HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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11.11.13

430.127.34. IL VA DE SOI QUE LES FEMMES SONT INFÉRIEURES À L'HOMME MAIS JUSQU'À QUEL POINT ?

_ Votre excès d'enthousiasme frôle l'obscénité

Il avait pris son parti de l'excitation permanente de mademoiselle la secrétaire envers les innombrables choses insignifiantes de la vie et préférait donc faire comme si elle n'existait pas. Il avait eu la faiblesse de l'interroger sur ce qui l'amusait tant à faire ceci ou cela et un regard supérieur et méprisant avait été la réponse reçue. 

Elle avait cessé d'exister il y a un moment. Et, depuis, tout allait pour le mieux. Une sorte de fantôme comme il y en a dans les vieilles demeures qui dérange quand on leur prête attention mais qui deviennent des esprits familiers lorsqu'on les ignore. On devine leur présence. On présume leur passage. Comme des courants d'air. On ne sait ce qu'ils veulent ou ce qu'ils pensent. Il en va probablement de même de leur côté. 

Chaque geste ou chaque parole risquant d'être mal interprété de part et d'autre, tant il y a des différences d'ordre philosophiques, ontologiques et vitaux entre ces 2 espèces ou ces 2 états de la matière qu'il vaut mieux faire semblant de vivre seul. Même lorsque la fatalité ou la pression sociale et familiale ont conduit au mariage. C'est ainsi que les couples durent d'ailleurs. On finit comme 2 appuis-livres affairés à tenir des livres et une vie passe ainsi. Chacun est si occupé qu'il n'a plus le temps de penser ce qui est la meilleure chose qui puisse arriver. Que demander de plus à la vie, qu'elle passe. Sans blesser quiconque. Sans accroc. 

Monsieur Adolf Hitler tournait les pages de son nouveau livre. Il avait découvert, il y a longtemps, le plaisir de vivre par procuration par la lecture d'ouvrages historiques et de biographies d'hommes célèbres. Vivre soi-même, en personne, demande une telle attention, cause tant de tourments, qu'il vaut mieux ignorer le monde dans lequel on est condamné provisoirement à vivre. Ce monde vit. Il passe. On le laisse faire. On ne lui demande rien. 

Et l'empressement que mettait mademoiselle la secrétaire à épousseter le mettait mal à l'aise. 

Elle avait probablement chaud. Très chaud. Elle transpirait sans doute.

Ce qui n'était pas peu dire de monsieur Kafka qui, entouré de soeurs, vivait un calvaire renouvelé tous les jours. Il y a quelque chose dans le mode de vie des hommes et des femmes et leur manière mutuelle de penser (quoique dans le cas des filles, la science moderne ne soit pas encore arrivé à une conclusion définitive et satisfaisante). Elles lui pompaient l'air. Cette manière de diriger, de houspiller, de surveiller, de juger. 

Du point de vue logique, il trouvait tout à fait incompatible la possibilité de leur 2 existences dans le même espace. Si ce n'était le fait que les femmes soient des mammifères dont la mission principale était la reproduction puis l'édification d'un nid et le fait que la Nature ait fait pour elles ce qu'elle fait aux papillons, les revêtant brièvement d'une jolie tournure comme elle fait pour les fleurs dans le but d'attirer les bourdons mâles. Ceci fait, la beauté étant désormais inutile, le magnifique papillon devient une grasse et grosse chenille tissant avec ardeur son cocon. 

Donc monsieur Hitler et monsieur Kafka lisait avec attention en attendant de mourir ce qui leur arriverait probablement sous peu. Eux, dans cet endroit immense et menaçant, eux, qui n'y avait rien à y faire et qui ne devait leur survie (provisoire) uniquement au fait d'être miraculeusement passé inaperçu. Il y a sans doute un dieu pour les idiots. Un dieu mineur qui ne protège de rien, ou pas longtemps - des calamités communes aux grands dieux.

Ils vivaient le rêve des intellectuels humanistes, passer leur vie dans la bibliothèque idéale. 

C'est le soudain silence de mademoiselle la secrétaire dactylographie diplômée qui attira leur attention en la sortant des beaux volumes tendus de peaux humains (teintes en rouge) qu'ils chérissaient amoureusement. 

Il y avait toujours ce bourdonnement ce cette pauvre  folle qui chantait et sifflotait en époussetant. Qui rappelait sa terrible soeur à monsieur Hitler. Monsieur Kakfa que les calamités n'avaient jamais épargné, avait été particulièrement éprouvé par le sort, en ayant eu 3. Il y a de quoi penser au suicide. Ou faire des poèmes sur la pendaison et la noyade. Ce qui avait été son thème favori depuis qu'il avait découvert la littérature.

_ Curieux ! 

_ En effet. Elle ne chante plus.

_ Elle est peut-être morte ? 

Était-ce une bonne ou une mauvaise chose qu'elle soit morte ? Aucun n'arrivait à une conclusion satisfaisante. La vie est ainsi faite, de bricolage en bricolage. Quelqu'un nous empeste, fait de notre vie un enfer - quoique ce ne soit nullement le cas de mademoiselle la secrétaire qui était la discrétion même quoiqu'étant femme, ce n'était nullement facile - et on découvre subitement, à notre plus grand désarroi, qu'on s'ennuie. Non qu'on ne puisse plus se passer d'elle - telles sont les stratagèmes et les enchantements usés par le femmes auprès de leur entourage - il la connaissait depuis trop peu de temps et, encore une fois, sa mort ou son décès, tout à fait envisageable dans les circonstances, ne serait nullement une tragédie. Mais il leur semblait qu'il manquait quelque chose en ce lieu. Non qu'il n'y ait pas suffisamment de choses. Des murs aux étagères de bois sculptés remplis du sol au plafond de belles éditions. Des bustes et des statues de tyrans et d'assassins. De magnifiques tableaux de victoires d'armées diverses avec des fanions, des drapeaux. Et de nombreuses crucifixions. Et des décapitations de Saint Jean Baptiste. Toutes choses fascinantes.

Mais où est-elle passée ? Lui est-il arrivé malheur? A t-on idée, d'épousseter des haches de décapitations (il y avait les billots - indispensables -  pas loin). Quelle imprudence. Il peut vous arriver malheur. Et vous n'aurez qu'à vous en prendre à vous.

Monsieur Hitler et monsieur Kafka s'interrogèrent du regard.

Tant de poèmes émus - qui brisent le coeur de tous les lecteurs et lectrices sensibles - ont été écrits au sujet de l'être aimé trop tôt disparu alors que si on avait attendu un peu, - on - étant le sort. Si le sort n'avait pas été si cruel, la vie conjugale de ce couple aurait été un enfer tout semblable à ceux des autres. Et il n'y aurait pas eu de poésie. Peut-être un texte ironique rancunier et ricaneur. Qui est une autre forme littéraire. D'où la beauté - si nécessaire à la culture - des morts prématurées, des assassinats tragiques et injustes (qui font douter de la bonté de Dieu) et des suicides dramatiques. 

Cette salle menant à une autre puis à une autre. Probablement que cette suite de salles occupaient tout le dernier étage de ce mystérieux édifice dont on ignorait tout. Y compris le nombre d'étages. Pourtant, on avait parcouru ces escaliers, marche après marche, monsieur Kafka y ayant laissé ce qui lui restait de poumon. Mais à la longue, on avait fini par perdre le compte. Tant compter ces marches puis ces paliers devenaient épuisant. Combien en avait-on fait ? Combien restait-il à faire ?

On aurait pu arrêter à tout moment et entrer par une des portes si tentantes. Mettant ainsi fin à notre escalades épuisantes. Pour découvrir quoi? Pour être découvert par qui? Et quelle serait la réaction des habitants de cette tour? Plus on grimpait, plus on avait l'impression qu'il s'agissait d'une tour. Un édifice tout en hauteur. En effet, quel aurait été la réaction des gardes que l'on imaginait innombrable ou très nombreux quoique difficile à conter. Sans doute pas la joie ou le recueillement.

Ils pensèrent à cette pauvre fille dans le camion qui avait partagé leur périple et qui était en ce moment quelque part à attendre quoi?

Ils pensèrent à cette autre pauvre fille qui avait fait l'objet de la dernière enquête du dernier patron de la secrétaire. Les secrétaire efficace et silencieuse (il faudrait corriger ce défaut) sont très en demande. Combien d'hommes d'affaires ou d'auteurs seraient désemparés sans cette assistante diligente. Et silencieuse. Oui. Il faudrait vraiment corriger ce défaut.

Le patron de la secrétaire était mort. Ce qui ne chagrinait nullement monsieur Hitler qui, quoique homme bon et charitable, avait fini par détester cette engeance qui ne faisait pourtant que remplir plus ou moins efficacement avec la dose de perversité nécessaire son rôle social. Les enfants - futurs adultes - ayant été éduquée et forgé dans la soumission et la docilité afin que plus tard on les commande sans qu'ils protestent. Trouvant même leur position sociale enviable et la réclamant quand ils en étaient privés. 

Mais monsieur Hitler avait découvert qu'il détestait être commandé. Il ne savait pas encore s'il aimait commander. Jusqu'à présent, il avait trouvé l'usage de l'autorité tout à fait répugnant. Et n'avait nullement envie d'imiter un tel comportement. Ce qui l'avait gardé dans sa philosophie personnelle éprise d'humanisme (avec la distance nécessaire) et de pacifisme. S'ajoutant l'amour des animaux. Et le végétarisme. 

_ Mais où est-elle passée ?

Ils avaient beau ouvrir des portes, larges et hautes, jusqu'au plafond, comme si elles étaient conçues pour des géants, elle demeurait invisible.

Enfin, ils la découvrirent. Observant consciencieusement un mur.

Et le plus étrange, c'est qu'elle n'époussetait plus. 

_ Était-elle malade ? 

_ Une sorte de langueur qui prend aux femmes. 

Monsieur Kafka avait remarqué ce genre de chose chez une de ses soeurs.

Ils allaient se moquer d'elle - tous ces mouvements devaient être épuisants et elle s'était probablement endormie debout - quoique ne connaissant pas suffisamment la gent féminine et ses us et coutumes pour être tout à fait sûr de leur théorie - lorsque s'étant approché davantage, ils virent ce qu'elle avait découvert.

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État 1. 11 nov. 2013