HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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8.11.13

426.123.30. LE POUVOIR EST UNE PASSION DÉVORANTE DIT MONSIEUR ADOLF HITLER EN SOUPESANT UNE HACHE AU VASTE ET ÉLÉGANT TRANCHANT AYANT SERVI À DÉCAPITER UNE CÉLÈBRE REINE.

Mademoiselle la secrétaire regardait, interloquée (abasourdie, ahurie, déconcertée, décontenancée, déroutée, désarçonnée, désorientée, ébaubi, étonnée, interdite, médusée, pantoise, stupéfaite, stupéfiée, etc.)

_ Pourquoi disiez-vous que nous étions mort ? Ou parliez-vous seulement de vous ?

Dit-elle en bafouillant. Se demandant s'ils étaient malade ou, pire, dangereux ?

_ Regardez autour de vous !

_ On dirait un musée. Je n'aime pas les musées. Trop de choses à épousseter (en quoi elle restait femme, ignorante des choses de l'esprit inaccessible à son entendement - toute chose étant pour elle un objet à entretenir, ranger, placer dans le bon ordre). 

_ Vous avez vu ces objets ?

_ J'ai vu. C'est plutôt vous que je regardais les regarder. Vous ne vous êtes pas vu ? Vous étiez amusant à voir !

Comme il ne servait à rien de discuter avec elle, monsieur Hitler l'ignora et dirigea son attention vers monsieur Kakfa. Il ne sert à rien de discuter avec des enfants. Et, dans la Bible, il y a une belle parabole de Jésus retransmise par Mathieu disant de ne pas donner de perles aux pourceaux. Plus exactement: Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, ni ne jetez vos perles devant les pourceaux (ou les truies), de peur qu'ils les piétinent de leur pieds. 

_ Que faisons-nous ?

_ Il faut sortir d'ici.

_ Facile à dire.

Mademoiselle la secrétaire qui en avait assez d'être ignorée se manifesta:

_ Ne faites pas comme si je n'étais pas là. Quoiqu'il arrive, je serais là aussi pour recevoir la colère divine sur la tête - le terme lui semblait adéquat étant donné le nombre d'objets célestes dans les environs. 

Monsieur kakka parla en parabole:

_ L'esprit d'un homme peut être connu par ce qu'il lit - sans qu'on ait besoin d'ouvrir sa tête comme le font certains savants. Avec des aiguilles qu'ils enfoncent ici et là dans le cerveau, ils pensent atteindre différents centres d'émotions et de volonté ou l'usine à rêve. Ils obtiennent des réactions mais bien imprécises. D'autres utilisent des chocs électriques sur des aliénés. On n'a pas toujours un grand malade sous la main, un orphelin pauvre sans entourage, il reste les prisonniers et les pensionnaires des asiles de nuit.

Monsieur Hitler se souvint des disparitions soudaines qu'il avait vu comme mystérieuses mais que tout le monde semblait trouver normales. Ils étaient là. Ils n'y étaient plus. Dans les salles communes, il y avait des rangées de lits alignés soigneusement comme des jeux de rectangles. Et, le matin, il manquait certains dormeurs. Et ceci arrivait souvent. 

Qui s'intéresse aux pauvres. Comme les souris et les rats de laboratoire, ils représentaient un vivier inépuisable de sujet d'expérimentation afin que la connaissance et la recherche avancent. Des savants trouvaient la morale conventionnelle bien contraignante.

_ L'esprit d'un homme peut être connu par l'endroit où habite son corps.

Poursuivi monsieur Kafka sans tenir compte des réflexions de monsieur Hitler qu'il était bien incapable de deviner vu qu'il n'avait pas le don de lire les pensées. Il devait donc s'en tenir à leur manifestation physique. Cette immense salle. Ce domaine qu'ils n'avaient pu que deviner. L'organisation secrète, imperturbable mais si bien régulée qui veillait à ce que tout ceci existe et continue d'exister. Par son ornementation, on pouvait décrire l'étrange animal qui habitait ce nid.

Ils mirent mademoiselle la secrétaire à contribution. Il était bien connu que les femmes disposant de bien plus de nerfs qu'il n'est nécessaire à leur survie ce qui est généralement source d'inconfort et de malaise pour qui les côtoie - mais tous ces nerfs facilement excitable et si aisément surexcités pouvaient être mis à contribution à l'oeuvre commune: qui était ici, simplement, le fait de survivre. Une heure à la fois. 

_ Regardez tout autour de vous et décrivez-nous la personne qui a conçu ce décor. Ne vous occupez pas de ce qu'on a pu vous raconter tout à l'heure au sujet de la provenance de certains de ces objets ce qui ne ferait que compliquer inutilement vos impressions. 

_ Oui. Dites-nous.

Alors que messieurs Hitler et Kafka étaient des hommes, des créatures vivantes douées de raison et capables de se servir avec lenteur de leur raisonnement - les femmes, dont faisaient parti mademoiselle la secrétaire possédait à la place un sens infirme appelé intuition. Dont ils essayaient de se servir.

Elle fit une nouvelle fois le tour des lieux.

_ Si j'étais une diseuse de bonne aventure, je m'inquiéterais.

_ En effet. 

Monsieur Kafka était épuisé - encore - par toutes les émotions qu'il recevait de ces lieux. Car, étrangement, il avait un don qui était pour lui un autre malheur, de transformer involontairement les perceptions d'un sens en celles d'un autre. Comme si les barrières qui existent en chacun étaient tombées. On appelle ceci synesthésie.

Ainsi les lettres lues, même si elles étaient noires de la couleur de l'encre déposée sur le papier, devenaient colorées. Chacune ayant la sienne et comme il n'y a pas 26 couleurs, c'étaient des variations de tons et de nuances des couleurs primaires et secondaires. Un son pouvait se colorer dans ses yeux. S'il touchait une lettre imprimée ou un objet, le contact se transformait en chaleur. Ou en son. Et les couleurs devenaient des impressions cutanées, des odeurs ou des sons.

Il va sans dire que dans un tel lieu, un homme comme lui étaient noyé dans un océan de formes, de couleurs, de contact, d'odeurs, de chaleur. Un tourbillon.

L'architecture le rendait fou. Une cathédrale gothique lui faisait perdre conscience. 

Et, dans cette antre du mal incarné, il devait se retenir de hurler.

Monsieur Hitler, compatissant, serrait ses bras pour l'empêcher de trembler.

Ensuite, il se retourna, baisse dédaigneusement la tête vers la pauvre femme qui était à leur côté.

_ Les hommes qui ont fait ceci sont ou font parti d'une puissance indescriptible. Il a fallu des siècles pour les rois et les empereurs des nations les plus énergiques pour réunir semblable collection. Des milliers d'hommes sont morts pour elles. Et les invisibles les ont volé sans qu'ils s'en aperçoivent.

_ Mais ce sont peut-être des faux ?

_ On peut faire croire n'importe quoi, je vis de la propagande publicitaire. On a pu vendre à l'homme le plus savant de son temps, des écrits de Jésus - qui n'avait jamais écrit quoique ce soit, sauf sur du sable: son testament, son contrat de mariage avec Marie-Madeleine, son extrait de naissance signé par César. Des recettes de cuisine de sa mère, Marie. La Sainte Vierge. Le tout. non en araméen, grec, hébreux mais en ancien français inspiré de Rabelais. Et il a payé une fortune pour tous ceci. Et la crédulité est contagieuse, car il s'était endetté et ruiné pour ces trésors imaginaires voulant les léguer à la France. Et les conservateurs des musées étaient ravis. Tout est possible.

Monsieur Kafka revint d'une autre inspection avec l'air de celui qui était frappé du haut mal.

_ Ils ont même le tombeau de Charlemagne. 

_ On dit que le kaiser le fait rechercher.

_ Il manque l'épée de Roland ou d'Arthur.

Dit ironiquement la petite secrétaire qui lisait trop.

Monsieur Kafka qui avait dû s'aliter sur un grand canapé en crin de cheval noir dit quelques mots.

_ Malheureusement, comme bien des artistes, je suis affligé d'un don qui est plus une souffrance qu'un plaisir. Si j'écris, c'est pour me libérer. Mais c'est bien peu et insuffisant. Il me faudrait peut-être un meurtre à coups de couteaux pour que je me sente enfin léger. Mais mon éducation m'interdit de tuer. Et je ressens les troubles des victimes comme si j'étais liée à elles. Ce qui me fait comprendre ce lieu comme une sorte d'organisme carnassier se nourrissant de chair sanglantes et de pries vivantes. Ces gens - mais est-ce que ce sont des gens ? Des êtres vivants? Des corps possédés par des esprits malsains et malfaisants - qui ont créés ces lieux hantés doivent être évités à tout prix. Je sens leur présence. Partout. Et les murs suintent le malheur et la détresse. Un esprit diabolique s'est emparé de ces reliques et les a détournés de leur destin. Dans ce combat, Dieu a perdu. 

_ Si ce sont des faux ?

La pauvre secrétaire y tenait.

_ On se sert dans les cours de chimie d'une languette de papier tournesol pour distinguer un acide d'une base. Le papier se colore. Je réagis semblablement devant la douleur. Ce qui fait que je ne peux presque plus marcher dans les rues tant elle coule de toutes les murailles de la ville. Et ces objets proviennent du meurtre d'un Dieu. 

Elle le vit comme un grand malade mais comme il était beau, dans le genre poète souffrant, elle voulut le bercer.

Monsieur Hitler trouvait qu'il y avait bien trop de femelles ici. Un homme de décision devenait impératif.

_ Il faut partir d'ici.

_ Mais ces gens, cet ordre des choses dont vous parlez tous les 2 en ayant l'air de vous comprendre à demi-mot, pouvez-vous me l'expliquer. Je ne suis qu'une femme et mon entendement comme vous avez pu le remarquer est insuffisant hors de l'espace domestique. Je n'y peux rien, lorsque je suis oppressé, je dois nettoyer quelque chose. 

_ C'est une synarchie.

_ C' est une forme de gouvernement privé, invisible, parallèle qui sépare l'autorité du pouvoir. Ceux qui ont le pouvoir - visible de tous - sont subordonnés à ceux qui ont l'Autorité - invisible à tous. C'est l'énergie du mal dans sa forme la plus intense.

_ Toute personne qui demeure ici en est irrémédiablement contaminé.

_ Il faut partir. 

_ Et si nous n'y arrivons pas ?

_ Il faut à tout prix ne pas être fait prisonnier par ces gens ou ces êtres. Il y a des situations où la mort est préférable à la vie. Je ne me laisserai pas prendre vivant. Depuis longtemps, j'ai fait la liste de ce qui me serait insupportable. J'ai supporté beaucoup jusqu'ici. 

_ Depuis que je suis enfant, je pense à me tuer mais je n'y arrive pas. J'ai toujours caché ce vice à mes parents. Je ne crois pas que je pourrais même si le voulais. 

_ J'ai déjà tué

Dit monsieur Hitler. Au point où on en était, il y a des aveux qui ne font que soulager.

_ J'ai pensé alors, peut-être en réfléchissant insuffisammant, que ma vie valait la peine d'être conservée. Je pensais être un grand artiste voué à une oeuvre future. Que je devais conserver ma vie pour la postérité. Maintenant, je vois la vie comme une farce sinistre, une bouffonnerie de cirque qui ne fait rire personne. Si vous insistez, je vous tuerai avant de mettre fin à mes jours. Ainsi soit-il.

Il retrouvait une prière de son enfance.

_ Je n'ai pas vu ici d'arme à feu mais il y a une collection de couteaux, poignards, dagues, épées, rapières, sabres de toutes les époques. Et qui ne demandent qu'à couper. 

_ Mais vous êtes complètement fou. Vous avez raison en prétendant que ce lieu vous contaminait. Il faut partir. Vous me faites peur.

C'était plus facile à dire qu'à faire. La porte visible de tous menait au corridor décrit plus tôt. Menait aussi à d'autres portes de chaque côté du corridor. Une sorte de boyau qui aurait pu être un long intestin. 

Aller par là était se jeter dans la gueule du loup. Comme ils avaient pu l'entrevoir dans le garage tout en bas, cet endroit regorgeait d'hommes armés. Il y avait ceux qui étaient venus avec eux - sans le savoir - dans le camion: des bandits des bas quartiers de la ville. Mal nourris. Petits de taille. Presque infirmes. Et il y avait ceux qu'ils avaient vu les rencontrer, des hommes de grandes tailles, bien bâti. Monsieur Hitler et monsieur Kafka n'avaient pas osé affronter les premiers qui leur semblait d'une sauvagerie dangereuse. Leurs corps n'étaient pas fait pour ces combats primitifs. Si les premiers étaient effrayants, les autres l'étaient davantage. Les gardes noirs les auraient mis en pièce en un instant. 

Ceux qui dirigeaient cet endroit avaient les moyens d'avoir une garde privée dont le nombre restait à déterminer. 

Il valait donc mieux éviter tout contact physique. 

_ Donc nous sommes prisonniers ici ?

Dit mademoiselle la secrétaire dactylographe.

_ Parce que vous êtes des lâches. 

Il y a des femmes qui exigent d'être giflée pour leur conduite mais monsieur Hitler et monsieur Kafka étaient trop civilisés pour s'abaisser à faire ce que cette pauvre femme exigeait pour satisfaire ses sens dévoyés et malades. 

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État 1. 8 nov. 2013