HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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8.8.12

217. LA FEMME EST-ELLE UN ÊTRE BON OU AU CONTRAIRE EST-ELLE...?

Henry Dickson ronfle avec son chat sur ses genoux, ses bas de laine bien tassés sur le ventre chaud du chien.

Elle était heureuse
Jusqu’à ce que le départ de l'arbre maléfique lui révèle quelque chose que sa présence occultait. Elle pensait jouir du point de vue. Maudissant depuis des années cet arbre monstrueux, qu'elle avait devant les yeux lorsqu'elle faisait à manger, lorsqu'elle lavait la vaisselle, faisait la lessive, repassait son linge. Et le matin devant la fenêtre de sa chambre. Son mari aimait à le regarder au coucher comme s'il pouvait lui apporter une bonne nuit et au lever comme si une bonne journée de travail efficace et productive en résulterait.
Et ce que lui cachait l'arbre se révélait. La maison des parents de son mari. Lors de son mariage, les plans de son nouveau mari étaient de ne rien changer au train train quoditien. Son père et sa mère restait à la maison qui était bien suffisamment grande.
Ce qui voulait dire que le père de son mari demeurait le chef de la maison. Son mari étant habitué dès le plus jeune âge à obéir n'y voyait aucun inconvénient. Et sa mère, devenant la belle-mère, commanderait indéfiniment à sa bru.
Elle n'avait pas prévu ça.
La mère de son mari continuait à faire les comptes comme toujours, elle ne pouvait les regarder même si elle savait compter et pouvait très bien aider. Elle ne pouvait donc savoir quelle était la véritable richesse de son mari. Et le nombre et l'étendu de ses biens. Tout son avoir à lui et à elle.
Elle aimait les chiffres. La mère de son mari aussi. Les femmes ont le dont naturel de compter ayant toujours peur de manquer.
On la privait de ce plaisir.
Mais la mère de son mari était toute prête à lui laisser le nettoyage et l'époussetage. Elle aimait nettoyer et épousseter mais nettoyage et époussetage n'avaient pas le même saveur si elle ne pouvait regarder les grands livres de comptes rouges et reliées. Tous ces trésors de chiffres remontant à quelques générations.
Il était impossible de convaincre son mari. Ou elle ne trouve jamais le moindre argument et ne fut pas faute d'essayer.
Il lui disait que sa mère avait vieilli et que bien des choses la fatiguait. Elle était jeune et énergique et pouvait très bien la reposer tandis que compter la reposait. Compter était important, on ne pouvait cesser de compter et comme elle en avait l'habitude puisque depuis 50 ans, elle comptait aussi bien qu'elle continue à compter. Il y avait enfin quelqu'un qui prendrait la relève pour toutes les autres tâches.
Le père de son mari avait aussi beaucoup vieilli mais il était suffisamment en forme pour l'aider ce qui épargnait un homme engagé. Mais le défaut du système était que le chef de la famille qui s'assisait au bon bout de la table de la cuisine était le père de son mari et non son mari. Et à la droite du père de son mari, il y avait la mère de son mari et non elle. Ce qu'elle trouvait profondément injuste.
La pauvreté lui ayant toujours fait peur. Et chez son père, il y avait une proximité dangereuse avec cette calamité. On était à l'aise, on mangeait bien, on ne manquait de rien. Mais il aurait suffit d'une mauvaise année pour que le fragile équilibre se brise. Et elle serait devenue pauvre. La risée de tout le village.
Tandis que son mari était suffisamment riche pour supporter un an de malheur. Plusieurs mauvaises récoltes d'affilées. La mort de quelques belles vaches. Ou une baisse de prix des oeufs. Et sa mère devant ses livres comme un pilote à sa vigie observait les récifs et les écueils et prévoyaient des provisions en cas de naufrage. Ce qui ne veut pas dire que lors d'une catastrophe énorme, ils auraient été définitivement à l'abri. Ils auraient partagé le sort de tous les calamiteux. Mais par contre lors d'une catastrophe moyenne ils auraient pu voir défiler les noyés le long de la rivière sans être incommodés. Ils auraient même eu le temps de prier pour le repos de leurs âmes.
Elle ne pouvait les attaquer de front. Toute critique étant vue comme un signe de dérèglement hormonal si commun à la femme. Un symptôme utérin - il était habitué avec ses innombrables vaches-- qui dérègle son cerveau. Il était habitué ayant dû subir les crises de sa mère tout le long de son enfance. Mais depuis qu'elle avait beaucoup vieilli, elle s'était améliorée et son caractère s'était adouci.
Ce qui faisait qu'entre 2 hystériques caractérielles comme sa mère et sa femme, l'hystérique la plus expérimentée ne pouvait que gagner et en fait d'hystérie, il était difficile de battre sa mère quoiqu'elle se soit beaucoup adoucie en vieillissant.
Elle décida donc de les prendre de flanc ou plutôt par le ventre. Enfant par enfant. Comme un général lance des salves sur une ville assiégée. Eux qui s'étaient habitués depuis des années à des conversations entre adulte (son père parlait) et au calme durent se rappeler de la vie d'une jeune famille, ce qu'il n'avait pas connu depuis 20 ans.
Un bébé qui pleure.
Un deuxième bébé qui pleure.
Des jumeaux qui pleurent.
Le premier bébé qui court partout.
Un bébé qui pleure.
Le premier bébé qui parle sans être capable de s'arrêter tout en fouillant partout. Tandis que le second  bébé court partout.
Année après année un autre bébé.
Au combientième les parents de son époux en eurent assez et décidèrent de quitter la maison où on commençait à manquer de place. Les chambres ne manquaient pas mais elles diminuaient au fil des naissances.
Et s'ils étaient partis, elle avait oublié qu'ils s'étaient relogés sur leur terre juste devant la maison. Au bord du chemin du rang pour avoir moins de neige à déblayer l'hiver.
Et c'est l'arbre qui cachait leur maison.
Encore une épreuve.
Dès qu'elle avait pu s'en débarrasser, elle avait découvert leur arbre. Et elle se mit à le saler. Et alors qu'elle pensait jouir de sa vie, voilà qu'on l'affligeait encore.
Leur maison était là dans la fenêtre de l'évier. Et dans la fenêtre de leur chambre à coucher.
Elle qui était si heureuse, qu'avait-elle fait au ciel pour mériter un tel châtiment?
*

8 août 2012. État 2