces détails n'ont aucune importance. Alors ils décident et font des lois. Malheureusement, ils n'ont pas de stylo ni de papier pour les noter.

_ Et qu'à décidé le Parlement Haïtien de votre ancienne maison d'édition en ruine?

_ Que par contrat, j'aurais dû leur remettre ce manuscrit. Qu'ils auraient été incapable d'éditer vu qu'ils n'existent plus matériellement. Juridiquement et physiquement, ce sont des fantômes immatériels sans aucune influence sur le monde matériel. Comme c'étaient des contrats signés avec une entité légale qui n'a plus d'existence. À moins que le repreneur hypothétique qui ne s'est pas encore manifesté, réactive cette entité juridique. Ce qui n'est pas pour demain. Tout ce qu'ils peuvent faire c'est te hanter. Ouuuh!

_ On se dirait qu'ils ont bien assez de problèmes comme ça?

_ Pour dire quelle est leur mentalité et comment ils géraient avant leur décès leur business. Selon leur point de vue, ils n'ont pas assez de problèmes et ils en veulent plus. Et ils veulent me poursuivre pour rupture de contrat. Avec quel $ ?

_ Mais qu'en aurait-il fait de ce manuscrit?

_ C'est ça le pire, rien! Comme ceux des pauvres diables qui le leur ont remis avant la date fatidique de la mise en faillite et du dépôt de bilan. S'il y en a qui sont encore venu ce jour-là, ils ont dû voir qu'il s'était passé quelque chose. Les portes barrées et l'avis du huissier collé sur la vitrine. Alors, ils sont allé ailleurs.

_ C'est étrange. Que voulaient-ils en faire?

_ Sauf les accumuler dans un coin et les regarder en pleurant, que pouvaient-ils en faire? Comme ils doivent tout vider et laisser la place nette pour un futur locataire ou acheteur, le déménageur les mettra dans des boites de carton dans son camion en destination d'un entrepôt. Ou pour alléger sa charge, il foutra tout dans les bacs bleus. Ils n'ont plus d'$. Ou ils devront les laisser où ils sont, sur le plancher ou le rebord d'une fenêtre, si le huissier décide que ça a problement une valeur. Il peut peut-être les vendre à la criée. Il y a des collectionneurs qui paieraient cher le manuscrit original de certains écrivains. La bâtisse n'est plus à eux. Ni le mobilier. Ni les ordinateurs. Il n'y a plus que des murs, des plafonds, des planchers. La structure de la maison d'édition est parti avec tous les chômeurs. Mais comme le mourant qui s'accroche à sa dernière pièce d'or qu'il a cachée sous son oreiller et que ses héritiers n'ont pas encore repéré, il imagine tout ce qu'il pourrait faire avec cet or...

_ S'il n'était pas mourant.

_ Ils n'ont pas encore intériorisé le fait d'être mourant. Alors pour arriver à comprendre le fait d'être morts. Et probablement quand l'inévitable sera arrivé, ils nieront de toute leur force le fait de l'être. Mort. Kaput. De futurs bons fantômes capables d'errer et de hanter et de vampiriser une pièce ou une maison pour le reste de l'éternité.

_ Et le procès? J'imagine qu'il y a un procès?

_ J'ai reçu une lettre de mise en demeure par courrier recommandé à mon domicile. Ils ont trouvé l' $ et de qui, de quoi payer les frais. Et avec Dieu sait (ou seul le Diable le sait) encore de l'$ pour se recruter un avocat pour faire ce sale job. Probablement chômeur, vu qu'il a accepté l'affaire malgré l'état physique du dossier. Mais on en trouvera toujours un pour faire une fellation à un lépreux si ça paie. J'ai 30 jours pour leur remettre le manuscrit sinon ce sera le procès, probablement, l'année prochaine.

_ Où seront-ils l'année prochaine?

_ Le Diable s'en fout!

_ Mais votre manuscrit, vous l'avez remis à votre nouvelle maison d'édition et j'ai le roman, là.

_ Et ce sera un succès!

L'écrivain regarde le plafond d'un air soupçonneux mais à la tv on ne voit pas les détails de ce plafond

_ À moins qu'un des projecteurs me tombent dessus. Ou un avion d'Al Qaïda, de la CIA ou du Mossad.
Il y eut un moment de silence et tous attendirent de voir arriver un avion d'Al Qaïda, de la CIA ou du Mossad piloté par des Mormons mais il n'y en eut pas.
_ Il est toujours surprenant de voir comment ces entreprises de broches à foin aussi mal gérées survivent. Merci au dieu subvention. Quand ils cherchent un dossier, c'est la Croisade, le Chemin de Croix, Compostelle, les grands brûlés. Ils ne trouveraient pas leurs trous de cul s'ils le cherchaient. Si encore, c'était le dossier d'un autre, mais c'est le tien. Et tu les regarde se démêler, essayer de se dépatouiller, s'engueuler, en te disant: mais c'est de ces cons dont dépend ma vie, mon salaire, l'hypothèque sur ma maison. La pension alimentaire de mes 3 femmes. Et, nous, comme d'autres cons, on continue à leur donner nos offrandes: un beau petit manuscrit tout chaud, tout neuf, tout dégoulinant de sang, sorti de notre ventre.

Ils ont pris ces mauvaises habitudes du temps que les auteurs étaient des rentiers bourgeois qui écrivaient pour s'exprimer dans leur temps libre. L'éditeur était aussi un bourgeois, membre du même club privé, où entre 2 parties de bridge, on discutait des chevaux de course. Et ils éditaient pour s'exprimer dans leur temps libre. Par amour de la littérature, des belles-lettres, de la typographie et pour s'encanailler avec des poètes autour d'un verre d'absinthe ou d'une pipe d'opium. Et quand il avait le temps entre 2 dîners en ville, sa maîtresse, une petite danseuse de 16 ans, il faisait imprimer le manuscrit qui descendait au sous-sol où était les presse de leur imprimeur puis remontait par l'escalier au rez-de-chaussée, à la librairie dont il était aussi le propriétaire. Si le clerc de notaire qui gérait la librairie avait le moral, il le mettait en vitrine. Quelques pas à faire. Le livre n'avait pas à voyager bien loin, un escalier suffisait, c'étaient les clients qui voyageaient pour aller le voir, ce qui facilitait la vie de tout le monde. Maintenant faut faire des paquets et il y a du papier vilain qui coupe les bouts de doigts.

_ Le monde est cruel. Même les feuilles de papier leur en veulent.

_ La revanche des Post-It. Prise 2. La suite.
_ Il vient tout juste d'arriver en librairie que déjà il suscite des controverses.
_ Si personne n'en parlait ce serait encore pire.
_ Les critiques vous indiffèrent?
_ J'aime bien Jean Dutour qui disait que les critiques se mesurent et se pèsent. Il faudrait les calculer au nombre de lignes et au nombre de centimètres, de pouces ou de colonnes dans la page. Ou au nombre de pages des différents journaux et magazines qui en parleront et au poids de ces pages. Et au nombre de minutes de radio ou de tv.
_ Parlez-en en bien ou en mal, pourvu que vous en parliez!
Il ricanait, il avait trouvé aussi cynique que lui.
_ Parlez en en bien ou en mal mais parlez-en beaucoup. Entre un critique qui dit en une ligne que je suis le plus grand écrivain du monde et plusieurs critiques de plusieurs journaux ou revues qui passent des pages et des pages à dire que je suis le pire écrivain du monde, je préfère le second cas.
_ Vous les méprisez?
_ Non. Je fais mon job. J'écris. Eux font leurs jobs, ils écrivent. Mais ce n'est pas le même job.
_ Leur job est de démolir les livres et les auteurs...
Se pourléchant les babines de chats obèses (les queues de scorpions s'agitaient tentant frénétiquement de sortir de ses lèvres roses), il lu une citation particulièrement cruelle. La caméra se braqua sur l'auteur au cas où il laisserait couler une larme.
_ Celle qui a écrit ça, parle de quelqu'un qui n'est pas moi. Elle aussi à un job dans son journal, elle veut le garder, il faut qu'elle soit vicieuse, c'est son truc. C'est la vicieuse du journal, On la lit pour ça. Il y en a qui sont gentil, c'est leur truc. Peu importe, on parle du livre. Et de moi. Je suis content.
_ Lisez-vous les critiques de vos livres?
_ Lisez-vous les critiques de votre émission? Revues, journaux, commentaires sur Internet, les blogs, Facebook, Tweeter?
_ Oui.
_ Pas moi.
_ Je veux savoir ce que le public veut.
_ Je me fous de ce que le public veut.
_ On a changé plusieurs fois la formule de l'émission grâce aux suggestions du public. Vous êtes chanceux d'avoir encore un public...
_ Le public ne sait pas ce qu'il veut. Demandez-lui ce qu'il veut, il dira qu'il veut ci ou ça, des trucs que tout le monde connaît car il est incapable de penser autrement ou à autre chose que ce qui existe déjà. Harry Potter. Par exemple. Mais en 1990, il n'existait pas. Le premier tôme est sorti en 1997.

J'adore les ratés. Rowling disait d’elle-même qu’elle était la plus grande faillitte qu’elle connaissait. Son mariage kaput, son mari l’ayant jeté dehors, mère seule d’une petite fille, chômeuse, assistée sociale, tentée de voler dans les magasins pour bouffer, dépressive et suicidaire. Elle écrivait depuis l'âge de 6 ans et continuait à le faire dans les cafés où elle amenait son bébé en poussette parce que ça l’endormait. Elle n’avait pas une cenne mais une grosse idée. Au bout de 5 ans, elle accoucha de son livre. Se trouva un agent et 12 éditeurs refusèrent son manuscrit. Un an plus tard, un petit éditeur accepta de la publier mais lui conseilla de se trouver une job parce qu’on ne faisait pas d’$ avec un livre pour enfant et qu'on n'en avait jamais fait et il ne voyait pas comment on en ferait. Le premier tirage fut de 1000 copies. Comme on pensait que le lecteur type de ce livre serait un garçon, on lui conseilla de trouver un nom plus vague et moins féminin, elle choisit J. K. Rowling. J pour Joanne. K pour Kathleen, sa grand mère.

_ Et maintenant?

_ Elle commence à avoir un petit succès, à être un peu connu. Elle le mérite bien. On espère pour elle que ce ne sera pas un feu de paille.

_ Nous l'espéront tous!
_ Comme tous les autres, j'ai déjà été un auteur sans lecteur. Je sais donc  ce que c'est que de collectionner les lecteurs 1 à 1. Comme par hasard. La joie d'avoir une lectrice. En se demandant si ce ne serait pas plus simple de les kidnapper. Ou d'épouser une femme et de faire un tas d'enfants que l'on conditionnera à aimer mes livres.

_ Et c'est ce que vous avez fait!

_ Wow! Vous devriez changer de job et être psy. C'est payant et on en manque. Je me demandais pourquoi je faisais toujours la même gaffe qui me paraissait pourtant une bonne idée, au début, à chaque fois. Voilà! Je me créais un public.

_ Vous ne les faisiez tout de même pas lire vos romans?

_ Non, j'inventais des contes pour enfant. Et quand ça marchait, comme je ne gaspille rien, je les envoyais à un éditeur spécialisé. Et il semblait content. Et ça me payait mes tournées de bar.

_ Vous ne pensez donc qu'à l'$ ?

_ Et vous, vous venez ici par apostolat?

Quelque revues à potin avaient révélé combien cet apostolat et ce bénévolat artistisque et culturel représentait pour chacun. Généralement, ces revues destinées à faire rêver les ménagères en leur montrant quelle auraient été leurs vies si elles n'avaient pas épousé ce feignant sans ambition à un moment de faiblesse, lorsqu'il leur fallait absolument enfanter afin de respecter la règle rigide de l'évolution qui fait qu'un moment donné, mâle et femelle s'accouplent se reproduisent. Règle à laquelle la plupart des femmes n'ont rien à redire puisque c'est l'ambition principale de la majorité. Le seul regret étant qu'elles auraient pu mieux investiguer les possibilités financières et l'avenir social de leur élu. Le port des bas blancs n'étant pas le seul critère de refus possible. Ce qui choquait les bonnes âmes écrivassières était plutôt le fait que cet $ venait de l'État et, selon eux, de leurs taxes. Comme si on prélevait à chaque moment de l'émission quelques $ directement de leurs poche-portefeuille. D'où des cris émouvants que l''écrit ne rend malheureusement pas avec les nuances de la voix agonisante. Un téléphone dans un poste de radio est plus adéquat. La souffrance étant d'autant plus grande que l'émission était la plus écoutée et qu'on ne les y inviterait jamais. La réalisation de cet état de fait rendait les râles d'autant plus poignants.

_ L'establisment littéraire ne parle pas de moi alors je parle de moi et je m'arrange pour qu'on parle de moi. Et je vais où on m'invite. Et vous contrairement à d'autres payez vos invités. J'imagine que je suis comme vous. Je travaille, je fais un métier, ça prend du temps, des efforts et j'espère que je serais payé pour mon temps et mes efforts. Comme je me suis déjà fait voler par une comptable qui devait faire faire des petits avec mon $ - ce qu'elle a fait mais pour elle- je fais ma propre comptabilité. Comme d'autres font leur confiture. Je déteste ça. J'ai parlé de mon amour des chiffres. Mais heureusement, il n'y a pas tellement de chiffres. J'aimerais qu'il y en ait plus. Surtout dans la colonne des profits. Car j'utilise un vieux modèle de livre de comptabilité. Je sais quel chiffre entre et sort et quand. Je n'utilise plus les chiffriers de l'ordinateur auquel je ne comprenais pas trop rien. Jusqu'à ce que tout s'efface. Et que je doive implorer les gens de l'impôt pour un peu de compréhension. Vous savez! Nous. Artistes. Nous. Cigale. Les chiffres. Envolé. Notre pauvre pauvre tête.

_ Vous me donnez presque envie de vous lancer une pièce de 2$. Mais allez-vous me jurer de ne pas la boire. Je tiens à avoir des pauvres avec de la morale.

_ Je vais étudier votre contrat avant.

_ Vous n'êtes pas de ces artistes qui méprisent la tv?

_ Je sais ce que c'est que d'écrire sans que personne ne parle jamais de ce que je fais. Et j'aime que l'on parle de ce que je fais. Et je refuserais une invitation à la tv? Est-ce qu'il y a écrit IDIOT sur mon front?

_ Vous n'avez pas de chance. Les journalistes ne vous aiment pas. Ça ne vous rend pas agressif? Selon vous, ils déforment vos parole?

_ Souvent, il n'y a pas de parole du tout. Ils lisent une vieille interview ou un ancien reportage ou un encore plus vieux article et ils brodent. Trop flemmards pour me lire ou pour faire des recherches, ils se copient les uns les autres.

_ Vous n'êtes pas amer?

_ Je ne suis pas une pute qui crache sur son métier et ses clients disant qu'elle est exploitée, rabaissée en tant que femme et qu'elle se sent souillée. Et que ses clients sont des porcs. Et que tous les hommes sont des cochons. Si elle voulait travailler au salaire minimum comme serveuse de restaurant ou à la pièce dans une shop de couture, elle aurait le choix. Et l'a toujours. Mais elle préfère se faire fourrer pour 1000 $ ou + sans impôt. Par semaine. En travaillant 2 heures par jour. Dans la vie, tu te dis que tu as le choix et que ce que tu fais, tu l'as choisi. Ou que tu n'as pas le choix. Et que dans la vie, ta vie, tu ne choisis jamais rien parce que tout le monde décide pour toi. Et tu les laisses faire. Et tu te ramasses avec un cancer à 30 ans. Il y a des gens qui voient la vie comme un combat. Tu es sur le champs de bataille. Il y a des ennemis partout. Mais aussi des amis. Tu mourras un jour mais avant ce sera un beau combat. Bruyant!

_ Et vous venez ce soir vous battre ici?

_ Exact. Comme tout au long de ma vie et tout au long de l'écriture d'un roman. En commençant par l'écrire pour arriver à le terminer. Ce qui n'est pas si facile. Commencer. Continuer. Terminer. Et, ensuite, ce n'est pas encore fini. C'est le début du commencement d'autre chose. Après avoir trouvé un lecteur acceptant de perdre son  temps à lire mes manuscrits. Il y a l'étape ultime, trouver un lecteur acceptant de payer pour ce livre. C'est encore plus difficile que de se trouver un éditeur. Parce que la plupart publie n'importe qui au hasard puisqu'ils ne savent pas ce qui va se vendre.

_ Sauf Harry Potter.

_ Et les jumeaux d'Harry Potter et les cousins et les petits neveux d'Harry Potter. Encore une fois merci au dieu État et à la grosse déesse subvention.

Le Fou lui récita le témoignage bouleversant d'un critique décrivant son horreur lorsqu'il avait découvert les penchants racistes de l'auteur. 

_ Les critiques font parti des ennemis. Mais tu n'as pas le droit des les tuer.

_ Heureusement, il y en a qui vous aime. Je ne comprend d'ailleurs pas tellement pourquoi?

_ Dans ce combat, ceux qui m'aiment sont mes amis.

_ Et les autres?

_ Ce sont mes ennemis et je les déteste. Que voulez-vous, je ne suis pas naturellement bon. Pas naturellement joue droite joue gauche et pardon des péchés.

_ Et raciste, l'êtes-vous?

_ Je ne suis pas raciste. Mais je n'ai pas envie de me défendre. Il faut mesurer l'adversaire. Et choisir ses batailles et ses combats.

_ Et ce combat?

_ Quelques lettres sur une feuille de papier gris qui sent fort, imprimées avec une encre qui sent mauvais. Grosse menace.

_ Vous n'avez pas l'air d'être impressionné ou désemparé?

_ Ce n'est rien comparé à un chien qui vous menace avec un couteau. Je l'ai déjà vécu. Je peux très bien comparer. Eux me lancent des encriers. Et c'est pareil pour ce qu'on écrit sur moi. Il faut pisser et chier de la copie. C'est leur job. Ils ont, je l'espère des lecteurs, mais ce n'est pas moi. Pour le moment, je suis un sale type. Dès qu'il y en aura plus qui m'aimeront, on trouvera que je suis beau.

Mais je n'ai pas le foi et l'estomac assez solide pour digérer n'importe quoi. Alors, on les lit pour moi, en gros, et on me donne les grandes lignes au cours d'une conversation. Quand on voit que je suis d'humeur. Devant un cappucino. Je n'ai pas besoin d'en savoir plus.
_ Vous lisez? Je veux dire autre chose que les critiques que vous ne lisez pas. Il y a des auteurs qui se refusent à lire de peur d'être influencé, de perdre leur personnalité?
_ C'est le genre d'idée que pourrait avoir l'amant de ma femme. Une des raisons qui fait qu'il n'arrive pas à écrire.
_ Vous n'avez pas peur de rien?
_ Mais je veux être influencé. Je veux perdre ma personnalité.  Je sais qui je suis. Et je suis souvent tanné de me voir la face. D'être tout le temps dans mon cerveau. Et, de toute façon, ce n'est même pas vrai qu'on peut changer à ce point. Qu'on serait une girouette ou un drapeau ou une chaussette sur la corde à linge agité sans cesse par le vent. On est ce qu'on est. On ne part pas de zéro. Et ensuite, on devient. Quoi? On ne le sait pas tout de suite. Et plus on vieillit plus on est. J'ai lu. Je lis encore. Lire m'a permis de comprendre ce que j'aimais et ce que je n'aimais pas. De me choisir un métier. Et dans ce métier, de découvrir ce que je préférais. Je fais un métier public et je regarde ce qu'aime le public, ce qui l'intéresse et, probablement, que j'en parlerai.
J'aime écrire. C'est mon métier. J'aime lire, c'est ma passion et si je n'avais pas lu autant, je n'aurais rien écrit.

_ Et il arrive un moment où on se dit: pourquoi pas moi!?

_ Exact! Mais je ne lis pas n'importe quoi. Ou plutôt, j'aime aussi lire n'importe quoi. Les vieux manuels de théologie, des psychologues de 1900, des vieilles pubs mais il y a n'importe quoi et n'importe quoi.

Il y en a qui font du délirant n'importe quoi. Dans les journaux, c'est du médiocre. Ou un médiocre de base trop neuf, par contre les niaiseries des vieux journaux, que le temps à fait mûrir et fermenter, je raffole. Les journaux récents, c'est sans intérêt. Des conneries. Pour qu'une connerie soit appétissante, il faut qu'elle ait eu le temps de devenir archéologique.

Le danger du communisme, des femmes en vélo. Et quand je pense que tous ces abrutis ont vécu un jour et ont écrit ça le plus sérieusement du monde. La bêtise me fascine. Il faudrait en faire une chaire d'étude à l'université. La bêtise a de l'avenir, quoiqu'on dise.
Quand j'étais enfant, le seul souvenir qui me reste de moi est celui d'une sorte d'autiste solitaire avec un livre à la main. Je lisais en attendant que le temps passe, en autobus. J'ai passé une partie de ma vie à attendre un autobus ou dans un autobus. Un livre à la main. Dans une gare ou sur le coin de la rue. Probablement que si les ordinateurs avaient été inventés dans mon enfance - ils avaient été inventés mais ce n'était pas pour les enfants- et qu'il y avait eu Internet. L'encyclopédie Universelle du Tout et du Rien. Je n'aurais jamais émergé du tube. Quoi demander de plus dans la vie que d'être connecté au monde entier et à toute la connaissance du monde? Je serais probablement dans un asile quelconque et le plus heureux du monde.
Mais lire les critiques ou les collectionner comme certains de mes fans, c'est trop pour moi. Il y en a qui achètent et découpent toutes les revues qui parlent de moi. Font des scrap book avec les photos et les articles. ll y en a plusieurs qui ont une plus belle collection que l'agence de coupure de presse, ça s'appelait comme ça avant, que mon équipe paie pour faire la même chose. Parfois, on me les envoie.
_ Vous les jetez?
_ Il y a parfois des années de travail là-dedans, est-ce qu'on peut appeler ça de l'amour? Ou du dévouement, de la dévotion? Je les regarde, comme on feuillette et regarde son album de finissant. J'avais cette gueule-là! J'ai dit ça? Mais qu'est-ce qui m'a pris? Ouah! Que j'étais beau! Oouach! Comme j'ai mal vieilli. La plus grande partie de notre vie, on la vit sans s'en rendre compte. Comme en pilote automatique. Ce sont ceux qui font les boites noires, qui enregistrent notre vol plané ou notre écrasement qui nous informent mieux que nous-mêmes de ce que nous sommes.

On les garde dans les archives.

Parfois, on m'envoie des cartes postales, des cartes de souhait. Je ne répond jamais. Mon job, c'est d'écrire des romans, pas des cartes de souhait. J'ai déjà été payé pour écrire les petites pensées amusantes ou simili-poétiques imprimée dans ces cartes. Mais je suis toujours content d'en recevoir. Preuve qu'on ne m'oublie pas.

J'ai été gravement malade. Failli mourir. Et on me souhaitait bon rétablissement. Des étrangers que je ne connaissais pas. Même si parfois, je dis que je déteste tout le monde. Avec de bonnes raisons. Mais je ne déteste pas tout le monde tout le temps.

Paraît qu'Hergé répondait à tout le monde. Mais il était alors en fin de carrière. Le gros de son oeuvre déjà terminée. Et tout un studio pour l'aider. Le problème à nous les écrivains, c'est qu'on écrit tout seul. Il y avait bien Alexandre Dumas qui faisait préparer par un assistant le brouillon de son roman. Ce qui lui évitait de chercher des idées. Il brodait là-dessus.

Et mon équipe, plutôt celle de mon agente, lit tout. Elle tient à savoir mais ils ne sont pas directement concernés. Ils seraient peut-être tristes si je suis zigouillé mais pas autant que moi. Ils ont d'autres écrivains dans leur corral. Des cinéastes, des acteurs, des humoristes. Les écrivains sont minoritaires parce que ce n'est pas très payant comparé à un humoriste.

Parfois, ils m'envoient un courriel en me disant que là j'ai carrément déconné.
_ Zigouillé ? Vous faites référence aux menaces de mort?

_ Zigouillé physiquement si quelques maniaques arrivent à faire ce dont ils on envie et ce qu'ils ont promi. Zigouillé mentalement et moralement si je me met à lire tout ce qu'on dit de moi. Je ne suis pas aussi pervers, quoiqu'on dise. On parle de quelqu'un qui n'est pas moi. On parle de livres qui ne sont pas les miens. Et il y en a qui n'ont pas eu de cours de littérature ou qui n'y ont rien compris. Alors ils lisent tout de travers. En commençant par ceux qui ne savent pas lire : les personnages de l'auteur ne sont pas lui. Lui, il raconte une histoire. Une histoire, ce n'est pas vrai. La belle au Bois Dormant ou le Grand Méchant Loup n'ont pas vraiment vécu. Ils ne sont pas réels.

_ Les commentateurs des blogs et les auteurs de courriels sont de plus en plus féroces. Et très malpolis.

_ Pas plus ou pas moins que la plupart des gens. Ou que la moyenne des gros cons. Mais la plupart des imbéciles mal élevés n'écrivent pas. Ils ne savent pas comment. Il en reste une petite part qui écrit et c'est salissant. Tu tires la plogue. Rien ne t'oblige à regarder le film sur Youtube qui parle de toi. Ou qui remplace ta voix par une autre.

Et après, on dit que je suis raciste. Parce qu'ils ont lu quelque part que je l'étais. Rien ne t'oblige à lire. Tu pèse sur deleted. Des fois, ça se ramasse dans une petite poubelle. La corbeille. Ou tu cliques sur leur nom ou pseudo pour les inscrire sur la liste de spam de ton courriel si jamais ils ont réussi à s'infiltrer. Ainsi leurs messages seront dorénavant bloqués.

_ Mais il y en a de plus en plus. Moi, par exemple...

_ Bienvenue dans le monde réel.

_ Mais il y a des reportages..

_ Rien que des lamentations des médias. Comme si les malpolis étaient nouveaux. Avant, ils le faisaient à la main. S'ils savaient écrire. Ou avec des ciseaux. Découpaient des lettres dans un journal pour les recoller avec leurs propres fautes de français. De nos jour, certains se limitent à 140 caractères. Ce qui doit être frustrant pour eux. Mais imaginez, découper toutes ces lettres et les coller une à une. Au pire, tu envoie un lien au poste de police. Ça les occupera. Ça va les changer de la cyberporno. Il y a des flics qui ont tant de temps libres qu'ils passent quasiment leurs journées sur des sites 3 X. Et si le crétin est assez con pour faire ça au téléphone, il y a un numéro qui fait copier leur message et l'envoyer aux surveillants. Ils peuvent couper sa ligne ou lui envoyer un flic. Menace de mort, on ne plaisante pas avec ça. Je ne plaisante pas avec ça.

Le Roi, ça lui était aussi arrivé. On voulait s'en prendre à ses enfants. Lui non plus ne plaisantait pas avec ça.
_ Quand les flics arrivent chez eux - car les cons se pensent anonymes- et le cons pensent qu'on ne peut pas retrouver leur adresse Internet- en fait, les cons «pensent» - ils découvrent la réalité du monde réel. Un mur de brique, ça cogne dur et c'est toi qui résonnes si tu rentres dedans.

Et quand on m'invite à la radio. Si c'est une émission avec des téléphonages, il y a toujours quelqu'un qui ne m'a pas lu qui m'appelle pour me dire que ce que ce que je fais est terrible. Parce qu'un autre poste de radio l'a dit. Ou le même poste où je placote mais un autre animateur. À une autre heure. Quelques-unes me disent qu'elles ont honte de moi. De l'image que je donne du Québec. Quelques-uns me disent d'aller chier. D'autres que le Seigneur va me frapper d'un éclair ou que le sol va s'ouvrir devant moi. Ou, plus simplement, me souhaite d'avoir un accident d'auto. Et dans le lot, il y en aura un qui me dit qu'il va me tuer. Qu'il connaît mon adresse. A la photo de mes femmes et de mes enfants. On le flushe. On coupe la ligne. La radio, ça fait parti du boulot de représentant de commerce qui fait parti du job d'écrivain. Un roman ne se vend pas tout seul. Contrairement à ce que certains éditeurs pensent. C'est un peu comme un aveugle que l'on aide à traverser la rue.

_ Il y en a qui croient que vos personnages sont vrais et que vous pensez ce qu'ils disent.

_ Il y en a aussi qui veulent défendre mes personnages. Qui me font des reproches quand ils meurent. Ils s'étaient attachés et c'est comme si quelqu'un de leur famille mourait. Et il y en a d'autres qui détestent mes personages. Ils sont devenus leurs ennemis. Ils pourraient acheter un livre ou plusieurs et les brûler. Ce que je leur conseille. Pourvu qu'ils les paient. Je reçois 10% de tout livre vendu, qu'il soit lu ou brûlé. D'autres, pensent que je suis leur complice. Que je suis raciste comme eux. Ils m'inviterait à leur party du KKK. Ou que c'est moi déguisé. Alors, ils veulent me le fairer payer. Il y en a qui ont de la misère à comprendre ce que c'est qu'un roman, un conte, une histoire inventée, avec des héros de papier. Des noms avec des descriptions. Tout un tas de lettres, de phrases, de paragraphes. Les imbéciles à petits cerveaux et beaucoup d'émotions sont dangereux.
Le Fou et le Roi compatissaient, eux-aussi avaient reçu des menaces de morts. Les lettres de dénonciation à l'ombusman de Radio Canada se comptaient par milliers. Quant aux insultes, s'il leur avait fallu en tenir compte...
_ Les médias disent aussi que les livres, c'est fini.
_ Ils disaient. Les employés disaient, parce qu'ils avaient peur de perdre leurs jobs que le papier journal, c'était fini. Qu'Internet allait tout bouffer. Les journaux continuent. Peut-être pas aussi grassouillets qu'avant mais...
_ Mais il y a eu des faillites..
_ Combien de journaux crevés depuis 1900. Certains n'ont pas supporté l'arrivée du télégraphe, de la radio, du téléphone, du cinéma muet, du cinéma parlant, du cinéma couleurs, du cinémascope, de la tv... Les grosses revues US en couleurs avec pleins de pub vendues à des millions d'exemplaires et distribuées partout. Parce que à l'époque c'était le moyen idéal pour la pub de rejoindre tout le monde. Quand la tv est arrivée, la plupart ont fait faillite. À chaque nouveauté, les petits canards boiteux qui ont les pattes faibles crèvent. Ou les éléphants diabétiques, cardiaques, trop gros et trop vieux. Un journal, c'est aussi une entreprise. Comptez, si vous le pouvez, les entreprises de plus de 10 ans. 25 ans. 50 ans. Comme les gens, ce qu'on prenait pour des institutions finissent Alzheimer.
_ Mais ils seront remplacés par quoi? Qu'y a t-il de plus crédible qu'un journal?
_ N'importe quoi. Encore ces certificats et diplôme de complaisance que se donnent entre eux les médias. Oh! Le méchant Internet. Oh! Le vilain Wikipedia. Quel monstre que ce monsieur Google qui avale tout. Et Bill Gates.
_ Vous n'allez pas comparer un journal avec des gens sérieux et ...
_ Le problème, ce sont ces gens sérieux qui se prennent au sérieux. Si on compare la moyenne du Web avec les quelques journaux utiles. Mais si on prend tout ce qui sort des presses des imprimeries avec les plus sérieux des blogs ou site Internet.
_ Vu comme ça. Faut choisir.
_ Faut savoir. Le problème est qu'on ne sait pas encore. Il n'y a pas de mode d'emploi. Pas comme un ventaliteur en pièces dans sa boite et sa notice. Ou les gens qui devraient savoir ne font pas l'effort. Il y a des sites sur le Web plus utiles que la majorité de la grande presse qui est tout juste bonne à mettre sous la cage à perruche.

_ Mais Le Monde, le New York Times, ce qu'on appelle des journaux de référence.

_ Et le Washington Post et le Wall Street Journal. On ne parle pas de l'Encyclopédie Universalis. On parle de journaux. Et je parle de perruches. Ou de bol à chat. Il n'y a rien de scientifique dans les journaux. Des gens donnent leur opinion. Ils sont payés pour ça. Et c'est ça les nouvelles du jour. Et la mission première des journaux est de vendre des annonces. Et seconde mission, répercuter et ne jamais contredire la volonté de leurs patrons qui sont amis amis de tout ce qui dirige et à du fric.

_ Mais les patrons de presse n'interviennent plus!

_ Vous pensez qu'ils n'interviennent pas. Quel est la durée de vie d'un journaliste qui va contre la ligne éditoriale du journal?

_ S'il va contre la politique de la maison...

_ Traduisons: S'il va contre les idées ou les fantaisies de son rédacteur en chef ou celles de l'éditeur ou celle du propriétaire. Ceux qui travaillent là le savent. Les recruteurs et directeur du personnel le savent. On n'engage pas n'importe qui. On engage des gens qui pensent comme nous. Ou si on ne sait pas trop ce qu'ils pensent parce qu'ils sont trop jeunes pour le savoir eux-mêmes, on choisit dans le lot des candidats, ceux qui ont l'air inoffensif et suffisamment malléable pour se conformer. Et ils apprennent très vite jusqu'où aller et ce qu'il faut dire. Surtout, que de temps en temps, ils voient ce qui arrive à ceux qui n'ont pas compris. Ou même à ceux qui léchait aussi bien les bottes que tous les autres mais qu'on a sacrifié parce qu'ils étaient trop nombreux. Pour que le bilan comptable soit plus favorable et fasse plaisir aux actionnaires. Ce qui fait qu'on a des journaux de droite, plus ou moins de droite même ceux qui se prétendent un peu de gauche. La plupart, fédéralistes. En fait, tous, petits bourgeois. Et toute l'information est teintée par ces lunettes.

Alors qu'on croit que c'est la vérité et les faits qui est la première préoccupation.

_ Je pensais que, idéalement, que le but d'un journal était de révéler des faits, de les analyser.

_ Et de dire la vérité. Même si ce mot est compliqué. Et on fait toujours comme si cet idéal était atteint alors que ce n'est que de la propagande ou des approximations.

On n'ira jamais aussi loin que dans une encyclopétie parce que ce sont des faits en mouvements, des gens vivants qui modifient la réalité. Par leurs actes ou la vision qu'ils en ont. Ou les cachotteries qu'ils font. D'où les employés des journaux tirent-ils leurs sources: du gouvernement ou de l'entreprise privée. Comptez le nombre de fois où ces 2 organismes ont révélé franchement quelques détails embarrassants. On devrait ajouter une note à la fin de l'article: Ceci est vrai ou possible au moment de la publication et contient 50% de suppositions ou d'approximation. Et les sources sont de secondes mains. Parce que ceux qui savent ne parlent pas.

Si vous ne faites pas l'effort de chercher, comme un détective ou un flic, la vérité, vous faites de la propagande et vous êtes un instrument de cette propagande.

En science, on se méfie de l'observateur et des biais qu'il peut amener à l'expérience ou l'observation. Et on sait que sa présence seule va déjà modifier les faits. On est rendu là en science. Comparé à ça les journaux sont l'équivalent plus sophistiqué et souvent pas tellement des conversation de tavernes ou sur le parvis de l'Église. Sauf qu'on les imprime. Ce que les mêmes journaux reprochent à Facebook.

_ Vous proposez quoi si vous semblez dire que les journaux n'ont aucune crédibililité?

_ Pour vendre des annonces, oui. Ils ont été créé pour ça. Et ils le font bien.

_ Mais si vous voulez vous informer?

_ Si vous vous intéressez à quelque chose qu'il vous est impossible de voir vous mêmes ou que vous n'avez pas le temps d'étudier pour le comprendre, il faut faire le truc de toujours et encore à la mode de nos jours malgré le progrès: se chercher un maître. Ou plusieurs. Ceux-là feront le travail à notre place. Il se peut que dans tel journal, il y en ait un. Dans l'Internet, il y en a plusieurs. Ils travaillent aussi pour des journaux ou écrivent des livres ou plublient des blogs.

_ Mais comment savoir si celui qu'on choisit est le bon?

_ La plupart des gens ont déjà choisi: les journaux, la radio ou la tv où on ne raconte que des conneries. Tant pis pour eux.

Anciennement, on appelait ça le don de discernement. Qui sert aux maîtres - puisque c'est de ça qu'il s'agit- à comprendre ce qui peut être compris. Et à deviner le reste. Et ce don, plus sommaire, sert aux élèves - puisque c'est de ça qu'il s'agit- à trouver le bon maître. C'est très primaire.

_ Et si on fait le mauvais choix?

_ Pour la plupart, ça n'a pas grande conséquence. Ils ont déjà une femme ou un mari qu'il ou qu'elle n'aime pas. Des enfants mal élevés, un job qui leur pue au nez. À chaque élection, ils votent comme des moutons pour le parti politique qui les vole. Et quoiqu'on dise, ils sont prêt à recommencer. Ils sont comme les puisatiers avec leurs baguettes sauf qu'ils font toujours le mauvais choix. C'est irrésistible, leur baguette pointe toujours dans la mauvaise direction.

Et pour ceux qui ne sont pas encore des veaux ou ne veulent surtout pas le devenir, on peut donner ce truc simple: ce que pense la majorité est faux. Le vrai est donc ailleurs. Pas nécessairement le contraire. Mais il faut être prudent avec ce principe car la majorité est nombreuse et peut être dangereuse.

Quant aux journaux, leur troisième mission, celle-là, spontanée, est de servir de haut-parleur à la propagande de l'État, des Affaires Étrangères et de l'armée. Comme on a vu en Irak, en Afghanistan ou pour 20o1. Le coeur des grenouilles. Le chant de la mare aux crapauds. Crédibilité zéro!

_ Mais le New York Times?

- Le Monde, le New York Times, Washington Post, Le Times de Londre, la revue Times des USA. Tous unis pour soutenir les USA dans leurs combats. Et expliquer au peuple que c'était une sorte de mission sacrée. Des milliers de personnes qui écrivent et ils écrivent tous la même chose. Même si ça ne tient pas debout. 10 pirates de l'air qui ne savent pas voler conduisent 4 avions. Et ça recommence pour la Libye. Et pour la Syrie.

_ Alors vous seriez pour la disparition des journaux?

_ Je ne suis pas pour la disparition de rien du tout. Ils vivent. Ils ont leur écosystème. Ils sont nécessaires à leur public. Et sont à l'image de ce public. Ou une partie de l'État où ils vivent. Ce qu'ils disent, écrivent, les mensonges qu'ils colportent font parti de l'Histoire, petite ou grande. Et on les étudiera dans les facultés d'ethnologie, de sociologie et d'Histoire plus tard. Quant à moi, je me fie à quelques maîtres sur Internet. Ça me suffit et ça me simplifie la vie.

_ Et croyez-vous comme les autres oiseaux de malheur que le livre - qui est votre métier- est condamné à disparaître. Remplacé par les tablettes électronique et les lectrices?

_ Il se peut que dans le futur, les générations qui nous remplaceront utilisent d'autres moyens de transmettre des informations ou des idées que le papier. Ça a déjà été le cas. Il se peut que mon métier de romancier n'existe plus. Il n'a pas toujours existé. Mais il y a toujours eu des conteurs. Bien avant l'écriture. Ils apprenaient leur texte par coeur ou celui de leurs prédécesseurs comme les chanteurs et les humoristes actuels. Il se peut que nous assistions au commencement du début de ce futur. Mais actuellement, le livre marche. C'est mon métier depuis les 40 dernières années. Métier qui tenait du bénévolat ou du missionnariat mais qui paie maintenant. Tant que ça continuera à payer. Je n'ai pas de régime de retraite.

J'aime écrire des histoires pour faire peur et on dit que j'ai du talent dans ce domaine limité. Et je me rend compte que les gens aiment se faire peur, essaient continuellement de se faire peur. Malheureusement ou heureusement pas avec autant de talent que nous les professionnels. Et le médias s'y mettent parce que ça paie. La grippe du poulet! Ohhh! Le terrorisme. Ohhhh! Le crack! La cigarette! La cyberpédophilie. Toutes ces petites peurs me paraissent mesquines. Du travail d'amateur. 

_ Une autre peur que vous allez probablement trouver mesquine est la prolifération de livres.

_ Qui, je suppose, va dévaster nos forêts. Si nos forêts ont été dévastées comme des villes en ruines bombardées, c'est par la coupe à blanc avec la complicité de l'État. Pour faire des 2 x 4. Et on brûlait même les copeaux, l'écorce et le bran de scie alors qu'on peut les utiliser pour faire des panneaux collés. Ou des kleenex. Mais on préférait utiliser des arbres entiers. Pour du papier de toilette, des essuie-tout et des kleenex alors qu'on aurait pu recycler du vieux papier. Et c'est ce qu'on fait maintenant. 50 ans trop tard. On ne va pas accuser les pauvres écrivains d'être l'équivalent de la tordeuse du bourgeon de l'épinette.

Il y en a même qui veulent convaincre les femmes d'utiliser de vieux torchons comme kotex. Comme leurs arrière grand-mère. Ou pour remplacer les couches. Sauver des arbres. Pourquoi pas des feuilles d'érable? Ou de l'herbe? Et toujours en leur donnant des complexes. Comme si les femmes n'en avait pas déjà asssez.

Et nous les écrivains, on menace aussi les arbres à cause de notre vieille technologie d'arbres morts. Chaque manuscrit assassine 1 arbre. Un roman publié, 100. Mais ce sont les grosses compagnies qui ont tué les arbres. Avec de monstrueuses machines, elles ont tout rasé. En écrasant au passage les jeunes pousses et en compactant le sol avec leurs énormes roues. Pour être définitivement sûr que plus rien ne poussera sur ce sol en béton. Et elles ne reboisent pas. Ou si elles ont commencé à le faire, subventionnées par l'État, c'est sur ces terres ravagées. Et dans le meilleur des cas, il faut 50 ans pour faire pousser un arbre. Actuellement, elles veulent couper les petits arbres du Nord qui mettent 100 ans à atteindre la hauteur d'un sapin de Noël ou les arbres des parcs nationaux. Difficile de résister à la tentation. Aussi bien de la part de la compagnie qui veut couper quelque chose et du politicien qui a son enveloppe. Ou ses électeurs de son comté qui veulent garder leur job. Alors que du temps des bûcherons, lorsqu'on coupait un grand arbre, on laissait les autres plus petits vivre. Je ne propose pas de retourner à l'abattage à la hache mais à une époque où on réfléchissait avant d'agir.

_ D'accord, mais ce dont je voulais parler est la prolifération de livres qui fait même peur aux libraires. Ce qui va sans doute vous faire rire. Il s'est publié 50,000 livres aux USA l'année dernière, 5000 en France, 500 ici. Par année.
_ Et ça me rend content. J'analyse ça comme le fait que de plus en plus de gens lisent ou que les entrepreneurs éditeurs pensent que les gens lisent de plus en plus et que c'est leur livre qu'ils liront. S'ils publient, ils ont besoin de livres et de gens comme moi qui font des livres. Ensuite, comme les anciens voiliers pirates, ils se bombardent mutuellement à coups de livres.

_ C'est vrai qu'on peut toujours voir les choses de 2 côtés.

_ Pourquoi 2. Pourquoi pas 6 comme un dé. On pensait que les jeunes lisaient de moins ene moins et que ça ne ferait qu'empirer. Et que c'était catastrophique dans le cas des garçons. Et voilà qu'arrivent Harry Potter et des garçon de 10 ans lisent 1000 pages.

_ Mais ce n'est pas de la littérature?

_ Qui dit ça? C'est quoi de la littérature? Ou est l'institut littéraire de la littérature qui donne les certificats. Ce qu'on appelle littérature ou oeuvre littéraire, c'est ce que les érudits disent 100 ans plus tard. Et parfois, ce n'est pas seulement 100 ans après la publication d'un livre mais 100 ans après la mort de l'auteur. On a la liste actuellement des dipômés d'il y a 100 ans.

_ Donc, il faudra attendre 100 ans pour ce qui se publie actuellement?

_ Je ne suis pas pressé.
_ Je ne vous ai jamais vu si jovialiste. C'est peut-être le vin que nous a servi notre charmante assistante.
_ J'en prendrais bien encore. Tous n'est pas parfait. Les libraires ne gardent que les nouveautés. Dès qu'un livre n'est pas un best seller, out! 3 mois pour attirer le client. Ensuite, au suivant! Next! Ce que j'appelle la méthode maraîchaire. On ne conserve que les produits frais. Comme si tous le reste risquait de pourrir. Comme s'il y avait une date de péremption sur le produit: meilleur avant. Après, ça sûrit, pourrit. Comme le yogourt. Ça va se mettre à puer.

_ Et ça ne vous rend pas amer?

_ Je repense à mon premier lecteur, il y a 40 ans. Et à mon deuxième. Et je suis encore là. Je suis très primaire et primitif.
_ Les libraires disent qu'ils manquent de place et se plaignent que toutes ces nouveautés vont tuer le métier.

_ Je sais. Ils courent après leurs queues. Et s'amusent à se faire peur.

Le Fou approuvait:

_ Encores des gâcheurs de métier!

Le Roi s'inquiétait toujours comme s'il venait d'investir son héritage dans une librairie.

_ Je reviens à ce que je disais  tout à l'heure, certains disent que le livre est condamné.

_ Tant pis.

_ Vous y croyez?

_ Personne ne peut prédire le futur. Alors, ceux qui prédisent le futur... Et moi je n'ai jamais cru aux diseuses de bonne aventure et aux liseuses de mains. Même s'ils ont un titre de job plus...

_ Et, ici, il y a 10 auteurs qui vivent de leur plume.

_ Peut-être plus.

_ Pas tellement.

_ De quoi me plaindrais-je si ne fais pas parti des 10,000 auteurs qui font un autre métier? Donc je ne me plains pas. Je considère tous les à cotés emmerdants de la profession comme les désagréments inhérents à tout métier. Si tu travailles dans une usine de verre, d'aluminium, d'acier, de magnésium, d'uranium, tu dois endurer une chaleur d'enfer et sacrifier peut-être tes poumons. Ou tes yeux. Ou tes couilles. De quoi est-ce que je me plaindrais.
Le Roi brassait encore ses cartes et sortit celle qui tue. Du moins, il l'espérait:
_ On vous a reproché d'écrire sous un nom de plume?

_ On me reproche tant de chose. Je pense que je vais commencer à me trouver persécuté.

_ Votre vrai nom est... Vous n'avez pas objection à ce que je le dise?

_ Pas plus à ce que vous disiez qui parmi vos invités est gais.

Gêne dans l'auditoire et l'assistance. Le Fou du roi intervint pour dire que c'était illégal ce que ce n'était pas mais contraire à l'éthique. Concept flou. Déjà utilisé par le gouvernement lors de ses crises de déclaration d'honnêteté. Le milieu de la tv étant on le sait particulièrement moral. Les Soeurs Hospitalières de Jésus.

_ L'éthique de qui?

Et il passa en revue tous les autres invités. Souria en pensa à ce qu'il avait envie de dire: L'éthique d'un d'un de vos invités, animateur d'une émission concurrente, qui a fait expulser son co-animateur sous prétexte qu'il faisait peur aux caméramen. Parce que l'autre lui faisait de l'ombre. Pilait sur son égo fragile. Bouda jusqu'à ce que la direction de la station acquièce. Son co-animateur aurait pu tout aussi bien demander sa tête pour d'autres raisons mais préféra s'éclipser. Tout ce qu'on sait pour le moment, en tant que simple spectateur de la tv et des petits bonhommes qui y habitent.

Maintenant, son éthique exigente veut qu'il appuie son patron, propriétaire de journaux et de tv, lorsqu'ils met à la porte des centaines de journalistes qui ne lui avait rien fait de mal et aurait été encore content de lui lécher les pieds. C'est beau l'éthique, on la ferait encadrer.

Mais il ne dit rien.

Se dit seulement que s'il était plus jeune, il aurait dit quelque chose. Mais maintenant, il se disait qu'il n'avait pas besoin d'un ennemi de plus! Après avoir fait le tour de toutes ces belles personnalités, il regarda le Fou et le Roi en souriant. Comme Bouddha devant la vanité des choses terrestres.

_ Ça ne me dérange pas que vous révéliez mon identité. Mais pour la plupart des gens, je suis connu sous le nom de mes livres et celui de votre liste d'invités. Ici, c'est ma vie publique. Comme Jésus. Et j'ai ma vie privée.

_ Cette séparation de votre vie semblait beaucoup peiner madame Virgule de Guillemet.

_ Je ne suis pas le seul à avoir 2 indentités, plusieurs vies. Si la madame avait moins de sentiments et plus de culture, elle saurait que Voltaire, Molière, Stendhal, Maupassant, Jean Ray, Hergé étaient tous de faux vrais noms. Dorénavant, pour la postérité, on les connaît sous ce seul nom. Leur nom de la vie de tous les jours n'est connu que de quelques biographes. Ici, il y a Dominique Michel, ailleurs Marilyn Monroe, John Wayne. Ici, Bizz de Loco Locass.

Parce que le nom était moche, qu'on veut mettre une barrière étanche entre sa vie de famille et son job artistique. Pour ne pas faire de peine à se mère. Ou parce qu'on vient d'une famille de bourgeois drapiers qui ont des principes, comme Molière. Alors qu'à l'époque, on jette encore à la fosse commune les cadavres des acteurs et des prostituées et des avortées. Ou qu'on est diplomate comme Stendhal.

_ Votre nom est moche.

Il regarde ses fiches.

_ Je trouve pas.

_ Chacun ses raisons. Moi, c'est pour une raison philosophique.

Le Roi regarda du haut de son trône l'assemblée de ses fidèles réunis.

_ C'est comme une perversion. C'est la première fois qu'on me la propose. Et qu'on l'a nomme comme ça. Bientôt, le ministre des finances va s'en servir .Je suis curieux et je dirais bien que je suis intéressé à l'essayer. Au moins une fois.

_ Est-ce que ça fait mal?

Demande le Fou.

_ Je suis lecteur de Cioran.

Regard vide.

Le Fou. Le Roi. Les invités. Le public.

_ Je lis et relis Cioran et je suis toujours d'accord avec tout ce qu'il dit.

_ Et ensuite?

_ Parce que je n'ai rien à dire.

Le Fou souleva la collection de bouquins publiés par lui depuis des années dont certains faisaient leur quota réglèmentaire de 1000 pages.

_ Pour quelqu'un qui n'a rien à dire..

_ C'est pour ça que j'ai un second nom qui est devenu mon nom principal. Parce que malgré ce que je dis et je pense, je ne peux pas m'empêcher d'écrire.

_ Pour vous, c'est logique?

_ Pourquoi devrais-je écrire quelque chose de plus? Pour moi, tout à été dit. Une fois suffit. On disait à Picasso que tout avait été fait. Il répondait: mais pas par moi. Ce qui lui permettait de s'autoriser de revisiter les thèmes anciens, les formes classiques reprises dans son style. Ce n'est pas mon cas. Je trouve que ce qui a été fait est très bien. Et que dirais-je de plus? Si seulement j'étais sûr que ce serait mieux ou que je suis génial et ne fait que de chefs-d'oeuvres. Pourquoi un livre de plus? Un tableau de plus? Un mauvais livre de plus? Il en manque? Depuis des décennies, je cherche et je n'en vois pas la raison.

Voilà.

_ Vous ne voulez pas écrire et vous écrivez. Voilà!

Le Fou trouva la conclusion que le Roi approuva.

_ D'où l'usage de 2 personnalités, 2 identités. vous faites d'une main ce que vous ne voulez pas faire de l'autre. Je connais beaucoup de courtiers financiers comme ça. Et ça m'a coûté 1 million pour le savoir.

_ Pour écrire sous mon nom, il faudrait que j'ai quelque chose à dire. Comme on signe un contrat. Un testament. Une invention ou une découverte scientifique. Là, on peut faire du nouveau. Au moins quelque chose d'original. Et Cioran a tout dit. Je ne suis pas malheureux. J'utilise mon autre nom dans la vie de tous les jours. Qui est beaucoup plus longue que la vie que je passe dans les médias. Et aussi longue que celle que j'utilise pour écrire. Plus, si j'y inclus le temps passé à dormir. Je dors sous mon nom de naissance et de baptême.

_ Et vous écrivez aussi dans votre autre vie?

_ Et j'écris et je signe aussi. Des cartes de souhaits, des courriels, des contrats, des chèques. Je ne suis pas allé jusqu'à changer de nom et prendre dorénavant mon nouveau nom comme le seul possible. Déranger le régistraire de l'État Civil. Ce serait aller trop loin. Se compliquer la vie inutilement.

_ Vous avez comme les tueurs en série une double personnalité?

_ Pas seulement les schizophrènes ou les psychopathes ou les somnambules, des tas d'auteurs aussi. Et on ne tue que des arbres.

_ Pourquoi ce nom en particulier.

_ Pseudonyme, nom de plume, nom d'artiste. Celui qui choisit le fait toujours pour ses raisons personnelles. Son nom est moche. Il ne veut pas que sa famille sache qu'il fait le métier de danseur nu. Son nom est trop long ou trop juif: Jack Kirby Jacob Kurtzberg. Bob Dylan Robert Allen Zimmerman. Stan Lee Stanley Martin Lieber. Marc Chagall Moische Zakharovich Shagalov. Trop russe,  Klaus Kinski Nikolaus Karl Günther Nakszyński. Kirk Douglas Issur Danielovitch Demsky. Trop polonais, Unabomber Theodore Kaczynski. Trop Chinois, Bruce Lee Jun Fan Lee. Trop trop ou pas assez, Marilyn Monroe Norma Jeane Mortensen ou Norma Jean Mortensen ou Norma Jean Baker. Trop espagnol, Jean Reno don Juan Moreno y Herrera Jimenez ou don Juan Moreno y Jederique Jimenez. Trop anglais, Lewis Carroll Charles Lutwidge Dogson. George Orwell Eric Arthur Blair. Trop sérieux et trop médecin, Céline (avec un accent) ou Louis-Ferdinand Céline Louis Ferdinand Destouches. Pour se donner l'occasion de tous les possibles ou une seconde vie, Clara Gazul Prosper Mérimée. Trop français, San-Antonio Frédéric Dard. Trop belge, Jean Ray Raymond Jean Marie De Kremer. Trop Italienne. Madonna Louise Veronica Ciccone. Trop bourgeoise, Marguerite Duras Marguerite Donnadieu.  Trop duchesse, Marguerite Yourcenar Marguerite Cleenewerck de Crayencour.

_ On n'aurait jamais pensé qu'il y en avait autant.

_ C'est ce que je dis toujours: on ne pense pas assez!

*

8.10. 11. 12. 16 juin 2012. État 4