HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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24.12.12

314.10. JOYEUX NOËL ET TOUTES CES SORTES DE CHOSES

Henry Dickson regardait le salon magnifiquement décoré. Le grand sapin sompteux. Et la grande table mise pour recevoir dieu sait combien de gens. Rien qu'à compter le nombre de chaises dressées.

Tout était parfait. De toute façon tout ce qu'elle touchait était parfait. Il n'y avait qu'un accroc à se beau tableau des Fêtes, lui-même. Jusqu'à la dernière minute, elle ne crut pas un mot quand il lui disait qu'il ne serait pas là. Pour une femme, être seule lorsque tout le monde ou à peu près vient par couple ou par paire (on comptait quelques homosexuels de sexes divers). Surtout le soir de Noël. Et, pire, lorsqu'elle n'est pas vraiment seule.

Elle eut beau lui dire qu'il rencontrerait des gens intéressants, qu'il n'y aurait pas que des femmes ou des veuves, qu'il y aurait bien quelques hommes, ce qui le changerait de l'éternel et continuel papotage féminin. Elle l'avait regardé en énonçant cette observation pour voir s'il approuverait cette évidente exagération.

Tout ceci était beau, parfait, mais il avait envie d'être seul. Habituellement, il l'était. Et du 20 décembre à 2 janvier, il ne dessoulait pas ou s'envolait vers où tout est plus léger grace à aux cigarettes de marihuana mais rien ne valait une pipe à opium.

C'étaient ses amis, ses parents, ses connaissances, ses souvenirs, son futur. Et il n'avait pas envie d'en faire parti.

Il trouvait ce moment de l'année funéraire. Noël lui foutait un coup de cafard. Pour d'autres, c'était le premier janvier quand ils réalisent qu'une autre année est passée. Pour certains, c'était le jour de leur anniversaire. Chacun ses phobie.

Il resterait dans la cabane à sucre cette nuit. En attendant que les invités partent.

Elle lui dit qu'il y en aurait d'autres. Il y avait ceux de Noël (le 24 jusqu'à minuit) et ceux du 25. Et ceux du jour de l'An. Du 31 décembre en dépassant minuit. Elle aimait les fêtes et les amis.

Elle avait prévu aller à la messe de minuit et revenir à la maison avec la première brassée d'amis et de parents.

Il la regardait.

_ Messe. Minuit. Noël. Le petit Jésus. Étant donné ta nature, tu ne crois pas que tu...

_ Ma nature va très bien. Je n'ai rien contre le bébé Jésus ni même le grand Jésus adulte, j'en ai contre l'Église qui s'est interposée entre lui et nous. Et c'est une jolie tradition qu'on croit ou non à la vérité de toutes ces choses.

_ Je ne crois en rien

Elle regarda monsieur Dickson

_ Crois-tu en moi?
_ Oui.

Mais tu ne resteras pas...

Il avait cru qu'elle se fâcherait. Des tas de femmes se seraient extrêmement fâchée. Mais elle était déçue. Heureusement, elle n'allait pas se mettre à pleurer.

_ Est-ce que tu vas te saoulet et me battre en revenant à la maison?

Il la regarda hahuri.

_ Comment pourrais-je te faire de mal?

En effet, comment pourrait-il lui faire du mal?

Il s'en alla donc dans sa retraite fermée écouter du Bach dans le noir. Et elle s'habilla pour la messe de Minuit à l'église du village. Et elle se rhabillerait pour ses invités de la nuit.

Finalement, le dernier invita et son auto partit en écrasant bruyamment la neige. Bruit insignifiant mais comme tout était silencieux, on n'entendait que ça.

Elle les salua au haut des marches de la galerie, attendit de voir disparaître les derniers phares et les rouges des feux arrière lorsque les autos freinent au bout du chemin en attendant d'avir la voie libre pour traverser sur la route. Freiner, regarder à droite et à gauche et avancer.

Elle alla ensuite à la cabane à sucre, cogna à la porte avant d'entrer. La porte n'était pas barrée. Monsieur Dickson était endormi sur sa chaise berçante tout près du poèle à bois. Elle le trouva vieux. Puis changea d'avis.

- Hum!

Il s'éveilla.

_ Tout s'est bien passé?

_ Tout était parfait mais tu n'étais pas là. Bien des gens auraient aimé te voir. Mais toi tu ne voulais voir personne.

_ La vie est mal faite.

_ La vie est comme elle est.

L'éternel pessimiste asocial et mysanthrope et l'optimiste souriante. Ils n'étaient vraiment pas fait pour être ensemble. S'ils avaient été des vedettes, il y aurait bien eu une revue pour parler de leurs malheurs.

_ Tu as l'intention de rester toute la nuit ici?

_ Ça dépend. Tout le monde est parti?

_ Rien que toi et moi.

_ Je met mes bottes et mon manteau et j'arrive.

_ Il reste des cadeaux à développer. J'avais numéroté tous ceux que j'avais emballé pour ma liste mais j'ai remarqué que certains se sont ajoutés lorsque j'avais le dos tourné.

_ Les fées et les lutins.

_ C'est la nuit pour ça.

Ils allèrent donc à la maison, la main de la petite blonde passée autour de son bras au cas où il y aurait de la glace ce qui pourrait faire qu'elle glisse et tombe ce qui était de toute évidence une absurdité.

Ils faisait froid dans l'espace de nuit entre la cabane à sucre surchauffée et l'intérieur de la maison où la chaleur était plus douce. Il y avait là en plus de la chaleur des odeurs de nourriture exquises et de desserts raffinés. Mais il restait peu de chose des uns et des autres, les invités étant en appétit après être eux-aussi passé au travers de tout ce froid.

Ils s'assirent côte à côte sur le grand divan devant le foyer de pierre où brûlait les restse d'un feu de bois d'érable. Ils ne disaient rien. N'ayant rien à dire.

Puis elle n'y tint plus.

_ Si on déballait les cadeaux. Je suis curieuse.

_ Qui commence?

_ Les femmes et les enfants d'abord.

Il se pencha donc vers le sapin qui au début de la journée débordait de boites multicolores et de rubans frisés et lui tendit un paquet. Elle suivit son geste et son regard et le sourire qu'il dissumula vite.

Elle prit donc tout son temps pour défaire le fragile papier comme s'il était blindé. Allant d'un coin à un autre, déchirant doucement, interminablement. Puis son mouvement étant interrompu par le ruban et le chou, elle fit donc de plus grands efforts pour en parvenir à bout.

Elle ouvrit donc la boite et sourit, ce n'était pas aussi pire qu'elle pensait.

_ Un ouvre-boite comme c'est charmant!

_ Ne me dis pas que ça ne te fait pas plaisir?

_ Ce n'est pas toi qui pestait contre ces imbéciles d'ingénieurs incapables de faire un ouvre boite qui fonctionne.

_ Il n'y a que dans le catalogue Lee Valley qu'on en trouve un qui a de l'allure. La compagnie est de l'ouest du Canada et l'ouvre-boite est importé de France. C'est le seul qui a une lame en pointe. Tous les autres, peu importe la marque, semble provenir de la même usine. Et ont tous une roulette de métal pour ouvrir les boites de conserves. Roulettes qui s'usent en un rien de temps puisque le métal est cheap. Une vendeuse m'a même fait la recommendation d'enlever l'emballage de papier autour des boits avant de m'en servir car le papier usait la roulette. Le but du machin est d'ouvrir un couvercle de métal mais le papier l'use.

_ On n'est pas loin de la fin du monde.

_ C'était vendredi le 21 et on est peut-être déjà morts sans le savoir.

_ Quelle charmante attention.

_ Je suis sûr que tu t'en souviendras le reste de tes jours.

_ Non pas vraiment.

Et elle prit l'ouvre boite et le lança dans le feu du foyer.

_ C'est du métal, ça ne brûle pas.

Mais le choc de l'objet de métal sur les bûches et les tisons provoqua quelques étincelles.

_ J'ai quelque chose pour toi.

Elle prit l'avant dernière boite sous le sapin et lui tendit.

_ Qu'est-ce qu'il y a à l'intérieur?

_ Probablement des bretelles.

_ Tu as remarqué toi aussi que je prends du ventre. C'est ta cuisine.

_ Je t'engraisse pour mieux te dévorer.

Il ouvrit les 2 paquets qu'elle lui avait tendu.

Dans chacun, il y avait des livres. Le premier était Exit Final. Un traité sur le suicide et des recettes pour bien réussir le sien. Et le second la nouvelle édition de Cioran de la Pléiade de Gallimard.

_ Il y a des commentaires partout dans le livre.

_ Que demander de plus.

Il restait une dernière boite, toute petite sous le sapin. Ce n'était pas une de ses boites, elle aurait reconnu l'emballage et sa méthode d'emballage et ce n'était pas non plus un des cadeaux apportés par les invités, ils avaient tous été bien déballés et plus ou moins apprécié selon l'intuition du donateur et la politesse de la personne qui recevait. Mais la plupart du temps, ce fut apprécié.

_ Un autre ouvre-boite?

_ J'ai comme l'impression que tu es déçue. Pourtant c'est l'intention qui compte.

_ C'est ce qu'on dit.

Elle ouvrit la boite, il y avait une jolie montre qui allait très bien à son poignet. Elle la garderait pour les grandes occasions car elle portait toujours la montre de sa mère qui était celle de sa grand-mère. Elle ne faisait que changer le petit bracelet de cuir qui s'usait au fil des années.

_ C'est une montre superbe.

Elle lit le petit papier dans la boite.

TISSOT MONTRE POUR FEMME
Tissot LOVELY
T058.009.61.116.00
Ce modèle éblouissant doté d’un boîtier rond très discrèt d’une féminité absolue incarne l’essence même de l’élégance. Il est monté sur un bracelet en cuir, mais se décline aussi avec un bracelet métallique, serti ou non de diamants pour une touche d'éclat, qui se porte lâche sur le poignet, à la manière d'un bijou. Totalement irrésistible, la Tissot Lovely porte bien son nom.
_ C'est écrit qu'il peut y avoir des diamants.
_ J'avais remarqué. Il n'y a pas de diamants et elle n'est pas en or. C'est aussi possible. Tu peux l'échanger si tu veux.
_ Jamais pour tout l'or du monde.
_ J'ai aussi acheté des fourchettes à fondue. Elles ont des manches de toutes sortes de couleur pour que chaque invité reconnaisse la sienne.
_ Quelle belle initiative. Il y en a combien?


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24 décembre 2012. État 1

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Photos. http://www.maganat.com/658-945-thickbox/tissot-montre-pour-femme.jpg