Mademoiselle la secrétaire avait parfois le cerveau obtus - qui connaît les femmes comprendra à demi mot - ne l'entendait pas de cette oreille.
Elle avait entendu ce qu'ils allaient faire. Et ce qu'on allait lui faire pour le bien de tous. À commencer par le leur.
Elle avait donc de multiples objections à porter à leur attention.
Et, afin d'attirer celle-ci - elle s'était terrée derrière le grand bureau de lecture de monsieur Hitler (provisoirement - en réalité, il appartenait à son légitime propriétaire car nous croyons à la propriété privée, la qualité nécessaire à toute civilisation )
Et, là, elle avait une longue épée, longue et légère à la fois, comme faites pour ses mains. Elle avait eu tout le temps de faire sournoisement le tour du musée des armes afin de choisir ce qui lui conviendrait.
Monsieur Hitler qui était convainquant quand il faisait des efforts avait beau lui inculquer la beauté du sacrifice, sa nécessité, il ne parvenait à à trouver les mots qu'il fallait. Découragé, il abandonna trop vite.
_ Je ne suis pas Socrate. Lui au moins parvenaient à persuader n'importe qui.
Profitant de ce moment de découragement - on remarquera la facilité avec laquelle monsieur Hitler abandonnait devant le moindre obstacle - ce qui avait fait dire à son père qu'il n'arriverait à rien dans la vie - ajoutant en joignant le geste à la parole, les bras en l'air comme un rabbin: mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter un tel enfant ?
Donc.
Profitant d'un instant de répit. Tout en gardant sa lame pointe en avant, elle dit:
_ Qui vous dit que le mécanisme va s'arrêter lorsque quelqu'un aura la jambe prise. Vous présumez que la machine a été défectueuse un moment et qu'elle le sera encore une fois. Comme vous l'espérez. Elle s'est déjà mise en route trop tard. Ce qui nous a permis de passer sans embûche. Depuis ce temps, elle fonctionne sans arrêt et impossible de passer de nouveau.
_ Nous avons compris tout cela.
En effet, monsieur Hitler et monsieur Kafka étant des hommes, et des hommes supérieurement intelligents, ils avaient très vite compris ce qu'il y avait à comprendre.
_ Et si la machine n'arrête pas?
Cet argument ne les troublait nullement.
_ Jamais.
Pour que leur plan fonctionne, il fallait que la machine s'arrête. Sinon, tout était raté. Il leur faudrait trouver autre chose, concevoir un autre plan. Ce qui ne serait pas facile pour ainsi dire, difficile, au fond du trou en train de sautiller sur les gros cylindres.
_ Supposons que la machine fonctionne parfaitement bien. En un instant, elle a agrippé la première personne qui tombe. Son soulier y passe, son pantalon, sa jambe. 1 minute après, tout le corps y est passé. Et la deuxième personne qui glisse pour grimper sur la première est entraîné à son tour.
_ Mais si la première personne est absorbé, l'expérience sera un échec, personne d'autre ne se jettera dans le trou.
_ Mais supposons qu'il y a une panne, comme vous espériez. Mais pas tout à fait comme vous l'espériez. La première personne tombe. Sa jambe est déchiquetée. La machine se bloque. La deuxième personne glisse pour entreprendre la suite des opérations. La machine se débloque.
_ Pour quelle raison?
_ Pour on ne sait quelle raison.
_ Elle a raison.
Dit monsieur Kafka.
_ Tout ça est bien théorique et très aléatoire. La machine est bloquée. Elle se débloque. Nous sommes ici, ses prisonniers. Elle se bloque encore. Parce que nous avons besoin, comme elle vient de dire, qu'elle se bloque encore pour réussir. Mais elle se débloque encore. Parce que dans la vie, rien ne se passe comme prévu.
_ Vous n'allez pas dire que ce n'est pas logique, vous qui aimez tellement la logique.
Dit mademoiselle la secrétaire en faisant quelques moulinets avec son épée afin de bien se faire comprendre.
Monsieur Hitler soupira.
Monsieur Kafka soupira.
Abattu par ce coup du sort, ils allèrent, main jointe derrière le dos, vers la second piège. Celui qui menait vers le corridor.
Celui-ci était encore plus effrayant s'il y avait un système de notation pour les pièges dans les châteaux hantés.
La fosse était cubique. De bon métal. Les parois parfaitement lisses et aussi lisses que droites. Rien pour s'accrocher. Et tout en bas, 2 gros rouleaux de fer munis de longues et larges pointes. Qui roulaient. On trouve de semblable dispositif dans les manufactures de bois lorsqu'il est besoin de réduire en copeaux des troncs entiers.
Et les rouleaux roulaient sans arrêter de rouler.
Jamais.
Monsieur Hitler soupira.
Monsieur Kafka soupira.
Abattu par ce nouveau coup du sort, ils allèrent, main jointe derrière le dos, vers le troisième piège. Celui qui menait vers les corridors ou tunnels secrets.
Aucun des 2 n'ayant eu une nouvelle idée depuis la première qu'ils avaient eu et les avait tant enthousiasmée.
Le mur était resté ouvert. Il semblait y avoir une petite salle. Avec une lumière - la lampe à l'huile qu'ils avaient décroché du mur, là, où il y avait une collection de toutes sortes de luminaires - le collectionneur de ces lieux étant fort éclectique - on devinait assez bien le tunnel de gauche et de droite. L'un allant à l'est, l'autre à l'ouest.
Comme pour faire exprès, le plancher qui était le couvercle ou la trappe de ce piège trompeur et monstrueux, s'était refermé. Tout avait l'air encore une fois complice, amical, inoffensif. Mais tous 3 savaient maintenant qu'il s'agissait d'un piège monstrueux, ignoble, installé par un esprit démoniaque et cruel.
Et ce n'est pas les 2 autres pièges qui pourraient contredire une aussi mauvaise impression.
_ On ne peut pas rester ici.
_ Cesser de le répéter, nous avons compris.
_ Vous n'essayez pas de passer?
Mademoiselle la secrétaire le regardait narquoise comme il arrive que les femmes narquoises vous regardent.
_ Il se peut que, comme vous l'espériez ou le prévoyez pour le piège de la porte d'entrée, qu'il cesse subitement de fonctionner. Puisque vous l'espérez, il est évident qu'une telles chose va se produire.
_ C'est évident
Dit-il avec un air de profonde tristesse.
Monsieur Hitler pensa à son échec cruel à l'Académie des Arts. Il n'avait pas pratiqué. Il n'avait rien préparé parce qu'il était sûr qu'il serait admis. Il ferait l'admiration de tous. Il serait le meilleur. Parce que c'était son destin. Il était un artiste.
On examina les projets préparé par les autres concurrents. Il y en avait plusieurs médiocres, quelques uns fort bon et si peu d'excellent.
Mais il n'avait rien fait.
On les fit copier des bustes antiques.
Dessiner des fleurs dans un pot.
Se prendre les uns les autres comme modèles afin de voir leur facilité à reproduire la réalité, telle était pour les sévères professeurs de ces lieux, la fonction première d'un artiste.
Il y avait différents pointage. On faisait la moyenne des différents concours.
Il fut jugé trop léger.
Il recommença une autre fois, un an plus tard.
Sans avoir rien fiat.
Il serait admis. Il était impossible qu'il ne soit pas admis. Parce qu'il était un artiste. Il avait entendu l'appel. L'avait fortement ressenti. Au plus profond de son être. Il allait bouleverser le monde. Il le savait.
Il faut encore une fois pesé et jugé trop léger.
Ce coup du sort le bouleversa, le retourna comme on ferait avec la peau d'un écorché vif. Tout ce qu'il avait imaginé n'était donc que mensonge, illusion, comme ne cessait de dire son père. Pire. Il se croyait. Il n'était qu'un raté. Comme il ne avait tant vu. L'Autriche et l'Allemagne ne cessait d'en produire. Tous les vivants étaient admis au grand banquet de la réussite, il fallait courir, jouer du coude, s'escalader les uns les autres, monter sans cesse.
Ou tomber.
Tomber toujours plus bas.
Et, dans les quartiers d'où il venait, il y avait tant de ces échecs vivants ou à peine.
On pouvait échouer à tout âge. Il y en avait des encore jeunes tout comme lui. Des enfants, nés de parents échoués mais tenant pour on ne sait quelle raison à procréer un nouvel échec, quelqu'un qui n'aurait aucune chance, qui n'aurait aucune illusion, puisqu'il serait né tout en bas. Lui, au moins, né en haut, pas si haut, mais un peu plus haut qu'eux, avait cru.
Le Destin se jouait de lui.
Le Destin, ce qu'il appelait son Destin, n'était pas pour lui, n'avait jamais été à lui. Il était à d'autres, peut-être, mais pas à.
Illusion.
Farce. Comédie.
Il avait pensé mourir.
Il avait pensé se tuer.
Il s'était toujours demandé comment il se faisait que tous ces ratés si nombreux ne se tuaient jamais. Ou si peu. Ils se laissaient vivre. Attendant la fin. Qui arriverait bien vite car, dans ces lieux infernaux, on mourait bien vite et certainement plus vite que les bourgeois. Toutes les maladies et les accidents vous étaient réservés. Ils attendaient probablement que l'État, un jour, les sorte par la force de leur antre de malheur. Comme un bébé difforme que l'on extrait du ventre puant avec des machines et des pinces. Entre temps, ils s'accrochaient comme des huîtres à leurs rochers de malheurs. Récifs des enfers et du purgatoires et des limbes. Damnées des villes et des champs. Car les malheureux venaient de toutes les régions pour être malheureux ici. Et ceci durerait tant que l'État dans sa prévoyance, ferme et secourable, ne mettrait pas fin à ces vies déjà détruite. Comme on abat des chiens. Des vieillards. Des infirmes. Des inaptes. Des malades. Des contagieux. Des orphelins.
Sans compter les féroces parmi les perdants qui refusaient de perdre pieds et qui se serviraient de n'importe qui comme escalier comme il avait essayé de faire il y a un instant avec mademoiselle la secrétaire.
Monsieur Hitler était abattu.
Il lui arrivait de s'abattre ainsi des heures, des jours, des mois, des années.
Il lui avait fallu quelques années d'abattement avant de se remettre du désespoir de l'examen raté par sa faute.
Il n'aurait pas du boire pour se donner du moral.
Le contact des étrangers l'intimidaient.
Ce n'était plus le cas pour lui.
Mais c'était encore le cas de monsieur Kafka.
Il le regardait avec désespoir. Il avait l'impression de se revoir. Plus jeune. Stupidement jeune.
Mais contrairement à lui, monsieur Kafka avait toujours l'air de ne pas vraiment savoir où il était.
Lui, le savait fort bien. Fortement.
Il était mort.
Les scientifiques disent que la pression de l'air sur les épaules d'un homme équivaut à 100 kilomètres d'air. Qui va du sol jusqu'aux espaces où d'autres scientifiques affirment que l'air se raréfie ou qu'il n'y en a même plus. Et cette gigantesque colonne d'air pèse sur le plus petit centimètre de votre peau.
Épuisé, écrasé par l'air et le vide, monsieur Hitler s'asseoit.
Le désespoir s'abattait encore sur lui.
100 kilomètres de désespoir et de chagrin.
Mademoiselle la secrétaire restait derrière son bureau avec son épée. Surveillant tout le monde.
Pendant ce temps, monsieur Kafka pensait.
*
État 1. 15 nov. 2013
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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