HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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26.4.12

39. LE CURÉ PENDU DANS L'ÉGLISE

Henry Dickson

Lisait les notes manuscrites accompagnant le livre. Peut-être un projet de suite qui ne s'était jamais matérialisée. Quand on se découvre un talent d'auteur sur le tard, il arrive que la vie vous rattrappe et dicide à votre place. Vous n'aviez qu'à le faire avant. Tant pis pour vous. Il y avait là une sorte de résumé dialogué d'un conte moral comme on en faisait à l'époque. Quoique la date de l'époque ne soit pas claire.

Notes manuscrites.

Le curé lisait son bréviaire et pensait à sa journée qui ne s'était pas terminée aussi mal qu'avait commencé la semaine. Si la vanité n'était pas un péché, il aurait pu se dire content de lui. Il avait rassuré les fidèles craintifs et qui commençaient à se poser des questions. L'Église était là, veillait à tous et sur tout. Elle avait et aurait encore pour un moment toutes les réponses.

Et ces femmes, elles seraient toutes là lors de la procession annoncée par le curée pour expier en commun le fait d'être ce qu'elles étaient par la malédiction de Dieu Juste, des femmes.
Ici, des notes incompréhensibles, des repentirs, des addendas, des ratures, des notes au bas de page. Finalement, le texte reprenait plus loin. Toujours manuscrit. À la plume mais compréhensible.

Il avait décidé sous l'inspiration du Saint Esprit de faire un pélerinage, court mais éducatif. On accompagnerait la dépouille de cette chienne jusqu'à la fosse commune où le bedeau avait préparé un bûcher funéraire. On y mettrait le feu et on jetterai le corps de cette chienne maintenant enveloppé dans un sac de jute. Elle brûlerait. Comme son âme brûle maintenant en enfer. Car ce qu'elle a fait, rien ne pourra le réparer. Et tous s'assemblerait autour du bûcher comme au temps de l'Inquisition et chanteraient des cantiques à la bonté de Dieu.

Tout était près. Il avait calculé l'horaire. Le ciel était menaçant, il y aurait probablement de la pluie. Il fallait donc agir vite. Pour éviter que les volontés du ciel soient interprétées comme refusant un tel sacrifice. Vite. Vite.
Mais il n'y eut pas de procession.
Le curé fut retrouvé pendu sous la lame du sanctuaire de l'église. Étranglé avec son étole avant d'être suspendu. Mesure de charité ou précipitation du au fait qu'on n'avait pas pu se retenir d'avantage.

Le bedeau qui croyait le trouver comme d'habitude en train de prier à l'église cherchant l'inspiration pour ses paroles et sa conduite, le trouva se balançant sous la flamme perpétuelle.

Le bedeau appela le vicaire.

Le vicaire essaya de trouver les mots  tout en courant prévenir le chanoine qui saurait quoi faire. Faute de curé, il s'en remetttait à son autorité.

Tous observaient et étudiaient le curé pendu.

Quelqu'un osa le premier mot que la sepctacle lui inspirait:

Suicide

Le bedeau, toujours simple et pratique, rectifia:
C'est haut!

Le chanoine approuva.

C'était vraiment trop haut pour un suicide.

Cette réponse logique ne suffisant pas, il crut bon instruire le petit groupe qui l'entourait:
Et la tradition de l'Église est contre ce crime qui va contre la volonté de Dieu.
Donc, en toute logique.

Ministre du culte, il ne pouvait s'être suicidé.
Et c'était vraiment trop haut.
Bien sûr, pas assez haut, à en juger par la pendaison. Quelqu'un, visiblement, avait trouvé, au contraire, que c'était juste de la bonne hauteur. Le curé avait peut-être péché par orgueil lors de son prêche, s'étant senti inspiré par le Saint Esprit, ayant cru s'élever au-dessus de tous. Du moins, c'est ce qui lui paraissait probable... comme explication de ce qui avait servi d'inspiration à celui qui avait fait ça.
Qui s'élève sera abaissé avait dit...
Généralement, ce n'est pas aussi rudement et si ça l'est, l'Histoire fourmillant d'exemple, c'est rarement aussi rapide. De la gloire de ce nouvel aigle de l'Église à sa chute en une seule nuit.
Et il n'y avait ni échelle ni chaise.
Il avait beau se demander comment après le pourquoi, il n'y arrivait pas. N'ayant jamais eu l'oeil artiste ou architecte ou géomètre, le déplacement des corps dans l'espace n'était pas pour lui de comprénsion simple.
Quelqu'un l'avait donc aidé.
Si le meurtre est grave, celui d'un paisible prêtre encore pire, c'était tout de même un soulagement de penser que le prêtre ne s'était pas enlevé la vie lui-même.
Et pourquoi l'aurait-il fait? Le chanoine lui-même l'avait couvert d'éloge. Après un tel discours, tous les possibles s'offraient à lui. Il quitterait, certes, sa chère église, mais non pour dépérir dans un monastère comme il le craignait - et cette idée avait effleuré l'esprit du chanoine- mais peut-être pour être secrétaire de l'évêque. Directeur du séminaire. L'Église savait reconnaître les esprits talentueux et inspirants.
Le Chanoine écrivit une longue lettre d'éloge à son sujet. Même s'il s'apprêtait à recommander sa mutation dans une autre lettre qu'il brûla. Il avait apprécier son homélie mais était-ce trop tard? Trop peu. Que sont les mots face aux actes. Et des actes aussi terribles. Le mal était fait et bien fait. Jamais une telle situation n'aurait dû se produire. Elle ne pouvait pas se produire dans une paroisse catholique. Ce qui voulait dire que des forces obscures étaient à l'oeuvre contrebalançant l'oeuvre de l'Église. Politique, il y voyait des raisons obscures, une vengeance. Il y avait une raison pour que cette femme soit tuée et pas une autre. Et une autre pour qu'on la tue de cette façon. Et une autre pour que ce se soit à la vue de tous à l'endroit visible de tous. Le petit curé de paroisse n'avait pu deviner ou entrevoir ces raisons. Le Chanoine connaissait les hommes plus que lui qui passait tout son ministère auprès des femmes, les plus ferventes croyantes. Et il prévoyait une autre vengeance. Celle-ci se produisit plus tôt que prévu, sur le pauvre prêtre. Peut-être son terrible discours avait-il détournée un moment le vengeur de sa mission. Et le prètre trop inspiré en paya le prix de sa vie. Première vengeance d'une suite à venir. Il avait craint le pire et le pire était arrivé et allait se perpétuer. Il ne convenait plus alors de sévir contre le prêtre qui avait trouvé son juste châtiment. Bien plus grave que son crime. Il fallait déjà préparer le futur. Et il ajoutait dans une note que la béatification du curé mort martyre de sa Foi devrait être suggérée.
Et il nettoya soigneusement ses lunettes avant de compléter les notes de cours qu'il donnera à la faculté de théologie.
Était collé ensuite un papier découpé dans une encyclopédie ou un ouvrage historique dont il voulait faire un résumé.
Même dans la Rome Antique, lorsque les croyants et les convertis de leurs prisons sous les arènes du Colisée contemplaient les horribles supplices, les terribles machines qui broiraient lentement leur os, les immondes bêtes qui les grifferaient sans merci, lacéreraient leurs corps et les dévoreraient vivants, toutes ces inventions de la science, de la technique, de la perversion et de la folie réunies en un seul lieu. Destinée à une seule tâche, faire souffrir dans les nuances les plus raffinées les hommes, les femmes et les enfants. Même dans une telle situation de désespoir, il était interdit de mettre un terme à leur jour. On allait mourir de toute façon, ce n'était qu'une question de temps, d'horaires des amusements du public, même si une mort pouvait paraître clémente et plus douce comparée à une autre. Même si on avait peur de manquer de courage ce jour-là, de défaillir, de pleurer ou de hurler de douleur. Le suicide vous conduisait en Enfer. À ce moment-là, Dieu serait là pour soutenir leurs efforts et les rassurer. Et les attendre une fois que leur brève épreuve, peu importe sa durée, serait terminée. Toute une Éternité de délice les attendait aux Cieux. Tandis que leurs misérables bourreaux iraient pourrir bientôt en Enfer. Mais il ne fallait pas leur en vouloir, ils étaient mû par leur ignorance, leur folie, leurs superstitions. Et comme tous les esclaves, ils obéissaient aux ordres. Sans penser. Il fallait leur pardonner et prier pour eux. Être des brebis à l'abattoir. Leur vie ne leur appartenant pas mais propriété de Dieu qui les avait créé à son image. Comme ses bourreaux. Terrible mystère. Ils devaient donc faire preuve de patience, remercier leurs bourreaux qui mettraient un terme à une vie de tentations et prier pour eux.
Et le texte manuscrit reprenait.
Le Chanoine fut très satisfait de son travail et s'endormit épuisé mais content dans les draps frais et propre du lit chaud et douillet de la chambre mise à sa disposition au presbytère. Pas la plus belle, réservée à l'évêque - mais était-il convenable qu'il vienne ici dans de telles circonstances? Il fallait qu'il y réfléchisse.- mais plus belle que d'autres.
Et, avant de s'endormir passant en revue différents arguments logiques avec leurs contradictions.
Donc le curé ne pouvait philosophiquement et théologiquement pas avoir mis fin à ses jours.
N'en ayant aucune envie car depuis 1 semaine il préparait son texte. Le lui avait lire afin de s'en assurer de la conformité. Texte dont la lecture publique fut un succès. Quoique sous le coup d'une inspiration sacrée il s'en écarta souvent. Il aurait dû le réprimander pour cette imprudence mais son effet sur la foule des fidèles avait eu le même effet que le fer chaud marquant de façon indélébile le bétail du sceau de son maître. Et il avait eu raison: à une telle attaque doctrinale ne pouvant venir que de Satan, il fallait répondre par une contre-attaque d'une puissance supérieure de façon à arnacher les âmes vagabondes.

Rien ne se fait pour rien dans les terres de Dieu. Tout est allégorie. Et ce qu'on prend pour des vies privées ou la sienne propre est sa manière à lui de transmettre des messages depuis qu'il ne s'adresse plus directement aux humains.

Le curé qui meurt. Allégorie. La pendaison. Allégorie. Pendu comme un criminel. Comme Jésus eut le sort de criminels de son époque. Allégorie. Il faut élevé pour qu'on le voit bien de loin. La main du criminel fut savamment guidée. Parce qu'il avait terminé sa mission sur terre. Et son dernier discours qui serait resté dans les esprits à jamais, y sera dorénavant encore plus profondément encré par sa fin terrible. Ceux qui doute de la puissance de l'intervention du Diable ou même de son existence seront confondus. Personne aussi haut qu'il soit parvenu par ce qu'il  croit être sa propre force ou sa propre volonté à moins que sa hauteur ne vienne de sa naissance, n'est à l'abris. Tous peuvent être atteint. Tous seront abattus. Certains esprits dits libres profiteront de cette fin pour ironiser disant qu'est-ce que Dieu, si faible, si incapable, de même protéger ses serviteurs. Mais toute âme apprtient à Dieu, son créateur qui en fait comme le potier ce qu'ill veut. Il lui donne la forme nécessaire pour l'usage qu'il lui a réservé. Vase de fleurs ou cendrier. Ceci ne reste que de l'argile. Le plus bas des matérieux. Pour montrer sa puissance, il en fait Adam. Qu'on le brise ne change rien à l'affaire puisqu'on ne s'en prend qu'à une forme provisoire dont on ne fera que libérer la forme réelle afin qu'elle s'épanouisse dans son vrai domaine qui n'est pas ici, provisoire habitation, mais là-bas.

La sorcière est morte. Allégorie. De la faiblesse des femmes, pauvres créatures sans droit qui ne sont rien sans la protection des hommes et des lois. On en a vu encore la preuve il y a peu. Cette leçon servira aux femmes orgueilleuses dont certaines fréquentent régulièrement ces lieux sacrés. L'orgueil peut les anéantir à tout moment, il n'y a que l'humilité et la soumission qui les sauvera. Faibles et infirmes, elles peuvent à peine survivre sans un homme: père, époux, frère, fils.

La crucifixion. Allégorie. Seul le Démon ou un anglais aurait pu imaginer une telle fin. Se servir du supplice du Christ, ce profond symbole, contre l'Église. Clouer cette folle sur la porte de l'Église comme pour en interdire l'entrée. Une sorte d'exorcisme à l'envers. On aura cru se moquer de l'Église et de ses plus grands mystères, on n'aura fait que les rappeler à la mémoire des fidèles. Et cette fin atroce aura permis au pauvre curé d'atteindre le sommum de son éloquence.

Encore une fois, le profanateur aura été guidé comme un enfant.

Tout ceci a été prévu par Dieu depuis le commencement des temps. L'enchaînement des actes et des circonstances menant à ce jour. Ainsi, tout est accompli. Mais aussitôt d'autres de Ses pensées se sont mis à agir dont on va voir prochainement l'aboutissement.

Tout ceci a été bien fait.

Quelle terrible et belle leçon le maître de nos vies nous administre. Louons-le!

Et le chanoine se met à prier avec ferveur.

L'Église venait de perdre un de ses héraut. Tristesse. Mais sa mort n'avait pas été veine car d'elle, comme une graine germant dans la terre naîtrait de jeunes pousses vigoureuses. Quoiqu'il fasse ou laisse faire, Dieu a ses raison.

Croire autrement, c'est décider que le monde est absurde et se résoudre à conclure qu'il n'y a là pas de place pour l'homme.

D'où la seule solution envisageable, une fois que la catastrophe est accomplie: naître dans un monde privé de sens.

Le suicide.

D'un néant qui nous a fait naître, inutile, jusqu'à ce que le néant nous réclame de nouveau. Précipiter sa course. Et sauter dans le précipice.

Il fallait qu'il note ces idées pour son cours. Il devenait vieux et risquait de les oublier. Et, une fois oubliée, ce serait la chance si elles revenaient lorsqu'il en aurait besoin. Et, comme d'habitude, quand on veut noter, il n'y a ni crayon, ni papier ou lumière. Oui, il devrait faire un effort pour se rappeler.

Il repensa au pauvre curé pendu.
Et c'était impossible physiquement car aucun accessoire ne lui permettait d'escalader l'espace jusqu'à la Sainte Lampe.
Impossible.
Le suicide est un acte sacrilège et blasphématoire.
Mais le meurtre d'un prêtre était-il envisageable?
Et celui de cette femme, cause de tous ces soucis.
Cette misérable femme clouée sur la porte.
Quelque chose de démoniaque s'était passé.
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26 avril 2012. État 1