HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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20.4.12

30. HISTOIRES DE FANTOMES

Henry Dickson

Va à la bibliothèque, dans le meuble à tiroirs où sont rangés les albums et les boites de photos qu'il avait trouvé avec la maison. La boite qu'il avait ouverte la veille est encore là sur la table. Et la dernière photo qu'il avait vue. Qui n'était pas disparue comme il arrive souvent aux choses ici.

Celle du vendeur de la maison. Gras et en santé sur l'image. Content mais son médecin devait être soucieux et lui conseiller régulièrement de maigrir. Les médecins sont comme ça, ils se font du soucis pour rien. Pour des gens qui n'ont pas de souçis et devraient en avoir. C'est le métier qui le veut. Et le problème qui ne devrait pas se poser se repose quand le médecin tombe malade à son tour. Car les médecins comme tous les organismes vivants ont une durée de vie limitée.

Et ce n'est pas eux qui pourront concurrencer les millions et les millions de $ de pub du meilleur hamberger sucré salé graisseux baveux. 3 étages de saveur. Avec des trucs dégoulinants de bonté entre. Qui vous apparaît à la tv lorsque vous avez faim. Sur toutes les chaînes à la fois. Au cas oû vous auriez l'idée d'aller voir ailleurs.

Eucharistie moderne.

Mange-moi! Ceci est mon corps. Ceci est mo n sang!

Ceci est mon sucre.

Ceci est mon sel.

Ceci est ma graisse végétale et animale.

Ceci est mon cholestérol.

Ceci est un élément de conservation scientifiquement approuvé.

Ceci est une protéïne généralement de provenance animale.

Ceci est mon hydrate de carbone.

Ceci est mon enzyme microbienne.

Ceci est mon nitrite de sodium

Sucré et salé pour toi.

Avec des tranches de fromages fondue et refondue de substance laitière modifiée juste pour toi qui est le juste de ce jour là.

Oui, le vendeur...

Très amaigri lorsqu'il l'avait vu pour la dernière fois. Le malheur lui avait sans doute fait le plus grand bien. Du point de vue médical.

Essayant de le convaincre l'acheteur amateur de faire quelque chose qu'il avait déjà décidé de faire. Comme s'il devait parler. Comme s'il ne supportait plus le silence.

Répétant.

Comme ces vieux disques dans le temps des disques 12 pouces et des aiguilles et des bras de lecture. Comme lorsqu'il y avait des sillons et un sillon mal fait. Ou griffé.

L'aiguille de lecture sautait, passait au sillon suivant ou, au contraire, s'incrustait dans le même sillon et le même son ou répétait sans cesse le même mot qui finissait par prendre un sens inquiétant. Une chanson insignifiante finissait par avoir l'air d'une invocation aux démons de l'enfer.

Lorsqu'on est passé des tv à antenne avec les vieilles ondes de 70 ans pour des ondes plus économiques, modernes, gouvernementales (on vendait les autres aux compagnies de téléphone et internet); ceux qui ne voulaient pas s'acheter des oreilles de lapins améliorées devaient endurer le poste officiel national qui, un jour, cesserait de transmettre des émissions patriotiques et diverstissantes et les préviendrait en cas de typhon, attaque terroriste, guerre. Au choix. Cochez la mention inutile. Ce qui vous plait le plus et représente le mieux votre personnalité.

Un cataclysme d'ampleur nationale ou mondiale.

Ou le fait que vu l'ampleur du défit auquel devra faire face la nation, les prochaines élections sont reportées à une date ultérieure à définir un jour et le gouvernement actuel devient donc l'unique gouvernement provisoire durant la crise. L'opposition est dissoute. Ou par patriotisme s'est dissoute d'elle-même pour éviter les divisions. Et vous recevrez prochainement à votre adresse une invitation à vous rendre au bureau de recrutement le plus proche. Que vous en avez de la chance. La dernière fois, c'était en 14 et en 39.

Comme lorsqu'il y avait des pylones dans presque tous les cours d'école et les coins de rues des villes avec des haut-parleurs de métal t out en haut, au cas où. Ça hurlerait de partout lorsque les communistes attaqueraient. Et ils attaqueraient inévitablement. Ne me dites pas qu'on les aura attendu 70 ans pour rien...

Lorsque leurs parachutistes descendraient des cieux. que leurs bombardiers viendrait jeter leur déluge de bombes, vous savez... comme on a fait pour l'Allemagne (qui le mérirait).

Ou que leurs missiles atomiques tomberaient.

On ne voit pas dans ce cas quel serait l'usage puisque... mais les concepteurs du système et les utilisateurs du système déclenché dans les souterrains de béton où seraient retranché l'État-Major et les principaux ministres du gouvernement national avaient pensé que ce pouvait être utile. On pourrait ainsi prévenir tout le monde à la fois. Tous aux abris.

Il ne sert à rien de vous rendre aux abris, premièrement il n'y en a pas pour tout le monde, on a prévu des plans, il y a eu des concours, il y a eu remise de prix et de médailles mais pas le budget.

Et, dans le fin fond, on aurait préféré que vous fassiez votre propre abris individuel ou familal dans votre jardin. Si vous avez une famille, un jardin et l'$ pour le creuser et refaire votre jardin encore plus beau dessus. Ou dans votres sous-sol.

On n'aimait pas trop trop l'idée des abris collectifs qui coûtent cher à l'État et ne rapportent rien et qui permettent aux gens de socialiser, de parler, de subir les influences néfastes de défaitistes, syndicalistes, opposants politiques ou de gauchistes qui au lieu de fuir à Moscou se seraient eux-aussi cachés là.

Chacun dans son abris ce serait mieux.

Prenant exemple sur ce que fait le gouvernement. On ne mélange pas les torchons et les serviettes. Et tout le monde n'est pas le bienvenue dans l'abris national. Son existence est même un secret d'État. Sa localisation aussi. La recherche, la découverte et la révélation de ce fait constituant un acte de haute trahison.

Dans leur abris, comme ils ne pourraient rien faire d'autres, ils suivraient l'invasion en direct. Et actionnerait le bouton faisait hurler les alarmes. Enfin, ils se sentiraient utiles.

Ils pourraient aussi s'entretenir avec le peuple au moyen de la radio puis de la tv, plus tard. Pour soutenir le moral de la population au moyen de discours de circonstances, de slogans inventés dans les meuilleures agences de pub et raconter l'exemple de grands personnages du passé ayant dû eux-aussi faire face à l'adversité.

Tout le monde serait toasté sauf les principaux ministres et l'État-Major mais c'est l'intention qui compte, comme on dit.

Les vieux abris sont devenus des attractions touristiques mais personne n'a vraimen t envie de visiter des bunkers russes ou nazis (le modèle intemporel).

On sait qu'il y a de nouveaux abris quelque part mais personne n'en parle. Cette fois c'est contre une attaque de militants fanatiques musulmans. Encore une fois, il faut que les responsables politiques soient en bonne santé pour pouvoir penser (8 heures de sommeil par jour et une alimentation équilibrée avec des fibres 3 fois par jour) au sort de la population qui souffre.

Si vous ne  voulez pas subir cette épreuve, il reste quelques stations que l'on peut recevoir avec la version moderne des oreilles de la lapin plus un décodeur. Tout ceci plus cher que les anciennes mais qui ne vous donneront jamais les 6 postes gratis que vous aviez avant. Vous n'en aurez plus que quelques-uns, les jours de beau temps. Pas vraiment. Ce n'est pas aussi simple. Disons les jours où les nouvelles ondes dans les nouvelles bandes passantes des nouvelles antennes pourront passer au travers des obstacles immatériels inconnus de leurs concepteurs.

Donc certains jours, vous aurez nada, nichts.

Et d'autres jours, pas différents des précédents et des suivants vous aurez 2 postes. Jusqu'à ce que les divagations soudaines du son recommencent. Rerere. Jeeeee. BwiBwiBwiRRREEEZZZZZ.

Comme les vieux disques avec une aiguille coincée dans le sillon. Mais dans les haut-parleurs de la tv. Mieux. Plus cher. Si vous avez un grand écran panoramique haute définition.

Et les images ont l'air d'un jeu de Lego qu'un parkinsonnien épileptique qui a trop mangé de peinture au plonb essaierait tant bien que mal de faire. Plutôt mal que bien.

Le tout ressemble à une invocation à Satan d'un club de sorcières qui a abusé du LSD et des champignons magiques. 

Ou, une annonce tv montrant ce que vous devrez éternellement endurer si vous vous ne vous décidez pas à vous abonner pas au cable ou satellite. Ou à un combo téléphone internet.

Ou un message des Libertariens. Voilà encore un complot de l'État.

Parce que pour le moment, internet, le cable ne se rendait pas jusqu'ici. Il y a aussi le téléphone noir mural à roulette pure année 50.

Mais le vendeur était si content, semblait si soulagé, si reposé.

Il regardait sa photo et se demandait ce qu'il était devenu. Non qu'il avait envie de le revoir ou de se plaindre ou qu'il se faisait du soucis pour lui ou sa maigre et triste épouse de 120 ans, juste par curiosité morbide.

Il avait donc hérité de l'installation du précédent prisonnier de la maison.

Il se doutait bien que compte tenu du prix demandé, la marchandise achetée devait bien avoir quelques menues imperfections.

Des vices cachés comme on dit.

Souvenir.

*

20,21 avril. État 2