Pour éviter un avenir aussi funeste à une jeune entreprise qui n'existait pas encore, il fallait prévoir le futur.
De bons plans.
Et, pour commencer, un bon slogan.
Elle lisait les textes de présentation des concurrents.
Tout directeur de maison funéraire sait que lorsque les endeuillés se présentent dans son établissement, ils cherchent avant tout à faire honneur à leur être cher défunt avec un cercueil unique et d'une élégance discrètement remarquable.
Elle nota donc.
Design élégant et féminin
Raffinement
Développa un peu le sujet
Avec quelques broderies rappelant l'amour de la nature et des grands espaces pour réléter leur style de vie. Un cheval au gallot ou un voilier. Satisfaction garantie.
Un golfeur.
Ceci ne se voit pas sur le cercueil fermé - elle allait remédier à ce détail déplaisant. Personne avant elle n'y avait pensé.
Le couvercle ouvert, à la vue de tous, est la première chose que l'on voit (il faut s'approcher tout près pour voir le mort couché). Demi-couvercle pour le haut du corps. L'autre moitié est fermée. Et qu'est-ce qu'on voit? Une boite vernie avec des poignées de cuivre et le couvercle. Encore. Bien visible et visible pour rien.
Parfait pour de la publicité mais malgré que ce soit tentant, il y avait trop de réticence. Mais le temps viendra pour les esprits innovateurs.
Et le couvercle ouvert, on ne voyait plus que le rembourrage du couvercle, sorte d'annonce pour les oreillers en duvet ou les oies et on ne voyait que lui tant il y en avait. Tant de blanc. Et, là, il y avait amplement de la place pour broder ce qu'on voulait. Classiquement blanc mais on pouvait avoir une croix discrète ou moins discrète. Mais aussi ce qu'on voulait. Joueur de hockey. Quinte flush royale.
Il fallait prévoir des motifs pour ceux qui n'étaient plus assez catholique ou chrétien pour tenir à ces détails mais tenaient néanmoins à une cérémonie dans l'église.
Quoiqu'il y ait eu récemment un différend entre le curé de la paroisse et le salon funéraire.
Justement à cause de ceux qui n'étaient plus assez catholiques pour insister sur des motifs pieux mais ne tenaient pas non plus à faire subir à leur famille une cérémonie interminable à l'église. Donc une autre catégorie de croyants. Et, la parenté qui avait maintenant son mot à dire (le mort étant supposé avoir dit et écrit tout ce qui lui passait par la tête) et d'autres choses à faire ne voulaient pas être encarcanés dans l'agenda diocésain ou paroissial.
Le dimanche réservé à la messe du matin et au mariage l'après-midi.
Donc le Jour du Seigneur ne doit pas servir à une cérémonie triste.
Même Jésus y avait pensé et était mort un vendredi et ressuscité le dimanche suivant. Toute l'année, il n'y a rien le vendredi, sauf au bout du Carême, le Vendredi Saint. Sinon, ça ferait trop juif. Ou Arabe. Et l'église catholique a eu assez de misère pour se séparer de l'encombrante parenté Juive de son fondateur (Jésus, les apôtres et Judas étaient tous Juifs) (12 au milieu de tout un peuple particulièrement susceptible - ça n'a pas changé- et assez prompt à la lapidation - ce qui a changé, on utilise des drones avec des missiles- ce sont maintenant les Musulmans dont l'origine compliquée provient également des textes Juifs et des hallucinations de Mahomet écrites par d'autres sur des tessons de poterie; ce qui n'a aucune importance ici, sauf qu'ils ont eux aussi une forte tendance à la lapidation) pour rappeler les origines floues de leur religion. Ou probablement trop claire.
On se contente de dire que la Bible (la Torah) Juive prouve la véracité des écrits suivants. Bien obligé, puisqu'elle a été écrite avant par les sorciers Juifs. En copiant sur les Babyloniens. Le Nouveau Testament (non reconnu - euphémisme- par les Juifs) (Ils pissent dessus.) Et que c'est le même Dieu. Mais que le nôtre est meilleur.
Il y a aussi de bonnes raisons pour lesquelles l'Église (qui est la vraie religion catholique) (ou la vraie religion tout court) interdisait sa lecture et sa traduction. Ce que les esprits curieux et qui, eux, savaient lire, même le Latin, ont essayé imprudamment au cours des siècles. Avec même des arguments pour camoufler décemment faute de pouvoir les expliquer convenablement à des esprits sensés, ces bonnes raisons une fois que le peuple les aurait découvert comme eux.
On ne les remercia nullement de leurs bons offices. Car on n'avait aucunement besoin de ces bonnes raisons tant que le peuple ne savait pas lire. Et que ceux qui savaient lire (même le latin) respectait l'interdiction de lire le Livre Saint (réservé aux prêtres). On les brûlait donc tant qu'on pouvait avec leurs traductions mais d'autres recommençaient. Et on les brulaient à leur tour. Et d'autres recommençaient. Encore. Encore. Et on les brulaient. Leur coupait la langue. Leur crevait les yeux. Les taraudait les oreilles à la perceuse manuelle. L'électrique n'ayant pas encore été inventée. Pour ne rien dire des perceuses DeWalt jaunes 18 volt à batteries lithium-ion rechargeables.
Et s'ils avaient la chance de mourir de leur belle mort sans intervention du clergé et du pouvoir civil et qu'on apprenait trop tard leur déviation pour pouvoir les faire souffrir comme des chiens de leur vivant (jusqu'à ce qu'ils en meurent), on les déterrait, les sortait du cimetière pour pouvoir traîner leur cadavre dans les rues attachés à des sangles de cuir derrière un cheval. Ensuite, on jetait les morceaux d'intellectuels sur le tas de vidange puis on expropriait leurs maisons et leurs biens et expulsait leur famille. Petit bénéfice de l'opération. L'Église sait compter et l'a toujours su.
Et les intellectuels suicidaires et dépressifs recommençaient sur les cendres encore chaudes de leur prédécesseurs.
Si la bêtise est puissante, historique et universelle, les ennemis de la bêtise qui sont moins nombreux que les gens stupides sont têtus. Et, généralement, suicidaires. Et dépressifs.
Avec de bonnes raisons.
Ce n'est que la secte protestante ou Église Réformée (détestation des Papistes) (la haine est le péché mignon de l'humanité qui empoisonne tout ce qu'elle fait) qui réussit à la traduire à sa façon et obligea l'Église à tolérer ce sacrilège et ce blasphème et à oublier cette (désormais) inutile interdiction.
Même si on n'avait aucune envie de le faire et que l'Église manifesta son déplaisir de la manière habituelle. Torture, bûcher, décapitation, couper les langues, les mains, crever les yeux. Incendier les livres, les imprimeurs et les imprimeries. Les librairies, les bibliothèques avec les bibliothécaires.
Bref, la tolérance, ce sera plus tard.
Quand on ne pourra plus faire autrement après avoir essayé toutes les autres méthodes: jeter les hérétiques du haut de leurs fenêtres, mettre le feu à leur maison, ect. ect. ect. Voir liste.
Et tant que l'Église crut pouvoir gagner, elle recourut aux techniques Cathares et Albigeoises habituelles qui lui avaient tant réussies dans le millénaire passé. Tuer une personne n'est rien; c'est en tuer 1000 du coup qui montre votre véritable puissance.
Mieux, faire accepter ce fait par leurs voisins et parents que vous n'avez pas eu le temps de tuer. Encore mieux, faire que tout soit ensuite oublié. Génocide et justification et acceptation. Et mettre par dessus la fosse commune le sourire angélique de la bonté de l'Église. Et de Dieu. Infiniment bon. L'Église, moins. Qui recouvrira donc matériellement et intellectuellement la fosse à merde.
Malgré qu'on ait essayé tant et tant de tous les tuer; ce qu'on ne réussit malheureusement pas à faire tant il y en avait parce qu'ils étaient tout simplement trop nombreux.
On avait beau les tuer, recommencer, il en restait encore.
Un monopole suscite automatiquement la concurrence. Le monopole Divin comme les autres. Qui dura tout de même 1500 ans. Tous les autres cultes, dont certains encore plus millénaires: grecs, romains, égyptiens ayant été éradiqués: prêtres, livres, temples, monuments. Sauf le Juif qu'on toléra. En en brûlant ou en en faisant bouillir quelques-uns de temps en temps. Et, une fois l'an, on faisait venir le Grand Rabbin à la cathédrale pour le souffleter. Mais contrairement à tous les autres, il en ressortait vivant.
Ce qui obligea, comme souvent chez les humains, à recourir, faute de mieux, à la tolérance quand le massacre de millions de gens n'a pas suffit.
Il va de soi que l'hérésie Protestante dès qu'elle en eut les moyens essaya en même temps d'exterminer les Catholiques pour détourner l'attention du fait qu'elle n'existait que depuis quelques jours alors que l'Église (selon Elle, il n'y en a qu'une) datait de 1500 ans, ce qui est un peu gênant.
Bref, tout en prêchant la tolérance, les protestants tuaient autant de catho qu'ils pouvaient. Dès qu'ils furent assez nombreux ou avait un roi tueur de femmes à leur côté. Et, en plus des Catho, dès qu'ils avaient du temps de libre, les adeptes de leurs propres déviations de leur nouvelle et originale déviation devenue foi obligatoire. Sous peine de torture, bûcher. On voit le genre.
Morts aux hérétiques. Tout ça!
Luther avait la main particulièrement lourde. Surtout sur les pauvres et les paysans. Cet atavisme n'a pas changé. Et le Vatican moderne qui se trouve aux USA manifeste une adoration extatique qui va jusqu'à l'éjaculation spontanée pour l'$, l'or, les riches et les puissants et un mépris tout aussi bruyants pour les pauvres, surtout s'ils sont noirs. Ce qui ne signifie pas qu'on méprise moins les pauvres blancs mais il n'y a tant de variations possible des degrés du mépris. Et même les moins pauvres méprisent ceux qui sont en plus mauvaise situation qu'eux.
Tout ceci la main sur le coeur, de belles paroles et des leçons de morale à l'humanité entière. Hypocrisie et absence de scrupule à des degrés fascinants qu'il faudrait étudier dans un laboratoire.
On revient à nos morts. Service. Samedi à 11 h. Pour les enterrements et les services anniversaires. Le salon funéraire du village (il y en avait en fait 2 dont un à 2 pas de l'église, car on mourait beaucoup ici et de toutes sortes de causes et dans toutes sortes de circonstances souvent brutales et tragiques et, parfois, horribles. Mais pas tout le temps.) le plus innovateur essaya comme tout commerce de satisfaire sa clientèle. Et d'aller au-delà des satisfactions habituelles, lui découvrant de nouveaux besoins.
Comme on n'avait pas le temps ou que ce n'était pas prévu dans l'agenda électronique ou papier d'aller à l'église, samedi à 11 h., on décida de séparer l'événement en 2.
L'enterrement ou l'incinération se ferait plus tard, entre spécialistes.
Même s'il y a des gens qui aiment suivre le cortège après la cérémonie à l'église. Donc après être entré à l'église, le cercueil en sort par les même grandes portes avec les mêmes porteurs, cette fois, jusqu'au cimetière et, de là, à la fosse fleurie recouverte de tapis vert. Parce qu'ils tiennent à voir la tombe descendre doucement dans la fosse. Avec le curé qui dit encore quelques mots d'espoir. Menum menum! Ouin! Ouin! Puis tout le monde s'en va. Dans ce cas, si on tenait à avoir la cérémonie traditionnelle entière, il fallait supporter tout le cérémonial de l'église à la date et l'heure prévu. On n'enterrait qu'une personne à la fois sauf dans le cas de massacre. Si un samedi était occupé, il fallait choisir le samedi suivant ou un autre. On en trouverait bien un.
Mais si on n'était pas si capricieux, on pouvait s'arranger avec le directeur des funérailles. Il y a toujours moyen de s'arranger quand on sait compter.
Et dans un premier temps, on ferait le service funèbre et la messe au salon funéraire à la date et l'heure prévue pour les clients. En semaine. Même dans ce cas, la plupart des gens, par une sorte de respect craintif ou prudent, préféraient éviter les enterrements le dimanche. Même si on meurt et on tue à toute heure du jour et de la nuit et 7 jours sur 7 et 365 jours par an, 366 jours aux 4 ans lors d'une année bissextile.
Ce serait le jour ou le soir, le matin, l'après-midi. Mais pas la nuit, et certainement pas à minuit, sans doute par crainte respectueuse de certaines cérémonies oubliées dont personne ne parle. Et encore moins, si elles se pratiquent encore.
Et une vraie messe avec un curé retraité qui ne demandait pas mieux. C'était pour lui une manière de rejoindre les fidèles (vacillants) où ils étaient comme au premier temps de la chrétienté lorsqu'il fallait convertir les païens. Contrairement à l'Église institutionnelle qui profita du travail des premiers prédicateurs (souvent décédés de façon violente) et de sa clientèle captive. Les gens n'aimaient pas être dérangés dans leurs habitudes et celles de leur foi et leurs sorciers, comme bien plus tard, les sorciers Catholiques, avaient une vague idée de ce que c'était que discuter ou d'échanger des idées. Bref, comme pendant les siècles passés, l'Église qui n'est pas au courant que les temps ont changé et le bon temps passé, veut encore forcer ses fidèles (de moins en moins) à officier au jour et à l'heure prévue. Aussi longtemps qu'elle le voudra.
Comme elle ne pouvait les tuer tous, devenue scrupuleuse (on a peine à la reconnaître si on se rappelle sa glorieuse histoire bien rouge et bien saignante et sanglante) elle reculait même désormais devant le meurtre individuel, même le meurtre d'une femme anciennement si tentant, elle se contenta de protester. Prenant l'air triste et angoissé de son archevêque. Comme si toute la souffrance du monde reposait sur ses épaules ou sur son calendrier.
Si le Pape était trop loin et avait trop de chats à fouetter pour se soucier de ce matou là, la chose était donc parvenue aux oreilles de l'archevêque de Québec puis des évêques d'autant plus que les marguillers de la Fabrique joignaient leurs implorations à celle du curé et du vicaire. L'archevêque souffrit. L'évêque aussi. Rien de plus.
Alors qu'il y a un siècle tout ce petit monde aurait été pendu à des arbres ou des lampadaires. Mesure clémente comparée à ce qui leur serait arrivé le siècle d'avant. Et que dire de l'autre siècle. Et le lieu de leur commerce honni brûlé aussi. Non. Aujourd'hui, c'était le clergé qui était devenu poète. On y pleurait beaucoup sans faire grand chose.
Sans compter le bedeau qui récoltait son $20 à chaque service pour faire sonner les cloches. Activité peut être fatigante lorsqu'il fallait manipuler les grosses et longues amarres qui faisaient tourner les poulies des énormes (et moyennes et petites) cloches et qui pouvaient par le retour du balancier vous amener au plafond à 40 pieds dans les airs ou aussi haut que soit la voûte ou vous déboiter les épaules ou les poignets; mais on avait fait installer des moteurs et l'électricité. Et il suffisait de peser sur des boutons selon l'air de cloches désiré. Il y en avait plusieurs: baptême, mariage, enterrement, décès d'une femme, d'un homme (sonnerie différente). Et tout le carillon les jours de fêtes.
Et une minuterie pour la cloche du réveil qui correspondait autrefois à la première messe de la journée qui ne se disait plus faute de curé et de fidèles. La cloche du midi. Celle du souper. Les citoyens s'étant plaint de la première, on cessa de la faire sonner pour laisser dormir les retraités. Au lieu de mettre le feu à leurs maisons.
L'église locale qui en était à compter ses sous car en elle manquait sans cesse ne vit pas d'un bon oeil cette nouvelle concurrence qui se partageaient les morts disponibles. Qui n'étaient qu'une petite part du total des morts car la plupart, désormais, mourait sans demander ses services. Il était bien fini le temps où on ne pouvait agoniser sans le prêtre à vos côtés qui entendait votre dernière confession et vous crémait le front. On mourait comme un chien. Mais confortablement, comme un chien de salon.
L'époque où les vieux riches laissaient leur héritage à l'église était aussi passée. Le dernier connu avait permis de changer le tapis du choeur. Si ça se passait encore, c'était le plus souvent au bénéfice d'une secte bizarre qui croyait au retour des Vénusiens.
On avait réparé le toit ce qui avait coûté une fortune. Le chauffage coûtait 10 000 $ par mois. Et on devait changer ses fenêtres dont la dernière réparation datait de 200 ans. On pouvait acheter symboliquement un carreau de verre et votre nom y figurerait. Comme on avait fait pour les pierres qui avaient remplacé le béton moulu du parvis. Et celles des murs qui avaient été descellés par le vent du nord. On aurait pu faire ainsi pour les tôles du toit et du clocher mais on n'y avait pas pensé.
Depuis toujours, on louait les bancs de l'église. À l'année. Cher en avant, près de l'autel, pour les belles et bonnes familles. Moins cher, loin, en haut, pour les bancs du jubé. Derrière les poutres et les colonnes, c'était le plus économique. Sinon, on restait debout. Mais plus personne ne louait de banc. On ne savait même plus qu'il aurait fallu.
Quant à la dîme, presque plus personne ne savait que c'était obligatoire pour un bon chrétien ou même un chrétien tout à fait ordinaire. Mais même si on le pouvait, on n'allait pas vous poursuivre et vous faire jeter en prison. L'Église, faute de mieux, avait choisi de montrer un visage moins austère.
On avait même fait recouvrir la trappe centrale au milieu de la grande allée, là où on descendait les morts les plus honorables qui tenaient à se faire enterrer dans l'église ou, plutôt, sous l'église. Pour bénéficier directement des faveurs de toutes les messes dites.
Quelques-uns étaient enclos sous les fenêtres. Dans les enfeus. Mais c'était encore plus cher. De toute façon, il ne restait plus de place, toutes les fenêtres étant prises depuis longtemps. Si on s'intéressait à cette intéressante coutume, on pouvait lire leurs noms sur une grande plaque de bronze qui fermait leur logis. La forme s'était simplifiée avec le temps mais les plus anciens habitaient une sorte de niche voutée sous leur fenêtre. Mais de toute façon, plus personne ne savait qui ils étaient et ce qu'ils avaient pu faire pour bénéficier d'un tel privilège.
Certains avaient été encastrés à l'extérieur de l'église, tout autour, dans ses murs de pierre, dans une niche creusée et sculptée sous les fenêtres. Mais le vent du fleuve du nord avait effacé les noms gravés dans la pierre. Et le vent des tempêtes de l'est avait fait de même.
Les registres ayant été brûlés par les Anglais, on ne savait pas vraiment qui ou combien de gens étaient enterrés sous l'église. Avec l'église. Pour ceux qui étaient sous les fenêtres, on savait. Suffisait de les compter. Quand la première église avait brûlée, on n'avait réussi qu'à sauver les murs. Et on avait reconstruit par dessus les murs effondrés qui tenaient encore debout. Quand les Anglais brûlèrent la deuxième, on avait aussi réétulisé les vieilles pierres. On voyait très bien la ligne de démarcation entre l'ancien temple usé qui faisait place aux pierres nouvelles finement équarrie. Et, ici et là, en montant, quelques vieilles pierres ébréchées. Parfois avec des textes gravés incomplets. Comme si on s'était servi des ruines d'un autre monument ancien dont plus personne ne se souvenait.
Ainsi, en Égypte, on trouve dans les maisons les plus anciennes, si on casse le plâtre des murs, les pierres d'anciens temples des anciens cultes Égyptiens. Avec des bouts de bas relief et de fresque comme si on avait joué au casse tête avec un ciseau et de la colle. Plusieurs maisons du village avaient ainsi bénéficié d'anciennes pierres dont la forme et la couleur et l'usure rappelaient celles de la première église. Pour porter chance. Parce qu'on en aurait besoin. La maison de monsieur Dickson en avait plusieurs.
On ne savait donc pas dans quel état étaient les locataires des murs. Dernièrement, on avait découvert 2 autres squelettes dans la salle des fournaises. Les vieux réservoirs d'huile avaient coulé et s'était répandu jusqu'au cimetière. Comme tout était compliqué, on alerta le ministère de l'environnement qui fit venir des spécialistes en costumes d'astronautes pour retirer toute la terre contaminée dans la salle des fournaises et autour de cette partie de l'église. Mais pas la terre du cimetière car il aurait fallu déplacer tous les morts. Et les familles auraient brûlés les camions des dépollueurs avec les techniciens dedans. C'est en déterrant qu'on trouva les 2 morts. On n'aima pas le mot mort ni le mot cadavre. On arriva à un moyen terme avec celui plus historique de squelette.
C'était probablement des squelettes très historiques. Plus personne ne savaient ce qu'ils faisaient là, pourquoi ils avaient été là, qui avait décidé de les y mettre. Et encore moins qui étaient ce qui avait été un homme et une femme.
Et qu'il fallait mieux tout oublier et les enterrer ailleurs. Ou sous l'église. Mais avant d'en arriver à ces conclusions apaisantes, en même temps que les spécialistes dépolluaient, la police arriva. Il n'y avait aucune trace de violence. Ce qui ne voulait pas dire qu'il n'y en avait pas eu mais ce n'était pas de celles qui laissent des traces. Pas de vêtements. Ils avaient été enterrés nus, ce qui était troublant. Pas de trace de tombe non plus. Mais les squelettes datant de 100 ans ou plus, on ne saurait jamais ce qui avait pu leur arriver. Et plus on chercherait plus les esprits s'exciteraient et pourraient arriver à des conclusions troublantes pour la paix sociale, l'esprit communautaire et les oeuvres de l'église. Comme le disait depuis longtemps l'Église, trop penser nuit. Et peut mener jusqu'à l'orgueil intellectuel qui doit être remplacé par la pauvreté intellectuelle.
On sortit les vieux réservoirs d'huile devenus aussi minces que du papier de soie et on profita de l'événement pour changer le chauffage à l'huile pour une fournaise électrique qui permettrait de conserver les calorifères à eau chaude. Ce qui s'ajouterait aux dettes de l'église qui faisaient déjà sourciller l'évêché. Dans le pire de cas des mesures drastiques seraient prises. On paierait les dettes, fermerait les livres et l'église, la vendrait avec le presbytère. Comme on faisait partout où il n'y avait plus assez de catholiques pratiquants et riches pour entretenir ces énormes monuments plantés au coeur des villages et des quartiers des villes. On devait donc discourir comme devant un parent malade, si on devait s'acharner encore ou si ça ne valait pas la dépense. Ou avait-il trop souffert? Était-elle assez ancienne ou vieille ou historique ou originale ou belle. Et qu'est-ce que c'était que la beauté? Heureusement, il s'en incendiait accidentellement ou criminellement un certain nombre par année, ce qui évitait de devoir faire des choix cruels à la David ou Salomon. La destruction de l'une retardant la vente inévitable d'une autre. Et, peut-être, puisqu'on était dans les églises supposément habituées à ce genre de chose, un miracle surviendrait.
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20. 30 août 2012. État 2
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20. 30 août 2012. État 2