HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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23.4.12

36. HISTOIRE DE FANTÔMES

Henry Dickson

Entend le vent qui siffle. À la radio, on parle de bourrasque de vent de 100 km. heure. À cette vitesse, des arbres fragiles tombent. Parfois, de gros arbres qu'on croirait fait pour durer 1000 ans tombent. Ou c'est parce qu'ils ont déjà fait quelques centaines d'années et vus tant de choses que c'est subitement assez.

Ou des branches à peu près morte que le vent vient d'achever, tombent. Tombent sur les fils électriques. Pour faire encore plus de dégât.

Et des forêts tremblent comme si on allait les faucher.

Comme les lumières des ampoules fermières et municipales 130 volts bégaient. Faites pour supporter les oscillations du courant des étables quand les trayeuses sont en action et tirent tout le jus des vaches et celui du système électrique. Et aussi celui des maisons environnantes. On sait exactement l'heure de la traite, l'été, parce que les fenêtres sont ouvertes et qu'on entend de loin les meuglements des vaches pressées qu'on les délivre. Et l'hiver, le soir et le matin, par les frémissements des ampoules qui ont l'air de petites âmes de mourants en train de rendre l'âme.

Signe également de panne de courant. Possible. Probable. L'hiver, un coup de vent fauche les fils, une auto glisse sur la glace et fauche un poteau. Un oiseau entre dans les transformateurs et fait un court-circuit avec ses ailes déployées.

Ça veut dire que les transformateurs souffrent.` Ça veut dire: Three strikes out!

Comme les criminels pauvres US. Troisième récidives, prison à vie. La même loi d'airin ne s'applique pas aux riches sinon tout le Sénat et le Congrès, tout le gouvernement serait en tôle avec le patronat. Puisque c'est la même chose. Pour des milliers d'années.

En ce qui concerne le système électrique, 3 possibilités de pannes. Au choix! Et 3 mécanismes de sûreté. Mais à la troisième, tu es bon pour 3 heures de panne. Le temps qu'on retrouve la cause. Et, en hiver, en campagne, c'est l'antiquité pour 12 heures ou plus.

Comme au bon vieux temps!

Allume les bougies sur les murs. Ambiance d'église ou de chapelle. De crypte.

Ou de petits bars à chanson d'il y a longtemps avec quelques tables, nappe à carreaux, bouteille de chianti vide enveloppée de paille au centre de la table avec une chandelle allumée dans le goulot. Et quelqu'un qui chantait pour refaire le monde. Et qui pensait sincèrement que rimer serait suffisant.

Et des gens seuls qui pensent trop.

Et une jeune femme. Il faut toujours une jolie jeune femme aux yeux brillants d'intelligence. Ses yeux et son visage que la flamme oscillante de la bougie rend magique. Ou c'est l'alcool. Ou la chanson. Ce n'est pas probablement pas la chanson.

Il ajoute une lampe à l'huile. Et une MagLite 4 batteries D.

Il reste à attendre que ça finisse comme ça a commencé.

Les portes de l'Enfer se sont ouvertes encore une fois et les démons ont eu la permission de ravager provisoirement le monde. Ce qui permettra aux bons chrétiens optimistes, comme devant chaque épreuve, d'éprouver la vigueur de leur foi.

Ça hurle. Dehors. Et dans la maison. Le mot étanche et isolation 3000 n'avait pas été inventé lors de sa conception.

Ça hurle dedans. Compréhensible que les précédents locataires aient imaginés toutes sortes de choses qui n'existent pas. Si l'air circule en temps normal par les fentes des murs et les cadres et les fenêtres dans les cadres disjoints, ce n'est rien comparé à la frénésie de l'air dans des temps semblables. On croirait que la maison est une cornemuse. Ou qu'elle soupire entre 2 crises d'asthme.
Inévitablement, il y a une fenêtre qui s'ouvre quelque part et il suffisait d'attendre qu'elle s'ouvre. Et elle s'ouvre et qui bat sur les côtés de la maison tant qu'elle ne tombera pas en morceaux ou que quelques sauveteurs ne viendra pas la délivrer de son naufrage. Dans le combat contre un mur de pierre, un cadre de bois avec de petites vitres a peu de chance de gagner. Ce sera qui lâchera le premier: charnières, boiseries, colle, vitres, mastic trop sec et devenu poudreux. Certaines vitres ne tiennent plus que par lla peinture.

Naufrage, en effet, puisque la pluie entre horizontalement dans la pièce. Titanic en miniature. Puisqu'on vient de fêter l'anniversaire. Et qu'on n'entend que ça à la radio. 15 avril 1912. 1500 voyageurs qui partaient en touristes ou refaire leur vie avec d'autres, sont allés immigrér définitivement au ciel.

Ils y allaient de toute manière, ils ont simplement pris un raccourcis. Pour les plus malchanceux, 50 ans de misère sur terre épargnée. Pour ceux qui avaient toute la vie devant eux: carrière, amis, relation, avenir, peut-être, célébrité. La plongée dans l'anonymat éternel à 4 heures du matin.

On se croirait en pleine mer. Il faudrait un imperméable et un parapluie et une ceinture de sauvetage pour rester dans la pièce. Et des pitons aux murs pour accrocher la corde d'escalade et de sécurité.

La fenêtre fermée, il y en a une autre qui s'ouvre et il faut aussi aller à sa rescousse. On dirait que les vibrations de la maison à force se secouer les verrous les sortent de leur trous et abandonne leur fenêtre ouverte à tout vent. Faut être en forme pour une maison de ce genre. Tous ces escaliers à monter et descendre.

Si une fenête à carreaux se mets à casser, ce sera un festinval d'ébénisterie et de lutherie pour la remettre en un seul morceau.

Dehors les arbres dansent avec joie bravant l'orage. Une sorte de provocation: Tu as eu les autres, tu ne m'auras pas! Le Dieu de Vent, fier d'avoir un adversaire à sa taille s'acharne. À savoir qui couchera l'autre ou qui épuisera son souffle. Le combat se poursuivant, séparant les faibles et les forts. Ou les branlants qui oscillent et branlent tant qu'ils peuvent et tombent quand ils ne peuvent plus branler encore. Demain, combien seront tombés sur le champs de bataille.

Il faudra  prendre le tracteur, les enchaîner et les sortir du chemin s'ils sont mal trombés. Ou s'ils n'encombrent pas, les laisser sur place, le temps de les scier. Ou s'ils sont à l'agonie et encore pendu à un moignon de tronc ou cassés en 2, les achever à la scie mécanique. Parce qu'ils peuvent rester longtemps suspendus attendant le bon moment pour vous écraser.

Trier le bois pourris du bon bois. Fendre les bûches pour le foyer. Compter le bois de chauffage. Et en faire des cordes. 3 rangs de bûches pour  braver la pluie et la neige pendant la future année. Une seule corde ferait que les bûches seraient attaquées de tout côté et mouillés de partout donc auraient toutes les malchances de pourrir et d'être envahies d'insectes amateurs de pourriture. Et les champignons qui rendent malade lorsqu'ils brûlent et qu'on les respire. Tandis qu'à 3 rangs, une journée la pluie attaquera de l'est, une autre fois, de l'ouest, ce qui ne touchera que l'extrémité coupée d'un seul rang à la fois. Et toujours la corde centrale sera intacte. Et le soleil et le vent des jours suivants sèchera le côté mouillé qui n'est jamais le même. Ne pas oublier entre chaque rang, au fur et à mesure que la muraille monte, de jeter des bûches pour laisser un espace vide servant de cheminée qui permettra à l'humidité de ne pas s'inscruster. Il y a toutes ces choses à ne pas oublier.

Et éviter lors de l'euthanasie de l'arbre qu'une branche à l'agonie vous tombe sur la tête et vous fracasse le crâne.

Même le pied, ce serait déséagréable.
Ne pas oublier de ne pas mourir ce jour-là.

En attendant, écouter la radio, poste radio-météo, qui suivra le déroulement de la tempête et l'oscultera dans toutes ses manifestations. Ou s'asseoir paisiblement et écouter le vent. Et la maison dans le vent. Comme un grand bateau toutes voiles dehors. Le vent et la pluie qui s'acharne sur les murs de pierre et sur les fenêtres de verre dans le mur. Qui font une bordée sur le toit. Et les corniches et leurs fenêtres. La maison comme le voilier en grosse mer gémit. On l'entend parler, se lamenter et souffrir de partout. Ses mâtures, ses poutres, solivres, madriers, membrures, comme à la marée.

Un bruit au grenier. Un bruit sur le grenier. Un bruit sourd. Comme un bombardement. Presque. Quelque chose ou plusieurs choses sont tombées. Puis ensuite ça ne tombe plus.

Ou il y a un bal de bottes et de bottillons. Un tas d'Écossais ivres. Qui jiguent et tombent et déboulent les uns sur les autres.

Ou des bombes d'un bombardier invisible qui tombent. Mais sans crever le toit ni faire exploser la maison et son unique habitant.

Impossible de savoir quoi, il fait trop noir et monter sur le toit à ce moment, c'est se faire emporter par le vent.

On saura tout le lendemain si on est vivant.

Depuis longtemps, il ne croyait plus cette formalité nécessaire et était tout à fait indifférent au fait d'être mort ou vivant le lendemain.

Il s'endormait ici et là. Et se réveillait: tiens! je suis vivant. Tout surpris de la chose. Presque amusé.

Un jour quelqu'un viendrait ramasser ce qui resterait de lui.

La plupart des gens ne pensent pas qu'en s'endormant, ils s'abandonnent à la mort. Cette confiance, cette stupidité, cette naïveté est toujours surprenante de la part de gens si prudents et provoyant en toutes choses.

Il y en a qui le savent si bien que, dorénavant, ils refuseront de dormir. Ce qui est impossible. Ne pas dormir rend fou. C'est pour ça que cette méthode est utilisée dans tous les pays du monde qui pratiquent la torture. Et presque tous les pays du monde pratiquent la torture. C'est de cette manière qu'on reconnaît les humains: aux oeuvres d'art et à la torture. Toutes les autres activités étant pratiquées par toutes les espèces vivantes.

Le sommet du sadisme démoniaque et les talents des anges. Curieux individus que ces possédés.

Lui, il était indifférent. Aussi bien de vivre que de mourir. Depuis longtemps. Curieux de tout. Ou de rien. Depuis quand? Longtemps.

Et plus on vieillit, plus on accumule de jours, plus la vie s'en va et plus la mort entre de partout. Par une cheville qui grince. Par une douleur qui n'était pas là et dont il va falloir apprendre à s'habituer. Une autre.

La blague des vieux: si un matin, tu te lèves et que tu n'as mal nulle part, c'est que tu es mort!

Il avait connu un prêtre qui découragé du monde priait pour ne pas se réveiller. Et il se réveillait toujours. Personne ne l'avait, jusqu'à présent, vu mourir dans son sommeil. Et il devait encore un autre jour se réhabituer au découragement. Il n'avait rien à se faire pardonner, rien à expier, au contraire; il aidait tous ceux qui le méritaient ou non. Il en avait tout simplement trop vu. Vivre fatigue. Voir aussi. On devient si fatigué et épuisé de comprendre, de savoir. Comme marcher longtemps. Le corps réclame le repos. Et l'esprit ne supporte plus ce qu'il comprend. La seule façon de faire se  terminer cette torture est que l'esprit et le corps se débranche. Comme n'importe quelle machine. Machine d'avant les machines. Le corps pour quelques heures paralysées laisse l'esprit enfin libre de le diriger et de le porter, vagabonder. Il ne peut s'arrêter de penser mais, cette fois, il pense pour lui. À des hauteurs que l'humain ne peut escalader. Et c'est descendre dans cet animal qui fatigue. Le supporter, l'entendre gémir, le prévenir quand il va faire une bêtise, qu'il fera inévitablemet. Comme garder un enfant ou un chiot. Pourtant, il restait prêtre même si cette profession ne lui était d'aucune aide. Mais qu'est-ce que ça aurait changé de ne plus l'être, le monde aurait été encore comme il était depuis toujours. Décourageant pour tous ceux qui en attendent quelque chose. Qui le voit meilleur et plus beau qu'il ne l'est.

Lui, était devenu indifférent à tout. Graduellement. Et il avait sans doute des étapes et des degrés dans l'indifférence à escalader ou à descendre.

Il s'endormait régulièrement. La vie lui étant devenue fatiguante, il ne pouvait plus en supporter qu'une certaine dose, un peu à la fois. Ce qui l'obligeait à dormir. Souvent. Peu. Souvent. Régulièrement. Et le sommeil de moins en moins satisfaisant. Un peu comme ces batteries rechargeables qui, avec le temps, reprennent de moins en moins leur charge et sont de plus en plus inefficaces. Jusqu'à ce qu'elles ne valent plus rien. Et qu'on soit obligé de les remplacer. Avantage pour les batteries. À moins que ce soit l'appareil tout entier puisqu'elles seront soudées et incorporées à lui. Ou le nouveau modèle exigeant des nouvelles batteries ce qui aura exigé la fin de la fabrication des précédentes. Divin Commerce. Le corps dans sa vie fonctionne ainsi. Il n'est pas interchangeable ni remplaçable. On n'en a qu'un. Et pas très bon. Vendu en lot par des Chinois.

Il pensait souvent que ce serait amusant de ne pas se réveiller mais, il se réveillait toujours. Jusqu'à aujourd'hui.

Demain. S'il était vivant. Corvée de bois.

Et s'il ne l'était pas ce sera à un autre de le faire.

Il faut se résigner de n'être que locataire de sa peau et de la maison que l'on habite. Même si on l'a payée. Un autre y habitera inévitablement. À moins de faire comme les chefs Vikings dont on étendait le corps sur leur drakkar au milieu de ses épouses en robes blanches. On l'envoyait voguer une dernière fois dans les mers. En y mettant le feu. Ou on enterrait tout le monde, bateau y compris. Sous un grand tumulus. Peut-être que les épouses étaient insatisfaites de leur sort mais personne n'a retenu leurs témoignages.

Et ce bombardement. Qu'est-ce qui a pu tomber du ciel? Sur le toit?

Ce qui est tombé sur le toit? Évident lorsque le soleil revient. Un bout de la cheminée. Le sommet. La cheminée de quoi? Car il y en avait plusieurs. Certaines reliées aux conduits menant au poèle Bélanger ou aux foyers. Mais les autres. On les avait murés et elles conduisaient nulle part.

Un problème à la fois. Il y avait un briqueteur au village toujours occupé car de moins en moins d'apprentis veulent faire ce métier. Non qu'il n'est pas utile ou payant mais parce que, savamment, le ministère de l'Inéducation et de la Désinstruction Nationale a tout fait pour saboter les écoles de métiers. Comme les autres. La dernière tentative émouvante - la connerie et le bon coeur allant parfois ensemble chez les fonctionnaires publics ou privés, les uns valant les autres- on avait subventionné des décrocheurs pour étudier. Bonne action. On se disait qu'apprendre un métier les motiverait. Comme d'autres avaient pensé qu'un surplus de mathématique aiderait les faibles en math. Il fallait bien que quelqu'un y pense.

Le cours se donnait dans un hangar où on montait des murs ou des cheminées de briques. Subtile connerie. Ce qui permettait à certains d'apprendre les mathématiques. Ou, au moins, l'arithmétque. Il faut compter les briques. Au moins, additionner. Le seul problème c'est que dans la réalité, les murs sont hauts et les cheminées encore plus. Et ne se trouvent pas dans les hangars. Et il y a des églises à réparer. Et des édifices encore plus hauts. Il faudra travailler sur des échafaudages ou dans des nacelles au bout de bras articulés de grosses machines. Ce qu'aucun des élèves n'avait imaginé. Ils n'avaient pas décroché pour rien. Pire, ce qu'aucun professeur n'avait osé leur dire. Ils avaient sans doute eu leur diplôme pour bonne conduite. Peut-être, eux-mêmes, n'étaient-ils pas au courant. L'ignorance expliquant tout en ce monde. Peut-être, comme les élèves pensaient-ils que leur carrière consisterait à élever des hibachis dans les jardins des notables. Et la leur, en tant que professeur, à leur montrer comment faire. En plus d'être poli. Encore pire, ce qu'aucun des fonctionneux qui avaient proposé le cours n'avaient imaginé, c'est que le vertige existe. L'ignorance étant aussi une maladie contagieuse qui s'attaque même aux cerveaux instruits. Sur les 10 qui avaient terminé le cours (sur les 20 inscrits) (un certain nombre n'avait pas réalisé qu'une brique c'est pesant et qu'en prendre 5 à la fois, pour diminuer les voyages dans les échelles, avec le machin de métal, c'est sacrément pesant.) et il n'y en avait qu'un que les hauteurs ne dérangeaient pas. Lui, c'est le froid. Il n'avait pas pensé (symptôme courant) qu'il faudrait travailler à l'extérieur et non dans une entrepôt chauffé. Ventilé. Climatisé l'été.

Il était libre ce jour là et a pu parler de ses misères avec ses apprentis ce qui lui faisait le plus grand bien. Activité sociale que sa femme ne tolérait plus. Et comme il trouvait une oreille attentive, il accepta de couper ses congés pour venir voir la vieille cheminée de la maison.

D'en bas, il évalua sommairement les dommages. Rien de grave, le sommet de la cheminée à refaire. Le bombardement de la nuit, c'était les briques que le vent avait gratté pendant des décennies de leur mortier et qui n'attendaient qu'une poussée de plus pour tomber.

Si la cheminée était tombée d'un coup le toit n'aurait pas résisté et il y aurait un beau trou tout autour. Et quelques artisans couvreurs pour le réparer.

Le drame des apprentis des artisans couvreurs est aussi émouvant à entendre.

Sur le toit, il approuva la prescription qu'il avait donné. Des briques à feu neuves pour remplacer les manquantes. Repartir sur une bases saine en descellant les vieilles briques en train d'être rongées mais qui tenaient encore tout juste pour les remplacer aussi.

Il fallait cureter et tout jeter en bas.

Il regarda dans la cheminée sans voir. Il était déjà venu pour une autre cheminée et remettre en état de fonctionnement le foyer du salon qui boucanait. Des décennies de suies (il appela un des derniers artisans ramoneurs) (d'où le drame de la relève des maîtres ramoneurs) et les chauves-souris qui y avaient fait leurs nids.

Impossible de voir au fond. Les nids d'hirondelles. Collés aux parois. Et sous les nids d'hirondelles, ceux des chauves-souris. Il raconta qu'une femme qui avait divorcé de son mari qui s'occupait de poèle (les femmes ont peur du feu et des poèles) voulu enfin se servir de cet instrument qui ne servait plus que de décoration dans la cuisine d'été où on ne cuisinait plus depuis l'époque de sa mère. Pensant naïvement qu'il suffisait d'ouvrir les portes et de jeter du petit bois puis de mettre le feu, c'est ce qu'elle fit. D'où une fumée noire, opaque et noire, opaque et noire et puante qui se répandit dans le salon. Et une myriade de chauve-souris qui y avaient établis leur logis depuis les 20 dernières années.

Il fallut tout démonter, cheminée et poèle. Tout nettoyer à l'extérieur et tout remonter à l'intérieur. Impossible de compter les chauve-souris mortes et les vivantes qui, elles, s'étaient déjà enfuies. Des centaines? Le modèle local de bestiole est léger et une cheminée de tuyau de fer peut en contenir pas mal. De même qu'un petit poèle de chalet de chasse. Déjà que beaucoup de femmes ont instinctivement peur des serpents (Éve) (voir Ancien Testament) (Voir Création du Monde). Ont aussi peur des écureuils à ailes. Ils vont se prendre dans mes cheveux! Pas si tu ne le fais pas exprès.

Combien d'hirondelles? Combien de chauve-souris dans la cheminée de pierre? Tout ce qui était vivant et pensait se refaire une santé depuis l'orage de la veille (les animaux ont aussi leurs soucis) de se voir ainsi dérangé furent mis en forte colère. Et ils défilèrent interminablement sous les nez des 2 spéléologues amateurs. Comme si on avait ouvert les portes de l'enfer au Jugement Dernier. Ou celles d'une école primaire surpeuplée.

Il restait en plus des nids de baves d'hirondelles (très appréciés des Chinois - il y en avait pour une fortune ici et là) et les machins apportés par les chauve-souris (qui ne font pas de nid mais aiment dormir la tête en bas). Plus la merde d'hirondelle et celle des chauve-souris. Si on tenait à curer la cheminée, c'était faisable mais coûterait bonbon!

Pour le moment, elle n'était que décorative. Et lui redonner son chapeau mettrait un air de jeunesse à la vieille maison.

Puisqu'on y était, pourquoi pas en profiter pour savoir vers où ou par où débouchait la cheminée. C'était bien noir en bas. On n'avait donc pas accès à un des foyers. À moins qu'un capuchon ou un gros bouchon de métal ne ferme l'emplacement de ce qui, autrefois, était le bord d'un des poèles des chambres avec son tuyau de tôle.

Il suffisait de faire descendre un fil électrique avec une amoule. Un ferait ça d'en haut et l'autre irait en bas à la recherche de la lumière.

De lumière, dans la maison, nenni. Il s'agissait donc d'une des cheminées qu'on avait, jadis, pour une raison ou une autre, dont personne ne se souvenait - et personne ne restait pour en parler- décidé de boucher le foyer ou le trou d'évacuation du tuyau de tôle du poèle lorsqu'on était passé au chauffage central.

On n'était pas plus avancé en bas. Il y avait bien plus de cheminées sur le toit que de conduits intérieurs. Perdus dans les murs quelque part.

Mais en haut, on avait avancé beaucoup. Quand il revint pour annoncer rien du tout, il trouva le briqueteur légèrement bancal.

Il monta voir. Il avait trouvé une méthode plus simple que l'échelle du briqueteur. Qui, dès qu'il pourrait, monterait l'échafaudage. Suffisait d'aller au grenier et de passer par la fenêtre en pignon la plus proche. Chacune avait son petit verrou qui permettait de l'ouvrir pour aérer le grenier. Sauf une. Qui n'avait pas de verrou intérieur. Mais qui, surprenamment, avait un verrou à l'extérieur. Ce qu'on ne découvrait qu'une fois sur le toit. À l'intérieur, on pensait simplement que la fenêtre était coincé ou ne s'ouvrait plus. Comme beaucoup d'autres choses, ici, aucune explication logique.

Le briqueteur ne l'écoutait pas, devenu muet, lui fit signe de venir et il désignait quelque chose au fond, très très loin, dans le gouffre de la cheminée. Il fallait habituer son regard car le fil électrique avait déplacé tant de guano et de cendre qu'on...

En effet, quelque chose brillait.

Un trésor?

Rien de doré. Le briqueteur alla à son camion-atelier mobile pour prendre une caméra miniature avec un long fil que l'on déroulait pour inspecter les canalisations.

On fit descendre le fil, la caméra vidéo avec sa lumière incorporée. Et on put voir sur le petit écran portatif ce qu'avait cru entrevoir le briqueteur.

Un squelette.

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MORT: 1

Cause: Indéterminée

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24. 25 avril 2012. État 2