Tout n'avait pas été si simple.
La première tentative ne donna rien. Ce qui rassura prématurément à peu près tout le monde. Sauf monsieur Kafka qui se méfiait. Il est vrai qu'il avait, cette fois, des raisons de se méfier. On connaît les Juifs!
Quoique à ce moment, rien de vraiment définitif ne permettait de mettre en doute la chance qui les accompagnait depuis le début de leur arrivée ici. Quoique.
Monsieur Hitler, jusqu'à présent, n'avait pas particulièrement à se féliciter de son destin. Jusqu'à présent, étant une expression qui pouvait s'étendre jusqu'à sa naissance.
Comme la plupart des gens, il n'avait pas eu une enfance particulièrement heureuse. Quoque il n'y ait rien de particulier à dire à ce sujet, car c'est le lot de la plupart des gens.
Pour des raisons de bienséances et pour ne pas précipiter vers le plus proche suicide les nouveaux arrivants, on évite d'en parler. Ainsi, les nouveaux terriens croient que ce qui leur arrive [placer un descriptif éloquent ici ] ne dépend que d'eux.
Ils sont des incompris.
Ou n'ont pas compris quelque chose.
D'où l'espoir de comprendre un jour. Ce qui leur donne un but dans la vie.
L'église catholique qui s'y connaît en vie gâchée - toutes les confessions entendues dans les confessionnaux depuis plus d'1 millénaire ont permis de faire la recension de toutes les possibilités physiques et mentales statistiquement possibles aux humains - décrit plus clairement la vie sur Terre comme une vallée de larmes. Larme étant au pluriels. Signifiant plusieurs.
Mais la croyance en l'existence de Dieu - ce qu'on appelle la foi [on peut commenter plus longuement ce terme ] - facilite les choses. Car, selon cette logique ou la logique de cette théorie, après avoir souffert suffisamment, on gagne son Ciel. Donc tout n'est pas perdu. Sauf sa vie sur Terre. Mais la plupart des gens n'ont à y attendre qu'un long Enfer.
Mais l'Église qui s'y connaît affirme que cette vie est une illusion. Elle n'existe en réalité que pour préparer la vie future dans le Ciel. Une sorte de concours. Avec prix d'excellence. Et recalés.
Commençons par ses parents.
Ses parents ayant eu des enfants parce que ce genre de chose se faisait couramment et c'était ce qu'on attendait d'eux. Ils eurent donc de enfants. Ou un certain nombre. Ne pas avoir d'enfant - ou la chose appelée ainsi - aurait paru anormal.
Il fallut un certain nombre d'essais et d'erreurs et la plupart de ses frères et soeurs décédèrent prématurément. Dès son plus jeune âge, il vécut entouré de fantômes. Occupant les chambre des morts. Le lieu, où, successivement, ses frères et soeurs avaient agonisés.
S'il avait apprécié sa mère qui ne lui manifestait pas de sentiments excessifs, ce fut plus difficile pour son père. Homme sévère, droit et juste qui se demandait ce qu'il avait fait au Seigneur pour mettre au monde un tel dégénéré toujours épuisé de la vie. Qui n'avait rien connu et qui en était déjà écoeuré.
Il comparait ce comportement délictueux avec celui de son frère qui, tout bébé, manifestait une si belle mentalité et une puissante vitalité en hurlant d'indignation. Malheureusement, il était mort lui aussi.
Pendant longtemps, il s'était démandé, lui-aussi, s'il était mort. Peut-être l'était-il ? Mais on n'avait pas jugé important de le lui signaler. Aussi, dans les meilleurs jours, il faisait semblant de vivre. Ce qui, inévitablement, arrivé vers 10 ans, lui donna l'impression d'être fou. Ou un objet mécanique. Une sorte de robot défectueux. Et il vécut sa vie de fou, de robot ou de fantôme aussi bien qu'il pu étant donné les circonstances.
Heureusement, la vie d'artistes lui fit raconter quelques phénomènes semblables à lui: homesexuels, bisexuels, travestis, homme se croyant une femme ou femme se croyant un homme. Quelques Juifs.
Non qu'aucun de ceux-là ne partageaient véritablement ses symptômes cliniques mais ils avaient en commun d'être défectueux. Et il faut en convenir, étant donné les statistiques, aucun homme raisonnable et sain d'esprit n'a la moindre envie d'être artiste. Ce qui fait qu'il y en a si peu. Compte tenu de la population générale. Ce qui fait qu'il y en a tant. Étant donné le nombre de défauts et d'infirmités de celle-ci.
Son père était donc un homme fort, dur, sans faiblesse. Fonctionnaire. Représentant de l'État. De la Nation. De la patrie. De la race.
Tout ce qu'il détestait.
Jamais jusqu'à sa mort - il y a une justice sur terre - il ne l'avait appelé par son prénom, préférant lui signaler sa présence et la nécessité de se manifester dans les plus brefs délais, pour obéir à un nouvel ordre pressant - d'où l'impression d'être conscrit dans une armée quelconque - par les interjections: Hé!
Et, dans un style plus général, il le désignait avec les mots simples: toi ! lui! chose là !
Et il avait compris, comme un animal familier, que le mot sec et brusque ou le son adéquat le désignait. Comme on appelle un chiot. Hé!
Le décès de son père fut donc d'un grand réconfort.
Sa mère ne l'avait jamais aimé - ayant été une bonne reproductrice, la seule chose qu'on attend généralement des femmes - il lui arrivait, de temps en temps, irrégulièrement, de lui manifester des gestes simples d'affection.
Sans exagération.
Elle au moins ne le frappait pas.
Son décès fut donc une tragédie. Puisque ce fut la seule personne généreuse - avec modération - qu'il avait jamais rencontré depuis sa naissance.
Il avait appris très jeune et le contact répété avec le milieu scolaire (abrupt) lui avait appris encore davantage que les enfants étaient des monstres et les adultes des fous.
Il lui avait pris longtemps à intégré le concept de violence qu'il comprenait mal. Quoique les coups répétés suivis ou précédés d'insultes de la part de ses petits camarades lui aient permis de mieux préciser le concept.
Il était donc un faible et il lui avait fallu devenir fort pour survivre.
Mais il avait encore raté.
Ce qui fait que pendant une grande partie de sa scolarité, il faisait des listes.
La liste de tous ceux qu'il tuerait plus tard.
Mais à 6 ans, on est trop jeune pour avoir le droit d'avoir une arme. Un couteau est toujours possible et facilement accessible dans n'importe quelle cuisine de maison quelconque mais il était aussi trop jeune pour allier colère, vengeance et meurtre. Il tuerait donc plus tard.
Mais en vieillissant encore plus, il avait oublié cette liste. Le malheur étant moins présent. Et comme il grandissait, était moins laid, bégayait de moins en moins, ses petits camarades trouvaient moins d'occasion de le mépriser et de le battre.
Ce qui aida beaucoup dans cette nouvelle vie - il en eu plusieurs par la suite - ce fut la mystérieuse disparition du plus féroce de ses petits ennemis.
Disparition qui désespéra les parents du petit monstre qui n'avait aucune idée de quelles ignominie ils avaient engendré. Ce que ses petits camarades terrorisés connaissaient fort bien.
Il apprit donc, tout à fait par hasard, l'effet apaisant et bienfaisant du meurtre.
Comme on l'a dit, ce fut par hasard. Sans qu'il l'ait voulu.
La petite ordure le frappait alors qu'il était par terre et qu'il suppliait. Ce qui le faisant d'autant plus mépriser par celui qui cognait. Car, quoiqu'on dise, les humains détestent les faibles. Ceci se passait dans la remise de l'école. Où ce camarade l'avait attiré avec quelques bonbons. Naïvement. Stupidement. Il avait cru à quelques réconciliation. Enfin, son calvaire était terminé. Comme dans les romans moralisateurs qu'on lui faisait lire de force, le bon gagnait sur le mal et le méchant retrouvait la raison. Erreur. C'était simplement pour le cogner encore mieux dans le noir. Alors, tout à sa furie destructrice, le petit camarade y alla trop vigoureusement et glissa, tomba en avant, et un crochet qui servait à lever de charges diverses vers le grenier - le crochet était relié à une poulie et à un jeu de cordes tressées - se prit dans son orbite sourcillaire après avoir crevé son oeil droit. Ce que le jeune Adolf trouva particulièrement satisfaisant. La jeune brute se débattait comme un diable dans l'eau bénite en cherchant un appui, de l'aide, en suppliant. Comme si sa victime allait l'aider ? Parce que, à son tour désespéré, il implorait de l'aide. Situation nouvelle qu'il connaissait mal. Ayant toujours été du côté du plus fort. Du côté du manche comme on dit ici. En parlant des haches. Comme si tout ce qu'il avait fait toutes ces années et les mois précédents devait être oublié parce que lui souffrait.
Le petit Hitler contempla le spectacle exquis.
Et découvrit qu'en tirant le système de cordage et de poulies qui surmultipliaient scientifiquement l'effort. Ainsi, un poids se trouvait divisé par 2 ou plus selon le nombre de poulies en jeu. Il découvrit donc qu'en tirant, tout le poids du corps de son petit camarade s'élevait vers les cieux ou vers le grenier par le crochet enfoncé dans son oeil et donc son crâne comme un bizarre pendu.
Fatigué des cris, ayant envie d'un nouveau jeu et du goûter qui l'attendait à la cafétéria, il prit une fourche (il y en avait une toute proche) et lui enfonça dans la gorge.
Quand on découvrit le corps - on pensa longtemps qu'il avait été enlevé ou avait disparu ou avait fait une fugue pour mettre le feu à la maison ou à la grange ou au poulailler d'un voisin comme il avait déjà fait - on cru à un accident. Ou quelque chose du genre. Il n'y avait que lui pour se mettre dans de telle situation. A t-on idée d'aller grimper dans le grenier, de jouer avec les cordes et de tomber si maladroitement. Sa mère fut comme toutes les mères ou presque toutes ou un certain nombre, fut triste. Même celles qui ont engendré des monstres ont de la peine ou quelque chose du genre.
Bref, comme la plupart des enfants, monsieur Hitler fut malheureux. Comme la plupart des écoliers, il fut terrorisés par des petits camarades monstrueux et des professeurs sadiques et pervers et, c'est tout à fait, par hasard et avec quelques surprise qu'il se sortit vivant de cette situation déplaisante. Il était alors trop vieux et trop grand pour qu'on le frappe avec autant de nonchalance. Il avait acquis un air sournois qui faisait croire qu'il pouvait aller jusqu'à rendre coup pour coup.
Vivant. Quoique un peu fou.
Mais cet ordre des choses est si normal.
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État 1. 13 nov. 2013
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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