Henry Dickson
Va à la bibliothèque, dans le meuble à tiroirs où sont rangés les albums et les boites de photos qu'il avait trouvé avec la maison. Les derniers habitants ne voulaient rien emporter. Pas même les photos qu'ils avaient prises ici. Qui s'ajoutaient à toutes les autres. Ni les vêtements qu'ils avaient apportés ici. Soit à leur arrivée ou achetés par la suite au fil des saisons. Comme si ça portait malheur.
Comme si la maison était contagieuse.
Et qu'ils pourraient amener quelque chose de contaminé ailleurs, dans leur nouvelle maison, leur nouvelle vie.
Comme on brûlait les vêtements infestés de puces vecteurs de la peste. Ou les vêtements des morts même s'ils sont en très bon état.
Leur ancienne vie s'était terminée là. Devait se terminer ici.
Il ne devait plus jamais y avoir de lien, de trace, d'attache entre ici, là et là-bas, loin.
Et comme des naufragés quittant une épave engloutie ou en train de couler ou une île envahie par les flots de la marée montante, il fallait fuir. Rester léger. Ne pas s'encombrer.
Mais ils n'avaient pas brûlé la maison.
Quoique l'un d'eux lui avait appris qu'il avait su par quelqu'un qu'il ne voulait pas nommer, absolument pas nommer, jamais, que, jadis, ou il n'y avait pas si longtemps, quelqu'un avait essayé.
Essayé de brûler la maison.
Mais il n'avait pas pu.
La maison ne l'avait pas laissé faire.
Cette phrase lui avait échappé. Et il avait essayé aussitôt de ravaler les mots un à un. En espérant que personne ne l'avait surpris.
En fait de feu, pour ce qu'il en savait, la maison avait brûlé partiellement ou entièrement mais jamais assez jamais entièrement 3 fois. Jamais assez. Jamais suffisamment.
Pour ce qu'il en savait.
La première, en ne tenant pas compte de la première habitation de bois rond qui servait d'assise à la suivante et à celles qui l'ont englobée... La première, c'étaient les indiens. Ensuite, pour l'autre, les autres, les anglais. Les Rouges. Les Goddams.
Quand ils ravageaient la région et pratiquaient la politique de la terre brûlée. Terroriser la population. Les femmes. Réquisitionner les vivres, le bétail, les chevaux. Les femmes. Affamer la populace. Et ceux qui se cachent dans les bois et les forêts et qui reviennent se nourrir quand il n'y a plus personne.
Récoltes, maisons, avec leurs habitants. Leurs habitants dedans.
Parfois.
Une fois, une fois, on avait assemblé toutes les femmes qu'on avait pu trouver et les avait entassées dans la chapelle et mis le feu après avoir cloué toutes les portes. Ça criait comme des poules. Une femme avait sauté à travers un vitrail (une vitre peinte pour imiter un vitrail), les cheveux roux en feu. Rouille et rouge. Ses robes en feu. Comme un grand oiseau rouge. Elle criait comme une poule. Vraiment des piaillements de poule. On avait le choix de la laisser rouler par terre en criant comme une poule ou de l'achever à la baïonnette, comme si se rouler par terre dans la terre pourrait éteindre le feu de goudron. C'était si aigu que ça vous ouvrait les tympans jusqu'au cerveau. On l'acheva à la baïonnette et au sabre car elle criait vraiment comme une poule. Ça n'en finissait pas. Ce n'était vraiment pas humain. Les baïonnettes en suffisaient pas, on avait beau la percer de partout, elle roulait encore comme si elle ne pouvait pas mourir. Pourtant, elle voulait mourir. S'il y avait quelqu'un qui voulait mourir, c'était bien elle mais elle n'y parvenait pas. Et, en même temps, se roulait par terre par réflexe pour diminuer ou éteindre les flammes. Enduite de goudron comme toutes les autres, les autres qu'on ne voyait pas, sa peau avait l'apparence de l'asphalte ou de la pierre fondue noire d'un volcan avec des sillons rouges de sang ou de feu. Fascinant. On sortit les sabres et on la découpa en morceau. Et il arrive un moment que les morceaux fussent si finement taillés et si nombreux qu'aucun d'entre eux ne pu crier.
Et il y avait les autres en dedans. Encore. Les femmes et les filles dans la chapelle qui ne finissaient plus de brûler. Personne n'avait pensé que ce serait si long. L'officier qui avait eu cette idée le regrettait. On aurait dû les pendre comme la dernière fois. Oui, pendre des femmes c'est bien. Mieux. Elles sont légères et ce n'est pas fatiguant. Et on peut accrocher des clochettes à leurs vêtements. Au vent. Ça fait ding! Un bon avertissement. Oui, un très bon.
On est soldat mais on est humain. On acheva la chapelle à coups de canon. Au bout d'un certain temps, l'édifice tomba et fit un immense bûcher comme lorsqu'on brûlait les Albigeois. Ou les catholiques. Ou les protestants. On sait pu.
L'Histoire avait été difficile ici. Pas surprenant qu'elle ait laissée les habitants avec une drôle d'air.
Viol des femmes et des filles.
Mais rien de nouveau, tout conquérant fait ainsi.
Et même les perdants. On n'avait qu'à ne pas les faire perdre. Et ça leur apprendra à ces femmes! Elles n'oublieront pas de sitôt ceux qui leur étaient rentré dans le ventre et passé sur le corps. On pouvait les tuer ensuite. Les égorger. Ou les laisser vivre. On ne sait pas ce qui est le pire. Puisqu'on agit sur l'inspiration du moment.
Et certaines auraient des bébés qui rappelleraient à tous ce qui s'était passé. Pour que personne n'oublie. On aurait le choix de tuer les femmes infestées ou de les laisser vivre. De tuer leurs bébés ou de les laisser vivre. Des tas de choix.
Il se paie en nature des difficultés de son métier et des incompréhensions qu'il rencontre ce faisant ce qui fait qu'il lui est toujours difficile de raconter par la suite ses exploits.
Les gens ne comprennent pas.
Les gens de la période de paix ont tout oublié des gens de la période de guerre.
Parfois, souvent, ce sont les mêmes.
Même s'il y a très peu de temps entre les 2. Un souffle de vent et pfff! Plus personne ne se souvient. On est passé instantanément à autre chose.
Les gens ne comprendraient pas.
Ce qui fait que ce n'est qu'entre anciens militaires, en soldats qu'on se sent bien, chez-soi, accepté. Chacun comprenant enfin l'autre sans qu'il soit nécessaire de tout expliquer.
Ce sont les explications qui font que les choses s'embrouillent et deviennent compliquées.
Bref, les anglais avaient brûlé la maison, tout le reste. Et déporté tous ceux qu'ils n'avaient pas tués.
En ce moment, époque héroïque, il fallait tuer un à un, comme font les particuliers de nos jours: je tue ma femme à coups de hache. Avec une hache. Ou à coups de fusil. Avec un fusil. Mes enfants à coups de couteau. Un couteau.
Artisanalement.
Ce ne sont que les organismes publics officiels et sérieux comme l'armée et les États qui peuvent utiliser des armes de destruction massive bien au-delà de la portée d'un simple citoyen.
Avec ça, on peut tuer en lot, en masse, en tas. Parfois même ne laisser aucune trace. Les femmes auront été brûlés vivantes en 1 instant. Et même pas eu le temps de crier.
1000 d'un coup.
Bref, les anglais avaient brûlé la maison. Et on l'avait reconstruite.
Puis on avait mis le feu au grenier où il y avait, paraît-il, toutes sortes de livres étranges. Étranges et anciens. Mais on avait pu arrêter le feu. Ou il s'était arrêté tout seul.
Ensuite, des gens du village avaient voulu y mettre le feu.
D'où en est restée l'impression que cette maison portait malheur.
Ils lui avaient raconté que lors de leur arrivée, la police et l'ambulance venait d'emporter le corps du propriétaire qui venait de se pendre sur un vieux crochet noir au-dessus du puit.
Mais la maison était si belle et le prix si abordable, jamais ils n'auraient rêvé d'une si grande maison et une vie de travail ne leur aurait pas permis - normalement- de se la procurer. Ils faisaient le tour des campagnes, de plus en plus loin de la ville. Ils pensaient acheter une vieille bicoque en ruine et passer 20 ans à la rénover. Et la grande et belle maison représentait justement l'$ péniblement épargné qui devait servir de premier versement à la banque pour l'hypothèque de leur maison. Encore bien imaginaire. Comme si on l'avait calculé et mesuré à leur place. Et on était si pressé de la leur vendre et si content qu'ils consentent à l'acheter et, mieux, à leur donner de l'$, qu'on se contenta de ce montant sans même parler de banque. Ni de prêt.
Il remarqua sans le dire qu'ils l'avaient payé bien plus cher que lui. Comme si la valeur de la maison baissait au fur et à mesure qu'on l'embellissait et la rénovait.
Ils furent d'abord très heureux puis un peu moins. Suffisamment pour prendre beaucoup de photos. Quand on est heureux, quand on a une famille heureuse, si on aime la photo, on prend des photos. Qu'on met dans une boite. On a envie de se souvenir de ce moment là.
On se dit qu'on les sortira de la boite un jour. Qu'on les assemblera dans d'autres boites. Avec des noms. Des dates. Et on achètera des albums.
Puis quand on est moins heureux, on a moins envie de prendre des photos.
Il y avait les enveloppes avec les négatifs couleurs et les photos papier. Et les diapositives. Et même des Polaroïds.
L'envie de prendre des photos leur passa avant qu'il puisse faire le passage au numérique.
Par la suite, l'administration bureaucratique leur avait fait parvenir un fusil qui traînait dans leurs réserves et prenait inutilement de la place puisque le dossier dont il constituait un élément de preuve important était clos. Il s'agissait d'un suicide tout à fait banal comme il y en a tant.
Des tas de gens se suicident tous les jours. C'est un mauvais moment à passer.
Le dossier était clos et s'empoussiérait. Tandis que d'autres dossiers tout neufs arrivaient. Et que des dossiers plus ou moins anciens restaient en dormance tant qu'on n'avait pas eu un élément nouveau permettant de les rouvrir ou des fermer définitivement.
Un témoignage d'un assassin repenti sur son lit de mort. Classique. Moral. Intemporel.
Ou des confidences d'une bagnard bavard à un compagnon de cellule aux longues oreilles et à la langue bien pendue qui s'en servira pour faire du troc et raccourcir sa peine ou avoir de bonnes notes dans son dossier pour le comité de libération conditionnelle.
La solitude rend certains particulièrement loquace. Et des années de solitude vous rendent muet ou bavard comme une perruche aussitôt que vous rencontrez quelqu'un qui est prêt à vous écouter ou qui ne se sauve pas en courant.
Ils échangent un peu de leur vie pour un brin de compagnie. Comme s'ils devenaient un moment indifférent à la prudence. Ou qu'elle était remplacée par quelque chose de plus coûteux ou d'une valeur plus grande: un étranger qui vous écoute, qui vous écoute sans vous interrompre. Et qui vous parle de temps en temps.
Ce serait mieux une femme. Pour la plupart des gens, une femme c'est toujours mieux. Les femmes se racontent à des femmes. Les hommes se racontent à des femmes. Rarement à des hommes. À moins de ne pas avoir le choix.
En fait, il y a 2 sortes d'hommes. Ou des variations sur les 2 sortes. Ceux qui n'ont rien à dire et ne disent rien. Ils baisent la femme et dorment. Ils peuvent faire presque les 2 actions en même temps. Et la femme qui comme toutes les femmes ou presque toutes voudraient partager ses sentiments, ses émotions, ses souvenirs surtout dans ce moment où on vient de la pénétrer et qui est tout de même important pour elle car elles ne laissent généralement pas n'importe qui les pénétrer (sauf les professionnelles) et elles tiennent à le faire savoir.
Mais le gros colon dort déjà.
Généralement, après quelques années de ce traitement, elles deviennent folles.
Ce qui est si courant que personne ne pose de question au cas où, peut-être, on aurait des réponses. Car les femmes quand elles répondent sont particulièrement bavardes.
Et il y a l'autre type de gars. Qui baise lui-aussi. Bien ou mal. Seule la femme peut le dire. Mais l'homme qu'il baise bien ou mal est toujours content. Et celui-là, est si content qu'il parle et parle. Il y a des femmes qui aiment. Enfin quelqu'un s'intéresse à elle. Non que les autres ne s'étaient pas intéressés à elles mais c'était plutôt leurs seins et leur vulve et leur vagin. Pas ce qui était autour et qui prend pourtant beaucoup plus de place.
Alors, il y a des femmes qui parlent. Répondent. Et les 2 se parlent.
Certaines se fatiguent et ont l'impression de baiser avec une femme réincarnée. D'autres ne se fatiguent pas.
Mais en prison, la société n'est pas mixte. Même si ça civiliserait un peu les moeurs comme lorsqu'on est passé des collèges de gars et de filles à des mélanges variés. Bien sûr, ça a amené d'autres problèmes. Car les filles, même futures femmes, sont compliquées. Alors, imaginez les adultes femmes.
En prison, il y a parfois des femmes. Si on a été sage, il y a la roulotte. Mais faut être marié. Et il est interdit de réserver des femmes professionnelles. Même si on a de l'$. Même dans une société capitaliste qui révère l'éthique du travail et le marché du travail.
Alors il reste les autres gars. Pour la plupart, ça reste une forme d'amitié du type collège (on ne baise pas, ne suce pas, ne se masturbe pas mutuellement, ne se pavane pas en érection les uns devant les autres, on reste sobre et de bon goût) mais intéressée, on est entre criminels.
Des gros, des moyens, des petits, des professionnels, des amateurs, des maladroits, des crétins et des fous.
Et parfois, on bavarde. Quand quelqu'un bavarde, ça se sait vite.
Les gardiens adorent les mémères, ils collent des micros partout dans la cellule.
On prend des notes avec les noms et on envoie le tout aux archives. Tout finit aux archives. Textes, enregistrements, photos, empreintes, fragments biologiques: robes ensanglantées, hache, fusil. Et plus une société est scientifique, plus il y a de choses à archiver. Et tout ça prend de la place. Tellement de place qu'on aime bien désherber de temps en temps.
Lorsqu'on pu utiliser l'ADN pour relier des indices autrefois muets à des humains, on régla certaines de ces affaires et envoya quelques nouveaux pensionnaires en prison. Des gens qui avaient tués depuis 10 ou 20 ans et qui pensaient s'en être définitivement sortis. On avait oublié.
C'est surprenant: les torts qu'un autre vous a fait son indélébiles, marqués à jamais. Mais ceux que vous avez faits s'oublient si vite. C'est comme s'il n'était rien arrivé. Vous n'étiez pas le même. Vous n'étiez pas là. C'était une vieille version de vous-mêmes, moins perfectionnée. Plus prompte. Quand une femme vous insultait, paf! Une claque dans face!
Ça part tout seul.
Ou c'était un coup de poing.
Parfois, le couteau était trop proche. Il n'avait qu'à ne pas être là.
Ou un fusil. Tout le monde a un fusil de chasse. Pour la chasse. Ou au cas où on chasserait. Ou si les voleurs de vaches ou les brûleurs d'étables reviennent. On n'aime pas les voleurs de vaches et les incendiaires. Si le chien - à la campagne tout le monde a un chien- les avertit de la présence d'un rôdeur. On sort le fusil. Le gouvernement a beau finasser en disant qu'il est prudent (obligatoire) de mettre son arme dans un coffre et les balles/cartouches dans un autre. Les 2 fermés à clé. Et si vous en avez besoin, s'il y a un rôdeur ou s'il y a de la lumière dans la grange la nuit, une petite lumière qui se promène (lampe de poche) ou si les zombies sont en train de défoncer la porte ou si les villageois veulent mettre le feu à votre maison, vous cherchez votre clé. Vous débarrez le coffre numéro 1. Vous débarrez le coffre numéro 2 et vous vous installez à la table de la cuisine où vous aurez mis un napperon car les napperons brodés sont jolis et si c'est votre femme qui le dit. Vous déposez votre fusil/carabine (les fusils-mitrailleurs/mitraillettes/révolvers/pistolets sont interdits pour on ne sait quelle raison). À côté de la boite de balles/cartouches. Alors vous chargez votre arme. Et ensuite vous être prêt à vous défendre. Mais zut! flute! vous êtes déjà mort pendus au crochet du luminaire décoratif. Avec votre femme. Qui aimait tant ce luminaire décoratif. Alors la plupart des gens font à leur idée. Le fusil chargé est sous le lit ou dans l'armoire de la chambre. Il reste là. Parfois pas chargé. Pendant des années.
Et à un moment donné votre femme vous énerve.
Il n'y a pas de rewind à la gâchette et au percuteur d'un fusil.
On dit parfois: désolé, mes mots ont dépassé ma pensée. En fait, les mots utilisés exprimaient parfaitement votre pensée à ce moment là. Mais il faut les assumer. Et ce moment là peut s'éterniser. Surtout si on vous fait un drôle d'air. Et la femme qui dit: alors, je suis une chienne! Les femmes ont le don de se rappeler ce genre de détail. De vous le rappeler indéfiniment, même si on s'est excusé - parce que nos mots ont dépassé notre pensée- à chaque fois qu'elles auront quelque chose à reprocher. En fait, jusqu'à la fin de vos jours. Alors, il arrive que le fusil soit une tentation trop forte.
On pourrait dire que le .303 ou la cartouche de 12 ont dépassés sa pensée. Ce qui est probablement le cas. Si on avait mieux pensé, pensé moins vite, été moins énervé ce qui fait mal pensé. Mais le juge ne sera pas de cet avis. Les juges sont grincheux.
Alors on dit que sa femme a disparu. Parce qu'il faut bien dire quelque chose. On ne sait pas où. Les femmes sont comme ça. Un moment donné, elles sont là puis pfff! plus là. Elles abandonnent leurs vêtements, leurs souliers, leur sac à main, leurs bijoux, leur montre, leurs produits de beauté qui les préservent des rides et des outrages de l'âge (c'est pas vrai!), leurs enfants. Par caprice. Elles peuvent laisser le dîner en plan, les ingrédients du gâteau sur la table comme si elles allaient revenir ou partir en plein hiver, pieds nus dans la neige. Ou elles patientent dans le parking, dans l'auto, pendant que vous relaxez au restaurant en prenant votre petit café tout en lisant le petit journal du restaurant et quand 1 heure plus tard vous revenez, elle n'est plus là. Votre auto est vide. Mais où est-elle donc passée? Alors on les recherche. La police les recherche. On les trouve pas. On a de la peine. Si les journalistes viennent, on leur dit qu'on a de la peine. Et les gros titres des journaux diront que vous êtes éplorés ce qui veut dire que vous souffrez. Que vous avez de la peine. Selon leur clientèle, si elle est plus ou moins bien élevée ou si elle a été à l'école longtemps, on utilisera des mots courts et des phrases simples ou plusieurs mots longs, parfois rares, ce qui indique que leurs lecteurs savent lire et a même lu des romans français. La tv, la radio, les journaux n'en parle pas toujours mais il y a souvent des jours où il n'y a pas de grosses nouvelles et il y pourtant toutes ces annonces à fourguer. Comme tous les jours. On met du texte autour. E s'il y a des sentiments c'est mieux. La plupart des gens n'aiment pas les idées - ça leur fait mal à la tête et leur rappelle trop l'école, les leçons, les devoirs, les examens, les notes- mais les émotions, les sentiments tout le monde sait ce que c'est. Alors tout le monde aime. Alors, on espère qu'elle reviendra. Un moment donné son caprice se terminera. Je vous le dit: elle est parti sans souliers. Il pleuvait. Il neigeait. Il avait neigé. Il gelait. On n'aurait pas mis un chien dehors. Mais qu'est-ce qui lui a pris. Elle reviendra s'excuser des soucis qu'elle vous a donné. Tout le monde connaît quelqu'un (ou quelqu'un qui connaît quelqu'un) dont la femme a disparu.
C'est bizarre les femmes.
Alors dans les salles d'archive il y a des armes: fusil, carabine, révolver, pistolet, fusil-mitrailleur, couteau, fourche, hache, pelle.
Car il arrive aux détectives de retrouver les femmes disparues, enfuies.
Certaines ne s'étaient pas vraiment enfuies.
Disparues seulement.
Plus ou moins bien enterrées.
Le hasard.
Un chien qui creuse où il ne devrait pas. Les confidences lorsqu'on a mal bu.
Un homme l'avait donné à mangé à ses cochons.
Mais il reste les os. On fait quoi avec les os. Si on a un gros broyeur...
Et, parfois, c'est compliqué. L'héritage. Une femme disparue n'est pas légalement morte. Vous ne pouvez pas en hériter. Il faudra attendre qu'elle atteigne l'âge où statistiquement la majorité des femmes ou toutes les femmes sont mortes. Ce qui peut être sacrément long.
Alors, on se met à regretter son crime. Heu! Son mouvement d'humeur. Et à la manière dont vous ou quelqu'un pourrait retrouver tout à fait par hasard les restes de votre malheureuse épouse, ce qui prouverait qu'elle est morte - de cause naturelle, accidentellement, naturellement, violemment- et vous pourrez héritez. Tout ceci est compliqué. Amène à réfléchir à des idées compliquées. Et on vient de dire que pour la majorité des humains, les idées.... Alors, les idées compliquées.
Ce qui ne les empêchera pas d'essayer. Un peu comme un enfant pas doué fait de la peinture au doigt. Il s'en met partout.
C'est ensuite que tout se complique.
Et des pelles, on en trouve.
Des fusils aussi.
Les 10 c'est plus rare. À canon simple. Mais à double canon.
On aurait pu penser qu'on l'aurait gardé pour ça parce que c'est pas commun.
On ne savait pas quoi faire de l'arme qui n'était pas assez ancienne, élégante, raffinée techniquement ou coûteuse où ayant accomplie une action historique qui marque une époque ou une année, au pire, une journée, pour aller dans les réserves du musée de la police fédérale, provinciale ou celui de la Civilisation. Fédérale. Provinciale.
Aussi, on l'envoya à l'adresse indiquée dans le dossier. Là où elle avait servi la dernière fois. En fait, si l'arme n'était pas très ancienne, elle avait tout de même un certain âge puisqu'au cours des décennies, elle avait servi à 4 suicides. Tous à la même adresse.
Plus un quasi-suicide. Ou un meurtre. Ou un accident. On ne savait pas trop. L'enquête n'avait pas permis de sortir de l'imprécision.
Le même service qui avait envoyé la hache qui avait disparu depuis.
Comme bien d'autres choses ici.
Il est surprenant combien de choses deviennent introuvables ou réapparaissent dans des endroits les plus curieux. Ici. Et ce n'est pas parce qu'une chose est retrouvée (l'autre mot, plus rassurant, pour parler d'une chose qui était là et ne l'était plus puis est là, de nouveau là) (revenue.) (on aime penser qu'on retrouve une chose, même qu'on (nous) (soi) (je) a retrouvé cette chose et non qu'elle est apparue ou réapparue. Non, ça on n'aime pas penser.) Et ce n'est pas parce qu'une chose est retrouvée qu'elle ne se perdra pas à nouveau.
La hache par exemple.
Une expression dit que les choses vont et viennent. Ici, les choses, réellement, vont et viennent.
Une autre explication logique serait le début des symptômes de la perte de mémoire. On place une chose là et on l'oublie. On la cherche partout. Et elle est toujours là. Sauf qu'on n'y pense pas. Et, tout à coup, on y pense. Et on est tout surpris de la savoir là. De la retrouver là. De la voir. De nouveau. Alors qu'elle y a toujours été.
Cette explication logique en vaut d'autres.
Pour ce qui est de l'arme. Le coup du sort avait fait qu'à chacun de ses retours à cette adresse, après 10 ou 20 ans de repos, dans un entrepôt, quelqu'un s'en servirait bientôt.
Comme si la tentation était impossible à résister.
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16.17.18.19 avril 2012. État 4.
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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