HISTOIRES DE FANTÔMES

__________________________________________________________________________________________________

HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

___________________________________________________________________________________________________

6.8.12

210. LES SOUVENIRS SONT FAIT POUR ÊTRE OUBLIÉ ET LE OUBLIS DESTINÉS À ÊTRE ENTERRÉS

Henry Dickson regardait les photos des souvenirs de la maison ou des souvenirs des gens de la maison ou les souvenirs oubliés de tous ces gens oubliés de la maison. Tous ces disparus.

Tout ce qui restait d'eux était la maison vide mais l'était-elle vraiment?

Et où était le chat?

Et le chien?

Et ces photos. Un cimetière de photos.

Il pensa au cimetière qu'il avait visité. Accompagnant une de ses amies. Une entreprise prospère à l'écoute des besoins de ses clients. Ou de leurs parents. Du marbre plein la vue. Et comme on a de moins en moins de terre et de gazon et de place pour l'enterrement qui sera bientôt réservé aux riches; on n'enterrera plus en surface où la place au soleil est comptée (et pour les gens qui ont su compter dans leur vie) mais on enterrera, directement sous terre. On creuse déjà des tunnels, des mines et des labyrinthes parce que l'espace sous terre est infini. Et on conseille sagement les catacombes et les cryptes souterraines. On peut insérer les cercueils dans les murs. Dans le sens de la longueur. Comme des casiers postaux. Le Corbusier ou l'architecture Soviétique.

Et, pour les moins fortunés, le colombarium ou niches à pigeons. Ou chauve-souris étant donné l'endroit. Pour une autre transformation du corps.

Viande à cercueil.

Au lieu de vous décomposer lentement et de vous recycler encore plus lentement en vos éléments primordiaux, on devance la Nature et le fait pour vous. On vous sèche au gaz dans un four crématoire suivant l'exemple nazi et vous réduit en poudre. Déshydraté pour l'éternité.

Une urne, une cruche, un bocal, un pot ça prend moins de place qu'une tombe régulière et standardisée. Et son lot dans le cimetière. Son monument.

Le bocal comme lieu de vie.

On range, corde, aligne et empile les urnes contenant les cendres des disparus.

Vous n'en avez pas les moyens? On trouvera bien quelque chose dans vos prix. Mais on peut payer au mois. Comme une auto. Une TV.  Un matelas.

Ou on vous lyophilisera. Une autre façon de vous retirer votre eau. On vous congélera à - 80°. Vous évapore sous vide. Vous fera passer de l'état solide à l'état gazeux. À la fin, vous ne contiendrez plus que 1 % de votre volume d'eau. Une sorte de gateau ou de galette ou de biscuit de forme humaine.

Vous avez été locataire toute votre vie, vous le serez ensuite. Pour l'éternité.

Vous ne serez pas dépaysé. L'édifice à logement sera plus petit. Ils avaient déjà tendance à rapetisser du temps de votre vivant. Ils rapetisseront et diminueront encore et beaucoup plus. On est déjà rendu au mini condo, format cellule de détenu. Au prix d'une maison. Mais il y a plus petit. On a déjà habitué les Japonais aux cryptes en plastique avec TV. On ne peut y vivre qu'en rampant, à 4 pattes ou couché. Et on ne leur demande pas d'y vivre mais d'y dormir. Pour le moment. Vous épargnez encore de l'espace et vous avez une tombe standard. Vous pouvez vous la procurer maintenant pour servir de lit. Il paraît que c'est très confortable comparé aux boites de cartons pour le corps destinés au four. Purolator destination l'éternité. Ou presque. Plus petit est encore possible mais il faut généralement être mort pour ne pas sentir un léger inconfort.

Vous ne vous plaindrez pas. Vous ne vous plaigniez pas de toute façon de votre vivant. Vous faisiez parti de la majorité. Celle qui est silencieuse et sourde.

Et comme tous les gens qui ne se plaignent pas, gardent tout en dedans, vous avez pourri du dedans. Vous avez fait un cancer. En dedans. Le foetus de la maladie terminale qui partira avec vous. Un petit cancer pour commencer. Qui grossira et grossira pour prendre votre place. Ironiquement, en même temps, votre cancer vous a fait rapetisser si rapidement. On ne vous reconnaissait plus. Vous ne preniez si peu d'espace dans votre lit d'hôpital. Vos tubes et vos sacs de plasma et d'urine encombraient plus que vous.

L'espace a une valeur, l'espace coûte cher. Des gens vendent donc l'espace dont vous avez besoin et vous achetez l'espace que vous pouvez vous payer.

Vivant ou mort.

Ou, entre les 2. Car les hôpitaux ont des chambres privées, semi-privés et communautaires. Et il y a les hôpitaux privés et publics. Pour ne pas mélanger les malades riches et pauvres. Au cas où les pauvres seraient contagieux.

Des niches et des urnes, il y en a pour tous les goûts du bon goût et tous les budgets car la mort comme toute chose à son prix et son loyer. Verre. Bois exotique d'arbres en bois de disparition- ce qui est encore plus chic. Bronze. Plastique. Tout se paie. Ce n'est pas vrai que la mort est la seule justice et qu'elle égalise tout. Naïfs.

Une place.

Pour l'urne.

Ou pour les familles. On les regroupe par lot de 10 pots.

Et sur un mur, toute une société, un quartier d'une ville, 1000 habitacles. 1000 morts dans un si petit espace. Fascinant! Prouesse ergonomique. Urbanisme du futur. Il n'y a qu'à Hiroshima qu'on a fait mieux.

Mais le futur est déjà là. Et on peut vous transformer en diamant synthétique. Il suffit d'y mettre l'$, encore, et la pression et la température. Recommencer en laboratoire l'expérience de physique qui a jadis transformé les corps en sirop et en gaz, en pétrole puis en charbon et ensuite en diamant. Fascinant.

Et vous pouvez porter votre mari ou votre femme ou votre enfant ou votre bébé mort né ou votre foetus avorté en bague, collier, broche, bracelet à breloques ou sautoir. Toute votre famille à votre cou. Et tout le monde vous félicitera pour votre esthétisme funéraire sans le savoir.

L'harmonie, la beauté et l'élégance et la sérénité sur 12 pouces carré. Atmosphère de calme propice au recueillement.

Dans ce mausolée-colombarium moderne, on prévoyait 10,000 places pour les cercueils et 100 000 places pour les urnes. Il y avait des salles de toilettes. Tout le confort. Et son amie qui venait pour trouver une place pour son frère qui n'en avait jamais trouvé de son vivant et qui s'était suicidé était allé vomir aux toilettes. Marbre. Verre. Du meilleur goût disponible.

Souvenirs. Souvenirs.

Même chose pour les photos mais en plus petit. Combien de morts dans ces caisses?

Monsieur Dickson observait les visages comme il le faisait toujours. Essayant de les lire, de les déchiffrer, de les décrypter. Qu'est-ce que renfermait ce visage et, dans le visage, comme l'amande dans la noix, ce que fabriquait l'esprit. Qu'est-ce qu'il pense? Quel est son progamme?

Comment est dessiné son circuit?

Ouvert. Fermé. Zéro. Un. 0. 1. 0. 1.

001110001110000111100001110

Politique. Religion. Affection. Amour. Haine. Rancune.

Pour moi, les immigrants, je les...

Et les femmes, moi, je les...

Si c'était moi, moi les Juifs, je...

Souvenirs. Souvenirs.

Utile et indispensable à toute vie en commun.

Il y a des gens qu'il faut impérativement éviter comme on s'éloigne ou rebrousse chemin des plantes allergènes, ou piquantes, des champignons vénéneux ou des marécages. Il faut donc apprendre à les distinguer des autres.

Votre vie n'en sera pas plus heureuse mais elle sera, disons, peut-être, plus longue.

*

5. 8.10.11 août 2012. État 4