HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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11.12.12

307.3. RADIO VROUM LA RADIO QUI FAIT VROUM DANS VOTRE TÊTE

Henry Dickson dort.

Dring!

Henry Dickson ne dort plus.

Il regarde sur l'afficheur de son Blackberry qui peut appeler, le numéro affiché ne lui dit rien. Mais le numéro insiste. Et il a une féroce envie de parler et de communiquer.

_ Allo!

_ Bonjour cher auditeur!

Dequécessa?

_ J'appelle de Radio Liberté, Radio Vroum, Rock détente

_ J'ai gagné un prix?

_ Oui. Chanceux!

Je ne participe pas et je gagne tout de même. C'est mon jour de chance.

Il allait peser off et puis se dit que puisqu'il est réveillé aussi bien. 

_ Dites-moi où vous êtes?

Bonne question. Monsieur Dickson est où? Il découvre qu'il est dans la cabane à sucre. Qui n'est pas une véritable cabane à sucre mais qui pourrait l'être si on y ajoutait une énorme bouilloire en inox au contre et des filtres à osmose inversé si on aime le moderne et les pompes à vide des tubulures de plastique allant dans les érables à sucre. Il n'y a rien de tout ça. Une grande pièce que l'on appellerait multiservice dans les revues de décoration et qui serait plus jolie avec une touche féminine ce qu'elle n'a actuellement pas. D'une manière ou d'une autre, il y là tout pour survivre longtemps aux grimaces de l'hiver dont c'est la deuxième journée et qui a bien l'air de vouloir s'installer pour 5 mois. Rebonjour mai. Une table au centre, un divan-lit, un poèle à bois au fond. Tout pour l'ermite. C'aurait pu être un chalet dans la forêt ou un camps de chasse. Il y avait même quelques carabines et fusils sur le mur. Et sur chaque mur et suspendu au-dessus de la table des lampes de cuivre et de verre Aladdin au kérosène K-1 dont il avait un réservoir de 100 gallons dans l'étable. Pour son tracteur. Et une ampoule de 60 watts à incandescence au milieu du plafond ce qui est bien suffisant.

_ Vous pouvez gagner notre prix du jour si vous dansez.

Encore pire qu'il imaginait.

_ Vous dansez où vous êtes. Au bureau. Dans le métro. L'autobus. Et vous chantez notre slogan: Radio Liberté, la radio des hommes libres!

_ Et on gagne quoi?

_ Ça dépend! Écoutiez-vous notre station lorsque j'ai appelé? Si c'est le cas, vous me dites le mot code du jour. Alors vous avez le droit à notre grand prix. Un approvisionnement d'un an de vinaigre Heinz. Mais si n'écoutiez pas, vous n'avez pas tout perdu, vous avez le droit à une caisse de vinaigre, 6 gallons.

_ Mais il faut que je danse et que je chante

_ Oui.

_ Vous me payez pour faire votre publicité avec du vinaigre. J'ai l'impression d'être Jésus sur la croix.

_ Attention, nous sommes en onde.

_ Et je coanime l'émission avec vous. Gratos!

Il y a déjà quelqu'un qui jouait à un jeu niaiseux dans un TV poche et qui a gagné un approvisonenment à vie d'eau de Javel. Un poste cheap pour gens cheap. Les cadeaux vont avec. Il n'allait pas se mettre à revendre du vinaigre sur le marché noir déjà qu'il avait une partie de la cave de sa maison remplie d'armes à revendre à des collectionneurs ou des trafiquants ou des amateurs de révolutions pas trop regardant sur l'année des bidules. Du bon stock à l'état neuf ou quasi mais qui datait un peu. Plus des trucs pour nostalgiques du passé que pour des idéalistes d'un avenir meilleur. Dans le genre: on fusille qui aujourd'hui?

Et il y avait la voix de l'animateur. On dirait que tous les vendeurs de souliers, d'Amway, de pneus ou de barbe à papa dans les cirques se reconvertissaient à la radio.

Et en politiciens. Ou les 2 à la fois. Ou en maire de Québec. La nouvelle droite dans toute sa beauté. Q.I. de moule.

Ou à la TV. Quoiqu'ils soient un peu plus calme que le genre hystériques avec des visions mystiques de Marie qui pullulent dans la télégraphie sans fil. Et, l'époque le voulant, ils ont évolué si on peut dire en admirateurs extatiques de la droite. Les béatitudes ont changé.

Et il y tenait à son jeu. À son prix. Selon lui, ce qui se faisait de mieux comme prix. Quand on annonce des matelas à rabais avec facilité de paiement de 60 mois sur 5 ans toute la journée, il faut bien être du genre poète et mystique. On n'est pas loin du Messie de Haendel.

Et selon lui, il faudrait danser et chanter le slogan de la radio en plein milieu d'une réunion d'actionnaires de la Goldman Sachs, les parasites financiers qui ont fait imploser le système en 2008. Ils ne mériteraient pas mieux.

Il avait déjà vu une pub à la TV de cette station. Pas beaucoup d'$ donc pas beaucoup d'annonces et la TV ne vit et n'existe que par ça. Et, en effet, dans cette pub, qu'il avait vu par hasard, en pitonnant, et jamais revu - l'$ encore- il y avait des femmes avec des postes de radio aux oreilles - mini-écouteurs d'i Pod ou de miniradiomagnétophonependantifbijoux aux grosses radios de gang de rue noirs à woofer, tous dansant et chantant dans la rue, l'autobus et le métro - les moyens de déplacement de sa clientèle. Le destin l'avait choisi pour faire parti de la secte des apôtres et il avait refusé. Une malédiction allait sans doute s'abattre sur lui.

Pour manifester leur joie de participer à la société de consommation, les client - représentés par des comédiens au chômage ou à l'assistance sociale- dansent et chantent. Et sont aussi joyeux que des participants à une cérémonie voodou. Des femmes essayant leur nouvelle serviette sanitaire, enfin libre, de ne pas faire d'hémorragie sur tous les divans, ou mâchant de la gomme - fascinant comme une gomme à mâcher peut rendre heureux - ou testant leur  nouveau malaxeur amélioré ou allant donner de l'$ à un cancéreux ou leur sang ou venant de signer leur préarrangement funéraire. Toute cette joie si belle à voir. Mais les femmes sont comme ça, de grands enfants, un rien les amuse.

Monsieur Dickson avait eu assez d'émotion pour sa journée et il raccrocha pendant que l'autre parlait encore pour essayer de le convaincre ce qui est impoli. Mais monsieur Dickson était parfois comme ça, grossier.

Comment ces énergumènes avaient-ils eu son numéro? Il n'y avait que la petite blonde qui l'avait. Son appareil ne lui servait qu'à téléphoner à qui il voulait - si jamais cette envie bizarre lui prenait- et, si on voulait le rejoindre, il y avait une boite vocale avec un autre numéro. Il pouvait aussi envoyer des textos avec les petites boutons pour fillettes, genre clitoris.

Et il n'était même pas dans le bottin. Et il avait fait retirer son numéro des listes d'appel des agences de vente.

C'était une nouvelle loi. Il était dorénavant interdit d'appeler les gens sur cette liste confidentielle. Et pour s'assurer que la loi soit appliquée, l'agence du ministère de la Consommation Joyeuse distribuait la liste à toutes les agences. Les plus anciennes voulant éviter les amendes optempéraient. Celles qui n'avaient rien à perdre y voyaient une occasion d'affaire; après tout, cette liste était pleine de gens connaissant leurs droits, l'existence de la possibilité de cette liste noire, quelques rouages de la bureaucratie chinoise, donc des instruits, probablement intelligents mais peut-être pas tant que ça, sans doute riches ou à peu près ou suffisamment ou retraités. Ou à peu près. De bonnes vaches à traire.

Surtout, s'ils commençaient à amollir du cerveau tout en ayant bien trop d'$ pour leur bien. Au lieu de le distribuer à leurs héritiers, à des musées ou de le redonner à l'État; ils le gardaient au  cas où. Jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Le cerveau est comme certains produits laitiers ou les oeufs, il a une date de fraîcheur d'imprimé dessus. On l'écrit sur chaque oeuf de la douzaine pour bien informer.

Au-delà de cette date, il n'est plus consommable. Ou utilisable. Ou il ne servira  plus à l'usage pour lequel il était prévu: Penser. Et il servira à un autre. Et n'importe qui s'en servira contre vous. Votre propre cerveau sera alors votre pire ennemi. Vous auriez dû mourir avant. Sans une cenne. Maintenant, vous êtes un mort vivant riche. Ou à peu près. Ce qui est bien suffisant pour certaines crapules affamées alléchés comme des mouches à cercueil par l'odeur de cerveau mort. Et il y a des tas d'hommes d'affaires pauvres mais ambitieux pour qui vous représentez la clé de leurs rêves. Vous aurez donc cet $ jusqu'à ce qu'un beau parleur vous repère et vous convainque de le lui donner. Et vous serez content.

Et beaucoup de veuves esseulées ne pourront s'empêcher de le faire. Et les veufs seront devenus hargneux - le yogourt passé date avec l'odeur sûre de pas lavé - envers tous ceux qu'ils connaissent.

Mais ils fondent comme des popsicles en août dès qu'un inconnu qui a pris un bain leur parle.

Sinon, la fin du monde du 21 décembre 2012 arrivera par leur faute. Et il faut impérativement construire une piste d'atterrissage pour ovni dans le désert.

Ou c'est un ambassadeur Africain ou sa veuve ou sa fille qui a quelques millions en banque mais ne peut les retirer - difficile de comprendre pourquoi- sans les faire transiter dans votre compte en banque. Chanceux que vous êtes!

Il était midi.

Il alla voir dans l'étable - qui n'était pas une étable car il n'y avait pas de bêtes mais qui aurait pu en être une si on avait voulu étant donné les dimensions et, dans l'étable ou la grange qui n'en était pas une mais qui servait très bien de hangar et de garage pour les autos, le minibus Sprinter de la petite blonde n'y était plus. Comme le chat, elle était quelque part. Et ne lui dirait pas où. Comme le chat, elle reviendrait peut-être un jour. Elle avait sa vie. Le chat la sienne. Et lui aussi.

Il aurait pu aller à la maison prendre un café. La petite blonde avait acheté une grosse station pétrolière en cuivre et inox qui servait à faire du café, espresso, capuccino, latté. 2 tasses à la fois. Pour les couples. Si on savait comment faire. Le manuel était à côté.

Il préféra donc aller au village au café internet. Là, il y aurait les journaux et de la conversation.

Il alla au hangar/grange/étable/remise/garage prendre sa Jeep Wrangler et avec la técommande, il ouvrit la porte basculante qui se referma derrière lui. Sur une des palettes de bois écologiques, il vit le chat. Puis il cessa de le voir. Il y avait tout un mur couvert de  billes de poussière et de copeaux de bois séché et compressée- plus durables que l'érable - et de l'érable, il en avait aussi, une corde mais le chargement complet d'une van de bois technologiquement adaptés. Les 2 parfaites pour le poèle à bois de la cabane à sucre ou le grand foyer de pierre de la maison ou le poèle Bélanger antique. Les bûches d'érable donnant une plus belle flamme, traditionnelle, craquante et dansante. De la même façon depuis des siècles. Tandis que les bûches modernes chauffaient tout aussi bien mais moins joliement. Plutôt du genre cigarette, cigare et tisons. De toutes façon, il ne verrait pas les flammes dans le poèle du chalet puisqu'il n'y avait pas de fenêtre de pyrex. Et chaleur pour chaleur.

Le café internet était ouvert. Son propriétaire, un militaire retraité original l'ouvrait quand ça lui plaisait ne voulant pas - avec raison - la meilleure, la sienne- s'astreindre aux horaires d'un commerçant esclave de sa clientèle. Il servait les gens et du café pour le plaisir à condition que les consommateurs n'exagèrent pas. Qu'ils soient contents et aimables parce que l'endroit était chaud et le café encore plus chaud et bon l'hiver. Comme le café était chaud et bon l'été mais avec un ventilateur pour rafraîchir la place. Qu'ils ne viennent pas trop souvent et ne s'inscrustent pas tellement longtemps. Et soient en nombre limité. Pour le prix qu'il demandait, il ne fournissait aucun organe utile. Et il ne fallait pas s'attendre à en trouver. Aussi un client raisonnable et sensé appréciait de qu'on lui offrait: café et conversation et journaux. Puis s'en allait.

Pour vendre autre chose que du café, pire, quelque chose qui se mangeait, il aurait dû demander un permis et recevoir les inspecteurs de l'hygiène. Les mêmes ou quelques-uns de leur espèce qui avaient laissé le plus grand abattoir du monde, dans l'ouest, empoisonner et tuer quelques consommateurs de viande rouge. Mais les normes de la grande industrie - fournisseuses aux caisses électorales des partis- n'étaient pas les mêmes que celles auxquelles étaient astreintes les petits commerçant qui ne pouvaient se défendre avec des camions d'avocats. Et des milliers de petites poussettes remplies de caisses de dossiers.

Si les consommateurs admis chez lui étaient aimables et pas trop envahissants, sur ces bases saines se déroulaient alors une transaction commerciale honnête où en échange d'un café excellent coulant lentement dans une tasse fournie gratuitement, contenant quelques grammes de café moulu bruyamment devant eux, quelques onces d'eau, un peu de vapeur brûlante et de lait mousseux, on remettait quelques pièces d'1 $. Mais pas trop.

Il ne parlait pas beaucoup et laissait les gens parler mais, parfois, il était après tout chez lui, il se joignait à la conversation et se rappelait en plublic de quelques souvenirs de ses guerres. Ce qui effrayait certaines âmes sensibles mais monsieur Dickson n'avait pas d'âmes ou si il en avait encore une depuis tout ce temps, elle était totalement désensibilisée à quoi que ce soi. Il était donc profondément et parfaitement indifférent à tout et à rien ou quoi que ce soi. Mais il aimait bien les histoires de guerre comme s'il en avait déjà faites. Mais il était difficile de le dire puisqu'il parlait peu de sa vie, pas du tout de son passé et jamais de la guerre quoique ce sujet semblait l'intéresser. On vient de le dire. Et il appréciait que quelqu'un qui paraissait savoir ce que c'était en parle en toute connaissance de cause.

Le froid de l'hiver dehors. La chaleur dedans. L'odeur du café. Et des cigarettes du barista. 2 odeurs que monsieur Dickson appréciait. Les lumières bleues de la machine. Les lumières de l'ordinateur réservé au client du cyber café. Et les journaux.

Qu'il commença à lire en laissant sécher la neige de ses bottes Kodiak sur le plancher de bois.

Les gros titres des journaux du jour parlaient de la tête coupée d'hier. Et de celle d'aujourd'hui. Le Devoir, journal de l'élite - intellectuelle et, malheureusement pas, financière (ce qui aurait été bien utile pour la survie du journal qui râlait depuis sa fondation, il y a 100 ans) - qui ne tenait pas à s'abaisser à parler de faits divers en parlait tout de même, timidement, en bas de page (sans image) alors que les autres journaux le montrait en pleine page couverture. Le Devoir, parce que c'était le sujet de conversation et que ses rares clients tenaient à être malgré tout informé mais avec goût et pas seulement grondé. Et le Devoir le faisait avec dignité. Et avec regret de vivre dans un tel monde si bassement physique et matérialiste.

En effet, une seconde tête coupée s'était ajoutée à celle d'hier.

Et il y avait donc, quelque part, 2 corps sans tête. Ce qui était particulièrement intéressant.

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Mort. 1

Cause de la mort. Décapitation.

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11.14 décembre 2012. État 2