Afin de préserver une amitié naissante ou une forme primitive de camaraderie naissant du fait de partager le même espace, fut-il une prison ou une salle de classe ou le musée privé de collectionneurs bien inquiétants., il valait mieux, parfois, ne pas se voir trop souvent. Ainsi, chacun d'aller vaquer à ses occupations.
Messieurs Hitler et Kafka trouvèrent un bon fauteuil où ils pourraient lire. Il y avait dans un autre local attenant une vaste bibliothèques remplis d'éditions rares reliées.
Quelqu'un - le médecin aliéniste qu'il avait brièvement consulté suite aux conseils de son père - avait demandé à monsieur Kafka ce qu'il ferait si on lui apprenait qu'il allait mourir prochainement, il répondit qu'il lirait.
Ce qui ne satisfait pas son interlocuteur qui répliqua: et si on vous annonçait la fin du monde?
Je lirais toujours.
Ce qui vaut mieux que de courir en tout sens les bras en l'air tout en hurlant.
Monsieur Hitler, à ce moment, avant que le démon de la politique ne vienne interrompre une prometteuse carrière littéraire ou artistique, aurait répondu la même chose.
Il s'était donc installé dans le confortable fauteuil du bureau de l'inquiétant maître de maison.
Pendant ce temps, mademoiselle la secrétaire avait trouvé un chiffon et époussetait les vitres des vitrine qui en avaient bien besoin - selon elle - mais qui ne lui avaient rien demandé - selon l'opinion commune de monsieur Hitler et de monsieur Kafka.
Mais ainsi sont fait ces charmants petits êtres qu'un rien amuse - non! ce n'est pas le bon mot, car elles sont généralement fort inquiètes - disons donc, qu'un rien occupe. Car ne rien faire est un autre motif de préoccupation.
Monsieur Hitler, fouillant dans les tiroirs du meuble servant de bureau, joliment ouvragé par des ébénistes de talent, avait trouvé ce qui lui semblait un journal personnel. Ou le dernier tome numéroté d'une série d'albums reliés en rouge, où le Grand Maître de cette sorte de temple racontait ses aventures.
Il est rare que les grands hommes laissent derrière eux un journal personnel. Ils n'en ont généralement pas le temps toute leur attention allant au présent. Il leur faut arriver au pouvoir et, une fois là, s'y maintenir. Tant de gens, tout comme eux, plus jeunes, ne demandant pas mieux que de les jeter bas de leur piédestal. Ce n'est que lorsqu'ils sont en prison, en fuite, exilé - parce qu'un plus jeune maître du monde les a vaincu et remplacé - ou, si le Destin le permet, à la retraite, qu'ils en auraient le temps. Et leurs secrets s'en vont avec eux. Parce qu'en prison, ils n'ont pas de papier, ou qu'ils attendent leur exécution, ce qui laisse peu de temps pour se morfondre dans le passé. Ou parce qu'ils ont un Walter PPK sur la tempe ce qui leur enlève le peu de goût qu'ils ont - étant des hommes d'action - pour l'épanchement sur eux-même. D'ailleurs, dans un instant, leur cervelle sera éjectée vers le plafond.
Mais chance rarissime, monsieur Hitler avait entre les mains ce genre de document sans prix. Et il était un des rares hommes capables d'en saisir l'importance.
À ce moment, la tentation de devenir à son tour maître du monde. De modeler ce monde comme s'il était d'argile souple pour en faire une oeuvre d'art. Ne nous faisons pas d'illusion, les artistes ou les écrivains ne s'adonnent qu'à des simulacres décevants. Comme des sortes de sorciers, ils imitent avec des incantations ou des traits de pinceau le monde de leur imagination. Mais ce monde de mots ou d'images n'est qu'une illusion. La tentation peut être grande de manipuler les gens comme on le ferait avec des personnages de fiction. Ce qui empêche la réalisation de cette idée fascinante c'est son impossibilité évidente. Mais si le sort, le Destin, en décidait autrement. S'il plaçait tous ces gens devenus dociles dans les mains d'un grand créateur. Un sculpteur aussi imperturbable qu'un chirurgien, un boucher, un embaumeur, un collectionneur d'insectes qui piquent ses jolis papillons après avoir étendu leurs ailes, un esprit supérieur, qui saurait,sans faiblir, tailler dans la chair vivante. Faire de l'inédit, de l'inattendu, du nouveau, avec les chairs anciennes. Ne se laissant pas émouvoir par les cris du supplicié. Car la sculpture ne peut se faire que dans un corps vivant. Autrement, on retombe encore dans le simulacre et l'imitation. Le musée de cire. Il ne faut pas avoir de pitié. Ce qu'un esprit inférieur et faible tolérerait. Est-ce à ce moment que cette tentation dangereuse de faire de la politique lui prit?
Difficile à dire.
Il ne savait pas que la jolie et tendre reliure de ces beaux livres étaient faites de peau humaine. Car celui qui dirige les nations et qui pense à leur avenir la plume à la main doit être un homme d'un goût souverain.
_ À quoi pensez-vous ?
Lui demanda monsieur Kafka. Comme le faisait sa soeur.
_ À rien.
Ce qui était vrai la plupart du temps, car la plupart des hommes inoccupés ne pensent à rien. Il n'y a que les femmes qui ont toutes l'esprit torturé qui ne les croient pas. Parce qu'elles ne peuvent imaginer que quelqu'un ne soit pas préoccupé ou inquiet de quelque chose.
Et monsieur Kafka se contenta de cette réponse. Et trouva son nouvel ami - devait-il utiliser ce mot ? - chanceux. Lui, aurait aimé ne penser à rien. Non qu'il soit du genre féminin emprisonnées dans leur futiles songeries. Lui, qui sentait tout, ressentait trop, percevait des images terribles.
Mais il n'avait jamais trouvé quelqu'un avec qui partager ses images. Encore une fois, il les garda pour soi. Par politesse. Peu de gens étant disposé à se mettre à frémir et hurler en écoutant un homme du futur le décrire.
Il sourit donc tristement comme il le faisait toujours et se replongea dans la lecture.
Mais à ce moment, monsieur Hitler mentait.
Dans un roman, quoiqu'on pense, le style et les idées ne comptent pas. Les idées, tout le monde en a et ce sont toutes les mêmes. Ce sont celles de son époque qui font rire les nouveaux arrivants du monde futur déjà ancien si on est de la génération suivante. Et le style que l'on utilise est celui, encore, de son époque ou du clan de cette époque, de sa classe, de sa sorte d'intelligence, petit bout de terre sableuse et provisoire auquel on appartient. Brièvement. La seule chose qui compte dans un roman, c'est sa possibilité de rêverie et de fascination. Le pouvoir qu'il a - donné par qui ? - reçu par qui ? (cet être généralement médiocre qu'est un auteur ?!) - de faire rêver. Sans dormir. De posséder le lecteur. D'envoyer l'esprit du lecteur dans un autre monde. Le temps de sa lecture. Le roman est un objet magique. Ou il n'est qu'un gaspillage de papier. Si on perd son temps à analyser, à trouver joli une tournure, un adverbe, c'est qu'on est en face d'un auteur inférieur. Qui aligne des mots sagement. Car il est aussi consciencieux que besogneux. Qui tend des colifichets et des bouts de miroirs à ses acheteurs faute de pouvoir les amener de force dans un monde merveilleux ou terrible.
Et c'était en compagnie d'un tel auteur que monsieur Hitler se trouvait.
Un esprit vaste ayant succédé à une caste d'esprits grandioses.
Il rêvait d'égorgement.
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État 1. 9 nov. 2013
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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