HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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23.12.12

312.8. DEUXIÈME TEMPÊTE DE DÉCEMBRE

Henry Dickson regardait la tempête qui rageait à l'extérieur par les grandes fenêtres du salon. Après la première et une journée de répit, il y avait eu la seconde.

1 pied de neige était tombé lorsque le calme revint.  

Mais si la vision avait été intéressante dans le salon, à travers la fenêtre, ce n'était rien comparée à celle qu'avait dû subir les automobilistes, camionneurs et chauffeurs d'autobus sur les routes de la province. Et tous leurs passagers terrifiés de voir les efforts inutiles de leurs chauffeurs qui se battaient avec leurs volants et les pédales. Tous unis dans le même destin absurde.

La vue était intéressante des fenêtres du sud et du nord et de l'ouest mais ce n'était rien comparé aux fenêtres de l'est. Il est difficile d'expliquer la raison mais le vent d'est était le plus courant et le plus terrible. Dans bien des maisons, anciennement, on évitait de mettre des fenêtres à l'est et si on emménagait dans une maison qui avait ces fenêtres, on les enlevait souvent, laissant le mur nu. De toute façon, on n'y voyait rien tant les vitres étaient gelées.

Ailleurs, là-bas, on ne comptait plus les sorties de route, les carambolages, les collisions, les capotages.

Lorsque la route devient blanche, et l'univers aussi, lorsqu'on ne sait plus où on est, il n'y a plus que la chance, le destin ou le malheur qui peut vous attendre. Et, boum! on entre dans le camion devant soi soudainement apparu devant vous alors que l'instant d'avant il n'y avait qu'un flou blanc et universel.

Ou c'est un camion qui nous entre dans le cul ou c'est un autre camion qui essaie de grimper une côte glacée et se mêt à glisser et reculer pour écraser une à une les autos derrière lui qui avaient eu au même moment la même idée stupide. Et le camion et son immense boite les tasse en groupe comme si on balayait des jouets Tonka.

Du billard ou du curling avec être vivant.

Tous ces insignifiants petits objets mobiles et métalliques qui prétendaient braver la neige et le vent. Et leur habitants terrifiés à qui on demandait de poursuivre la croisade économique en risquant leur peau. Car il fallait partir, continuer et arriver de peine et de misère afin de faire fonctionner la machine qui ne devait pas s'arrêter car si une telle chose inconcevable arrivait, qui sait si elle pourrait à nouveau repartir. C'était arrivé auparavant, en 2008, à cause d'une tempête financière, un désastre social provoqué par des apprentis sorciers. Une sorte d'épidémie contagieuse qu'on n'était pas encore parvenu à contenir et qui faisait encore des ravages 4 ans plus tard. Des milliers de milliards étaient partis au vent.

Le soir, les petits jouets devaient revenir chez-eux sans savoir s'ils y parviendraient. Et certains resteraient en route. Victimes du combat contre la concurrence sur le front de l'économie. Leur sacrifice serait apprécié et un jour on installerait une flamme éternelle dans un bol à salade pour l'employé inconnu déterré dans un banc de neige dès que la ligne avec gaz Métro serait sécurisée.

Il y a des moments et des endroits où les pneus sont des accessoire inutiles et à peine décoratifs et où il faudrait des chenilles de métal ou de caoutchouc pour escalader les bancs de neige ou les côtes ou simplement ne pas glisser. Ou, au moins, des pneus à clous. Surmonté d'un Jeep 4X4. Ou d'un FJ Cruiser de Toyota. Ou Mercedes G 550 2013 Tout Terrain.

Mais même si on était parvenu à rester sur la route et à conduire en ligne droite, tout ceci ne servait à rien si on ne voyait rien devant soi.

Même des camions de la voirie qui devait gratter et saler la route avait pris le clos. On les retrouvait ici et là renversé sur le côté. Et la police avait dû bloquer les bouts de route qui n'avaient pas été faits et ne le seraient pas avant un moment afin d'empêcher les autos et camion de s'y risquer jusqu'à ce qu'ils restent pris dans le premier banc de neige apparu sur la route. Autos et camions qu'il faudrait remorquer. Comme si on n'en avait pas déjà assez avec tous les autres dans la même situation.

Malgré tout des milliers d'autos se dirigeaient pare-choc à pare-choc vers les ponts de Québec et Montréal et en sortiraient des heures plus tard pour leur voyage de retour. Une lente migration qui les forçait à entrer dans l'univers blanc et informe alors qu'il aurait été plus simple de rester chez-soi le matin ou de coucher au bureau le soir. Mais l'instinct les poussait vers leurs maisons et impossible de les faire dévier du chemin. Jusqu'à ce que le vent furieux les abatte un à un.

Une auto resta pris dans la neige et alors que le conducteur se dépêchait de pelleter pour dégager ses pneus, il ne vit pas l'auto qui arrivait pas plus que celle-ci ne le vit. Et il perdit ses 2 jambes entre le coffre arrière et le pare-choc avant.

1 auto avait essayé de monter une autre longue côte bien à pic puis avait glissé de reculon, longtemps, trop vite pour que le jeune chauffeur inexpérimenté manoeuvre habilement la descente dans son  rétroviseur et, tout en bas de la côté, du mauvais côté, il y avait un lac et l'auto s'était engouffré dedans. Le lac n'était pas encore gelé mais l'eau était déjà glacée et les 4 habitants de l'auto moururent à la fois gelé et noyé.

Un skidoo traversait la forêt pendant la tempête. Visibilité réduite. La neige. Et la nuit. Son chauffeur ne vit pas l'arbre. La machine cessa instantanément d'avancer mais l'énergie accumulée et subitement déployée propulsa le chauffeur dans les airs jusqu'à un second arbre qui lui brisa le casque et le cou.

Et il fallait faire partir les autos gelées le matin. L'huile figée. Les batteries à demi chargée. Déblayer les carosseries. Ne pas se décourager.

Quelque part, un homme baissait la tête et les bras de découragement devant son auto qui ne partait pas. Il venait de noyer le moteur à force d'essayer. Il faudrait appeler le garagiste. Il serait en retard au bureau. Comme il était fatigué, très fatigué, immensément fatigué, il entra dans sa maison et se pendit au sous sol.

Ainsi va la vie.

Le vieux pont de Québec se couvrit si bien de neige collante qu'il devint tout blanc et il fallut l'interdire lorsque celle-ci commença à tomber des structures anciennes comme on savait si bien les faire en 1917. Quelques pare-brises et toits d'autos furent fracassés ou bossés.

Le cauchemar dura un jour et une nuit.

Et le lendemain, c'était comme s'il ne s'était rien passé.

Et l'hiver venait tout juste de commencer. Le 9 décembre. Et il restait encore quelques mois avant qu'il s'en aille.

Il était donc préférable de regarder la tempête bien au chaud pas loin d'un feu de bois dans un foyer de pierre ou à travers la TV.

Lorsqu'il était dans la cabane à sucre, lors de la première tempête, il voyait à peine la maison qui se descructurait dans les rafales. Maintenant, dans la maison, lors de la seconde tempête, il ne voyait plus du tout le hangar et la cabane à sucre. Il pouvait les situer approximativement en se fiant à sa mémoire mais aucune indication de leur présence.

Dans le salon, il y avait le sapin qu'il avait coupé dans son bois et que décorait la petite blonde. Monsieur Dickson n'étant pas bon décorateur - il manquait de la patience nécessaire- préférait la regarder faire. Et le sapin de 10 pieds de haut avait belle allure lorsqu'elle mit l'étoile finale à son sommet juchée sur un escabeau. Il resterait à mettre les cadeaux sous le sapin selon la tradition. Les cadeaux de chacun - simple puisqu'ils n'étaient que deux. Mais les cadeaux que ne cessaient d'ajouter la petite blonde pour les invités. Ses invités puisque monsieur Dickson n'invitait personne. Et ne comptait pas être là au moment de la distribution. Ce qui promettait une intéressante discussion.

Elle s'affairait aux fourneaux pour le repas de Noël. Le réveillon qu'ils vivraient à 2 et l'autre réveillon, disons, communautaire où elle comptait présenter son nouvel ami aux siens. En fait, elle avait planfié plusieurs réveillons: celui des parents et celui des amis. Avec des nuances et des variantes.

Il y avait là toute une discussion à avoir et qui serait passionnante à observer.

Malheureusemnt, monsieur Dickson était aussi asocial que mysanthrophe. Et plus elle lui expliquait la nécessité qu'il y avait à rencontrer tous ces gens - des inconnus qu'il n'avait aucune envie de connaître- moins il se sentait disposé à ces familiarités supposément indispensables.

Comme elle n'était pas arrivé à le convaincre le 20 ni le 21 ni le 22, elle se promettait de recommencer le lendemain. Il n'y a rien de plus déterminé qu'une femme.

Monsieur Dickson avait attendu le jour et sorti le tracteur de la grange et terminé de nettoyer l'entrée de la maison et le chemin qui menait à la route. Satisfait, il regarda la travail accompli et se dit qu'une tempête ou une belle bordée serait bienvenue ce qui lui permettrait de rentabiliser son investissement. Le tracteur John Deere et la souffleuse avait fait du bon travail et était encore en forme pour recommencer. Il avait assez de diésel dans le réservoir du tracteur et dans la citerne de l'hangar pour beaucoup de tempête.

Lorsque la petite blonde partait de bonne heure le matin pour ses cours à l'université, il lui préparait le chemin qu'il aimait lisse et blanc. Une sorte de piste d'atterrissage (et le matin, de décollage) pour le vaste monde. Ou la ville la plus proche.

Et un café dans la station pétrochimique sur le comptoir de la grande cuisine - qu'il avait appris à comprendre en priant devant le manuel d'instruction. Et en lui offrant divers sacrifices sous forme de café moulu, de lait froid 3.5%, de vapeur d'eau. Le café au lait mousseux pour le réveil. Le gras du lait permettant de métaboliser la caféine dans le cerveau. Et un autre café, noir, dans le gobelet thermos qu'elle emporterait avec elle dans le Sprinter. Tous les véhicules modernes étant munis de porte-gobelets, accessoires devenus aussi indispensables que la radio dans une machine moderne.

Et, contrairement à bien d'autres, elle aimait conduire et les aventures imprévues de l'hiver. Conduire la détendait. Ce qui était un mystère. Monsieur Dickson, plus vieux et plus prudent ou moins imprudent, ne sortait que lorsqu'il était obligé. Préférant le skidoo aux engins sur pneus dès qu'il y avait de la neige.

Il va de soi qu'un engin si utile était interdit hors des campagnes. C'était trop pratique. Il fallait faire souffir les voyageurs. Et il y a toujours un règlement tout près dans ce sens dès qu'on se rend compte que les citoyens deviennent trop joyeux.

Interdit de se promener sur les routes ou même de les traverser pour aller d'un champs à un autre mais personne ne faisait attention à ce genre de règlement stupide.

Et on allait jusque dans les rues du village dès qu'il y avait assez de neige pour ne pas abîmer les chenilles de caouthouc. Et on cesserait dès que la neige aurait trop fondu pour être utilisable.

Ou c'étaient des quadri-motos à 4 roues inutiles qu'on avait modifié en remplaçant les roues par autant de chenilles triangulaires.

Ou c'étaient des skis ou des raquettes.

Ou l'hibernation.

Un ami à lui qui détestait l'hiver s'était fait construire une grande maison dans lequel il entrait dès la première chute de neige pour ne plus ressortir qu'en mai. Il y avait là tout ce qu'il fallait pour passer 6 mois sans mettre le nez dehors.

Il s'était cassé la cheville sur la glace qui se camouflait traitreusement sous la neige et avait imaginé depuis que l'hiver lui en voulait.

Il aurait pu comme d'autres partir au Mexique ou en Floride mais il n'aimait pas voyager. Et avec les nouvelles lois stupides supposées effrayer les terroristes et les machines à rayons dans lequel on faisait passer les touristes, les attentes interminables, les inspections soupçonneuses, perverses et maniaques: on avait rendu le trajet infernal pour les simples citoyens. Qui payaient en tant que voyageurs et, avant et après, comme citoyens immobiles imposés et taxés les nouvelles tortures et vexations qu'on lui administreraient. Comme si on voulait les décourager de prendre l'avion ou d'aller quelque part.

C'était l'hiver ou lui.

Donc, dorénavant, il ferait comme si elle n'était pas là. Et le toit de sa maison était assez solide et métallique pour supporter 3 pieds de neige. Et aucun vent ne pourrait emporter ses murs bien rivées au plancher de béton du sol.

Comme il avait maintenant tout son temps, il se mit à la philosophie. Et redécouvrit Pascal.

Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer au repos, dans une chambre. Blaise Pascal. Pensées, 139

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Dimanche 23 décembre 2012. État 1