HISTOIRES DE FANTÔMES

__________________________________________________________________________________________________

HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

___________________________________________________________________________________________________

21.4.12

34. HISTOIRE DE FANTÔMES

Henry Dickson

Va à la bibliothèque, dans le meuble à tiroirs où sont rangés les albums et les boites de photos et diapositives et les rouleaux de films et les piles de cassettes vidéo VHS qu'il avait trouvé avec la maison.

Les derniers habitants ne voulaient rien emporter. Pas même les photos qu'ils avaient prises ici. Qui s'ajoutaient à toutes les autres. Car il y en avait qui remontaient bien plus loin qu'à leur arrivée. Ils les avaient laissées là où ils les avaient trouvées, intactes.

Peut-être ne les avaient-ils jamais regardées? 

Peut-être n'y avaient-ils jamais touchées?

Ils avaient simplement ajouté leurs photos aux anciennes, comme les colonies anciennes habitaient sur les générations passées. Sur. Un peu de terre sur le plancher de la hutte de  votre père là où on enterre les carcasses rongées du repas de la veille. La tombe des vieux. Que l'on a rongé aussi?

Même les villes anciennes et récentes peuvent s'être continuellement érigées au même endroit. Si on creuse, on trouve les fondations rasées des maisons et des murailles de pierre et même les fortifications en piquets. La ville récente s'installe sur ses tombes et s'étend au-delà. C'est cette flaque de la ville qui s'étend qui la différencie de la ville passée et de toutes les villes passées enfouies sous ses fondations. Il est alors difficile de faire ressurgir les générations anciennes sans faire s'écrouler les édifices modernes.

Ainsi pour les piles de photos qui prennent heureusement moins de place que des châteaux ou des kraks.

Comme lui, avait-il une sorte de superstition envers les photos. Différamment des tribus dites primitives et qui ne le sont pas tant que ça (simplement par le décompte de leurs victimes. Même pour les cannibales!). Selon les ethnologues qui disent savoir de quoi ils parlent, on y déteste qu'on vous prenne en photo parce qu'on croit (ce sont des primitifs) (Ils croient vraiment n'importe quoi!) qu'on va prendre leur âme, l'emprisonner dans la petite boite avec une vitre et partir avec elle. Et que va t-on faire avec elle? Et que va t-il vous arriver à vous sans votre âme? Peut-on être moins scientifique!

De grands enfants!

Oh! Il y a des universités religieuses (?) aux USA où on enseigne que la Terre est le centre de l'Univers créés (Terre et univers) par Dieu.

Il y a 5000 ans.

Un jeudi.

Et Dieu est contre les gros gouvernements interventionnistes et pour les baisses d'impôts aux riches (si inspirants) et les diminutions de salaire pour les petits salariés insignifiants.

Ainsi, on motive les riches et les pauvres. Différamment!

Pour lui, c'était le contraire, pas tout à fait, mais pas loin, tout aussi inexplicable. Et qu'il valait donc mieux ne pas expliquer.

C'est lorsqu'on détruit une photo (c'est moins vrai si elle est imprimée dans un journal à d'innombrables exemplaires), une photo où il y a un lieu, une maison, un point de vue, un paysage, une personne.

Lorsque cette photo disparaît, c'est peut-être la dernière trace de l'existence de cette personne sur terre qui disparaît.

Son âme en quelque sorte. La même idée que les primitifs...

Amis, parents l'ont peut-être oublié. Amis. Parents. Ils sont peut-être oubliés eux-mêmes. Une succession infinie d'oublis et d'existence brève comme des bulles de savon. Et qui laissent tout autant de traces.

Rien.

Sauf une photo.

Sauf une photo la plupart du temps sans nom. Sans identité. Mais qui c'est?

Une âme perdue sans nom. Une âme générique.

Qui tient sur la mince surface d'une feuille de papier. Ou sur l'argent minuscule d'un film de plastique.

À chaque enterrement et héritage, on se demande, il imagine qu'on se demande, qu'on s'est demandé; quoi faire des souvenirs inutiles?

Souvenir?

Mais personne ne se souvient.

Ou la personne qui s'est souvenue, tenait à se souvenir, n'est plus là.

Et lorsque, finalement, on décide parce que ça n'a plus tellement d'importance ou plus aucune importance. Lorsque la photo brûle. Ou est déchirée pour aller à la boubelle. Il ne reste plus rien, rien, rien de la personne qui était devenue si peu de chose: une feuille de papier.

Les rois avaient des artistes plus ou moins grands pour faire leurs statues, leurs portraits en peinture. On les a oublié mais parce qu'on a trouvé que leurs souvenirs qui étaient devenus depuis oeuvres d'art valait la peine d'être conservés, il en est resté une trace. Pour la majorité des humains dans leur existence brève, il n'est rien resté. Autant pour les animaux des mers, des forêts et des airs. Et ceux qui sont sous terre. Mais quelques-uns ont eu quelques petites images. Desquelles, il en resta une. À chaque héritage, un nouveau jugement. Qui c'est? Ce doit être quelqu'un de la famille. Laisse-le dans la pile de droite, on y pensera plus tard. Au pire, on les donnera à la tante, elle a l'esprit de famille. Mais on ne décide rien. Une vie se passe. Et se termine. Et encore un nouveau jugement. Mais qu'est-ce qu'on va faire de cette pile? Au fur et à mesure que les générations passent, on est de plus en plus pressé. Et, un jour, on n'a même plus le temps de réfléchir à ce jeune homme et cette jeune femme et ces jeunes enfants. Si jeunes en 1900. Tous morts depuis. Et plus personne, même de leur propre descendance ne se rappelle qui ou quoi. On ne va pas s'encombrer avec ça. Et il y a la photo numérique qui prend si peu de place et se range si facilement.

Les souvenirs dont plus personne ne se souvient.

Ce qui a peut-être ou certainement ou assurément compté pour le vivant qu'elle était, qu'elle fut mais qui n'a plus la moindre importance. Parce que...

Parce que...

Ou son importance - peut-être en avait-elle une- est ou était uniquement connue de la personne décédée.

Actuellement, c'est un embarras.

Un cas de conscience. Ce que détestent les héritiers. Qui faire des 12 chats obèses de 12 ans de la tante?

Et les livres du vieil oncle?

Et les tableaux du peintre amateur du dimanche?

Ou des manuscrits de cet écrivain amateur du dimanche?

Ou du journal de ce neveu qui espionnait tout le monde et a tout raconté, même l'irracontable, ce qui peut provoquer des chicanes de famille.

Ou les anges de céramique de la vieille femme.

Ou, pour la maison et la bibliothèque aux innombrables étagères vides - il y avait eu des livres, beaucoup, il n'y en avait plus. Ou étaient-ils passés?

On s'en était débarrassés?

Dans quelle condition?

Quel genre de livre peut-on lire dans cette maison?

Peu importe. Mais étant donné le nombre d'étagères et de meubles, il devait y en avoir beaucoup. Assez pesant. Et on devait y tenir pour avoir fait construire ces meubles en chêne. Dont certains avaient des portes vitrées. Aux vitres taillées comme du cristal, biseautées comme des diamants, cerclées de plomb comme des viraux. Pour protéger les livres les plus précieux de la poussière.

Une sorte de tabernacle culturel.

Ou on les avait vendus, donnés.

Jeté aux vidanges.

Au compost. Si on est ignare mais écolo.

Bien des gens n'aiment pas lire, ça leur donne mal à la tête.

À la place des livres, il y avait des séries d'anges en cristal (dit de roche? dans les annonces). Des anges en porcelaine. Des dauphins. Des licornes. Tout un tas de trucs féminins qui devaient être un ravissement constant pour sa collectionneuse compulsive quand elle se mettait dans la tête de ranger et d'épousseter.

Il y en avait partout dans la maison. Sur la plate-forme de bois du manteau du foyer, dans les réchauds du vieux poèle Bélanger, dans les armoires de la cuisine d'été, dans les armoires de la cuisine d'hiver, dans les chambres, sur les murs des chambres, dans les armoires des chambres et leurs bureaux. Il serait plus simple de dire où il n'y en avait pas. Et un sur la meule du vieux puit. Le reste et le surplus, elle l'avait placé sur les étagères de la biblio à la place des livres. En attendant de faire faire une nouvelle étagère murale. Et elle continuait à en acheter. Il y avait des piles de catalogues inspirants. Et lui continuait à en recevoir par la poste de partout dans le monde. Il n'avait fait que récolter toutes ces traineries dans la maison et les mettre avec les autres. Ce qui faisait beaucoup. Et il en trouvait encore sans chercher dans des endroits où il n'aurait jamais pensé en trouver. Hop! Un ange de plus! On en manquait. Ce qui faisait qu'il n'essayait même plus de les chercher. Il savait qu'un matin, en se promenant ou en cherchant son chat, il en trouverait au moins un. Comme s'ils poussaient. Un atelier de nains anglais (les meilleurs) (des immigrants illégaux) était caché quelque part et dessinaient de leurs doigts de fés ou de nains les motifs les plus exquis. Et comme le lapin de Pâques semait sa production ici et là.

Les mêmes collectionneuses maniaques collectionnent des petites cuillères avec la tête des enfants du roi d'Angleterre. À chaque nouveau bébé, une petite cuillère de plus. Que de joie! 

Et ça prend moins de place.

Par contre, les enjoliveurs de roues...

Et lui-aussi devait faire quelque chose de tout cet attirail. Il y en avait pour une fortune. Il pensa qu'un collectionneur fou à E-Bay pourrait...

Tous les anges du monde. Tous les anges du ciel. Faites votre offre! Carte de crédit acceptée.

Il ne supportait plus de les voir là à la place des livres. La notion de mauvais goût est si personnelle mais il ne voulait pas endurer plus longtemps le mauvais goût de quelqu'un qu'il ne connaissait pas.

L'idée qu'il devrait emballer tout ça. Obligé. S'il voulait vendre et que ça se rende intact chez le destinataire. Il devrait engager quelqu'un puisqu'il n'était pas assez patient pour vouloir préserver ce patrimoine intemporel.

Comme dirait une parente: encore des trucs pour prendre la poussière.

Ce qui par association d'idée ne lui fit pas penser au Mercredi des Cendres où on met chez le bon catho, sur sa tête, une pincée de cendre, sur la bonne catho aussi.

Et de fil en aiguille. Cendre/Mercredi des Cendres/Poussière/balayeuse/femme. Épouse!

Il raya de son esprit le mot «épouse». Eut un frisson dans le dos.

Effacer le mot «épouse».

Test!

En parlant d'époussetage, les moutons et les minous commençaient à infester la demeure.

Non que ça l'agaçait, la poussière, les moutons et les minous pouvaient très bien vivre leur vie, il suffisait de ne pas les regarder.

Chacun mène sa vie.

Mais il commençait à en avoir beaucoup.

Une présence féminine s'imposait dans cette demeure. Il ferait comme dans les générations passées, il demanderait au fermier qui voisinait sa terre s'il avait une fille en santé et pas bossue de surplus.

?

Peut-être par mesure d'économie, son père accepterait-il de lui faire arracher toutes les dents et de lui acheter un dentier.

Ce serait son trousseau de noce avec les terres qui s'ajouteraient à sa propriété. Ce qui éviterait d'avoir recours par la suite aux dentistes si couteux. Et non remboursable par l'Assurance Maladie. C'était courant à une certaine époque.

Ben non!

Il était très bien comme il était.

Un chien.

Un chat qui est toujours quelque part.

On ne sait où.

Il reviendra bien quand il aura faim et qu'il ne restera plus de souris.

Les bruits entre les murs, les petits sons de griffes, la nuit, ce doit être des souris.

Bon festin. Minou.

Il pensa à quelques unes de ses blondes et au grand lit de la chambre du haut où il n'allait jamais. Il aurait fallu refaire le lit ce dont il n'avait pas envie. Préférant coucher sur le grand divan du salon quand il avait assez lu.

Tout habillé de la veille. Qui pourrait le lui reprocher?

Une épouse?

Il eut encore un frisson.

Il y avait un drap blanc sur le lit, suggestion de la copine numéro 4, ce qui éviterait à la poussière de tomber sur le vrai drap du lit, obligeant à le changer. On n'avait qu'à enlever le drap et on avait un lit neuf. Sans poussière. Comme à l'hôtel. Elle avait travaillé dans un hôtel.

Une chambre bien rangée où il n'allait pas. Sauf en compagnie.

Les femmes aiment les lits pour faire l'amour. Les divans, les fauteuils, les tables de cuisine, le comptoir de la cuisine, les chaises à bascule, la  baignoire, parfois.

Mais, casanières, elles retombent vite dans leurs vieilles habitudes. Il leur faut du confort.

De l'émotion. Des sentiments. Des jolis mots.

Mais confortablement.

Il pensa à elle (s), non qu'il avait particulièrement envie de compagnie (il avait son chien) (et le chat quelque part)

Ou de faire l'amour (cette envie aussi passée avec l'âge ou si on a encore envie parce qu'on est vivant, c'est de moins en moins souvent. Était-il si vieux?

Le sang circule moins vite. La pression est plus faible. Comme pour les vieilles pompes à eau qui pompent moins. 

Le moteur. Le coeur est moins bon.

Et, un jour, il cessera de fonctionner.

Donc il pensa à elle(s) parce qu'elle(s) étai(en)t jolie(s), bien sûr, évidamment, mais aussi parce qu'elle(s) étai(en)t amusante(s), enjouée(s), optimiste(s), toujours de bonne humeur comme il aimait les femmes.

Il était allergique aux femmes tristes comme il y en a tant.

Et aux folles innombrables.

Où qu'on se tourne, il y a une folle.

Avant, elles restaient dans les maisons, on ne les sortait pas. Maintenant qu'elles sortent, on ne cesse d'en rencontrer. Mais elles ne font pas que sortir, elles travaillent. Et elles peuvent être en position de par leur métier de décider de votre vie: fonctionnaire, douanière, flic.

Comme si les fous manquaient chez les hommes.

On a vraiment fait une grosse grosse erreur en permettant aux femmes de travailler. On n'a fait qu'à doubler (plus) le nombre de fous disponibles.

Il valait mieux cesser de penser aux folles.

Off!

Et elle devait bien rire. Important. Primordial. Rire souvent. Joliment. Difficile à dire ou décrire mais évident.

Rire quand on est drôle. Quand on les chatouille. Se laisser chatouiller.

Nous faire rire aussi.

Un rire de sorcière est prohibé.

Si courant.

Elle(s) serai(en)t contente(s) de venir et de quitter son (leur) petit(s) appartement(s) et de pouvoir enfin battre des ailes dans une grande maison.

Parfois, il se trouvait égoïste.

Mais pas souvent.

Il est vrai que la vie est injuste: une grande maison pour lui tout seul. Tout un  village Africain aurait pu y vivre. Et ses amies qui vivaient dans leurs armoires. Surtout si elles étaient en ville. La vie coûte cher là-bas.

Mais on pourrait y voir une logique. Une femme est plus petite et plus légère qu'un homme. Elle mange moins ou peu parce qu'elle engraisse facilement et qu'elle doit surveiller son poids et ses bourrelets. Un peu de salade verte suffira. Donc un petit appartement, une petite cuisine, le comptoir de la cuisine plus bas parce qu'elle est petite, pas une naine, petite, dans la moyenne des petites, une petite chambre, un petit lit. Un petit salaire pour payer tout ça.

Quelle discussion passionnante il aurait en énumérant ces arguments censés devant...

La vaisselle volerait haut.

En arrivant, elle(s) serai(en)t contente(s) puis remarquerai(en)t que le ménage n'a pas été fait depuis un moment.

Et la fièvre de l'époussetage s'emparera de son corps.

Et comme par hasard, l'aspirateur serait-là.

Pas loin.

Le meilleur. Un Dyson.

Irrésistible. On le voit, on a envie de le pousser.

Si on est une femme.

Pauvre petite bête!

Pas trop près, au cas où elle décèlerait un piège.

Ou, pire, qu'elle croit tant son imagination est féconde qu'elle le surprend au moment où il passait l'aspirateur et ne voulant pas le déranger dit qu'elle reviendra plus tard.

Pas trop près mais pas trop loin.

Visible.

Comme des pépins de pomme à une perruche.

Ce serait plus fort qu'elle(s).

Non comme dans un film porno hétéro de base, pas compliqué : se déshabiller et de mettre à 4 pattes sur le sofa ou sur le dos de la table les pattes en l'air. Disant: prends moins comme une bêêêête!Oui. Oui, tu es ma grosse cochonne! Ma belle truie. Classique. Mais à éviter dans la vie.

C'est pour ça qu'on achète les films pornos. Comme d'autres achètent des films de SF. Pour se changer de la vie réelle.

Et se garrocherai(en)t sur la balayeuse, le balai, le plumeau.

C'est vrai, y a t-il un plumeau ici?

Le plumeau est indispensable lui a dit... qui au juste?

Elle(s) se sentirai(en)t enfin épanouie(s).

Ce doit être héréditaire, atavique, comme l'envie de faire des feux de grève l'été. Parce que, pendant des millénaires, tous les nomades ont fait des feux. Quand il y a un feu, ils arrivent. Ils se réunissent autour du feu. Et parlent. Ou ne disent rien.

Font griller des guimauves sur une branche à la place des cuisses de rhino.
Comme les oiseaux font leurs nids et le nettoient pour éviter que l'odeur attire les prédateurs, leurs lointaines descendances: oiseaux, dinosaures marins, dinosaures terrestres, oiseaux, marmotte, guenon, femmes.

Des millions d'années à faire des nids et à les nettoyer. Ça marque.

Alors, elles ne peuvent pas s'en empêcher. C'est plus fort qu'elle.

Le printemps, c'est pire!

Dyson, c'est bien.

Et on ne pourrait pas dire qu'il était contre l'épanouissement de la femme. Ou qu'il ne pense jamais à l'épanouissement de la femme. Il n'y avait personne qui ne désirait davantage l'épanouissement de la femme que lui ce matin-là. Et il trouvait que la femme serait encore plus épanouie avec un aspirateur à la main.

Et c'est un aspirateur qui aspire l'air et les poussières et renvoie l'air encore plus propre qu'avant. Que demandez de plus?

Une femme peut-elle demander davantage?

Mais sachant comme ce jolie conte de fée finirait, il avait dû se résoudre à.

Par essais et erreurs, on apprend!

Il lui avait fallu éviter qu'il commence.

Pas de conte de fée, pas de fée. Problème. Problème.

Car.

Une fois dans une maison, une femme en est la propriétaire.

C'est immémorial, millénaire, c'est plus fort qu'elle.

Plus moyen de la faire sortir.

Non que ce soit si terrible. Après tout, comme animal de compagnie: un chien, un chat, une femme.

Il y a pire.

Ce qui l'avait motivé à diminuer l'intromission de personnes du peuple des femmes ici est, entre autre, leur goût immodéré de la décoration.

Une fois le ménage fait, on entre dans l'opéra, le drame, le kabuki, le Nô.

Après la pulsion irrésistible de l'ancienne dinosaure épousseteuse, il y a la tyrannosaures rex décoratrice.

Tous aux abris!

Protégez les célibataires!

Les vieux planchers de bois nus, ce seraient si beau avec un tapis.

Des tuiles d'ardoise.

De la céramique.

Les murs.

Les murs de bois vernis, c'est démodé. Tout le monde sait que c'est démodé. Sauf toi!

Il faudrait.

Ce seraient mieux au ton de pêche ou de gris pâle salissant mais si inspirant.

Il y a tant de nuances de peinture chez Benjamin Moore!

Effrayant.

Et les rideaux.

Lorsqu'elle(s) voi(en)t les grandes fenêtres nues et se mettent à imaginer, visualiser, voir, pentecôtiser sur les rideaux.

Des langues de feu sur les têtes.

Le Saint Esprit.

Et il venait de se débarrasser des rideaux que lui avait laissés la femme terrorisées du précédent propriétaire. On en ferait des robes dans la boutique où il les avait laissés.

Il la voyait.

Les yeux révulsés de plaisir devant toutes les possibilités qu'offrirait cet endroit.

Terrorisant.

Ce n'est pas qu'il n'a pas confiance en ses dons de décoratrice, elle serait capable de transformer un taudis en boites de carton en un château à la Disney. Ou presque.

Mais il trouve que cet endroit est très bien comme il est.

Donc il se trouve pris dans un dilemme moral angoissant: avoir une maison propre, balayée et une maison décorativée, décorationnée.

Avec les piles de magazines sur la grande table de réfectoire. Décormag. Décoration Chez-Soi un monde de rêve et d'inspiration, Décor d'Aujourd'hui, la Maison d'aujourd'hui.

Et tout ça.

Comme il commençait à s'ennuyer et que son chien Adolf commençait à ne plus lui apporter l'affection nécessaire, il joua au tic-tac-to dans son agenda.

Téléphone à

Qui fut bien heureuse de lui parler

Il y avait si longtemps

Mais le temps passe

Oh! Il avait acheté une nouvelle maison

Sa voix changeait au téléphone. Il entendait sa voix changer. Comme lorsqu'une femme voit un bébé. C'est plus fort qu'elle.

La vue terrible d'une femme qui voit un bébé.

Et l'épouvante qui saisit le mâle en visualisant comme Moïse sur sa montagne le futur de son peuple, ou son futur à lui. Changer les couches. Endurer un ado effoiré devant la tv. Plusieurs ados collé comme des ventouses d'étoiles de mer sur les divans devant les jeux vidéos. La seule solution pour s'en débarrasser serait de les abattre. Salissant.

Il l'entendait penser et rêver à toutes ces possibilités.

Et la précédente?

Cette histoire avec la police et les Hells-Angels.

Les traces de balles, les trous, l'odeur des lacrymogènes qui s'incruste. Le sang. Le besoin de renouveau si compréhensible.

Il l'invitait à venir faire un tour.

Cacha la Dyson pas loin, juste un peu plus loin.

Elle arrivait dans sa petite auto. Une mini-cooper.

Il la vit arriver de loin puis ralentir sur le  chemin de terre qui menait à la maison. Un long chemin. Efficace pour avoir le temps de voir qui conduit à la jumelle. Et de viser comme il faut. Ou de préparer sa carabine au cas. Par exemple, au cas où ce serait ses voisins semeurs de marijuana et qui viendraient se plaindre que quelqu'un prélève des échantillons de leurs récoltes.

D'abord, ce n'était pas dans leurs champs.

Entre les rangs de blésd'Inde, c'est haut et ça. Les plans cachent les plants.

Sauf si la police vient en hélico.

D'abord ce n'était pas leurs champs mais ses terres. Et ils le savaient. Car la loi prévoit que l'État peut saisir les propriétés et les biens «fruits de la criminalité» comme ils disent.

D'où la tentation de s'installer chez le voisin qui, lui, aura à expliquer qu'il n'était pas au courant que des activités illégales se déroulaient dans ses terres.

Théâtre d'été en perspective. Tragédie Antique possible.

Comme il n'avait pas Internet, il avait visualisé le tout avec les photos satellites de Google Earth. Et comparé avec les plans d'arpentage.

Et on était bien chez-lui.

Mais on n'allait pas ergoter pour si peu. Chez-moi. Chez-vous. D'abord, il ne savait pas que de si intéressantes culture bio se trouvaient si près. Il réussit à les convaincre. Il avait l'habitude.

Et il s'en foutait étant pour la libéralisation et la décriminalisation et la vente dans les écoles de la drogue. Et pour le communisme.

Et il était si intéressé par l'esprit d'initiative de ses nouveaux voisins capitalistes (on n'allait pas en faire un Concile) qu'il était près comme il faisait pour l'agriculteur bio, son autre voisin, de réserver une partie de leur récolte pour sa consommation personnelle.

Il avait une rouleuse et, artisanalement, avec du papier fin, roulait ses propres cigarettes de.

Du bonheur en nuage.

Mais connaissant les moeurs un peu rudes de ses voisins entrepreneurs entreprenants, il gardait une carabine à lunette chargée près de la porte. Derrière une planche mobile qui était là, qui était déjà là, pour on ne sait quelle raison et qu'il avait découverte par hasard, comme bien des choses ici. Et qu'il avait recyclé en armurerie.

Il n'y a rien qui fait se sentir un homme plus homme qu'une arme.

Couteau. Épée. Sabre. Katana. Révolver. Pistolet. Fusil. Carabine. Fusil mitrailleur.

Il n'y a rien qui fait se sentir un homme plus homme qu'une femme toute ronde, onctueuse, chaude et souriante. Mieux qui est en train de rire dans vos bras.

Comme des brioches, un gâteau ou un pain qui sort du four.

Mais ce n'est pas le même sujet.

Et il lui semblait sentir son odeur à 100 mètres.

Comme un pain chaud qui sort du four.

Il la vit ralentir.

Arriver précautionneusement avec son auto.

Sortir en hésitant.

Et ce n'était pas le genre de femme qui hésitait.

Alors qu'au téléphone, il y a un instant, le ton de sa voix était celui des pionnières capables d'essoucher, de défricher elles-mêmes en tirant une charrue tout en pondant 24 enfants le long des rangs.

Il l'attendait sur la galerie en lui souriant et lui ouvrant les bras. Et elle avançait, de plus en plus lentement, tout en regardant vers le toit. Elle ne souriait plus. Avait l'air d'avoir froid. Remontait son chandail.

Il suivit son regard. Elle regardait une fenêtre du grenier. À  peu près.

À gauche.

Il y avait quelque chose qu'elle voyait et qu'elle seule pouvait voir.

Mais il n'y avait rien.

Puis, elle regarda une fenêtre de la cave.

Il n'y avait rien là non plus.

Puisqu'il regardait avec elle, suivant la direction de son regard. Il aurait vu.

Bien sûr, il y avait eu quelque chose

Là où le frère de...

Vers là où le frère de s'est...

À peu près là.

Mais elle ne savait rien de cette histoire puisqu'il ne l'avait raconté à personne. Et il savait qu'un secret était quelque chose qu'on est seul à connaître.

À 2, on est déjà à la tv.

Elle ne peut même pas avancer jusqu'aux marches et se mit à reculer.

Puis elle se tourna et marcha à pas rapides sur ses petits pieds dans ses petits souliers sur ses petits talons pas très hauts jusqu'à sa petite auto.

Se remit au volant. Ferma violamment la portière. Et démarra en faisait tourner à vide les roues qui firent revoler la poussière jusqu'à ce qu'elles puissent enfin agripper le sol et propulser la souris d'ordinateur grand format. Ou moyen. Pour une petite femme.

L'auto repartit si vite dans l'allée qu'il avait encore le bras levé pour la saluer.

L'allée était maintenant vide. Vide. Plus vide que tout à l'heure quand avant que l'auto arrive. Vraiment mais vraiment vide. Comme si on aspirait l'air.

Curieux comportement!

Depuis ce temps, elle ne répond même plus au téléphone.

*

23 avril 2012. État 3